Pendant la grève à l’aéroport de Francfort, en février 2012 [1], interdite après deux semaines par le Tribunal du travail, le syndicat des services, ver.di, condamnait les revendications des travailleurs de la sécurité du tarmac en les qualifiant de « disproportionnées et complètement exagérées ». Plus encore, les dirigeants de cette fédération syndicale ont participé à la campagne menée par les milieux patronaux contre le syndicat indépendant des employés de la sécurité aérienne (Gewerkschaft der Flugsicherung, GdF).
Une semaine plus tard, dès le 5 mars 2012, le même syndicat ver.di a sonné le clairon d’une campagne de « grèves d’avertissement » dans les services publics. Quelque 2 millions de salarié·e·s des services publics municipaux et de l’Etat fédéral sont concernés par la revendication d’une augmentation salariale de « 6,5% mais au moins 200 euros » selon la position officielle de ver.di.
En fait, le but déclaré de cette campagne est d’améliorer les rapports de forces dans le cadre des négociations salariales avec les communes et l’Etat fédéral. Les transports urbains de plusieurs grandes villes, ainsi que d’autres secteurs clés des services communaux – comme les crèches, les services de voirie et de collecte des poubelles ainsi que des secteurs de la santé – ont été soit perturbés soit complètement bloqués par de larges actions de grèves, touchant un Land après l’autre. Le 16 mars 2012, une nouvelle vague de « grèves d’avertissement » était annoncée suite à l’échec des négociations des 12 et 13 mars (les employeurs proposaient 3,3% d’augmentation salariale linéaire sur 24 mois).
Le fait que la répression de la grève des travailleurs du tarmac de Francfort a précédé cette mobilisation d’ampleur et par étapes – dans le temps et l’espace – n’a rien à voir avec les hasards du calendrier. De concert avec les milieux patronaux, les sommets du syndicat ver.di ont tout fait pour éviter que la grève radicale des salariés de la sécurité aérienne ne vienne perturber le rituel bien rodé des négociations avec les employeurs publics. La firme Fraport, active à l’aéroport de Francfort, négociait avec ver.di selon les normes traditionnelles. Cela à la différence de l’initiative de lutte du GdF, une fois que l’impasse des négociations lui apparaissait évidente.
Dès lors, il est significatif que, dans ce contexte de grèves perlées – sciemment segmentées et « alternées » de région en région – que 57 bagagistes de Francfort sont entrés en grève le 5 mars, tandis que le personnel de sécurité du second aéroport de Francfort, Francfort-Hahn, a également cessé le travail le 7 mars (voir Frankfurter Neue Presse). Or, les conflits de ces dernières semaines dans le secteur aéroportuaire (après Francfort, deux grèves ont eu lieu dans les deux aéroports de Berlin) sont, pars per toto, révélateurs du fait qu’une partie des salariés des services publics et privatisés ne supportent plus le déclin du pouvoir d’achat et les conditions de travail avec leur impact sur la santé. Cette tendance indique que la fragmentation du salariat, visée par la multiplication des statuts propre à la déréglementation et à la privatisation, met partiellement en échec la stratégie des employeurs. Le durcissement de l’exploitation suscite des réactions. L’appareil syndical doit en tenir compte. Dans un prochain article, nous traiterons du thème de « l’Hinterland » à bas salaires, cette fois au sein même de l’Allemagne et non pas en Slovaquie, en Tchéquie, en Pologne. En effet, diverses études viennent d’être publiées. Toutes indiquent une croissance des emplois à très bas salaires de 1995 à 2010 : quelque 2,35 millions de « salariés pauvres », pour plus de 50% employés à plein-temps, ont rejoint les rangs de la population active à bas salaire. La limite des bas salaires est fixée à hauteur de 9,15 euros (11 CHF) l’heure.
A titre d’information, nous publions ci-dessous la traduction du tract du « Réseau pour un ver.di combatif et démocratique » (Netzwerk für eine kämpferische und demokratische ver.di). Ce texte a été mis en ligne le 15 mars 2012. Il est fort instructif aussi pour ce qui a trait à la politique des appareils syndicaux helvétiques et la toile d’araignée tissée depuis longtemps dans laquelle ils sont empêtrés.
Rédaction de A l’Encontre
Encore deux ans de pertes salariales ? Ça suffit : Imposons complètement les revendications tarifaires ! Préparons la grève !
Les employeurs ne proposent qu’un ridicule 1,77 % [d’augmentation salariale] par an. Selon leurs dires, il s’agirait de « consolidation », car l’argent manquerait pour des augmentations salariales. Mise à part le fait qu’il est ennuyant d’entendre la même rengaine à chaque négociation salariale, on peut constater que l’argent coule à flots à d’autres endroits : 63,2 milliards d’euros ont été dépensés, dans le cadre des budgets publics, en 2010, pour le service de leurs dettes. Et, encore et toujours, des milliards d’euros sont dépensés pour sauver les profits des banques privées. Une augmentation des salaires de 1,77% [reviendrait à] environ 4,5 milliards d’euro par an. Cela correspond environ à 7 % des intérêts versés aux banques [pour le service de la dette publique].
[Quand il s’agit de leurs propres poches], les politiciens ne se montrent pas aussi « modiques » : [l’ancien président Christian] Wulff [qui a été contraint de donner sa démission suite à un scandale lié à ses relations étroites avec les milieux d’affaire] reçoit 199 000 euro de retraite annuelle, auxquels viennent s’ajouter 280 000 euro par an pour son bureau et ses employé·e·s. En même temps, de nombreux salarié·e·s des services publics sont au bout du rouleau. Plus de 130 000 d’entre eux doivent déjà recevoir une aide de l’agence de l’emploi (JobCenter). Ainsi, une personne sur dix bénéficiant des prestations complémentaires [prévues par les lois Hartz – ancien directeur du personnel de Volkswagen] est directement ou indirectement active dans les services publics.
Attention au compromis !
Il y a donc bien assez de raisons pour imposer les revendications salariales à taux plein. Pour ce faire, la pression doit venir d’en bas, de manière organisée. Le « Réseau pour un ver.di combatif et démocratique » veut offrir aux collègues la possibilité de discuter ensemble de la façon dont une stratégie combative dans les négociations salariales peut être mise en place. Car cela est vraiment urgent : en 2010, [des augmentations salariales] de 5% ont été revendiquées, mais il n’en est sorti à la fin qu’un minable 1,15% annuel. [C’est pourquoi], nous disons clairement : nous devons lutter pour l’imposition de nos revendications entières (6,7%). Si on prend en considération le renchérissement et l’augmentation de la productivité en rythme annuel, les salaires dans les services publics sont déjà inférieurs à ceux du secteur privé.
La conciliation n’est pas un bras de levier, mais un bâillon
Il existe le danger que les employeurs fassent appel à la conciliation, après la prochaine phase de négociations. Le « Réseau » se prononce contre l’orientation de conciliation lors de conflits du travail, parce que celle-ci fait croire à la faculté d’un [soi-disant] « arbitre neutre » de trouver des compromis. Comme les intérêts antagonistes entre employeurs et employé·e·s ne sont pas conciliables, il ne peut pas y avoir d’arbitrage neutre. C’était une faute de la part de la direction de ver.di que d’avoir ratifié un accord qui inclut l’obligation de la conciliation [lors des conflits du travail]. Autant l’obligation d’entente (Einlassungszwang), que celle de garder secrète les négociations et de respecter la paix du travail sont des clauses qui affaiblissent la capacité de lutte et sont, de plus, anti-démocratiques. Le texte original de l’accord donne une idée du caractère anti-démocratique et répressif [effet-bâillon] de l’accord sur la conciliation [2].
Utiliser la faiblesse du gouvernement. Lutter ensemble
Si nous mettons en action notre pleine capacité de lutte, nous pourrons imposer complètement nos revendications. Le gouvernement fédéral est en crise et se laisse facilement mettre sous pression. De plus, les collègues de Deutsche Telekom, de l’industrie chimique, ainsi que de la métallurgie et de l’électrotechnique sont également en passe d’entamer des négociations [salariales]. Cela serait LA chance, au moyen de grèves simultanées, d’actions et de manifestations communes, de mettre en place [un rapport de forces] à partir des lieux de travail, afin de pouvoir concrètement récupérer les pertes salariales réelles et massives des dix dernières années. Mieux, cela permettrait de montrer notre force, [et, si nous luttons] ensemble, d’acquérir une confiance dans notre capacité de mobilisation. Cela pourrait être le début d’un mouvement contre la politique en faveur des banques et des grands trusts.
Réseau pour un ver.di combatif et démocratique
* Traduction A l’Encontre