Les qualificatifs (« psychopathe » ou « petit gros cinglé ») ne manquent pas pour désigner Kim Jong-un, le dirigeant de 33 ans de la Corée du Nord. En fait, on l’a longtemps sous-estimé. Une erreur de jugement dont on mesure l’ampleur aujourd’hui : poursuivant sur la voie tracée par son père et son grand-père depuis les années 1980, Kim Jong-un est en train de faire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, le nom officiel du pays) une nouvelle puissance nucléaire, défiant non seulement les Etats-Unis mais aussi la Chine qui, pour ses propres intérêts, a été jusqu’à présent le seul soutien extérieur du régime.
A son arrivée au pouvoir en 2011, Kim Jong-un, troisième fils de Kim Jong-il, passait pour une marionnette appelée à être manipulée par la vieille garde. Sa situation était précaire : inexpérimenté, il n’avait d’autre légitimité que d’avoir été choisi par son père. Un choix entériné par le Parti du travail mais qui ne suffisait pas à lui assurer le pouvoir.
Il s’est révélé plus déterminé qu’on ne le pensait en se débarrassant, non sans brutalité (limogeages et exécutions), de ceux qui ne lui semblaient pas assez loyaux (dont son oncle, Jang Song-taek, en 2013, dont on disait qu’il était l’éminence grise derrière le trône).
« Ligne du parallélisme »
« Intelligent, pragmatique et déterminé, il n’hésite pas à éliminer ceux dont il se méfie », estime Andrei Lankov, de l’université Koomkin à Séoul. Ce qui fait réfléchir son entourage. Disposant d’un pouvoir sans partage, Kim Jong-un s’est entouré d’un petit cercle de conseillers d’une quarantaine d’années, que l’on connaît mal à l’extérieur, et de quelques figures de la vieille garde. Il délègue plus que son père mais décide en dernier ressort.
Ayant opéré un recentrage du pouvoir sur le parti en privant l’armée d’une partie des avantages économiques dont elle avait bénéficié sous le règne de son père en raison de la situation chaotique du pays pendant (et à la suite de) la dramatique famine de la seconde partie des années 1990, il a donné au cabinet, composé en grande partie de technocrates, une plus grande autorité en matière de décisions économiques.
Peu après son arrivée au pouvoir, il remit à l’ordre du jour la « ligne du parallélisme » (byungjin), formulée en 1962 par Kim Il-sung, en replaçant le développement économique sur la même ligne que le renforcement de la défense. Tout en poursuivant les avancées en matière nucléaire (par quatre essais s’ajoutant aux deux autres effectués sous le règne de son père), il a mis l’accent sur l’armement balistique dont les derniers tirs au cours de l’été ont démontré les progrès accomplis.
Négocier en position de force avec les Etats-Unis
Depuis des décennies, les dirigeants nord-coréens estiment que la seule chance de survie du régime tient à une force de dissuasion. Et ils poursuivent méthodiquement cet objectif pour négocier, un jour, en position de force avec les Etats-Unis un règlement global de la situation coréenne, suspendue depuis soixante-quatre ans à un simple armistice. Pyongyang rejette la condition préalable mise par Washington à des pourparlers : le renoncement à sa force nucléaire.
Refusant toute concession sur le nucléaire, Kim Jong-un fait preuve en revanche de flexibilité idéologique : les réformes destinées à libéraliser l’économie, commencées par son père et accélérées depuis son arrivée au pouvoir, portent leurs fruits.
La frénésie constructiviste à Pyongyang (percée de nouvelles avenues, hérissée de gratte-ciel, dotée de parcs d’attractions, de nouveaux magasins fournis et désormais en proie à des embouteillages) témoigne d’une irréversible transformation économique et sociale sous la houlette du régime. Moins spectaculaire en province et en campagne, où les conditions de vie restent très dures, le redressement économique est amorcé : selon la Banque de Corée (à Séoul), la croissance aurait atteint 3 % en 2016.
Développement d’une économie hybride
Les réformes ont permis le développement d’une économie hybride, dans laquelle s’imbriquent des activités du secteur public et des initiatives privées, qui a donné naissance à de nouvelles couches sociales (entrepreneurs, marchands, transitaires, intermédiaires) liées par des prébendes à l’élite traditionnelle (hauts gradés, apparatchiks).
Autant que l’on peut en juger dans un pays totalitaire, la population semble faire corps derrière le régime : bien que les catégories sociales les plus vulnérables vivent à la limite de la sous-alimentation et dépendent de l’assistance humanitaire internationale, le redressement a stimulé les énergies, chacun cherchant à tirer son épingle du jeu.
Les équilibres de la « ligne du parallélisme » sont fragiles. La RPDC reste sur la corde raide : une nouvelle pénurie alimentaire se profile à la suite de la sécheresse de l’été et le renforcement des sanctions internationales risque d’enrayer le redémarrage de l’économie et d’aggraver la situation déjà précaire des couches sociales vulnérables.
Le nationalisme fervent dont est nourrie la population, entretenue depuis un demi-siècle dans une mentalité d’assiégé permanent, et l’assurance du régime que, grâce à sa force de dissuasion, le pays ne connaîtra plus jamais les souffrances de la guerre (1950-1953) suffiront-ils à mobiliser une nouvelle fois les Nord-Coréens pour faire face à l’adversité ?
Philippe Pons (Tokyo, correspondant)