Les travailleurs en lutte ont réussi à forcer le mur du silence pour imposer dans le débat les oubliés de la croissance, les soutiers de l’économie... L’injustice criante de cette société a été mise à nu, avec d’un côté les 100 milliards de profits des sociétés du CAC 40, les fortunes colossales, les parachutes dorés, les salaires équivalant à 300 fois le Smic, et, de l’autre, les bas salaires, le chômage, la précarité, la pauvreté, voire la misère. La légitimité de ces luttes a été, de fait, reconnue, y compris par la droite au pouvoir, et leurs exigences demeurent aujourd’hui. De nouvelles équipes militantes ont fait leurs premières armes avec des jeunes au premier rang. En profondeur, au cœur du monde du travail, les choses bougent, bousculent les routines syndicales, cherchent des réponses politiques... Faisons un retour sur ces nombreuses luttes de 2007 dont les médias ont si peu parlé.
Le défi des Don Quichotte
Ce sont les sans-logis qui sont les premiers à se faire entendre lors des fêtes de fin d’année. À l’initiative des Enfants de Don Quichotte, un camp de tentes est organisé le long du canal Saint-Martin à Paris. Ces abris de fortune contre le froid se transforment en acte d’accusation. Rien que dans la capitale, des milliers de personnes, dont plus d’un tiers sont salariées, sont contraintes de vivre dans la rue. Les pouvoirs publics restent indifférents et le mouvement s’étend à la province. Il durera jusqu’au 6 avril. Le 31 décembre, Chirac est obligé d’annoncer des mesures pour loger dans l’urgence les sans-abri et la mise en place d’un « droit au logement opposable ». C’est une victoire morale et politique.
Le lendemain, à l’initiative du DAL, un immeuble vide du quartier de la Bourse, à Paris, est occupé par plusieurs familles et associations de mal-logés. Inoccupé depuis trois ans, ce bâtiment de plus de 1 000 mètres carrés, propriété du groupe bancaire CICL, devient le siège du « ministère de la Crise du logement ».
Sarkozy promet, s’il est élu, que plus personne « d’ici deux ans, ne sera obligé de dormir dehors ». La lutte des sans-abri a agi comme un révélateur de l’aggravation de la crise permanente du logement et de la passivité de l’État face à la spéculation immobilière.
Les sans-papiers, respect et solidarité
La solidarité qui s’organise depuis juin dernier contre les rafles d’enfants de sans-papiers scolarisés a déstabilisé le discours convenu de la droite. Le véritable scandale de l’immigration a été mis en procès : comment peut-on accepter que des travailleurs puissent être privés de droits, livrés sans défense à l’exploitation de patrons-voyous et vivre, avec des salaires de misère, sous la menace de l’expulsion ?
Le 20 mars, la rafle policière, devant l’école maternelle Rampal, dans le 19e arrondissement de Paris, l’arrestation d’un grand-père chinois venu attendre son petit-fils devant l’école, l’interpellation et la mise en garde à vue de la directrice de la maternelle pour « outrage et dégradation de bien public en réunion », le mouvement de protestation qui a suivi, ont mis la politique sécuritaire de Sarkozy en accusation.
La mobilisation permanente des collectifs de sans-papiers, des comités RESF et de nombreuses associations, la manifestation du 31 mars à laquelle ils ont appelé, ont su opposer la solidarité aux discours d’exclusion et de haine.
La fonction publique en grève et dans la rue
À la Poste, en défense des services publics, des mouvements ont lieu dans de nombreux bureaux et dans les centres de tri aussi. Le 1er février, la CGT des services postaux appelle les centres de tri et la distribution à la grève.
Puis, le 8 février, la CGT, FO, la FSU, l’UNSA et Solidaires appellent l’ensemble des personnels de la fonction publique à une journée de grève et de manifestations pour protester contre la baisse des revenus comme des effectifs et affirmer la nécessité du maintien d’un service public de qualité. Cinq syndicats de l’Éducation nationale appellent également à la grève après le succès de la manifestation du 20 janvier initiée par la FSU. Les enseignants reprennent l’initiative le 20 mars contre la suppression annoncée de 5 000 postes à la rentrée prochaine.
Le 12 avril, SUD-Rail, FO, la CFTC et l’Unsa appellent les cheminots à une journée de mobilisation le jour de la réunion du conseil d’administration de la SNCF annonçant un bénéfice de 330 millions d’euros ainsi qu’un projet de transformation du système des retraites.
En avril, ce sont les employés de l’ANPE qui se mettent en grève contre le décret permettant la création de filiales commerciales, ceux de la Sécurité sociale contre les fermetures de centres et pour les salaires. Les grévistes du Port autonome de Marseille bloquent le port pour dénoncer une privatisation déguisée. Ils auront gain de cause.
Alcatel, Airbus, la loi des actionnaires
Alcatel-Lucent annonce, le 9 février, 12 500 suppressions d’emplois dans le monde sur un effectif de 79 000 salariés. 15 % des effectifs sont rayés de la carte alors que le groupe a fait plus d’un demi-milliard d’euros de bénéfice. Le 22 février, près de 1 500 travailleurs d’Alcatel-Lucent de la région parisienne se rassemblent à Vélizy. Le 15 mars, ils sont plus de 4 000 à manifester à Paris, venus des différentes usines du pays avec des délégations d’Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique, d’Angleterre, d’Italie et d’Espagne.
Au même moment, le plan de restructuration Power 8 d’Airbus est annoncé. Le 2 février, 25 000 personnes manifestent à travers l’Allemagne, à l’appel du syndicat IG Metall. À Hambourg, l’usine la plus importante, la grève a été quasi-totale. Le 3 avril, la veille du comité européen, la grève de 4 heures appelée par FO, la CGT et la CFDT a rassemblé près de 4 000 travailleurs. Enfin, mardi 6 février, dans tous les sites d’Airbus France, les travailleurs ont massivement débrayé une heure à l’appel de tous les syndicats. Ce sont là les premières étapes d’une lutte qui continue...
Contre les délocalisations et les licenciements
Le 24 janvier, les travailleurs de Dim, d’Eminence, d’Aubade, de Well, de Passionata et d’Arena se retrouvent devant l’Assemblée nationale pour protester contre les licenciements dont ils sont menacés pour cause de délocalisation.
Au même moment, la majorité des 204 salariés de l’entreprise Energy Plast d’Hénin-Beaumont (Pas-deCalais) se mobilise contre leurs licenciements par des débrayages, des discussions avec la population sur les marchés, des rassemblements. Toujours à Hénin-Beaumont, les 233 travailleurs Sublistatic, usine de papier transfert pour les tissus d’ameublement et la mode, leader mondial dans sa branche, occupent l’usine et menacent de déverser 150 tonnes d’acétone et d’autres produits polluants. Leur usine est en liquidation judiciaire depuis le 15 janvier et ils sont menacés de licenciements sans autre indemnité que le strict minimum légal : 8 500 euros seulement pour une ancienneté de 15 ans. Et il y a bien d’autres entreprises qui licencient dans la région : Stora, Delphi, Quebecor, Cadence Innovation, pour ne citer que celles dont le personnel a manifesté récemment.
Le 1er février, les militants de la CGT de Renault Cléon organisent un rassemblement de tous les salariés de l’automobile, des équipementiers et des sous-traitants de la région Normandie, aux portes de l’usine. En effet, il ne se passe pas une semaine sans annonce de fermetures d’entreprises, de licenciements, de suppressions d’emplois dans ce secteur.
Il y a aussi la lutte des travailleurs de l’imprimerie JDC à Torcy, dans la région parisienne qui, avec ceux de Gate Gourmet près de Roissy et de Nestlé à Noisiel, voulaient interpeller Sarkozy à l’occasion de sa venue à Meaux, la ville de Jean-François Coppé. Les cars des manifestants n’ont jamais pu atteindre Meaux, quadrillée de gendarmes et policiers.
Et un, et deux, et 300 euros !
La grève de Citroën Aulnay pour 300 euros d’augmentation pour tous a été le point fort de la mobilisation pour les salaires. Elle a commencé le 28 février, suite à la victoire des 300 ouvriers du sous-traitant Magneto qui ont obtenu, en quatre jours de grève, 100 euros net cinq jours de congés supplémentaires, l’embauche de dix intérimaires, le paiement des jours de grève. Malgré la solidarité rencontrée, les grévistes d’Aulnay ne réussiront pas à étendre leur mouvement ni à faire plier leur direction. Mais, en osant défier PSA, ils auront largement contribué à populariser l’exigence des 300 euros pour tous.
Le 15 mars, les métallurgistes de la CGT, dans le Nord, manifestent pour demander 300 euros net et pas de salaires inférieurs à 1 600 euros. D’autres mouvements pour les salaires ont lieu : à Filartois, à Général Motor, aux Cars d’Orsay, chez Thalès, chez Sanofi-Aventis à Vitry, à IDF...
Le 21 mars, les 200 ouvriers de Trans Service International (TSI), qui nettoient les voitures voyageurs et les trains couchettes au départ de la gare d’Austerlitz se mettent en grève. Après 29 jours de grève, ils auront satisfaction.
En avril, les salariés de Clear Channel, dans l’Essonne, qui devaient installer les affiches officielles pour la présidentielle se mettent en grève pour 200 euros pour tous. Ils obtiendront une prime de 250 euros et une augmentation de salaire d’environ 50 euros par mois, plus 25 euros pour les salariés à temps plein qui touchent les plus bas salaires. Ils ont aidé à ce que les exigences du monde du travail s’affichent largement dans la campagne...
Entre les deux tours et après, on continue...
Entre les deux tours, l’affaire Airbus rebondit avec le scandale de la prime de 2 euros accordée aux salariés. Ce sont les jeunes qui lancent le mouvement et obligent les syndicats à appeler à des débrayages. À la FNAC, les syndicats appellent les 13 000 salariés des 73 magasins à la grève contre 300 licenciements annoncés et pour les salaires. C’est aussi le mouvement de la tréfilerie Sodetal, dans la Meuse, pour protester contre la suppression de 22 jours de RTT, de Monoprix pour les salaires.
Alors que les directions syndicales n’ont rien fait pour encourager la convergence de la contestation sociale, la combativité n’a pas désarmé. François Chérèque a tenu, par avance, à se prononcer contre l’idée d’un troisième tour social qui, selon lui, reviendrait à contester la légitimité du scrutin. Au nom de quelle démocratie faut-il arrêter de lutter alors qu’une minorité vit dans l’opulence pendant que la majorité vit dans l’angoisse de l’avenir ? L’indépendance politique de bien des travailleurs leur a permis de s’inviter dans le débat. Sarkozy est l’élu d’une majorité de la population, mais il sert les intérêts d’une minorité et les travailleurs ont toute légitimité à faire valoir leurs droits.
L’heure est à l’unité, à la convergence des luttes auxquelles la campagne a permis de donner leur dimension politique. Elle a aidé à l’émergence d’une force nouvelle qui en soit le porte-parole, le parti des luttes, et qui se construit, étape par étape, au cœur des mobilisations...