Fantasme ? Chimère ? La question de l’alliance au centre, qui agite à intervalles réguliers le Parti socialiste, revient à la surface. Le pacte de compétitivité lancé par François Hollande et Jean-Marc Ayrault, la composition de la direction du PS et le discours de son nouveau premier secrétaire, Harlem Désir, à l’égard de ses « partenaires » de gauche, relancent les conjectures. François Bayrou, le président du MoDem, qui avait appelé, à titre personnel, à voter pour M. Hollande, salue le « cap courageux » du président de la République. « François Hollande, a-t-il été jusqu’à déclarer dans Le Parisien du 18 novembre, a annoncé un tournant majeur de sa politique en direction d’idées que je défends depuis dix ans. »
En mettant en musique son pacte de compétitivité, dans la foulée du rapport Gallois, M. Hollande n’a pourtant opéré aucun tournant social-démocrate, pour la simple raison qu’il a toujours été social-démocrate ou plus exactement réformiste. C’est même parce qu’il soupçonnait l’ancien premier secrétaire du PS de vouloir bâtir un Parti démocrate en version française du modèle américain, que Jean-Luc Mélenchon a quitté ses amis socialistes en novembre 2008. Et dans son discours devant le conseil national du PS, le 17 novembre, M. Désir, se référant à Pierre Mendès France et Georges Clemenceau, deux hommes d’Etat non socialistes, a inauguré son mandat en mettant en avant « l’honneur du socialisme réformiste ».
En janvier 2010, alors qu’il n’était pas encore candidat à la primaire socialiste, M. Hollande avait défendu un « pacte productif » dans lequel il pointait un « défaut de compétitivité structurelle » des entreprises françaises. Mais ayant mis le thème de la compétitivité sous le boisseau pendant sa campagne, il a donné le sentiment, avec un pacte de compétitivité qui fait la part belle aux attentes du patronat, qu’il effectuait pour le moins un tournant pragmatique. Une orientation qui a suscité la colère du Front de gauche, de plus en plus ancré dans l’opposition, les réserves à peine cachées des alliés écologistes, et les inquiétudes de l’aile gauche du PS. Il n’en a pas fallu plus pour que son porte-parole, Emmanuel Maurel, redoute de voir certains de ses camarades militer pour « un renversement d’alliances avec le MoDem ».
La composition de la nouvelle direction du PS, au conseil national du 17 novembre, a attisé les craintes de son aile gauche. M. Désir a beau avoir été porté à la tête de son parti par une élection qui relève plutôt de la cooptation - ce qui lui impose de surmonter son déficit de légitimité -, il n’est pas allé au bout de sa volonté affichée de rassemblement. Il a choisi de s’entourer d’une équipe de secrétaires nationaux presque tous issus de la motion majoritaire, fidèles à la ligne du président et disciplinés, excluant une aile gauche dont la motion au congrès de Toulouse a obtenu 13,27 %. Le gouvernement de la France, strictement paritaire, compte 38 ministres, celui du PS, également paritaire, comprend pas moins de 56 secrétaires nationaux ! Au passage, ils ne sont que 14 à venir du bureau national alors que, selon les statuts, ils doivent être choisis parmi les membres de cette instance. Qui ne sont, il est vrai, que 54...
En défendant le « socialisme réformiste » - qui veut « transformer la société pour plus de justice mais aussi dire la vérité aux citoyens sur la situation du pays » -, M. Désir a tenu un discours extrêmement ferme vis-à-vis de ses alliés et de ses partenaires.
Aux premiers, les écologistes - qui ont multiplié les actes d’indiscipline ou... d’indépendance -, il a reproché, à propos de la contestation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de « s’impliquer dans des manifestations qui prennent pour cible le premier ministre ». « Je ne comprends pas, a-t-il ajouté d’un ton martial, que l’on remette en cause la participation de sa formation politique à la majorité, quand nous sommes engagés dans l’action, car nos devoirs à l’égard de la France sont plus grands que les petits états d’âme personnels ou les querelles de partis. »
M. Désir s’en est pris aux seconds, le Front de gauche, accusé, « en joignant ses voix à celles de la droite au Sénat », de rejeter les tarifs de l’énergie ou le budget de la Sécurité sociale. Et il a invité ses partenaires à ne pas se tromper d’adversaires : « Les socialistes respectent toujours leurs partenaires mais les socialistes doivent aussi être respectés. » Les 28 et 29 novembre, M. Désir va rencontrer les radicaux de gauche, les écologistes et le Parti communiste. Mais le Parti de gauche de M. Mélenchon, déjà rangé dans l’opposition, n’a pas été convié. Si le premier secrétaire du PS n’a fait aucune ouverture au centre, son parti se ferme à gauche. Il n’a ainsi pas repris la proposition de son rival malheureux à la tête du parti, Jean-Christophe Cambadélis, hier artisan de la « gauche plurielle », de créer un « comité de liaison des gauches et des écologistes ».
En se fermant à gauche, le PS nourrit de fait les spéculations sur une alliance au centre. Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, a assuré que la participation du MoDem au gouvernement « ne se pose pas encore ». Mais qu’adviendra-t-il si la guerre entre Jean-François Copé et François Fillon aboutit à un éclatement de l’UMP et que M. Mélenchon et ses amis communistes campent résolument dans l’opposition ? Une recomposition du paysage politique amènera-t-elle M. Hollande à se tourner vers le centre ? Le MoDem n’a plus de troupes. L’Union des démocrates et indépendants (UDI) de Jean-Louis Borloo aimante nombre de centristes. Et l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, fidèle à son alliance avec l’UMP, ne semble guère décidé à jouer les roues de secours.
Michel Noblecourt (Editorialiste)