Tout a commencé modestement. En octobre 2001, un grand nombre de groupes militants d’Asie et d’ONG se sont rencontrés à Hong-Kong et se sont mis d’accord pour établir une Alliance Asiatique pour la paix : l’APA [1]. Nous avons réagi vivement à l’invasion militaire américaine massive en Afghanistan. La pluie de bombes sur le peuple afghan par le pouvoir militaire le plus fort et le plus riche du monde nous a mis en rage. Contre cette situation nous avons voulu cristalliser une réponse concertée de tous les Asiatiques.
L’onde de choc de la guerre américaine
Nous partagions tous un profond sentiment de crise concernant l’attaque militaire américaine sur l’Afghanistan. D’une façon générale, nous avons tous été indignés par l’arrogance des Américains, qui parlaient d’une guerre pour défendre la civilisation, et dégoûtés par la suffisance et l’hypocrisie du largage de colis « d’aide humanitaire » en même temps que des bombes meurtrières. Nous avions tous fortement dénoncé les attentats du 11 septembre, mais nous étions tous d’accord pour dire que le plus grand danger pour la paix et la vie des gens venait de la façon dont les États-Unis réagissaient au « terrorisme ». Mais nous sentions, à ce moment, qu’organiser des actions effectives de paix en Asie vis-à-vis de la guerre américaine n’était pas chose facile.
Dans les pays avec une écrasante population musulmane, comme l’Indonésie et le Pakistan, la rue avait immédiatement et spectaculairement été occupée par les fondamentalistes islamistes qui criaient des slogans anti-américains en brandissant des portraits de Ben Laden. Des amis en Indonésie nous rapportaient qu’il était très difficile de monter une action pacifiste civique indépendante sans tomber dans le piège de Bush : « avec nous ou avec les terroristes ». Bien sûr, les manifestations des islamistes étaient trop puissantes et attiraient toutes les caméras. Les média auraient assimilé tout mouvement pacifiste aux islamistes, ou alors l’auraient tout simplement ignoré.
La guerre a été exportée dans de nombreux pays d’Asie. Des amis au Pakistan nous rapportaient alors que sous le régime de Moucharaf, qui s’était engagé à soutenir Bush, l’État de droit était aboli. Des agents américains du FBI régnaient en maîtres, arrêtant n’importe qui sous prétexte de terrorisme, y compris des paysans protestant contre les propriétaires fonciers.
Entre temps, la guerre s’était déjà répandue aux Philippines, ouvrant le « second front » de la « guerre contre le terrorisme ». Le États-Unis avaient envoyé des unités de leurs forces spéciales à Mindanao et dans les îles de Basilan, prétendument pour des manœuvres conjointes avec l’armée indonésienne, dans le but de balayer une petite bande de brigands convertis à l’islamisme, que les Américains avaient identifiés comme étant liés aux terroristes d’Al Qaida [2]. Toute la localité a été submergée par la présence massive de militaires américano-philippins, qui a plongé les communautés locales dans un climat de terreur. Cette situation a créé de sérieux obstacles au processus de paix avec les forces musulmanes, qu’avaient patiemment promu des groupes de volontaires locaux. Pourtant à l’automne 2001, des sondages montraient qu’à Manille l’opinion publique soutenait toujours massivement Bush et sa « guerre contre le terrorisme ».
La tension nucléaire entre l’Inde et le Pakistan sur la question du Cachemire était déjà forte et les mouvements pacifistes en étaient inquiets. En Asie du Sud-est, la principale préoccupation du mouvement social en Corée du Sud était la réunification nationale, espoirs qui, soulevés par le sommet Nord-Sud de 2000, ont été éclipsés quand Bush a fait passer la politique nord-coréenne américaine de la normalisation à l’hostilité. Au Japon, la question la plus brûlante était celle des lois sur la guerre imposées par le gouvernement de centre droit pour briser les contraintes de la constitution pacifiste et pouvoir suivre la croisade de Bush.
Situations, inquiétudes, histoires et cultures étaient largement différentes d’un pays à l’autre et d’une région à une autre sur ce vaste continent. Les groupes d’activistes étaient déjà accablés par leurs problèmes nationaux respectifs. Étant donné cette diversité de préoccupations et de problèmes, quel sens y-avait-il à donner le jour à une alliance pour la paix des peuples asiatiques, enracinée dans les multiples réalités asiatiques et qui soit capable d’affronter la guerre impériale pour la pacification globale ? Quel est le nouveau contexte dans lequel les Asiatiques et les peuples d’Asie pourront émerger comme une puissante force de paix exerçant effectivement leur influence sur les centres du pouvoir global ? Répondre à ces questions était le défi auquel nous voulions faire face et que nous avons tous relevé.
Redéfinir la paix
Depuis que l’APA a tenu son assemblée constituante, en août et septembre 2002, nous avons commencé, bon an mal an, à comprendre ce que pouvait signifier relever ce défi. Les contours du projet impérial sont devenus, entre temps, pleinement visibles quand Bush, dans son discours sur l’état de l’Union au début de l’année, a dévoilé publiquement le véritable agenda impérial. Désormais sans la couverture de la contre-attaque contre le terrorisme, les États-Unis revendiquaient maintenant leur droit à diriger le monde comme ils le voulaient, se sentant libres de désigner membres de « l’axe du mal » des États souverains soigneusement choisis, qu’ils auraient le droit d’attaquer et de détruire préventivement.
Intitulée « Kalinaw - les Asiatiques en appellent à la paix ! », l’assemblée de l’APA a été convoquée à ce stade de la guerre de Bush [3]. Tenue sur le campus de l’Université des Philippines de Quezon, dans la partie Nord de la mégapole de Manille (du 29 août au 1er septembre), elle a drainé 140 militants de 17 pays et 95 organisations. La conférence n’était pas juste parachutée. Des mois avant l’ouverture, le comité d’accueil philippin a travaillé dur pour en faire un événement enraciné dans les mouvements locaux, et il y est parvenu. Aux Philippines, deux coalitions pacifistes avaient déjà été montées et presque toutes les mouvements importants s’étaient déplacés, pas seulement pour faire nombre, mais bien pour participer activement.
L’assemblée était un véritable atelier d’activistes, sans être délimitée par des intérêts institutionnels, tous les participants parlant librement sur un pied d’égalité. L’atmosphère qui prévalait était un intense besoin d’action en réponse aux véritables préoccupations du peuple. Au fur et à mesure de l’avancée de ses travaux, l’assemblée s’est révélée une arène dans laquelle tous les véritables problèmes dont souffrent les asiatiques ont été abordés, partagés et débattus. Nous avons fait l’expérience d’un processus dans lequel les éléments nationaux et locaux forment l’image complète d’une Asie placée sous la domination de l’Empire Américain et de ses plans de guerre.
L’assemblée avait trois points à son ordre du jour : I. le monde dans la guerre contre le terrorisme. II. Les conflits à venir et les violences au sein du peuple, et III. Espoirs et Stratégies. Des ateliers (appelés sous-sessions), préparés et conduits avec une pleine participation des organisations locales d’accueil, examinaient la gamme entière de nos problèmes. Sous le thème I : (1) la militarisation, la nucléarisation et le rôle des États-Unis ; (2) guerre et économie ; (3) l’érosion des standards internationaux ; (4) les média et le discours public. Sous le thème II : (1) les conflits intérieurs et les processus de paix ; (2) genre et violence dans les sociétés multi-ethniques ; (3) religion, ethnicité et recherche de la paix ; (4) au milieu d’un monde en guerre : le rôle des mouvements sociaux.
Je ne vais pas rentrer dans les détails des débats, mais une des choses qui m’ont frappé était que nous passions la plupart de notre temps et de notre énergie, disons, 60%, à débattre de problèmes et de thématiques qui nous étaient propres - propres à l’Asie. C’est dire combien le deuxième thème de l’ordre du jour devait absorber notre attention. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas débattu de la guerre américaine. L’assemblée en a parlé et a pris une décision claire sur la guerre de Bush elle-même. Tous les orateurs, analysant la situation post-11 septembre sous différents angles, étaient d’accord pour dire que la guerre de Bush était une tentative d’établir une domination impériale sur le monde. Nous étions aussi d’accord sur le fait que les violences exercées contre des populations civiles, comme dans les attentats du 11 septembre, n’avaient rien à voir avec la cause d’aucun peuple et étaient seulement utilisées par le centre impérial pour justifier ses plans de pacification globale. Nous partagions également tous le même point de vue sur la guerre globale de Bush, inhérente au processus de globalisation néolibérale, qui accomplit des ravages sociaux, économiques, culturels et environnementaux sur la communauté mondiale, frappant ses segments les plus vulnérables.
Mais il y a plus. En écoutant et en participant aux discussions, j’ai commencé à me demander, et à imaginer, comment se serait déroulée une conférence pacifiste de ce type si elle avait eu lieu au Canada, en Australie, ou ailleurs en Occident. Les bases et les prémisses de la discussion, en fait les implications du mot « paix », son usage, auraient été significativement, sinon totalement, différents. Là bas, le raisonnement aurait été beaucoup plus simple. Nous aurions probablement débattu de la politique américaine et du « terrorisme » plus directement. Nous les aurions critiqués selon nos critères et nos valeurs et serions sortis avec une brève résolution et un plan d’action. Il y aurait certainement eu des divergences de vue, mais elles auraient été résolues en utilisant un même cadre de référence commun et ce cadre serait resté intact. J’ai dit que l’ensemble du processus aurait été beaucoup plus simple parce que nous n’aurions pas autant parlé de nous-mêmes comme nous l’avons fait à Manille. Nous aurions parlé de la paix, mais la paix, pour simplifier, aurait largement signifié un retour au statu quo ante.
Les choses ne se sont pas passées de cette façon à Manille. Pour nous qui venons d’une région aussi vaste que l’Asie de Sud, du Sud-est et de l’Extrême Orient, une procédure différente était nécessaire pour parler de la guerre de Bush. Nous devions parler de nous autant que de la guerre de Bush. Nous devions endurer la douloureuse réalité de la tension nucléaire indo-pakistanaise, la domination des Hindous, des Musulmans et autres fondamentalismes, les violences sectaires qui détruisent les communautés, les massacres au Gujarat, la répression militaire des mouvements séparatistes, les violations permanentes des droits humains par l’armée, la police et les agences privées, la violence économique qui s’abat sur une large masse de la population sous le nom de globalisation néolibérale, les réfugiés de toutes sortes et le patriarcat à la base de toutes ces cruautés. Dans de nombreuses zones d’Asie, un grand nombre de personnes sont privés de paix et de sécurité. Ce dont elles ont le plus besoin c’est de créer la paix, ici et maintenant, et non de revenir à un état qui a existé, mais qui est maintenant bouleversé par ce qui s’est passé. En d’autres termes, la paix signifie créer de nouvelles relations et situations à partir de réalités presque désespérées.
Je sais que la paix devrait être essentiellement comprise comme la construction de nouvelles relations. La paix ne devrait pas être le retour à un statu quo ante mais la création de nouvelles relations sociales, humaines, culturelles, et cela vaut pour les sociétés du Nord comme pour le Tiers-monde asiatique. En fait, la différence entre eux est une question de degrés. Mais en termes réels, chaque degré compte et peut rendre une approche asymétrique. Une situation où la paix serait catégoriquement comprise comme un changement du statu quo est certainement une situation négative pour le peuple qui en est captif. Mais la paix, dans le sens où nous l’entendons, peut immédiatement apporter une signification positive, si nous en relevons le défi, parce qu’elle implique des transformations radicales des sociétés et des cultures. Ceci, je le sens, est une dimension cruciale de la paix, souvent négligée par les mouvements pacifistes du Nord.
Le problème, c’est que la guerre de Bush s’est greffée sur cette situation déjà structurellement étrangère à la paix, la transfigurant, la rendant plus violente et répressive et multipliant les souffrances de ceux qui souffrent déjà. Pour refléter la complexité surdéterminée de l’Asie, la déclaration constituante de l’assemblée de l’APA se devait d’être une longue résolution. Elle décrit en ces termes les relations entre la guerre de Bush et l’Asie :
« Dans les années passées, les Asiatiques ont vécu l’augmentation significative de leur niveau d’insécurité, déjà élevé. De la Corée à l’Est la Palestine à l’Ouest, de l’Asie Centrale au Nord à l’Indonésie au Sud, les guerres, les conflits et les tensions croissantes ont été notre réalité commune. La source commune de cette hausse de notre insécurité est limpide : le souffle de la guerre déchaînée par les États-Unis dans sa poursuite d’une soi-disant campagne contre le terrorisme. Elle s’appuie sur un militarisme qui fait de la coercition physique alliée au patriarcat, l’outil de son pouvoir ».
La guerre de Bush s’est agglomérée aux structures locales pour rendre plus vicieux le « déjà très élevé niveau d’insécurité », en accélérant la militarisation et en renforçant les forces antidémocratiques partout en Asie. La déclaration analyse ce que j’appellerais, pour parler comme Bush, la « connexion du mal », mise en place entre la machine de guerre globale et les centres locaux du pouvoir. Je vais la citer partiellement :
« Assuré du soutient de Washington, le dictateur pakistanais Moucharaf méprise les exigences croissantes de démocratie, consolide son régime répressif et massacre des paysans sans terre et des pêcheurs désarmés. En tirant profit de la rhétorique de Washington, le gouvernement Hindou ultranationaliste de New Delhi qualifie le gouvernement pakistanais de « terroriste » de façon à mettre un terme à la moindre résolution pacifique de la question du Cachemire et à dissimuler sa culpabilité dans les pogroms barbares que ses propres partisans ont menés contre les musulmans.
Georges W. Bush, en désignant la Corée du Nord membre de l’ « axe du mal » , a effectivement sabordé le mouvement en direction d’un rapprochement des deux Corée et retardé leur réunification.
Les pressions américaines pour faire entrer le Japon dans la coalition antiterrroriste ont abouti à ce que le gouvernement Koizumi entérine les violations de la constitution japonaise des précédents gouvernements en envoyant les force d’autodéfense dans l’Océan Indien pour soutenir la guerre de Washington contre l’Afghanistan. Il a, de plus, fait voter une loi d’urgence militaire. Ces mouvements ont soulevé des peurs légitimes quant au réarmement du Japon.
Aux Philippines, la présidente Gloria Macapagal-Arroyo a littéralement mis à bas la décision de chasser les bases militaires américaines que le peuple philippin avait prise il y a dix ans, en permettant aux troupes américaines de revenir en force par le biais d’un accord d’assistance militaire. Au nom de la guerre contre le terrorisme, le Pentagone a renouvelé son aide à l’armée indonésienne, une institution connue pour ses violations des droits humains. En Malaisie, Mahathir a été encouragé à poursuivre la répression sous couvert de la draconienne loi de sécurité intérieure (Internal Security Act, ISA) »
Je vais citer un autre exemple de la connexion du mal et de l’escalade de la violence pendant la guerre globale contre le terrorisme. Une lettre pressante d’un activistre spécialiste de l’Indonésie à ses amis asiatiques nous raconte les suites de l’explosion de la bombe de Bali en octobre 2002 :
« (...) ce terrible incident est arrivé au moment où le président Bush persuadait de nombreux pays de se lancer dans une guerre « sainte » contre l’Irak, et malheureusement, les événements de Bali ont alimenté sa campagne. Cet événement est arrivé au moment où les États-Unis et les pays voisins sous influence américaine, venaient de faire pression sur l’Indonésie pour resserrer leur contrôle sur les éléments musulmans radicaux dans leur pays.
Arrêter le terrorisme signifie-t-il augmenter le pouvoir de répression de l’État ? Politiquement il y a une pression globale sur le gouvernement indonésien pour qu’il soit plus répressif. Le gouvernement a précipitamment publié un décret antiterroriste. Sur le plan international, ceci est considéré comme une exigence importante pour faire de l’Indonésie un lieu sûr pour la circulation des biens et des personnes (...) Le Consortium des Pauvres Urbains commence maintenant à mobiliser un mouvement contre ce décret (...) Ce que beaucoup de militants démocrates craignent, c’est que ce décret ne fasse au contraire qu’amplifier le « terrorisme d’État » ».
Construire la paix
Construire un mouvement pour la paix en Asie au beau milieu de cette réalité est une tâche difficile mais extrêmement stimulante. Car un mouvement pour la paix, en tant que catégorie permanente qui aborde directement la paix globale - comme il en existe en Occident - n’existe pas dans la plupart des régions d’Asie (à l’exception du Japon qui a depuis la guerre une longue histoire de mouvements antinucléaire). D’un autre côté, il y a une grande puissance potentielle chez les peuples asiatiques, dont les explosions occasionnelles, de la Corée du Sud à l’Indonésie, ont pu amener des changements de régime dans les deux dernières décennies.
Comme nous y avons fait allusion plus haut, la réponse des asiatiques à la guerre impériale devra inévitablement survenir comme un mouvement large transformant les relations, nationales et locales, de répression, d’exploitation, de patriarcat, guidées par la violence, pour résister et saper tout de suite le régime impérial global. Dans les parties urbanisées de l’Asie, où la population de classe moyenne progresse, les mouvements pour la paix traditionnels émergeront directement en abordant les questions de la paix mondiale, et joueront un rôle important dans l’élargissement de l’horizon des mouvements nationaux. Mais généralement, s’il faut redéfinir la paix comme le rétablissement statu quo et non comme le retour à un quelconque bon vieux temps, le défi consiste à faire émerger de vastes alliances des peuples d’Asie pour résoudre leur problèmes de façon autonome, affronter et finalement liquider les engrenages du pouvoir impérial globa/local.
Pourquoi alors s’agit il d’un mouvement pour la paix, et non d’un mouvement populaire général contre le régime global ? Parce que, bien que la dénomination importe peu, il représente les efforts intenses pour apporter aux divers mouvements sociaux, communautés, familles, ainsi qu’à la société dans son ensemble, aussi bien qu’aux relations globales, divers éléments et cultures de paix et de justice - la démilitarisation de la société, des moyens non-violents pour résoudre les conflits, et l’élimination des relations de pouvoir exploitatrices, répressives, patriarcales et exclusivistes. La déclaration constituante de l’APA a ainsi affirmé :
« La « sécurité nationale »et la « sécurité internationale », dominantes comme théorie et comme régime militaristes, étatistes et machistes, doivent être remplacées, dans les plus brefs délais, par d’autres : démilitarisés, désireux de paix, féministes, universels et centrés sur les peuples ».
Alliance des peuples pour la paix
Pour que le mouvement pour la paix puisse émerger en Asie, nous devons faire face à la problématique, bien exposée par Hardt et Negri, de l’incommunicabilité et du manque de langue commune. Ou plutôt, nous voudrions souligner que les excès et l’exclusivité des langues politiques nationales, ou les points de vue nationaux, très tranchés dans chaque pays d’Asie, tout en reflétant le fort enracinement historique des mouvements sociaux, peuvent aussi rétrécir notre horizon et nous empêcher d’avoir une vue complète du paysage, tant qu’on ne les encouragera pas à interagir entre eux. Parmi les points de vue figés, je pense aux notions de réunification nationale de la Corée, de Constitution pacifiste pour le Japon, et de démocratie nationale des Philippines. Dans la même veine, la vision que les Indiens ont d’eux mêmes comme le plus grand pays démocratique du monde, bien que cela n’ait rien de mal en soi, semble parfois empêcher d’imaginer un monde traversant les frontières de l’Asie du Sud. Tels sont les mouvements, valeurs et avantages spécifiques établis par des années de lutte, et ils ne devraient pas être éparpillés ou remplacés par un banal langage cosmopolite. Mais on devrait aussi reconnaître qu’en tant que tels, ils ne nous fournissent pas les bases d’alliances transnationales. Au contraire, ils peuvent nous maintenir confinés dans l’interprétation bilatérale des événements que les États-Unis ont toujours manipulés à leur convenance pour maximiser leurs bénéfices stratégiques.
La Ligue Asiatique pour la Paix jouera son rôle en laissant un langage commun émerger à travers une action, une interaction et des échanges communs, comme le font les mouvements du Forum Social Mondial et du Forum Social Asiatique.
Nous sommes au début d’un long et stimulant processus de formation d’une Alliance globale des peuples, concentrant leurs efforts sur l’Asie. La guerre américaine et toutes ses conséquences directes horribles qui retombent sur nous, nous ont poussés dans ce processus dynamique. Les mouvements sociaux d’Asie ont participé activement à la mobilisation internationale sans précédent du 15 février contre la guerre en Irak, en organisant des manifestations dans de nombreuses villes. Comparée aux mobilisations en Occident, la taille des manifestations en Asie restait modeste, mais au fur et à mesure que la situation globale se développera, nous verrons des vagues fraîches d’un nouveau type de mouvements pour la paix s’élever en Asie.
Notes
[1] Asian Peace Alliance. Les participants officiels de la concertation de Hong-Kong étaient la Conférence Asiatique pour de Nouvelles Alternatives (Asian Exchange for New Alternatives : ARENA) à Hong Kong et Focus on the Global South à Bangkok. On y trouvait également des membres du Forum pour la Sécurité des Peuples de Tokyo, qui s’était joint en 2002 au Focus et aux groupes d’Okinawa, ainsi que du Forum International pour la Sécurité des Peuples d’Okinawa.
[2] En mars 2002 une commission d’enquête de 14 membres de Focus-APA a visité les zones touchées par la guerre des îles Basilan et de Mindanao. Un rapport complet de ses découvertes est disponible sur www.focusweb.org.
Voir sur le site d’ESSF : Report of the International Peace Mission to Basilan, Philippines, 23-27 March 2002
[3] La documentation complète de l’assemblée de l’APA et de ses activités, y compris la déclaration constituante, est disponible sur www.yonip.com/YONIP/APA. L’ARENA à Hong Kong sert actuellement de secrétariat à l’APA (arena asianexchange.org).