Ils ne sont que huit nouveaux entrants dans le gouvernement de Jean Castex, qui devait avoir pour but de redynamiser l’action d’Emmanuel Macron jusqu’à la fin de son quinquennat (lire notre analyse [1]). Outre le médiatique avocat Éric Dupond-Moretti (lire notre article), les sept « nouveaux visages » mêlent femmes politiques expérimentées et profils patronaux divers.
Barbara Pompili, retour à l’écologie
Créditée d’une expertise sur les questions d’écologie du fait de ses débuts en politique chez les Verts, puis à Europe Écologie-Les Verts (EELV) – dont elle fut la coprésidente du groupe à l’Assemblée nationale avec François de Rugy –, Barbara Pompili ne s’est pas distinguée par un engagement significatif sur une cause particulière. Secrétaire d’État à la biodiversité sous la présidence de François Hollande, de 2016 à 2017, elle a défendu la loi dite de « reconquête de la biodiversité » [2]. Un texte assez emblématique de ce que fut l’écologie sous le précédent quinquennat.
Certaines de ces mesures ont permis des avancées (interdiction de l’utilisation des pesticides contenant des néonicotinoïdes – un pesticide toxique notamment pour les abeilles –, ou encore instauration d’un régime de réparation du préjudice écologique), mais cette même loi a aussi gravé dans le marbre une politique en réalité attentatoire à la biodiversité : la séquence dite ERC (« éviter », « réduire », « compenser ») permet aux maîtres d’ouvrage de construire des parkings, des logements ou des centres commerciaux sur des espaces naturels, parfois protégés, du moment qu’ils « compensent » la destruction des espèces par le bétonnage.
Résultat : rien n’empêche l’artificialisation accélérée des terres agricoles et naturelles, alors que l’urgence écologique serait de les protéger. Car forêts, prairies, marais, champs, haies sont indispensables pour maintenir l’habitat des animaux et des végétaux, préserver les ressources en eau, garder dans le sol les émissions de CO2 qui dérèglent le climat de la planète.
Jusqu’ici présidente de la commission du développement durable de l’Assemblée, elle a été rapporteure en 2018 d’une commission d’enquête sur la sûreté nucléaire [3] qui demandait plus de transparence et de contrôle démocratique sur l’industrie de l’atome : publication d’un calendrier des réacteurs à fermer, renforcement de l’Autorité de sûreté nucléaire, réintégration des compétences chez les opérateurs des sites nucléaires français afin d’en finir avec la sous-traitance.
Ce rapport s’est distingué au sujet du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bure (Meuse), où doivent être enfouis les déchets nucléaires français les plus dangereux. Les parlementaires préconisent en effet de poursuivre des solutions alternatives et pointent les « vulnérabilités certaines » du projet, tout en considérant que c’est « la moins mauvaise solution » disponible.
Elle s’est abstenue lors du vote sur le Ceta, l’accord de libre-échange UE-Canada, à l’Assemblée, en 2019.
Nadia Hai, une banquière pour les quartiers populaires
Née à Trappes, dans les Yvelines, elle est celle qui a ravi à Benoît Hamon le siège de député, sur son terrain, lors des élections législatives de 2017. La banquière (HSBC puis Barclays) devient ministre déléguée à la cohésion sociale, donc en charge de la politique de la ville, Julien Denormandie étant nommé à l’agriculture.
C’est un pur produit de La République en marche (LREM), puisque son engagement politique a débuté, comme celui de nombreux autres macronistes, à l’occasion de la campagne présidentielle de 2017. Critiquée à l’époque pour représenter une circonscription qu’elle ne connaissait guère, elle devra faire preuve de son aptitude à entendre les quartiers populaires. Membre de la commission des finances, elle s’est notamment illustrée à l’Assemblée en bataillant contre le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF).
Devenue ministre, Nadia Hai laisse son siège de députée à son suppléant Moussa Ouarouss, qui habite Reims (Marne) et qui est mis en examen pour « importation, transport et détention de produits stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs », dans le cadre d’une information judiciaire ouverte à Lille (Nord) [4].
Élisabeth Moreno, plus « business » que « woman »
Ambition et vie de famille : c’est ainsi qu’est présentée la nouvelle ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, dans un portrait complaisant du Figaro [5] daté de l’an dernier. Élisabeth Moreno, 49 ans, passe de la présidence de Hewlett-Packard (HP) Afrique au gouvernement.
Élevée à Athis-Mons, cette enfant de famille nombreuse se lance dans des études de droit pour, dit-elle, « défendre la veuve et l’orphelin », enchaîne sur une maîtrise de droit des affaires, puis abandonne son poste de juriste dans un cabinet parisien, lassée de n’avoir en charge que « les dossiers de chiens écrasés et d’immigrés dont personne ne veut ». Devenue cheffe d’entreprise, elle devient responsable commerciale chez France Télécom, puis accède à des postes de responsabilités dans l’informatique, chez Dell, Lenovo, et donc Hewlett-Packard.
Celle qui se dit « mentor au sein de réseaux féminins » dans le monde entrepreneurial, hérite de la question du droit des femmes en pleine ère #MeToo. Elle avait distillé en 2018, dans Les Échos [6], son « conseil » aux femmes pour lutter contre le sexisme : « Mon conseil serait de prendre davantage de responsabilités ! Plus vous montez dans la hiérarchie, moins vous êtes confrontée au sexisme. Au-delà des compétences de chacune, il est extrêmement important de savoir s’entourer d’hommes ou de femmes qui ont suffisamment voix au chapitre dans l’entreprise et pourront être vos sponsors. Il faut oser. Oser agir et oser parler. »
Alain Griset, un dirigeant patronal pour les PME
Le nouveau ministre délégué aux petites et moyennes entreprises (PME), âgé de 67 ans, est un ancien artisan-taxi nordiste, également cogérant d’un institut de beauté dans le Vieux-Lille jusqu’à l’été 2019. Depuis 2017, il présidait l’U2P, une organisation patronale qui « représente 2,8 millions de TPE-PME dans les secteurs de l’artisanat, du commerce de proximité et des professions libérales » et dont il était auparavant le trésorier.
S’il est quasiment inconnu dans la vie politique, il occupe depuis plusieurs décennies des fonctions dirigeantes dans diverses instances professionnelles locales, régionales et nationales [7] : président de la Chambre des métiers du Nord, puis du Nord-Pas-de-Calais (devenus Hauts-de-France), président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat, président du groupe Artisanat du Conseil économique et social, président de l’Union nationale des taxis (de 2012 à 2017), président du Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat (Fnpca)…
Régulièrement convié à représenter ces organisations devant les parlementaires ou auprès de membres du gouvernement, il réagissait en ces termes au discours du président de la République, le 12 mars : « Emmanuel Macron a répondu à nos attentes. [8] »
Roselyne Bachelot, une « Grosse Tête » à la Culture
La nouvelle ministre de la culture du gouvernement Castex sera donc une femme de droite retirée de la vie politique depuis 2012, n’ayant jamais exercé d’activité professionnelle ni de responsabilité dans le champ dont elle a reçu le portefeuille. Roselyne Bachelot, docteure en pharmacie, a surtout consacré son activité d’élue aux questions sanitaires et sociales. C’est d’ailleurs pour son passé de ministre de la santé, entre 2007 et 2010, qu’elle a été récemment auditionnée à l’Assemblée pour livrer son analyse sur la gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement [9].
Figure de la droite chiraquienne puis sarkozyste, elle est la fille du député gaulliste Jean Narquin. Entrée comme lui au RPR, elle devient conseillère générale (1982) puis conseillère régionale (1986) dans les Pays de la Loire, avant de reprendre le siège de député de son père en 1988. À l’Assemblée, où elle sera constamment réélue jusqu’en 2007, elle participe aux travaux de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Ses engagements personnels la placent parfois en contradiction avec son parti, comme lorsqu’elle vote la loi Évin en 1991, ou s’engage pour le Pacs porté par la gauche plurielle en 1998.
Si elle en tire une image de « franc-tireur » au sein de sa famille politique, qu’elle cultive volontiers grâce à son aisance dans les médias (elle est une figure récente des « Grosses Têtes »), elle ne poussera jamais la subversion trop loin ni trop tôt. Fidèle de Jacques Chirac, elle en est la porte-parole au moment de sa réélection en 2002, avant d’être nommée ministre de l’écologie – un poste qu’elle perdra deux ans plus tard.
Engagée derrière Nicolas Sarkozy en 2007, elle devient sa ministre de la santé et des sports. Elle défend à ce poste la loi HPST qui contient notamment la fameuse tarification à l’activité contestée par une partie importante du monde hospitalier. Elle devient ensuite ministre des solidarités et de la cohésion sociale de 2010 à 2012.
Dans les années suivantes et jusqu’à ce lundi 6 juillet, elle a poursuivi une carrière de chroniqueuse sur plusieurs chaînes de télévision et stations de radio, notamment sur les antennes des groupes Bouygues et Bolloré. À travers chroniques et ouvrages, elle a certes exprimé à plusieurs reprises sa passion pour l’art lyrique, tout en n’hésitant pas à participer à des émissions de Cyril Hanouna ou Laurent Ruquier, à la dimension artistique moins évidente.
Assurément éclectique dans ses choix, elle n’en a cependant pas profité pour délivrer des recommandations précises sur les politiques culturelles en France. À 73 ans, c’est pourtant sur ce terrain qu’elle a accepté de rejoindre les rangs de la Macronie. Le milieu culturel, dont de très nombreux métiers sont fragilisés par la pandémie et ses suites, devrait l’attendre de pied ferme après les déceptions provoquées par un prédécesseur transparent, Franck Riester, et les annonces exaltées mais peu précises d’un président en bras de chemise pour vanter un « été apprenant ».
Brigitte Klinkert, virage à droite pour l’insertion professionnelle
Elle a été choisie pour piloter l’insertion auprès de la ministre du travail et de l’emploi Élisabeth Borne, et préside depuis 2017 le conseil départemental du Haut-Rhin, en Alsace. Sur le plan national, c’est une inconnue.
Décrite comme « une taulière » du conseil par Rue 89 Strasbourg [10], élue depuis 1994, c’est à l’époque la seule femme de l’hémicycle local. Membre de Les Républicains (LR) jusqu’à l’an passé, on la dit issue de la droite modérée. Elle n’a cependant pas remis en cause la politique de son prédécesseur, dans le champ précis de l’insertion.
Le Haut-Rhin s’est en effet illustré ces dernières années pour avoir mené bataille afin de rendre obligatoires des heures de bénévolat pour les bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active) [11], un projet qui faisait pourtant craindre le pire au secteur associatif. Le choix de Brigitte Klinkert n’est pas anodin, puisqu’elle participera à la réforme des minima sociaux [12], si celle-ci ne connaît pas le même destin que celle des retraites, en sursis.
« C’est un immense honneur », a réagi la nouvelle ministre déléguée sur BFMTV [13], rappelant le « cauchemar du Covid-19 » vécu par son département dès mars dernier. Brigitte Klinkert, qui fut également chargée de mission auprès de la mission « Mémoire et identité régionale » de la Région Alsace-Grand Est, s’est toujours présentée comme une fervente alsacienne.
Brigitte Bourguignon aux personnes âgées, une députée très silencieuse durant la crise sanitaire
Une ancienne fabiusienne, passée avec armes et bagages chez LREM : tel est le parcours de la nouvelle ministre déléguée à l’autonomie. Elle aura en charge les personnes âgées, premières victimes du Covid-19. C’est elle qui sera à la manœuvre pour la loi « grand âge » présentée à l’automne.
Le parcours de cette parlementaire est une ligne sinueuse vers les plus hautes fonctions. En 2012, Brigitte Bourguignon, secrétaire nationale au sport du Parti socialiste (PS), se fait élire députée dans la foulée de l’élection de François Hollande dans le Pas-de-Calais, avant de devenir macroniste dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2017, afin de conserver sa circonscription.
En mai 2019, elle défend une loi visant à accompagner la sortie des mineurs de l’aide sociale à l’enfance à leurs 18 ans, mais les associations d’enfants placés l’accusent d’avoir vidé le texte de sa substance. « C’est dégueulasse », se défend-elle (lire ici). Devenue présidente de la communication des affaires sociales, elle s’illustre pendant la crise sanitaire par son inertie.
Pendant le confinement, la commission des affaires sociales de l’Assemblée n’a rendu aucun avis sur les lois d’urgence sanitaire (contrairement à celle du Sénat) et n’a jamais auditionné le ministre des solidarités et de la santé Olivier Véran. À l’époque, cette discrétion était déjà interprétée par ses camarades de banc comme un signe que la députée attendait un ministère.
Mathilde Goanec, Jade Lindgaard, Fabien Escalona, Pauline Graulle, Camille Polloni
• MEDIAPART. 6 juillet 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/060720/gouvernement-castex-pour-la-nouveaute-des-elues-et-des-patrons
Au ministère de la justice, la provocation Dupond-Moretti
La clientèle et les prises de position du nouveau garde des Sceaux, l’avocat médiatique Éric Dupond-Moretti, ennemi déclaré d’une partie de la magistrature, de la transparence et de la libération de la parole des femmes, constituent un choix risqué.
Emmanuel Macron et Jean Castex ont donc choisi, pour remplacer la terne Nicole Belloubet au ministère de la justice, un personnage médiatique et clivant en la personne de l’avocat Éric Dupond-Moretti, 59 ans. Habitué des plateaux télé et des émissions de radio, parfois acteur et comédien, ex-futur chroniqueur sur Europe 1, cet homme aux prises de position sans nuances et au verbe peu policé constitue un choix assez risqué pour occuper la fonction de garde des Sceaux.
La justice de 2020 est pauvre, fragile et débordée. Elle aurait besoin de moyens, d’effectifs, de considération et d’indépendance. Le dernier avocat nommé Place Vendôme, en 1981, était Robert Badinter. Beaucoup de magistrats ressentiront la nomination d’Éric Dupond-Moretti au mieux comme une provocation, au pire comme « une déclaration de guerre », pour l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
Avocat depuis 1984, Éric Dupond-Moretti peut certes se targuer de bien connaître l’institution judiciaire. Excellent plaideur, il a écumé les cours d’assises pendant trois décennies, obtenant nombre d’acquittements. Lors des audiences, il n’hésite pas à malmener verbalement les témoins, les enquêteurs, les magistrats, parfois ses confrères aussi, dans un registre très physique et parfois assez brutal. Il engueule aussi des journalistes pendant les suspensions d’audience. Passons. Les droits de la défense le lui permettent.
La notoriété aidant, l’avocat quitte le barreau de Lille pour celui de Paris en 2016, et s’associe à Antoine Vey. Après les affaires de grand banditisme, les homicides et les dossiers de stupéfiants, déjà rémunératrices, Éric Dupond-Moretti vise une clientèle plus haut de gamme. Ce seront les affaires et la politique.
Ces dernières années, il a ainsi défendu ou représenté notamment la République du Gabon, la République du Congo, le roi du Maroc Mohammed VI [14], mais aussi Bernard Tapie, Jérôme Cahuzac, Georges Tron [15], Patrick Balkany ou Alexandre Djouhri. Des clients qui ne s’attendaient certainement pas à ce que leur zélé défenseur devienne un jour le ministre de la justice de la France.
Pourfendeur des juges, ennemi déclaré de la transparence, Éric Dupond-Moretti accumule les sorties tonitruantes. Il multiplie les critiques à l’adresse de la Haute autorité pour la vie publique (HATVP), dénonce la « caste des juges » et se prononce de façon virulente pour la suppression de l’École nationale de la magistrature (ENM). Voici quelques jours, il annonçait une plainte contre le magistrat qui a instruit l’affaire Rybolovlev à Monaco [16], puis une autre dans l’affaire des « fadettes » du Parquet national financier (PNF) [17].
Au procès de Yamina Benguigui [18], jugée pour des omissions dans ses déclarations de patrimoine et d’intérêts, son avocat se surpasse. Il dénonce « une justice de classe à rebours » et « une forme de poujadisme » (un thème qu’il reprendra pour Jérôme Cahuzac notamment). « La première affaire de la HATVP est un fiasco, tonne alors Dupond-Moretti. On est tellement dans le vague [avec la loi sur la transparence] qu’il y en a un qui a déclaré son camping-car [l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault] et l’autre [l’eurodéputée Eva Joly – ndlr] son canoë-kayak. Vert le kayak. Si le tribunal est saisi à chaque fois que la bonne case n’est pas cochée… » Yamina Benguigui sera tout de même condamnée.
Très impliqué dans la défense des affairistes de tout poil, Éric Dupond-Moretti n’a pas réussi à sauver non plus Jérôme Cahuzac ni Patrick Balkany. « Condamner un innocent, c’est terrifiant. Condamner un coupable à une peine qu’il ne mérite pas, c’est aussi terrifiant », avait-il plaidé pour l’ancien maire de Levallois-Perret en première instance [19]. Les magistrats du tribunal correctionnel n’avaient pas été émus outre mesure par cet argument.
Au procès de Georges Tron, accusé de viols en réunion, l’avocat se distingue par son agressivité envers les parties civiles. « Moi, je vous sauterais à la gorge », lance-t-il en concluant sa plaidoirie. Il interpelle l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui s’est constituée partie civile aux côtés des deux plaignantes : « C’est bien que la parole des femmes se libère, mais vous préparez un curieux mode de vie aux générations futures », lâche-t-il gravement, avant d’évoquer, l’air nostalgique, l’époque des « slows » en boîte de nuit. Il se tourne vers les jurés et leur pose cette question : « Mesdames et messieurs les jurés, si votre fils touche le genou d’une copine dans sa voiture, c’est une agression sexuelle, ça ? »
Le nouveau ministre de la justice voue par ailleurs Mediapart aux gémonies. « C’est cela, l’ère de la transparence. On a ennobli les délateurs qu’on appelle désormais les lanceurs d’alerte, déclare l’avocat dans Causeur. Quand Plenel écrit au procureur pour exiger des poursuites contre Cahuzac, quand, dans l’affaire Bettencourt, il explique qu’une ordonnance de non-lieu est une preuve de culpabilité, quand Fabrice Arfi écrit que c’est un mauvais signal pour la société que Cahuzac n’aille pas en prison, ils se comportent comme des flics et se prennent pour des juges. Du reste, cela fait longtemps que ces gens travaillent main dans la main avec des juges qui leur ressemblent. Ces nouveaux juges qui portent les mêmes valeurs morales qu’eux se sont affranchis des règles : ils utilisent des preuves obtenues par n’importe quel moyen, y compris des violations du secret professionnel de l’avocat ou du notaire. D’ailleurs, on se demande pourquoi perquisitionner Mediapart puisque Plenel donne tous les documents à la justice et à la police. On est en pleine confusion des genres. »
Michel Deléan
• MEDIAPART. 6 juillet 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/060720/gouvernement-castex-pour-la-nouveaute-des-elues-et-des-patrons
Pour les quartiers populaires, la légitimité de la nouvelle ministre Nadia Hai en question
Après le mandat improductif d’un Julien Denormandie, pourtant salué pour son sens du dialogue, Emmanuel Macron a opté pour le profil de macroniste pur jus de Nadia Hai, ancienne banquière propulsée députée en 2017. Un choix visiblement peu préparé qui a suscité en moins de vingt-quatre heures de l’étonnement, des critiques et une démission.
C’est une ascension éclair comme le parti présidentiel en a le secret. Lorsqu’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, a annoncé lundi que Nadia Hai succédait à Julien Denormandie au ministère de la ville, c’est peu dire que les acteurs des quartiers populaires ont été surpris. « Je ne la connais ni d’Ève ni d’Adam, souffle un élu local. Je ne l’ai même jamais vue ou entendue prendre position sur la politique de la ville. »
Dans les jours qui ont précédé le remaniement, plusieurs noms ont circulé avec insistance, dont ceux d’Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois et président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), et de Saïd Ahamada, député (LREM) de Marseille et président du groupe d’études ville et banlieues à l’Assemblée nationale. « Je l’ai entendue dire aussi, sourit ce dernier. Mais personne ne m’a appelé. » Finalement, c’est une des vice-présidentes de son groupe d’études, Nadia Hai, qui a hérité de ce poste jadis occupé par Bernard Tapie, Claude Bartolone ou Fadela Amara.
Dans la logique d’un casting gouvernemental soucieux de respecter les équilibres, la nomination de Nadia Hai permet de faire entrer une femme au gouvernement, une enfant d’immigrés, une députée LREM de la première heure et une élue des quartiers populaires. Ses proches l’assurent pourtant, sa nomination est bien plus que cela. « En trois ans, elle a vraiment rayonné sur la politique de la ville au niveau national, jure Aicha Borges, à la tête du comité LREM de Trappes, où elle est élue. Nadia était le bras droit de Julien Denormandie sur un certain nombre de sujets. »
Avant 2017, pourtant, Nadia Hai n’avait jamais eu le moindre engagement politique. « C’est le profil-type de la nouvelle génération d’élus qui a accompagné Macron », explique Aïcha Borges. Aux élections législatives, cette ancienne banquière chez HSBC avait créé la surprise en emportant la 11e circonscription des Yvelines face à deux anciens députés, Benoît Hamon et Jean-Michel Fourgous. Trois ans plus tard, la voilà ministre, à 40 ans.
Saïd Ahamada salue cette ascension : « On a une enfant des cités qui arrive à devenir ministre de la République. C’est un bon choix, plutôt légitime, qui envoie un bon signal. » À Trappes, ses concurrents y voient un storytelling qui peine à cacher une réalité moins glorieuse. « LREM l’a prise comme un totem, dénonce le maire nouvellement élu, Ali Rabeh (Génération·s). Sauf que, derrière le symbole, il y a quelqu’un qui n’a plus rien à voir avec Trappes. Elle a quitté la ville il y a très longtemps, elle vit dans le XVIe arrondissement… Et aujourd’hui, on a une députée qu’on ne voit jamais. On n’a jamais vu la couleur de son travail, ni le moindre résultat. »
Les élus locaux sont intarissables sur cette députée qui n’assiste pas aux événements locaux, qui s’absente des commémorations ou qui a installé une permanence au milieu d’une zone industrielle, là où personne ne va jamais. « J’ai encore fait l’expérience tout à l’heure [lundi – ndlr], raconte Ali Rabeh. J’étais avec les licenciés d’un club sportif et je leur ai posé la question : “Vous connaissez votre députée ?” Aucun n’était capable de donner son nom. Moi, j’habite Trappes et je n’ai jamais reçu dans ma boîte aux lettres la moindre lettre de la députée, le moindre compte-rendu de mandat… »
L’élu nuance toutefois : « Je ne la connais pas donc je ne peux pas la juger personnellement. J’espère qu’elle travaille beaucoup à l’Assemblée parce qu’elle ne travaille pas beaucoup à Trappes. » Saïd Ahamada balaie l’argument de l’ancrage : « Est-ce qu’on a demandé à Julien Denormandie d’habiter dans les quartiers ? Est-ce qu’on a déjà demandé à Tapie s’il habitait dans les quartiers Nord ? On ne va pas lui reprocher, quand même, d’avoir réussi dans la vie. Je pense que c’est un faux procès. »
L’élu marseillais l’assure, c’est bien dans l’hémicycle que Nadia Hai se distingue depuis trois ans. « On a beaucoup travaillé au sein du groupe dont elle était vice-présidente, affirme-t-il. Elle a notamment pesé sur la question de l’aide aux associations. »
Mohamed Mechmache, fondateur d’ACLeFeu et militant emblématique des quartiers, l’a bien croisée « lors de quelques réunions ministérielles ». Il se souvient d’une élue qui « s’intéressait au sujet », avant d’ajouter : « En même temps, ce n’est pas difficile de s’intéresser à ce sujet. »
Aly Diouara, militant associatif et représentant d’une amicale de locataires à La Courneuve, a également eu à faire à Nadia Hai en pleine crise sanitaire. « Lorsque j’ai lancé une action et une pétition pour la suppression des loyers pour les plus précaires, un de ses collaborateurs m’a contacté, raconte-t-il. On a échangé une bonne heure, elle et moi, sur la précarité liée à la crise, sur la question du logement… C’est la seule députée qui nous a aidés à trouver des solutions. »
De cet échange, le leader associatif garde le souvenir d’une interlocutrice « réactive, prête à mettre les mains dans le cambouis ». La marcheuse locale, Aïcha Borges, ne tarit pas d’éloges sur sa « métamorphose » pendant ces trois ans : « On l’a vue évoluer. Nadia, c’est la citoyenne qui a déployé ses ailes. Aujourd’hui, elle s’est affirmée dans le paysage, avec un grand sens de l’écoute, une chaleur humaine et une forme de simplicité. » Saïd Ahamada complète le panégyrique : « C’est quelqu’un de déterminé, de franc. Elle va au bout des choses et elle dit ce qu’elle pense. »
Sur le fond, ce n’est pourtant pas sur les enjeux liés aux quartiers populaires que Nadia Hai s’est le plus distinguée. Banquière de formation, elle a remis dix rapports depuis le début du quinquennat, dont neuf sur les questions budgétaires et financières. En 2019, elle a beaucoup travaillé sur l’évaluation de la suppression de l’ISF. Aïcha Borges esquisse un lien entre sa fibre économique et ses nouvelles attributions ministérielles : « Son grand sujet, c’est la question de l’insertion, le chômage de nos jeunes. La question des discriminations est au centre de ses combats. »
Pas facile à percevoir depuis Trappes, où sa nomination comme ministre a suscité une autre interrogation. Et c’est peu de le dire. « Moi, je n’en ai pas cru mes oreilles », avoue Ali Rabeh. L’objet de la colère : la perspective de voir arriver comme député le suppléant de Nadia Hai, Moussa Ouarouss, mis en examen depuis fin 2019 pour trafic de stupéfiant entre la France et le Maroc. « On ne veut pas de cet homme qui n’a rien à voir avec Trappes, qui habite à Reims, qui est soupçonné de trafic de drogue et qui va entacher notre territoire », prévenait le maire lundi soir.
Finalement, Nadia Hai a pris les devants et démissionné en catastrophe, dans la nuit de lundi à mardi, avant de prendre officiellement ses fonctions de ministre. Une manière d’empêcher in extremis son remplacement par Moussa Ouarouss. « Son suppléant était impliqué dans une procédure judiciaire. Ce n’était pas possible de laisser cet homme reprendre son siège à l’Assemblée », explique-t-on au groupe parlementaire LREM.
Conséquence politique : LREM va perdre un député, et ce n’est pas négligeable pour une écurie présidentielle qui n’a plus la majorité absolue depuis quelques semaines. La onzième circonscription des Yvelines sera donc le théâtre d’une législative partielle, probablement en septembre, qui a toutes les chances de se transformer en nouvelle défaite pour LREM. À Trappes, le parti présidentiel avait soutenu le maire sortant Guy Malandain (PS) aux municipales. Il a été balayé par son ancien adjoint, Ali Rabeh, après dix-neuf ans passés à l’hôtel de ville.
La séquence de ces dernières vingt-quatre heures a en tout cas donné l’impression d’une grande improvisation du côté de l’exécutif. « Je ne sais pas comment qualifier cette bande d’amateurs », assène Ali Rabeh, proche de Benoît Hamon.
Reste la considération principale : celle de la politique gouvernementale en direction des quartiers populaires. Même Julien Denormandie, qui jouit d’une bonne réputation auprès des acteurs de terrain, n’a pas réussi à dégager l’impulsion et les moyens nécessaires pour rompre les puissants mécanismes d’inégalités sociales et territoriales.
Saïd Ahamada veut y croire. « Il y avait un vrai besoin d’incarner la politique du gouvernement, dit-il. Le fait d’avoir une ministre qui ne sera que sur la ville devrait permettre de mieux incarner ce que l’on souhaite faire sur ces questions-là. » Mohamed Mechmache est moins optimiste : « Mais qu’est-ce qu’elle va changer en dix-huit mois ? Quelle marge de manœuvre elle aura ? Quel budget ? Moi, c’est terminé, je n’y crois plus. J’y croirai quand on aura un ministère de la ville qui englobera d’autres ministères et qui sera incarné par le numéro 2 ou le numéro 3 du gouvernement. »
Ilyes Ramdani (Bondy Blog)
• MEDIAPART. 8 juillet 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/080720/pour-les-quartiers-populaires-la-legitimite-de-la-nouvelle-ministre-nadia-hai-en-question