Sur une superficie trois fois plus étendue que la France, l’Iran compte un tiers plus d’habitant.es (85 millions réparti.es inégalement).
Environ la moitié sont perses, un tiers turcophones, 10 % kurdes, 3 % baloutches, etc. La moitié de la population a moins de 30 ans.
Le taux d’urbanisation est de 74 % et le nombre d’enfants par femme est en moyenne inférieur à deux. L’Iran compte plusieurs millions d’étudiant.es, dont plus de la moitié sont des femmes ayant souvent été aux premiers rangs des contestations du régime. Des Iraniennes ont un niveau scientifique très élevé. La première femme à avoir reçu la prestigieuse médaille Fields en mathématiques est l’iranienne Maryam Mirzakhani, en 2014.
Des cinéastes produisent des films de très haute qualité en respectant les règles strictes de la censure. D’autres en revanche sont emprisonnés ou contraints à l’exil pour pouvoir s’exprimer plus librement.
Rappelons enfin que l’Iran est une puissance pétrolière et gazière de premier plan.
Un des ressorts principaux des mobilisations actuelles réside dans la contradiction entre :
– d’une part cette population éduquée, créative et cultivée,
– et d’autre part une théocratie répressive reposant sur des valeurs religieuses fondamentalistes, notamment en ce qui concerne le statut des femmes.
Une centaine d’années de dictatures
Entre 1925 et 1979, le pouvoir a été exercé par la dynastie royale Pahlavi, étroitement liée à l’Empire britannique puis aux États-Unis. Le dernier monarque a fait exécuter environ 500 prisonniers politiques. Des dizaines de milliers d’autres ont été massacré.es par l’armée pendant les répressions des sou- lèvements des peuples kurde et azéri.
La population était terrorisée par police politique (Savak) mise en place avec l’aide active de la CIA.
Contrairement à ce que veulent faire croire les royalistes aujourd’hui, « nombre des lois misogynes actuellement en vigueur en Iran faisaient également partie du système juridique du Chah ». Celui-ci tenait des propos insultants contre les femmes et était un prédateur sexuel accompli (1).
De gigantesques mobilisations étudiantes, puis une grève générale de quatre mois impliquant notamment
4 millions de salarié.es ont débouché sur l’insurrection antimonarchiste de février 1979. Des comités de grève ont surgi partout, ainsi que des comités contrôlant la plupart des quartiers urbains.
Mais le clergé chiite étant la seule force d’opposition disposant de structures d’envergure, il les a uti- lisées pour s’emparer de la totalité du pouvoir avec à sa tête l’Ayatollah Khomeini, et éliminer toute opposition, notamment celles se réclamant du mouvement ouvrier.
Le régime islamiste a emprisonné, torturé, exécuté ou contraint à l’exil les principaux/pales.e militant.es de la révolution de 1979. Entre 1979 et 1989, plus de 40 000 prisonnier.es politiques ont été exécuté.es. Une telle violence s’explique par la volonté d’éradiquer toute trace des mobilisations populaires lors de la révolution.
Un grand nombre de militant.es sont par ailleurs mort.es entre 1980 et 1988 lors de la guerre déclen- chée par l’Irak de Sadam Hussein, soutenue à l’époque par les Etats-Unis. Cette guerre se serait traduite
du côté iranien par environ un million de morts.
Depuis le « printemps arabe » de 2011, l’Iran s’est impliqué dans les conflits en Irak, au Yémen, au Liban, et en Palestine, se rapprochant parfois des positions russes, et s’opposant clairement aux coalitions occidentales. En Syrie, l’Iran s’est engagée économiquement et militairement aux côtés de la dictature de Bachar-el Assad.
Un régime théocratique ayant tous les traits d’une dictature
Il cumule en effet concentration des pouvoirs dans les mains du clergé, absence de libertés civiques, répression systématique et brutale de l’opposition. Depuis le 16 septembre 2022, aucune personne de bonne foi ne peut prétendre ignorer que ce régime a systématisé
– l’oppression des femmes,
– les discriminations envers les minorités culturelles ou religieuses (recoupant celles liées aux appartenances ethniques),
– la condamnation à mort des homosexuel.les, le refus des droits humains, l’absence de libertés politiques, syndicales et associatives, la censure, la répression des libertés artistiques et intellectuelles, une politique d’occupation militaire des régions peuplées par les minorités nationales.
Plusieurs factions du régime se sont périodiquement affrontées, et le pays a connu des périodes plus ou moins « libérales ». Mais aujourd’hui, l’immense majorité de la population rejette en bloc le régime et ses différents clans.
Une classe ouvrière surexploitée
Le régime islamiste n’a autorisé pour représenter les travailleurs/ euses que des associations islamiques contrôlées localement par les mosquées ou des groupes paramilitaires. Loin d’être le porte-parole des déshérité.es, le pouvoir du clergé chiite a activement participé à un accroissement des inégalités sociales.
Aucune législation sociale ne s’applique dans les entreprises de moins de 20 personnes, qui emploient plus de 80 % de la force de traail, dont une majorité de femmes. Les patrons y sont exemptés de toute obligation de fournir une couverture sociale ou de justifier un licenciement. Des dizaines de milliers d’ouvrier.es attendent le paie- ment de leurs salaires pendant des mois. Une amélioration de certaines conditions sociales a néanmoins eu lieu (accès à l’éducation et aux soins de santé pour tous et toutes).
Pour protester contre le programme nucléaire iranien, un blocus économique a été mis en place par les pays occidentaux en 2006. L’un de ses principaux résultats a été l’aggravation de la misère de la grande majorité de la population, et l’enrichissement de personnes liées au pouvoir qui organisent le contournement partiel du blocus. Elles exploitent pour cela des personnes vivant dans une grande précarité économique. Les kolbars des régions kurdes de l’ouest et les soukhtbars du Sistan-et-Balou- chistan transportent ainsi au péril de leur vie, souvent sur leur dos, les marchandises de contrebande ap- provisionnant notamment les étals des bazars des grandes villes.
Alors que les responsables du régime et leur entourage vivent dans l’opulence, la majorité de la po- pulation est of ciellement sous le seuil de pauvreté. Jamais le fossé qui sépare les plus riches des plus pauvres n’a été si grand.
Des dizaines d’années de résistance
Dès le 8 mars 1979, des dizaines de milliers de manifestantes (ainsi que des hommes) ont manifesté contre le pouvoir islamiste, et en particulier l’obligation de porter le voile. Depuis cette époque, cette résistance des femmes n’a pas cessé.
Il en a été de même des salarié.es qui ont organisé des grèves et des syndicats semi-clandestins. Quant aux minorités nationales, et en particulier les Kurdes, elles n’ont pas cessé de lutter contre leur oppression.
En décembre 2017, puis en novembre 2019, des explosions sociales d’envergure se sont produites. Contrairement à celles de 2009, ces mobilisations ne s’inscrivaient pas dans la rivalité entre des deux principales factions du régime. La croyance en la possibilité du changement par le haut était désormais révolue, et les couches pauvres et déshéritées des périphéries des grandes villes jouaient un rôle moteur dans ces manifestations.
Le soulèvement actuel s’appuie sur cette accumulation d’expériences. Dès le lendemain de la mort de Ji- na-Masha Amini, les régions kurdes se sont embrasées, puis la plupart des universités. Cinq mois plus tard, les manifestations continuent, même si elles rassemblent moins de monde suite à la condamnation à mort de manifestant.es et l’intervention directe de l’armée dans le Kurdistan.
Malheureusement, les grèves de salarié.es restent pour l’instant d’ampleur limitée. Mais il en avait été de même en 1978-1979 : elles n’avaient pris leur essor qu’à partir de septembre 1978, soit 14 mois après le début des mobilisations estudiantines.
Soutien au soulèvement - « Femme, Vie, Liberté » - Non aux exécutions capitales !
Sont reproduits ci-dessous les deux derniers paragraphes d’une tribune publiée par Médiapart signée notamment par des représentant.es de Solidaires et du Réseau syndical international de solidarité et de luttes (1). Ils sont précédés d’un très rapide résumé du début de ce texte.
Depuis le 16 septembre, un soulèvement populaire fait trembler la République Islamique. En moins de 48 h, le mot d’ordre « Femme, Vie, Liberté » s’est propagé dans tout le pays. Rapidement d’autres slogans ont euri : « Mort au dictateur », « Mort à l’oppresseur, que ce soit le Chah ou le Guide suprême », « Pain, Travail, Liberté », « Pauvreté, corruption, vie chère, nous irons jusqu’au renversement ».
Ce mouvement de contestation radical rassemble des femmes, des jeunes, les minorités nationales, des travailleuses et travailleurs avec ou sans emploi, dans un rejet total de ce régime théocratique, miso-
gyne et totalement corrompu.
Au 20 janvier, la répression avait fait plus de 500 mort·es dont 69 mineur.es, des milliers de blessé.es, plus de 19 000 prisonnier.es et disparu.es, des enlèvements. Des prisonnier.es sont torturé.es, violé.es, battu.es à mort. Des personnes sont condamnées à la peine capitale pour avoir manifesté, et les premières exécutions ont eu lieu. Au Kurdistan iranien et au Sistan-Baloutchistan, le régime mène une guerre sanglante contre la population révoltée.
Les peuples d’Iran doivent être maîtres de leur destin
Dans ce contexte et face au spectre d’une révolution politique et sociale en Iran, les dirigeants des grandes puissances œuvrent, plus ou moins discrètement, à la constitution d’un Conseil de transition rassemblant tous les courants de l’opposition de la droite iranienne, dont les monarchistes.
Ces courants, libéraux sur le plan économique et autoritaires sur le plan politique, sont à l’opposé des dynamiques des mobilisations et des aspirations sociales et démocratiques qui s’expriment en Iran.
Du coup d’État de 1953 organisé par la CIA et les services secrets britanniques contre le gouvernement Mossadegh et sa politique de nationalisation du pétrole, en passant par la conférence de Guadeloupe en 1979 où les chefs d’Etat de France, d’Allemagne, de Grande Bretagne et des États-Unis ont accéléré le départ en exil du Chah et l’avènement de Khomeiny, les grandes puissances ont toujours agi, sans surprise, en faveur de leurs propres intérêts contre ceux des peuples d’Iran.
A l’opposé des solutions imposées de l’extérieur, nous défendons une véritable campagne de solidarité internationale avec toutes celles et ceux qui se mobilisent en Iran pour en finir avec la République Islamique.
Être à la hauteur de la détermination et du courage du peuple iranien
L’issue du soulèvement en cours sera déterminante pour les peuples de la région et du monde. Il est donc de notre responsabilité, à la mesure de nos moyens, d’aider le soulèvement « Femme, Vie, Liberté » à réaliser ses aspirations émancipatrices. En effet, la machine à répression qu’est la République Islamique ne sera pas brisée sans une puissante campagne internationale et sans une mobilisation forte des opinions mondiales.
– Nous exigeons l’arrêt immédiat des condamnations à mort, des exécutions et l’abolition de la peine capitale.
– Nous exigeons la libération immédiate de l’ensemble des prisonnier.es politiques et syndicaux, des enseignant.es, des étudiant.es, des médecins, des artistes, des activistes et manifestant.es incarcéré.es, etc.
– Nous demandons la mise en place d’un comité international composé de juristes, de syndicalistes, de journalistes et d’ONG pour mener une enquête indépendante sur les lieux de détentions en Iran.
– Nous soutenons le combat des femmes pour le droit à disposer de leur corps. Nous exigeons avec elles l’abolition de toutes les lois misogynes ainsi que l’apartheid de genre.
– Nous soutenons les droits fondamentaux et démocratiques des Iraniennes et Iraniens, qu’ils/elles soient Kurdes, Baloutches, Arabes, Azéris, Lors, ou Perses.
– Nous soutenons les travailleurs et travailleuses d’Iran dans leur lutte pour la dignité, leurs droits à se défendre par la grève ainsi que par la construction de syndicats et d’organisations politiques.
– Nous exigeons avec force des pays européens le gel des avoirs des plus hauts dirigeants des Gardiens de la Révolution et de la République Islamique, y compris ceux du Guide Ali Khameneï et de son entourage dont le montant total est évalué à 95 milliards de dollars. Ces fortunes acquises par le pillage des ressources, la surexploitation des salarié.es, la prédation et la corruption doivent revenir aux peuples d’Iran.
– A l’instar de ce qui a été fait contre les oligarques russes, nous exigeons le gel des avoirs des oligarques iranienn.es.
– Nous réclamons la levée du secret bancaire et commercial en France, en Europe et dans le monde pour bloquer les richesses accumulées par les dirigeants de la République Islamique, des Gardiens de la révolution et des entreprises qui leurs sont liées.
– Nous exigeons l’arrêt de toute collaboration industrielle, économique et diplomatique avec la République Islamique. (...)
Bibliographie
Solidaires : Revue internationale (2012) https://solidaires.org/media/documents/dossier_iran.pdf
SSTI : Cent ans de dictature (1998) http://www.iran-echo.com/echo_pdf/rapport_cent_ans.pdf http://www.iran-echo.com/
ROJA :
https://www.facebook.com/events/1031564361135183 https://www.instagram.com/p/Cnjm-Elt_At/ https://twitter.com/roja_paris
ESSF : https://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique407 https://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique253
Notes :
1. Yassamine Mather : « A propos de la mythologie ayant trait à la “période moderne” du Chah. Sur la question de l’unité avec la droite. Et la lutte continue »
https://alencontre.org/moyenorient/iran/iran-debat-a-propos-de-la-mythologie-ayant-trait-a-la-periode-moderne-du-shah-sur-la-question-de-lunite-avec-la-droite-et-la-lutte-continue.html
2.https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/internationales/tribune-unitaire-iran-soutien-au-soulevement-femme-vie-liberte-non-aux-executions-capitales/
Une liste actualisée des signataires est disponible sur https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article65379