Calais : impunité d’une préfecture qui expulse vers des pays en guerre
Dans les centres de rétention administrative (CRA) de France, chaque semaine, des ressortissants soudanais, afghans, iraniens, somaliens, irakiens, et même parfois syriens sont enfermés. À coup de dizaines de trajets en avion, la préfecture de Calais opère une stratégie de dispersion des exilés de Calais, en les enfermant dans ces CRA aux quatre coins de la France : au Mesnil-Amelot, à Toulouse, Hendaye [1], Rennes, Metz, Perpignan. Ils risquent l’expulsion sur ordre de de la préfecture du Pas-de-Calais, avec le soutien du ministère de l’intérieur.
Ainsi, depuis juin 2015, plus de 100 personnes provenant de pays en guerre ont été enfermées en rétention au Mesnil-Amelot. Actuellement, 13 d’entre eux y sont privés de liberté. Cinq exilés de Calais sont au centre de rétention de Toulouse, 12 autres ont été libérés du CRA de Rennes, 5 autres du CRA d’Hendaye. Jusqu’aux prochaines interpellations.
La préfecture du Pas-de-Calais semble avoir décidé qu’elle est au-dessus des juridictions tant européennes que françaises. Nombre d’interventions dans l’urgence ont été nécessaires pour que cette administration se ravise au dernier moment, généralement la veille ou l’avant-veille du vol.
En juin, la Cour européenne des droits de l’Homme et le tribunal administratif avaient également dus être saisis en urgence de la situation d’une personne reconnue réfugiée en Italie, qui devait être expulsée vers l’Afghanistan. En août, un Afghan a été renvoyé vers Kaboul. Le 24 septembre, deux Soudanais ont été expulsés vers Khartoum [voir ci-dessous].
Dans la même semaine, le tribunal administratif de Lille annule le renvoi vers le Soudan décidé par cette préfecture. Selon la loi, il lui est alors impossible d’expulser ces personnes originaires du Darfour vers ce pays. Mais le préfet passe outre ! Il maintient l’enfermement de ces personnes, les présente au consulat soudanais et réserve des vols vers Khartoum. Lors d’une énième audience au tribunal, le représentant du préfet ira même jusqu’à nier la programmation de ces expulsions, ainsi que l’existence de celles de la semaine précédente.
Le 30 septembre 2015, la Cour européenne des droits de l’Homme ordonne la suspension d’une expulsion vers le Soudan prévue deux jours plus tard. Malgré cette intervention, l’intéressé reste derrière les barbelés et ne recouvre la liberté que le 6 octobre, après l’intervention d’un juge judiciaire.
Le 5 octobre, le juge des libertés et de la détention chargé de contrôler la procédure pour les personnes enfermées au centre de rétention de Metz, rend une ordonnance rare qui fustige les illégalités commises par cette administration [2] : « (…) les agissements des fonctionnaires ayant établi les procédures à la préfecture du Pas-de-Calais constituent ce que l’on pourrait appeler un sabotage et mériteraient des sanctions ». En effet, les dossiers sont vides de tout élément permettant de vérifier si les droits des personnes enfermées ont été respectés
Malgré ces tentatives grossières de contournement de la loi, une grande part des personnes enfermées est cependant libérée. Cela se fait parfois à l’issue d’un neuvième passage devant une juridiction pour que la préfecture se plie, enfin, aux décisions de justice.
Malgré l’intervention de juges français et européens, la préfète du Pas-de-Calais continue à interpeller, à placer en rétention et à expulser des personnes en quête de protection internationale. Plus largement, l’impunité de certaines préfectures est devenue telle que les droits des personnes enfermées en rétention sont quotidiennement bafoués et que des personnes fuyant guerres et dictatures sont expulsées.
Les récentes instructions du gouvernement pour remplir les centres de rétention et augmenter les expulsions conduisent à des pratiques inacceptables, aux limites de l’État de droit. L’enfermement des étrangers en rétention est plus que jamais la face sombre et honteuse de la République.
Cimade, 07 octobre 2015
Quand l’expulsion se substitue à l’accueil
À l’heure où le gouvernement fait mine de s’intéresser à la qualité de l’accueil des réfugiés en France et qu’il critique avec fermeté les barbelés hissés ici et là pour bloquer les migrants, il expulse des Soudanais du Darfour, il n’hésite pas à enfermer des Iraniens, des Irakiens et même des Syriens ou à expulser un demandeur d’asile gravement malade en Hongrie.
Le discours sur le respect du droit d’asile et la tradition inconditionnelle de l’accueil ne résiste pas à l’épreuve des faits.
Le 24 septembre, deux Soudanais du Darfour ont été expulsés à Khartoum. L’un depuis le CRA du Mesnil-Amelot, l’autre depuis celui d’Oissel. La France ayant déjà été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les expulsions effectives vers le Soudan étaient interrompues depuis un an. En effet, la CEDH estime, dans la majorité des situations, que le risque de subir des traitements inhumains et dégradants au Soudan est avéré.
Les préfectures, avec en tête de liste celle du Pas-de-Calais, ont cependant continué de prendre des mesures d’éloignement à l’encontre des Soudanais. Ceux qui ont été enfermés en rétention étaient depuis un an systématiquement libérés par les juges ou par les préfectures qui craignaient de voir leurs décisions sanctionnées.
La décision fixant le Soudan comme pays de destination pour la personne expulsée depuis le CRA du Mesnil-Amelot avait pourtant été annulée par le tribunal administratif de Lille. La préfecture du Pas-de-Calais se moque d’une décision de justice pour expulser sans fondement légal une personne vers un pays où règne le chaos.
Au CRA de Toulouse, depuis le 9 septembre, un demandeur d’asile ivoirien gravement malade risque à tout moment d’être renvoyé vers la Hongrie. La CEDH avait dans un premier temps suspendu sa réadmission jusqu’au 22, date à laquelle le gouvernement a apporté des garanties, en se limitant à rassurer la Cour par des phrases stéréotypées sur la prise en charge des demandeurs d’asile en Hongrie « dans les conditions fixées par les directives ».
La Hongrie n’a jamais été en mesure d’examiner les demandes d’asile dans le respect des conventions internationales et européennes. Alors que ce pays est pointé du doigt pour ses centres de rétention surpeuplés et insalubres, ses barbelés, ou pour les violences de l’armée et de la police à l’égard des personnes migrantes, la France n’hésite pas à y renvoyer cet homme. Le vol est prévu demain à 07h10 pour Budapest.
Le 23 septembre, l’Anafé alertait sur l’enfermement et l’expulsion vers la Turquie d’un mineur irakien réfugié en Syrie depuis la zone d’attente de Marseille.
Le double discours du gouvernement doit cesser, entre accueil des demandeurs d’asile d’un côté pour les « relocalisés », et des préfectures à l’œuvre dans la violation méthodique des droits fondamentaux, de l’autre.
Dans l’immédiat, La Cimade demande au gouvernement de cesser toute expulsion vers le Soudan ou la Hongrie et de ne plus enfermer les ressortissants des pays en guerre. À terme, c’est la politique d’expulsion qui doit être réformée, avec notamment la suppression de toutes les formes d’enfermement spécifiques aux personnes étrangères.
Cimade, 28 septembre 2015
* http://www.lacimade.org/communiques/5555-Quand-l-expulsion-se-substitue---l-accueil