Les fonds marins abritent une part importante de la biodiversité de la Terre, et la plupart de leurs espèces restent encore à découvrir. La richesse et la diversité des organismes dans les eaux profondes soutiennent des processus écosystémiques nécessaires au fonctionnement des systèmes naturels de notre planète. Les fonds océaniques constituent également plus de 90 % de la biosphère, et jouent un rôle essentiel pour la régulation du climat, la production halieutique et les cycles élémentaires. Ils font partie de la culture et du bien-être des communautés locales, et le plancher océanique intègre l’héritage commun de l’humanité. Cependant, les écosystèmes des profondeurs sont actuellement soumis à des pressions en raison de facteurs de stress anthropiques tels que le changement climatique, le chalutage de fond et la pollution. L’exploitation minière en eaux profondes viendrait s’ajouter à ces facteurs de stress, entraînant ainsi des pertes au niveau de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes qui seraient irréversibles à l’échelle de plusieurs générations. Parmi les préoccupations spécifiques concernant les impacts de l’extraction minière en eaux profondes, on peut citer :
• la perte directe d’espèces et de populations uniques et écologiquement importantes suite à la dégradation, la destruction ou l’élimination de l’habitat du plancher océanique ; pour beaucoup, avant même d’avoir été découvertes et comprises ;
• la production de panaches sédimentaires vastes et persistants qui affecteraient le plancher océanique et les espèces et écosystèmes pélagiques bien au-delà des sites d’exploitation eux-mêmes ;
• l’interruption d’importants processus écologiques faisant le lien entre les écosystèmes pélagiques et benthiques ;
• la remise en suspension et le rejet dans la colonne d’eau de sédiments, de métaux et de toxines préjudiciables pour la vie marine, qui proviennent à la fois de l’exploitation du plancher océanique et du déversement par les bateaux des eaux usées générées par l’extraction minière ; cela inclut des risques de pollution pour des espèces de poissons comestibles importantes d’un point de vue commercial comme le thon ;
• la pollution sonore causée par l’activité des machines industrielles sur le plancher océanique et le transport des boues de minerais dans des tuyaux à la surface de la mer, qui pourrait engendrer un stress physiologique et comportemental pour des mammifères marins et d’autres espèces marines ;
• des impacts incertains sur les dynamiques de séquestration du carbone et le stockage de carbone des fonds marins.
On manque d’informations scientifiques rigoureuses sur la biologie, l’écologie et la connectivité des espèces et des écosystèmes d’eau profonde, ainsi que sur les services écosystémiques fournis par ceux-ci. En l’absence de ces informations, les risques potentiels de l’exploitation minière en eaux profondes pour la biodiversité, les écosystèmes et le fonctionnement des fonds marins, comme pour le bien-être humain, ne peuvent être pleinement saisis. Dans le même temps, un nombre croissant de rapports scientifiques (IPBES, GIEC, etc.) indiquent que la biodiversité de la Terre est de plus en plus menacée d’extinction.
Pour les raisons décrites ci-dessus, nous recommandons fortement que la transition vers l’exploitation des ressources minérales soit suspendue jusqu’à ce que des informations scientifiques suffisantes et solides aient été obtenues. Cela permettra de prendre des décisions éclairées sur l’autorisation de l’exploitation minière en eaux profondes sans dommages significatifs sur l’environnement marin, et le cas échéant, sur les conditions de cette exploitation. La Décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) des Nations Unies représente une période propice pour recueillir davantage d’informations sur les espèces et les écosystèmes susceptibles d’être affectés par l’extraction minière en eaux profondes. En tant que scientifiques, nous attachons une grande importance à la prise de décisions fondée sur des preuves, notamment dans des cas aussi lourds de conséquences que la décision mondiale d’ouvrir une frontière entièrement nouvelle en livrant l’océan à une exploitation industrielle des ressources à grande échelle. L’importance même des mers pour notre planète et nos populations, et le risque d’une perte permanente à grande échelle de biodiversité, d’écosystèmes et de fonctions écosystémiques exigent une suspension de tous les efforts visant à lancer l’exploitation minière des fonds marins, conformément au principe de précaution ; et une accélération de la recherche afin que nous puissions mieux comprendre les enjeux de cette activité.
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Liste des signatures :
https://seabedminingsciencestatement.org
Elle est aussi disponible sur ESSF dans la version anglaise de ce texte.