La Chine paie le prix de sa présence accrue au Pakistan, où elle a investi près de 62 milliards de dollars (54,7 milliards d’euros) dans la construction d’un corridor économique. Trois kamikazes ont attaqué vendredi matin le consulat chinois à Karachi, la capitale commerciale du Pakistan, faisant quatre morts pakistanais, deux policiers et deux civils, un père et son fils venus récupérer leurs visas. C’est la première fois qu’une représentation diplomatique chinoise dans le pays est la cible d’une attaque revendiquée par des séparatistes du Baloutchistan, une province instable du sud-ouest du pays. En août, l’attaque d’un bus transportant des ingénieurs sur un projet minier de la province avait fait six blessés, dont trois Chinois.
« Nous voyons les Chinois comme des oppresseurs, tout comme les forces pakistanaises », a déclaré à l’Agence France-Presse le porte-parole de l’Armée de libération du Baloutchistan (ALB) qui a revendiqué l’attaque. En mars, l’un de ses commandants, Aslam Baloch, avait publié une vidéo dans laquelle il reprochait à la Chine de piller les ressources du Baloutchistan. « L’ALB est l’une des plus puissantes organisations séparatistes du Baloutchistan », note Malik Siraj Akbar, un analyste politique spécialiste de la région pour qui « c’est la première fois qu’elle mène une attaque hors de la province et qu’elle prend pour cible des diplomates chinois ».
La province du sud-ouest du pays est la plus riche en ressources gazières et minières, notamment en or et en cuivre, mais aussi la plus pauvre. La moitié de ses habitants n’ont pas accès à l’électricité et plus des deux tiers vivent dans la pauvreté. Bordée par l’Iran à l’ouest, et l’Afghanistan au nord, elle abrite à Gwadar un port qui donnera bientôt à la province chinoise du Xinjiang un accès direct à la mer d’Arabie et au détroit d’Ormuz, où transite un cinquième du commerce mondial de pétrole.
« Deuxième colonisation »
Gwadar est l’une des perles du collier tendu par la Chine dans l’océan Indien, et qui comprend d’autres installations portuaires aux Maldives ou encore au Sri Lanka. Mais cette perle du Pakistan est située en pleine poudrière. La province du Baloutchistan est secouée par les violences séparatistes, les attaques djihadistes, et la répression sanglante de l’armée pakistanaise. Dans la guerre sale qui oppose les forces paramilitaires aux séparatistes, des milliers de Baloutches ont été emprisonnés, torturés, tués, et les médias indépendants ont été fermés.
La construction du corridor économique chinois (CPEC) cristallise la colère des habitants, poussant la Chine dans cette longue guerre menée par les séparatistes. « Les Baloutches reprochent aux Chinois de ne pas leur donner suffisamment d’emplois et d’être les alliés d’un gouvernement et d’une armée qui les oppressent, explique Malik Siraj Akbar. A tel point que la construction du CPEC est devenue un pilier de la mobilisation séparatiste baloutche. » Les chantiers de construction emploient des ouvriers, des chauffeurs ou encore des ingénieurs chinois. A Gwadar, ces derniers vivent à l’écart des Pakistanais, dans des locaux bâtis sur le port même.
« Pas comme le Xinjiang »
Les infrastructures routières et portuaires se construisent alors que les habitants de Gwadar se plaignent de ne pas avoir accès à l’eau potable et d’avoir été chassés de leurs terres. « Nous voyons la présence chinoise sur notre territoire comme une deuxième colonisation. Or le Baloutchistan aime la liberté, il n’est pas comme le Xinjiang », a fustigé en août Allah Nazar Baloch, un leader baloutche indépendantiste, désignant les Pakistanais originaires des autres provinces comme les autres colonisateurs. Le Xinjiang est la région chinoise où vivent les Ouïgours, une minorité musulmane qui fait l’objet d’une violente répression.
Les Chinois doivent également faire face aux attaques djihadistes, même si ces dernières sont en diminution depuis quelques années. Quelques heures après l’attaque du consulat chinois, vendredi matin, 35 personnes ont été tuées et plus de 50 blessées lors d’un attentat-suicide dans un marché, dans le nord-ouest du pays. Face aux menaces djihadistes et séparatistes, l’armée pakistanaise a formé un régiment de 15 000 hommes dont la mission est de protéger les infrastructures du CPEC. « Le Pakistan est tout à fait capable de garantir sa sécurité et sa stabilité », a souligné vendredi Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères, tout en demandant à Islamabad une « enquête approfondie afin de s’assurer qu’aucune autre attaque ne se répète ». « De tels incidents ne pourront jamais saper la relation Pakistan-Chine, qui est plus puissante que l’Himalaya et plus profonde que la mer d’Arabie », a voulu rassurer le premier ministre pakistanais Imran Khan.
Julien Bouissou (New Delhi, correspondant régional)