Vendredi vers 5h du matin à l’aube, les MAT, c’est à dire les CRS de notre pays à la sociologie décapsulée, ont attaqué les grévistes de l’aciérie Chalyvourgiki, à l’Ouest du Pirée. Le Procureur de la « République » sans Res publica, avait évidemment donné l’ordre de faire « lever » les piquets de grève et ainsi « dégager la voie pour permettre à ceux qui souhaitent travailler, le retour au travail ». Le porte-parole du gouvernement a même insisté dans son explication « des incidents par la volonté de faire appliquer la loi, ainsi que le droit sacré de la liberté de travailler ». On frôle le burlesque. Des négociations pourtant, se déroulèrent encore la veille au ministère du « Travail », entre les représentants des ouvriers et ceux du gouvernement, et « on » attendait la participation de la partie patronale. Les syndicalistes n’avaient pas non plus caché ces derniers jours leur volonté de compromis, posant comme préalable, la réembauche partielle et progressive des confrères licenciés et un certain accord sur les salaires. De toute façon, le propriétaire de l’entreprise, Nikos Manesis, ne s’est jamais montré réellement prêt à s’asseoir autour de la même table avec les syndicalistes et le ministre. Surtout depuis les élections de juin.
Les grévistes qui se trouvaient devant l’usine, une dizaine environ, ont été arrêtés et mis en détention. Ils ont été libérés dans la journée suite également à la pression du mouvement syndicaliste (de ce qui en reste en tout cas), car aussitôt, la nouvelle a circulé et les autres grévistes, certains habitants, des syndicalistes et des représentants des partis de la gauche, SYRIZA et KKE se sont réunis devant l’usine et aux alentours, provoquant d’ailleurs un embouteillage impressionnant sur la « rocade des raffineries », aux dires des journalistes qui prétendent observer l’essentiel à notre place. La police prétorienne a fait usage de sa chimie habituelle et de sa force de l’ordre, indéniablement toujours plus nouveau que la fois d’avant. Nous n’en sommes plus vraiment surpris je dirais, mauvais signe. Les députés SYRIZA et KKE Stratoulis, Alexopoulos et Katsiotis, ont été ainsi molestés et frappés par les policiers, je crois qu’il s’agit là aussi d’une première en Grèce, et ceci depuis bien d’années. Ce qui prouve d’abord que les élus du peuple s’asseyant du « mauvais côté » dans l’hémicycle, ne peuvent plus compter sur leur immunité par exemple.
Et parmi les autres élus, certains pourront poursuivre leurs affaires en holdings et autres offshore, confiant aux chaleureuses et bienveillantes banques l’argent déjà acquis par les corrupteurs de la société Siemens et autres sociétés de notre monde devenu si global en si peu de temps, sans souci aucun. Sous le soleil des Troïkans exactement ! Mais une autre remarque s’impose aussi : c’étaient également deux députés KKE et SYRIZA (Kanelli et Dourou) qui ont été agressées par le député Aubedorien Kasidiaris sur un plateau de télévision en juin dernier, acte d’ailleurs ayant contribué au renforcement de la popularité du parti de Mihaliolakos et de ses miliciens, et pas qu’au sein de la Police, cette dernière a comme on sait, massivement voté en faveur de l’Aube dorée, 50% des policiers environ, selon certaines enquêtes. L’imagerie et l’inconscient collectifs « travaillerons » alors ces faits et gestes à leur guise et à nos risques et périls par la même occasion... suivant les « orientations du public ».
Nous arriverions alors à cerner les contours de notre prochain univers à travers les expression de son état préparatoire que nous subissons déjà. Les marchés, c’est à dire les banques américaines, allemandes et françaises, plus les autres vaisseaux inter-galactiques du même genre, toutes ces créatures de type « alien », étant devenues détentrices et par quelle force, des algorithmes de notre aliénation ultime : des États sans souveraineté, des sociétés violentes et violentées y compris en Europe, et la déréalisation du futur, c’est à dire l’esclavage comme seul horizon pour le plus grand nombre des ex-citoyens, de toute manière déjà dépolitisés depuis des lustres. « Leur modèle [celui des « marchés »] n’est pas viable » prédisent certains, mais des... viabilités de toute sorte, l’histoire humaine en a connu suffisamment pour en être vaccinée contre l’humanisme (qui d’ailleurs n’aurait rien de naturel), malheureusement c’est ainsi et pas autrement, n’en déplaise aux utopistes, donc prenons garde si nous le pouvons encore.
Et nos grévistes ont fait de leur « mieux possible », sans pour autant déborder la séquentialité dominante de notre temps, ils ne pouvaient pas y arriver tous seuls de toute manière. Cette lutte des métallos durait pourtant depuis plus de neuf mois pour acquérir ainsi et dès ses débuts « valeur de symbole » comme on dit parfois sans s’y tromper. Une lutte essentielle pour les ouvriers et leurs familles, bénéficiant d’une solidarité plus que « de classe » de la part du monde associatifs, des syndicats, des partis de gauche, qui demeura néanmoins « symbolique » bien que populaire pour le reste de la société. On pouvait toujours saluer la lutte des métallos de l’usine de Chalyvourgiki, mais de... loin, sans s’y préoccuper au-delà, et comment d’ailleurs ?
J’avais rencontré certains de ces ouvriers en novembre dernier, du temps où j’avais aussi visité et un peu fréquenté par mes liens d’amitié, l’École de formation des officiers et ouvriers marins, se trouvant pratiquement en face de l’aciérie entre une raffinerie et deux terminaux pour pétroliers et autres méthaniers. Des lieux de travail, politiquement et sociologiquement marqués, et qui tentent à devenir des lieux de mémoire à present. Les grévistes pensaient alors participer en co-créateurs, en un mouvement qui se croyait lui-même plus vaste, et annonciateur de la « dé-mémorandisation » du pays.
C’était vrai jusqu’en juin, ce qui ne signifie pas que les métallos s’y rendront la tête abaissée. Il manqua pourtant à cette grève sa concrétisation par la grande politique, autrement dit, par des rapports de force mieux favorables et qui auraient pu en multiplier l’écho et les revendications « locales », sur lesquelles d’ailleurs tout la société serait plutôt d’accord. Ou presque, si l’on en juge par les résultats des élections de juin et par la précipitation du gouvernement Samaras. Car notre « premier ministre » et ses autres marionnettes du merkelisme, après avoir avalé leurs fausses velléités de « négociation » du mémorandum, il a fait preuve de « courage et de fermeté » vis à vis de métallos. Son service de presse a voulu préciser que l’ordre de « dégager l’accès de l’usine de ceux qui entravaient la libre circulation des travailleurs non-grévistes, en violation des décisions de la justice » a été directement donné par Samaras lui-même. Les non-grévistes précisons-le, sont une cinquantaine de personnes, « briseurs de grève » et administratifs, proches de la direction. Société grecque en brisures pour tout dire. En face, deux cent cinquante grévistes, déterminés à conserver leurs emplois, leurs salaires et leur dignité, sachant que l’entreprise ne se porterait pas si mal, produisant surtout pour l’exportation.
Antonis Samaras quant à lui, il honore bien son contrat de politicien insignifiant, néfaste, et créé par le grand marché « démiurgique », ainsi, il pourra enfin accueillir la semaine prochaine, les hauts dignitaires Troïkans, un « succès » enfin dans la main. C’est aussi un signe qui ne trompe pas : désormais, la répression connaîtra de nouveaux seuils et pas seulement qu’en Grèce, les métallos espagnols par exemple, viennent de connaître un « traitement » analogue. La nouvelle Europe c’est la bancocratie plus la répression et l’électricité en moins.
Jeudi, nous avons appris que le courant a été coupé à un établissement hospitalier pour de patients souffrant de pathologie qu’on considère comme incurables, situé près d’Athènes. À l’occasion, les praticiens qu’y exercent, ont précisé devant les cameras et les micros des reporteurs que la Sécurité Sociale ne verse plus un seul euro pour leur établissement. Devant le tollé général et surtout la médiatisation de cette affaire, l’entreprise (encore un peu) publique d’énergie électrique du pays, a fait marche arrière. Le porte-parole du gouvernement a fait savoir que le Premier ministre a « aussi œuvré dans cette direction ». C’est vrai que nos malades incurables (et une partie des électeurs avec) ne font pas grève dans un pays où pas loin de la moitié de la population active ne travaille pas.
Dès hier (vendredi) près-midi, les syndicats et autres « incurables » dans les partis de la gauche ont organisé la riposte sur place, manifestations, appels au soutien général et aux grèves de solidarité mais l’essentiel semble leur échapper. Car dans la désunion et (aussi) de ce fait, éloignée du pouvoir gouvernemental, elle n’y arrivera pas à ces rapports des forces lui permettant à faire renverser la mauvaise vapeur. Le « fertilisant politique », pour le dire autrement, n’y est pas, et l’agglomération athénienne se vide de ses habitants, été et chômage obligent. N’empêche, Samaras a toujours peur des grévistes qui durent, et ainsi il prend les devants pour désamorcer à temps la contestation à venir, alors pressentie pour cet automne, aux dires de certains analystes.
Grévistes ou pas, on se vide de tout, de nous mêmes et pour certains de leur dernier courage. Mon ami M., rapporte que nombreux sont ses collègues qui ont démissionné, abandonnant leurs statut de chercheur en CDI ou le cas échéant celui de fonctionnaire, pour s’expatrier. « La moitié des ces scientifiques qui étaient revenus en Grèce après leurs études brillantes aux États-Unis, sont déjà repartis. Biologistes, généticiens, informaticiens dans l’imagerie médicale comme moi, et ceci, notamment à la suite des élections de juin, une vraie catastrophe, dans ce pays ils resteront les moins qualifiés au chômage, les vieux mourants et l’Aube dorée si cela continu et il continuera je crois... »
Vendredi matin, il y avait déjà la quai devant les boutiques vendant des décodeurs numériques. Les chaines de télévision sans aucune exception ont cessé d’émettre en analogique. Thanasis, le garagiste avait déjà pris les devants ayant acheté son boitier dès la veille. Mon oncle St., agent hospitalier à la retraite, est rentré chez lui le fameux boitier sous les bras. Finalement je l’ai aidé à l’installer. « C’est une dépense de trop mais nous en sommes disons dépendants » a-t-il dit mais sans trop insister, il sait que hors soirées électorales et autres exceptions et toujours dans l’observation ethnographique, je ne regarde pas la télévision.
Sur un marché athénien, vendredi toujours, une vieille dame s’est plainte du tout numérique et non pas du tout répressif, ceci expliquerait cela. À 7h du matin ce samedi les plages de Salamine et d’Attique n’étaient pas encore pleines, tout comme nos cinémas en plein air, ils ne font pas toujours le plein de spectateurs, même à 5 euros l’entrée. C’est que notre grand scenario a changé. Sept Grecs sur dix ne partiront pas en vacances cet été selon les sondages, mais l’agglomération se vide. Le pâtissier du coin croit savoir que de nombreux citadins ont emballé leur inactivité la conduisant jusqu’au village dont ils sont originaires, pour (lui) faire passer l’été et plus... si affinités, au sein de leurs familles souvent étendues.
La ville se vide pour autant sans « s’alléger ». Sauf pour les touristes japonais, toujours souriants et heureux, en vacances au moins. Place de la Constitution, la voirie s’occupe étrangement du gazon, tandis qu’un jeune homme sans abri réclame de l’aide aux passants, à l’entrée du métro précisant par son texte bien affiché « qu’il est Grec ». Deux jeunes femmes font la promotion d’un opérateur de téléphonie à côté sans y prêter attention, ni même un seul regard, de même que les acheteurs de petits pains à 0,50 euros pièce, dont le succès n’est plus à démontré. Je dirais que nous adopterions progressivement un regard « offshore » les uns vis à vis des autres. En plus à part les incendies et les meurtres qui se multiplient, on vient d’apprendre samedi matin, que « des inconnus ont placé de la viande et autre nourriture empoisonnée, visant les animaux sauvage et les chiens bergers au Parc national de Valia Kalda, en Grèce du Nord. Ce n’est pas la première fois cette année a déclaré à la presse locale le maire de la ville de Grevena » le chef-lieu. Donc si même nos bêtes sauvages subissent nos humeurs des temps de crise, c’est alors grave.
Rue de la Métropole à Athènes, en pleine gloire touristique, j’ai rencontré un autre mendiant, « retraité » (sans retraite) cette fois-ci, silencieux debout sous l’ombre d’un immeuble il attendait... Au lieu et place de texte... explicatif à sa mendicité, et d’une seule main, il tenait à la fois son gobelet, et une photographie mal vieillie, le représentant dans une position sociale, économique et symbolique tout autre, le montrant souriant et bien habillé entouré de ses trois enfants. Le message est clair : « j’y suis et vous passants encore bien portants, vous pouvez en arriver à ma place ». J’ai remarqué que les passants, réalisant justement le sens de la photo, l’évitent rapidement du regard mais ils laissent pourtant une petite pièce jaune d’une main parfois hésitante.
Certains petits restaurants du quartier touristique viennent d’inventer le « crisis dinner » à 5 euros et dans le parc voisin un homme assez âgé, distribuait jeudi dernier aux touristes, des prospectus vantant les beautés de sa résidence à la mer. Sans trop de succès visiblement, même un de nos chiens errants s’est endormi sur un de ces dépliants. C’est vrai qu’il n’a pas encore été délogé par les MAT lui et que les chiens ne feraient pas grève !
Panagiotis Grigoriou