Et pendant ce temps-là, ils pompent. Alors que les Algériens défient le régime de Bouteflika depuis plusieurs semaines, le secteur des hydrocarbures, clé de voûte de l’économie algérienne, ne semble pas bousculé.
Dès les premiers jours de la révolte populaire, des observateurs du secteur se sont interrogés : le mouvement va-t-il avoir un impact sur la production de pétrole et de gaz ? Une possible chute du régime va-t-elle faire exploser la répartition actuelle de la rente pétro-gazière, captée par les divers clans du pouvoir ?
Un seul chiffre suffit à comprendre l’importance de l’enjeu : le gaz et le pétrole représentent 95 % des exportations de l’Algérie et 60 % de ses recettes fiscales. La dépendance aux hydrocarbures de l’économie algérienne est caricaturale. La Sonatrach, la compagnie publique algérienne, soutient tout un pan de l’économie du pays, qui importe quasiment tout grâce aux devises de la rente pétrolière. Autrement dit : toute modification de cet équilibre pourrait être très dangereuse.
Un vent de panique sur le secteur
La décision du géant pétrolier américain ExxonMobil de suspendre un investissement dans le gaz de schiste, à la fin du mois de mars, a fait souffler un vent de panique sur le secteur. Mais les majors pétrolières les plus implantées dans le pays, le français Total ou l’italien ENI, n’envisagent pas pour l’heure d’y diminuer leur engagement.
« La plupart des opérations de production ou d’exploration ont lieu dans le Sahara, bien loin des villes où ont lieu les manifestations », relativise Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), qui note qu’ExxonMobil ne se retire pas d’Algérie, dans la mesure où le groupe américain n’y est jamais rentré.
De même, les images de salariés de la Sonatrach en grève, qui ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, ont laissé penser que les exportations pourraient être touchées. Certains analystes pétroliers ont craint ces derniers jours que l’Algérie se retrouve dans le camp de l’Iran ou du Venezuela, dont les productions pétrolières ont brutalement baissé. Une chute des exportations du pays pourrait avoir un impact rapide sur les prix du baril, en resserrant encore l’offre mondiale disponible.
Mais pour l’instant, l’impact est très relatif. « Les marches ont lieu le vendredi, qui est un jour de repos, ce qui a donc peu de conséquences sur l’économie », note l’économiste Fatiha Talahite, chercheuse au CNRS. « Des experts du secteur pétrolier ont alerté sur les risques très graves que pourraient avoir une grève ou un blocage des exportations : si on interrompt la production, on ne sait pas dans quelles conditions on peut reprendre », souligne Mme Talahite.
Le spectre d’une crise économique
Par le passé, même pendant les années plus dures de la décennie noire des années 1990, l’Algérie a toujours maintenu un niveau élevé d’exportations et n’a jamais arrêté les opérations de production.
En réalité, c’est un autre problème qui guette le pays dans les années qui viennent : le spectre d’une crise économique majeure liée à la baisse des revenus pétroliers et gaziers. D’abord parce que la production actuelle est en déclin progressif. L’Algérie produit moins aujourd’hui qu’il y a cinq ans, les champs s’épuisent et les infrastructures sont vieillissantes. Mais aussi parce que la consommation intérieure de gaz et de pétrole est de plus en plus importante, et entre en concurrence avec les exportations.
Face à ces difficultés, le régime, qui a longtemps tergiversé, s’était décidé à préparer une loi sur les hydrocarbures permettant aux compagnies internationales d’investir plus facilement dans le pays. Et en particulier de développer la production de gaz de schiste.
Mais cette loi risque d’arriver trop tard : « Faire voter une loi sur un secteur aussi stratégique ne serait pas simple en temps normal, alors dans le contexte actuel, cela semble très difficile », souligne M. Perrin. L’enjeu est pourtant majeur pour un pays qui n’a jamais réussi à diversifier son économie et risque de se trouver confronté à une violente crise économique, en plus d’une révolte populaire.
Nabil Wakim