L’économie et la diplomatie, priorités du nouveau président
Moon Jae-In, un ancien avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme, a commencé mercredi 10 mai au matin son mandat de président de la Corée du Sud. Ce scrutin anticipé avait été organisé pour remplacer l’ancienne présidente, Park Geun-hye, au centre d’une énorme affaire de concussion qui a provoqué sa chute. En cause notamment, une confidente de l’ombre de l’ex-présidente, Choi Soon-sil, accusée d’avoir profité de son influence pour extorquer des dizaines de millions de dollars à de grands groupes. L’élection a eu lieu sur fond de tensions aiguës avec la Corée du Nord.
Selon les résultats définitifs de la commission électorale nationale, M. Moon, 64 ans, candidat du Parti démocratique de centre gauche favorable à une forme de dialogue avec Pyongyang, a obtenu 13,4 millions de voix, soit 41,1 % des suffrages. Son plus proche rival, le conservateur Hong Joon-pyo, issu du parti de la présidente déchue, est arrivé loin derrière, avec 24,03 % des voix, suivi du centriste Ahn Cheol-soo (21,4 %).
« Je serai le président de tous les Sud-Coréens », s’est exclamé M. Moon devant ses partisans sur la place Gwanghwamun, à Séoul, où des millions de citoyens s’étaient massés plusieurs mois durant pour exiger le départ de Park Geun-hye.
Dialogue avec la Corée du Nord, plus de distance avec les Etats-Unis
La campagne s’est largement focalisée sur l’économie, la Corée du Nord étant passée à l’arrière-plan. Le futur locataire de la « Maison Bleue » veut réformer les chaebols, ces conglomérats familiaux comme Samsung ou Hyundai qui contrôlent l’économie et dont le scandale Park Geun-hye a mis en lumière les travers. Il souhaite aussi créer 500 000 emplois par an. Il devra pour cela constituer des alliances, son parti comptant 119 des 299 élus à l’Assemblée nationale.
Mais après dix ans de règne conservateur, la victoire de M. Moon pourrait signifier un changement de politique vis-à-vis de Pyongyang et de l’allié et protecteur américain. M. Moon prône le dialogue avec la Corée du Nord afin de désamorcer les tensions et de l’inciter à négocier. Il veut aussi plus de distance avec les Etats-Unis. « Si besoin, je partirais tout de suite à Washington, a-t-il déclaré. Je me rendrai également à Pékin et Tokyo, et même à Pyongyang si les conditions sont réunies. »
M. Moon a déclaré qu’il mènerait des « négociations sérieuses » avec les Etats-Unis et la Chine au sujet du déploiement en Corée du Sud du bouclier antimissile américain Thaad. Donald Trump a laissé entendre récemment que la Corée du Sud devait payer la facture pour le déploiement de Thaad, soit un milliard de dollars, ce qui a déplu à Séoul. Cette annonce a semé le trouble quant aux relations entre Séoul et Washington, 28 500 soldats américains étant déployés au pays du Matin-Calme.
* LE MONDE | 10.05.2017 à 08h21 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/10/coree-du-sud-l-economie-et-la-diplomatie-priorites-du-nouveau-president_5125261_3216.html
Moon Jae-in, un progressiste aux portes du pouvoir en Corée du Sud
Le candidat de l’opposition progressiste est le favori pour succéder à la présidente destituée.
Moon Jae-in, candidat du Parti démocrate (opposition progressiste) de l’élection présidentielle sud-coréenne du mardi 9 mai, anticipée à la suite de la destitution de la présidente Park Geun-hye, arrive en tête avec 41,4 % des voix, selon un sondage réalisé par trois chaînes de télévision. Seul contre tous, l’homme a mené une campagne à son image. Sans éclats ni coups bas. Ce n’est pas le genre de ce catholique de 64 ans, marié et père de deux enfants, sur lequel le temps ne semble pas avoir de prise.
La tentative des médias conservateurs de raviver, au début d’avril, les soupçons d’intervention en 2007 pour avoir favorisé l’emploi – non fictif – de son fils a fait long feu. Moon Chung-in, professeur à l’université Yonsei et l’un des soutiens de Moon Jae-in, y voit « une campagne systématique de haine contre lui, car il veut tout changer, l’économie, les médias, la politique ». « Je n’ai jamais vu autant d’attaques, confirme le candidat Moon Jae-in au Monde, mais je n’ai pas peur. »
Il reste persuadé de pouvoir « faire de la Corée du Sud une société juste et équitable », avec plus de transparence dans la gestion des chaebols (« conglomérats ») et plus d’emplois – il promet d’en créer 1,3 million, dont 800 000 dans le public –, notamment pour les jeunes, « qui n’ont plus d’espoir dans une société qu’ils appellent “Hell Choson” [l’enfer de la Corée] ». Mais Moon Jae-in n’hésite pas, au besoin, à flatter l’électorat conservateur en prenant position contre le mariage homosexuel.
Ses principaux challengeurs sont le centriste Ahn Cheol-soo, 55 ans, ancien chef d’entreprise du secteur d’Internet, et Hong Jun-pyo, 62 ans, ex-procureur, cacique de la droite conservatrice et candidat du Parti de la liberté de Corée (LKP). MM. Ahn et Hong ne dépassent pas 21 % et 18 % des intentions de vote. Moon Jae-in a vu dans les manifestations massives pour le départ de Mme Park un exemple de cette « démocratie participative et directe », à laquelle il aspire et qui fut un axe de la politique du président Roh Moo-hyun (2003-2008), dont il était très proche.
Emprisonné en 1975
Né en janvier 1953 sur l’île de Geoje, face au grand port de Busan (Sud-Est), Moon Jae-in est l’aîné d’une fratrie de cinq enfants. Ses parents sont des réfugiés du Nord, qu’ils ont fui au début de la guerre de Corée (1950-1953). A Busan, la famille exploite un lopin de terre et dépend de l’aide fournie par l’Eglise catholique. De cette époque M. Moon dit avoir tiré la capacité d’« affronter les problèmes, de ne jamais renoncer ». Il réalise également que « l’argent n’est pas si important ».
Entré en 1972 à l’université Kyung-hee de Séoul, il voit ses études de droit interrompues par la mobilisation étudiante contre la réforme constitutionnelle voulue en 1974 par le président Park Chung-hee (1961-1979). Les chars envahissent les campus, la répression s’intensifie. Moon Jae-in est emprisonné en 1975. Libéré, il part faire son service militaire dans la 1re brigade des forces spéciales. Son supérieur hiérarchique, Chun Doo-hwan, alors général de brigade, prend le pouvoir par la force en décembre 1979. Moon Jae-in s’engage contre le coup d’Etat à son retour à la vie civile. Sa participation au « printemps de Séoul », en 1980, lui vaut une nouvelle arrestation.
Devenu un avocat courtisé par les plus grands cabinets, Moon Jae-in préfère défendre les opprimés et retourne vivre à Busan. C’est là qu’il rencontre Roh Moo-hyun, lui aussi avocat. Les deux compères créent un cabinet spécialisé dans la protection des travailleurs et des victimes des abus des droits humains. En 1988, avec la démocratie naissante, M. Roh, élu député, part pour Séoul, mais les deux hommes restent proches. Quand Roh Moo-hyun devient président, en 2003, Moon Jae-in entre à la Maison Bleue – la présidence sud-coréenne – comme secrétaire chargé des affaires civiles.
L’arrivée au pouvoir en 2008 du conservateur Lee Myung-bak pousse MM. Roh et Moon à prendre leurs distances avec la vie publique. Eclaboussé par des affaires qui touchent son entourage, Roh Moo-hyun met fin à ses jours en 2009. Très impliqué dans ses funérailles, Moon Jae-in gagne le surnom de « Dernier Chef de cabinet ». Cette expérience le convainc de se lancer en politique. Il devient député au début de 2012 et se lance la même année dans la course à la présidentielle face à Park Geun-hye, la fille du président contre lequel il avait manifesté dans sa jeunesse. Après avoir échoué contre Mme Park en 2012, M. Moon tient aujourd’hui sa revanche et s’apprête à exercer le pouvoir.
Philippe Mesmer (Séoul, envoyé spécial)
Journaliste au Monde