Depuis ce matin (31/10), les radios athéniennes ne diffusent plus leurs émissions habituelles car nos journalistes sont en grève. Nous apprécions alors une fois de plus avec boulimie… la pose musicale qui nous est offerte. Qu’il soit voulu ou pas, tout affranchissement, toute évasion certes provisoire de notre jardin d’acclimatation au paramétrage imposé par les temps mémorandaires, est une véritable bouffée d’oxygène. Nous en avions grandement besoin d’autant plus, que ces derniers jours la tournure des événements, c’est-à-dire leur tournis structurant des mentalités, nous signifient de but en blanc qu’un nouveau seuil vient d’être atteint dans la déconstruction du cadre démocratique, ou de ce qui en subsistait.
Le premier ministre Samaras et ses Samaritains (tout comme Papandréou en son temps) au… service du temps odieux (STO !) imposé par l’insignifiant devenu vital, c’est-à-dire la bancocratie, s’attaquent à présent à la presse et à sa liberté, certes souvent « encadrée », néanmoins réelle. Il y a eu d’abord l’interpellation de Costas Vaxevanis et sa mise en examen suite à la publication d’une variante incertaine de ladite « liste Lagarde » (son procès s’ouvrira demain - 01/11). Ensuite, c’est Christos Dantis, journaliste de la chaîne publique de Thessalonique ET3 qui se trouve écarté du reportage pour avoir osé prononcer une évidence à l’antenne : « Lors de la visite du premier ministre à Thessalonique, la ville était mise sous contrôle policier ». Puis, à Athènes, les journalistes Costas Arvanitis et Marilena Katsimi qui présentaient un magazine autour de l’actualité (zone matinale) sur la chaîne publique NET, ont été limogés, pour avoir évoqué en pleine émission, les violences commises par les policiers, et les prises de position du ministre de l’intérieur Dendias sur le sujet. Et à Corfou... la douce, A. Khondroyannis a été mis en état d’arrestation, après avoir publié sur son facebook certaines prises de vue, issues des affrontements entre policiers et manifestants à la marge des commémorations du 28 octobre dernier au centre ville de Corcyre. Il a été mis en examen « pour avoir propagé de fausses informations dans le but de renverser le régime démocratique, et pour violation de la loi sur la diffusion des données personnelles ». Je note que Corfou est l’île dont le ministre Dendias est originaire.
Selon le reportage du journal Avgi, « Khondroyannis a sans doute ’gêné’, en publiant des photos montrant des policiers et des Aubedoriens côte à côte. Clichés, qui ont été aussitôt repris par la presse locale ». J’y ajouterais à ce sombre tableau, l’agression la semaine dernière de l’écrivain Menis Koumandarèas. L’auteur de « La femme du métro », a été agressé devant son domicile par un homme qui l’a insulté avant de le frapper. Koumandarèas, a déclaré par la suite à la télévision que cette agression… résulte de ses positions antiracistes rendues publiques, à l’occasion d’un récent meeting dans un quartier d’Athènes, dénonçant entre autres, l’idéologie et les pratiques des groupuscules (méta)nazis de l’Aube dorée. Ceci explique cela et c’est inquiétant.
Il y a eu enfin, la récente polémique entre le ministre de l’Intérieur Dendias et les médias, depuis que des cas de torture infligée par certains policiers sur deux groupes de manifestants interpellés récemment ont fait le tour de la presse internationale. Comme le remarquent aussi les journalistes du Nouvel Observateur, [c’est] « le quotidien britannique »The Guardian« [qui] a publié, mardi 9 octobre, les témoignages de plusieurs dizaines de manifestants antifascistes affirmant avoir été victimes de tortures infligées par la police après leur arrestation lors d’une manifestation contre le parti néo-nazi grec, l’Aube dorée. Des agents du GADA, l’équivalent pour la région d’Athènes de la police judiciaire parisienne, se seraient en effet livrés à de véritables séances de violences collectives sur au moins deux groupes de manifestants interpellés lors de manifestations distinctes. Le »Guardian« affirme avoir pu constater les blessures infligées et en publie quelques photos (…) ». Plus près de la vie quotidienne coutumière des sujets de la Baronnie, Georges, un voisin la trentaine passée et qui vient de publier sur son facebook des commentaires très critiques vis à vis de l’Aube dorée, a aussitôt reçu des massages menaçants dans ce style connu, imparable et tristement avéré : « Nous savons qui tu es c...ard, tu finiras mal ». Georges est choqué : « Ils surveillent facebook ces gens, c’est incroyable, je croyais que facebook était d’abord un espace de liberté... je me suis trompé... »
Notre univers s’assombrit, notre projection dans le futur ressemble de plus en plus à cette caverne platonicienne où l’on projette en boucle une version décidément très originale car inédite du film Alien, et quant au présent, le nôtre, c’est de la survie qu’il s’agit, qui plus est, dans un territoire devenu très limitrophe et de fait annexé, à l’empire de la dictature de notre « nouvelle saison » occidentale, européenne et en tout cas. Après une démocratie… ostéopathe, nous voilà dans une dictature homéopathe, rien que pour commencer. Supposons que nos vaillants journalistes l’ont compris et de ce fait, c’est aussi pour cette raison qu’ils sont en grève, car par ailleurs, ils ont aussi d’autres motivations. Mon ami journaliste au chômage explique que la précarisation est telle dans cette profession sinistrée, que toute véritable lutte ou esprit de résistance devient un véritable casse-tête. « Déjà qu’entre anciens collègues, c’est la stratégie de l’évitement qui prévaut parfois. Toute sociabilité trop… parlante peut s’attirer les foudres des directions, on ne sait plus à qui faire confiance. Il y avait de cela avant, mais nos emplois n’étaient pas mis en jeu et après tout, on pouvait quitter un journal pour aussitôt se faire embaucher ailleurs. Ce matin, un ancien collègue s’est montré même hésitant rien qu’à l’idée de transmettre mon CV jusqu’à sa direction, c’est pour dire…La paupérisation signifie aussi la fin de la solidarité dans de nombreux cas, c’est triste ».
Hier soir, la nouvelle est tombée brusquement : l’organisme d’Assurance maladie des journalistes, fusionnera dans le cadre de la nouvelle Sécurité sociale, et ceci, dès ce mercredi, après examen et adoption d’un article de loi, alors tombé du ciel sous forme d’amendement. L’idée de mettre en place un organisme de Sécurité Sociale unifié ne serait pas néfaste par essence, sauf que la conception mémorandaire du projet fait… qu’il tombe à l’eau. Certaines branches ou professions dont les Caisses d’assurance-maladie ne sont pas encore moribondes, hésitent à se faire remorquer de force par un paquebot lancé pour aussitôt couler. Il est évident que la Sécurité sociale en Grèce, est une des cibles privilégiées de la « gérance » initiée par le Troïkanisme intégral. L’Ordre des pharmaciens grecs, vient de dénoncer par ailleurs cette politique délibérée et très précise, inscrite au mémorandum III après insistance de la Troïka, et qui vise à asphyxier l’industrie pharmaceutique grecque (restante), au profit des « partenaires-fournisseurs » étrangers (communiqué du 29/10). On apprend par ce même communiqué que les médicaments suivants (32) manquent déjà totalement, ils sont introuvables partout en Grèce (Lipidor, Diovan, Micardis, Singulair, Zodin, Salofalk, Biosonide, Glucophage, Euthyrox, Legofer, Zarator, Xozal, Dulcolax, Mirapexin, Spiriva, Persantin, Seroquel, Crestor, Atacand, Medrol, Lyrica, Atorstat, Inspra, Moduretic, Brasan, Zurcazol, Legofer, Claripen, Carvepen, Lepur, Monosordil et Penrazol). Au moins, le prix de la viande baisse dans certains quartiers d’Athènes, puis au centre-ville certains… se déclarent imperturbablement amoureux des filles des magazines. On peut ne plus avoir de médicaments mais les placebos ne nous manquerons pas paraît-il.
Nous finirons certainement sans médicaments mais dans l’euro. « Nous resterons dans l’euro », répète ces derniers jours à chaque occasion Antonis Samaras. Il avait aussi déclaré : « Nous avons conclu les négociations sur les mesures à adopter et sur le projet de loi de budget pour 2013. Nous avons fait tout ce qui était possible pour arriver à des améliorations importantes au dernier moment. Si cet accord est approuvé et le budget est voté, la Grèce va rester dans la zone euro et sortira de la crise » (30/10). Ce soir (31/10), il semble que la Commission de Bruxelles, dément l’existence d’un tel accord. Le gouvernement de la Troïka de l’intérieur est en difficulté, d’autant plus, qu’un volet du projet de loi concernant les privatisations (l’amendement… tombé du ciel concernant le rattachement de la Caisse de Sécurité sociale des journalistes à l’organisme de Sécurité sociale unifiée), vient d’être repoussé ce mercredi au Parlement. La Gauche Démocratique et de nombreux Pasokiens (dont Venizélos car il s’est abstenu lors du vote) ont désapprouvé cet article. Les trois autres volets ont été adoptés, dont les deux premiers avec moins de 150 voix positives (c’est à dire à la majorité des députés présents, les députés grecs sont 300).
Ce qui incontestablement est un précédent inquiétant pour le gouvernement, d’où certainement la réaction depuis… la Sainte-Alliance de la Commission de Bruxelles, grande victorieuse des droits sociaux des travailleurs européens. Le microcosme politique grec est en ébullition, des journalistes évoquent même le scenario des élections anticipées, mais un certain sens populaire (chez les voisins par exemple) voit les choses autrement : « Tout cela, c’est de l’insignifiant. Ils voteront le mémorandum III, ils feront semblant de résister, ils neutraliseront encore une fois nos esprits par leurs souillure. Voilà que nos pauvres pensées sont traînées dans la boue depuis deux ans, au lieu de se tourner vers les solutions immédiates car nous mourons à petit feu, elles restent tétanisées. Je n’ai plus envie de suivre cette actualité, c’est sans issue. La seule actualité future, espérons digne de ce nom, serait la chute du régime des escrocs, rien d’autre ». Alien III, le retour ?
Panagiotis Grigoriou