– Denis (île de La Réunion). – « L’île noire », « Océan de chagrin », « Catastrophe jamais vue » : à Maurice ou à La Réunion, voisine de seulement 220 kilomètres, les unes des journaux rivalisent de terribles images pour décrire le fléau qui s’est abattu sur les côtes mauriciennes. Le 25 juillet, le vraquier japonais battant pavillon panaméen Wakashio s’est abîmé sur le récif de la Pointe d’Esny, au sud-est de l’île.
Depuis, les images du bateau de 300 mètres bloqué dans la barrière de corail et celles des nappes d’huile qui souillent le lagon turquoise ont fait le tour du monde. « De là où nous sommes, et nous nous trouvons quand même un peu loin de la plage, l’odeur de pétrole est à peine supportable », témoigne Satish Ramduth, joint au téléphone par Mediapart. L’homme est restaurateur et hôtelier à Mahébourg, la ville la plus proche du sinistre. « Hier, c’était la folie : les habitants de toute l’île sont venus pour aider. Ceux qui le peuvent aident à nettoyer, les autres font à manger pour eux. Certains donnent leurs cheveux [1] ou bien récupèrent de la paille pour faire des boudins absorbants qui stoppent la nappe de pétrole. Il y a aussi des ONG qui nettoient les animaux et essaient de lutter pour préserver la nature. C’est une catastrophe ! »
Près d’une semaine après le naufrage, des fissures dans la coque du navire ont commencé à laisser échapper le fioul et les huiles lourdes contenus dans ses soutes. D’abord minimes, susceptibles d’être pompées afin d’éviter le désastre, les coulées sont devenues incontrôlables. Ces dernières heures, la situation s’est encore dégradée : le Wakashio menace de se briser en deux et de répandre dans le lagon plus de 1 000 tonnes de fioul encore contenues dans ses cuves. Une véritable « course contre la montre s’est engagée, s’alarme Jean-Luc Émile, chef d’édition au journal indépendant DéfiMédia, contacté par Mediapart. Le bateau peut se briser en deux à n’importe quel moment. Plusieurs opérations de pompage sont en cours, mais cela ne suffira peut-être pas. Le mauvais temps n’arrange pas les choses ».
Lorsqu’elles se sont rendu compte que la situation était en train de leur échapper, les autorités mauriciennes ont lancé un appel à l’aide internationale. Le premier ministre, Pravind Jugnauth, tout en déplorant « le manque d’expérience » et de moyens de son pays dans le domaine de la lutte antipollution, a notamment sollicité la France pour venir à son secours. Stationnées sur « l’île sœur » de La Réunion, les Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (Fazsoi) ont dépêché un avion militaire, un bateau et des experts.
« Dès le samedi 8 août, un avion tactique de transport militaire (CASA CN-235) transportant du matériel de lutte contre la pollution effectuera ainsi deux rotations à destination de Maurice, a communiqué la préfecture de La Réunion. Un officier de liaison de la marine nationale et le correspondant de la lutte contre une pollution maritime par hydrocarbures (Polmar) de La Réunion seront également présents à bord, afin d’apporter leur expertise technique et opérationnelle aux autorités mauriciennes. Cet avion tactique transportera du matériel Polmar, dont notamment des barrages côtiers. Le bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer Champlain de la marine nationale, transportant du matériel complémentaire (dont plusieurs types de récupérateurs ainsi que des barrages absorbants et hauturiers) », a également appareillé, le samedi 8 août, afin de rejoindre Maurice.
« Nous sommes en cellule de crise et nous nous réunissons tous les jours », confirme la préfecture de La Réunion. Ces réunions pourraient déboucher sur l’envoi de matériels supplémentaires dans les prochains jours. Le Japon, dont les autorités ont présenté des excuses officielles à Maurice, le pays étant armateur du navire, doit également faire parvenir une aide substantielle dans l’océan Indien.
La France et l’armée française ne sont pas les seules à avoir témoigné de leur solidarité avec l’île voisine : la région Réunion et plusieurs intercommunalités de La Réunion ont apporté soutien humain et logistique aux personnes touchées par la marée noire. Des appels à la fraternité inter-îles et à l’envoi de matériel de nettoyage ont été lancés et relayés sur les médias locaux. Il est toutefois impossible de se rendre sur place afin de prêter main-forte à la population mauricienne : l’île est toujours fermée, en raison de la crise sanitaire.
« On est déjà touchés par le coronavirus, constate, désabusé, Satish Ramduth, l’hôtelier de Mahébourg. On attend depuis presque six mois que les frontières rouvrent. C’est désolant, ce qui est arrivé : les touristes ne vont pas revenir pour voir la marée noire… ». Le tourisme représente 14% du PIB de Maurice et constitue la principale source de rentrées de devises étrangères de l’île.
Six mois de fermeture totale des frontières, marée noire : l’île Maurice enchaîne les crises inédites et d’une gravité absolue. Des critiques sur la lenteur des autorités à demander de l’aide se sont déjà exprimées dans la presse. La crainte du coronavirus a retardé les décisions. Un protocole sanitaire, avec, par exemple, le test PCR des volontaires et des experts français, a finalement été mis en place.
Quant à l’accident du Wakashio sur le récif de Pointe d’Esny, « les origines du naufrage sont encore énigmatiques, précise le journaliste Jean-Luc Émile. Certains affirment qu’une fête avait lieu à bord au moment de la catastrophe, d’autres que le navire cherchait à se rapprocher des côtes pour avoir une bonne connexion Internet… Le capitaine n’a pas encore été auditionné : il est en quarantaine à cause du Covid-19, on en saura davantage lorsqu’il aura été entendu par les autorités compétentes ». Le doute et le désarroi de la population mauricienne en l’attente de réponses sont une conséquence supplémentaire du croisement des deux crises qui secouent l’île.
Julien Sartre