A une trentaine de kilomètres de Luanda, Kilamba Kiaxi est l’une des cinq villes nouvelles construites par la Chine en Angola. Entre 2011 et 2013, des dizaines d’immeubles de plusieurs étages, sur le plan des bâtiments construits en Chine, sont sortis de terre. Pour Pékin, c’est un modèle de la coopération Chine-Afrique. Les autorités angolaises affirment que 95 % des logements sont occupés. Kilamba serait devenue une oasis pour les classes moyennes avec 20 000 appartements, 85 000 habitants, un maire fraîchement élu et un reportage enthousiaste de la télévision chinoise CCTV.
Quand l’actuel président chinois Xi Jinping, alors vice-président, se rendit en Angola en novembre 2010, il a d’abord visité le site et confirmé un investissement de 3,5 milliards de dollars (3,25 milliards d’euros) sous la forme d’un troc pétrole contre logements.
En 2011, cinquante entreprises d’Etat chinoises et 400 sous-traitants, eux aussi chinois, se mirent au travail. En deux ans, la première vague de travaux était achevée. Le projet définitif comprend la réalisation de 150 000 appartements dans dix-huit provinces. Il compte également la connexion au réseau électrique d’un demi-million de foyers, la rénovation et la construction de 2 200 kilomètres de routes et de trente-neuf stations d’épuration d’eau. Au total, 5,2 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) devraient être investis.
Mais l’effondrement des cours du brut est passé par là.
Deuxième ville plus chère au monde
Après la fin de la guerre civile en Angola en 2002, Luanda était devenue une mini-version africaine de Dubaï où l’argent du pétrole coulait à flots. Mais, aujourd’hui, nombre de bureaux neufs restent vacants. Malgré la baisse vertigineuse du kwanza, la monnaie locale, la capitale angolaise reste la deuxième ville la plus chère du monde, derrière Hongkong, selon l’étude du cabinet américain Mercer.
« L’Angola doit se diversifier », explique Allan Cain, auteur d’un rapport sur le sujet pour l’ONG Angonet. Mais, pour cela, encore faut-il que l’économie redémarre. En Angola, deuxième producteur d’or noir d’Afrique, plus d’un tiers de la population vit dans la pauvreté alors que la croissance du PIB, qui avait atteint des taux exceptionnels de 20 % en 2007, est retombée à moins de 2 % en 2016.
Urbanisation rapide
La production de pétrole sert tout juste à rembourser les prêts considérables accordés par la Chine à Luanda. « Comme la Chine, l’Afrique connaît une urbanisation rapide, autour de 3 % par an, et à ce titre l’exemple et les aides chinoises sont des atouts », note David Bénazéraf dans son rapport sur le programme pétrole contre logements en Angola.
Actuellement, 35 % des investissements étrangers chinois dans le domaine de la construction vont en Afrique et 16,4 % des investissements directs étrangers de la Chine en Afrique se concentrent dans le seul domaine de la construction (contre 30 % pour les mines), selon le Conseil d’Etat à Pékin.
L’Afrique est le continent qui connaît la plus forte urbanisation et le nombre de résidents dans les villes devrait tripler d’ici à 2040. La Chine et l’Afrique compteront alors chacun un milliard d’urbains et cela explique que l’Angola n’est pas le seul pays visé par les promoteurs chinois.
Au Maroc, la construction d’une ville nouvelle va coûter 10 milliards de dollars et permettre d’héberger trois cent mille personnes, comme le raconte le site Quartz. En Egypte, la future nouvelle capitale construite et financée par la Chine à une encablure du Caire est estimée à 45 milliards de dollars !
En 2015, les entreprises chinoises ont investi plus de 9 milliards de dollars en projets de construction dans le monde, contre 6 milliards en 2014 et 87 millions à peine en 2009, selon les chiffres du cabinet JLL.
Les bons calculs chinois
Pour la Chine, les avantages sont évidents : donner du travail à ses entreprises de construction à la peine dans un empire du Milieu déjà bétonné de toutes parts et en proie à une dangereuse bulle immobilière ; écluser ses surplus d’acier et de ciment en les déversant sur le continent africain ; imposer ses normes, son calendrier et servir au mieux les intérêts de ses entreprises et de sa politique en visant des pays clés.
La plupart des grandes entreprises d’Etat chinoises ont une filiale construction. Sur les 452 000 expatriés chinois employés par les grandes entreprises d’Etat en Afrique, 54 % sont des ouvriers travaillant sur ces chantiers d’infrastructures, selon une étude de la European Financial Review. Elles financent, construisent et occupent ces bâtiments.
Ce modèle d’urbanisation à marche forcée peut-il vraiment fonctionner en Afrique ? « En Chine, tout se décide au sommet de l’Etat et l’urbanisation s’est faîte parfois de façon brutale pour servir au mieux les intérêts du pays, rappelle le professeur Xiangmin Chen. En Afrique, les terres sont souvent privatisées et le secteur informel est plus important qu’en Chine. L’enjeu est donc véritablement de savoir si la Chine construit l’Afrique à son image et pour servir ses seuls intérêts ou si la Chine construit une Afrique qui pourra s’engager sur la voie de l’industrialisation, de la stabilité financière et du respect de l’environnement ? »
Sébastien Le Belzic
chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin