De Jérusalem,
La stratégie néoconservatrice, qui vise à imposer le leadership américain aux quatre coins de la planète, a pour première étape d’imposer, par toutes sortes de pressions économiques, diplomatiques et militaires, des gouvernements à la botte de Washington. Dans de nombreux cas, elle a échoué, et on est alors passé à la seconde étape, celle de la déstabilisation brutale, voire de la destruction des États concernés. C’est ce que vivent aujourd’hui l’Afghanistan et l’Irak.
La Palestine est, dans ce cadre, un laboratoire, le rapport de force y étant extrêmement favorable à l’application de cette stratégie. Celle-ci est élaborée, dès la fin des années 1980, par des groupes de réflexion (think tank), au sein desquels néoconservateurs des Etats-Unis et d’Israël travaillent dans une symbiose totale, autour de Benyamin Netanyahou et de ses conseillers. Il s’agit de reconquérir les maigres acquis du mouvement national palestinien, en termes de reconnaissance et d’autonomie politique.
Le processus de décolonisation peut alors apparaître à son apogée. En réalité, le monde est en train de basculer, de l’ère de la décolonisation à celle de la recolonisation. Le processus d’Oslo est le dernier soubresaut de la décolonisation, mais ses faiblesses initiales et son échec rapide témoignent du passage à une réalité nouvelle, celle de la reconquête.
Après l’assassinat de Yitzhak Rabin, le gouvernement Netanyahou (1996-1998) se lance dans une grande campagne de délégitimation du mouvement national palestinien et de Yasser Arafat (la campagne sur le « terrorisme »). Celui d’Ehoud Barak enterre ensuite le processus négocié et enclenche la reconquête militaire (1999-2000), qu’achève Ariel Sharon (2000-2004). C’est après avoir écrasé le mouvement national palestinien et ses institutions, qu’Américains et Israéliens tentent d’imposer une direction nationale à leur botte, sous la direction de Mahmoud Abbas. Mais les liens de celui-ci avec le mouvement national, dont il a été l’un des fondateurs, sont trop forts pour que son aptitude aux compromis, voire à la compromission, aille jusqu’à la collaboration. D’autant que le peuple a clairement exprimé son opinion, plébiscitant le Hamas, perçu comme la seule alternative crédible au Fatah, dirigé par des incapables et des corrompus notoires. Abbas tergiverse et se refuse à provoquer une guerre civile.
Washington décide alors de jouer la carte du coup d’État, par le biais de l’ancien chef des forces de sécurité à Gaza, leur agent direct, Mohammed Dahlan. Le coup d’État se solde par un lamentable fiasco : en quelques heures les milices du Hamas, soutenues par la population de Gaza, réduisent à néant le plan des Américains, leurs agents sont obligés de fuir Gaza, dont le siège est alors encore renforcé par l’armée israélienne.
L’échec de Dahlan pousse Washington à accentuer la pression sur Mahmoud Abbas, qui accepte de collaborer aux représailles contre la population de la Bande de Gaza et contre le Hamas en Cisjordanie. En formant un gouvernement d’urgence, contre le gouvernement d’union nationale qui avait démocratiquement été élu par le Parlement, en acceptant des armes et de l’argent de Washington, en jouant la carte d’une libération sélective de détenus politiques (ses fidèles au sein du Fatah) et, surtout, en participant au projet de séparation entre le « Hamastan » à Gaza et le prétendu « Fatahstan » en Cisjordanie, le président palestinien risque de perdre le peu de légitimité qu’il conservait encore, voire sa vie. Le Hamas n’est pas moins présent en Cisjordanie qu’à Gaza, et la population palestinienne conserve un esprit patriotique fort : elle n’aime pas les collabos !
Si, à Gaza, le conflit entre pro-Américains et islamistes est resté limité et a causé relativement peu de victimes, une confrontation en Cisjordanie risque, elle, d’être beaucoup plus sanglante, voire de dégénérer en guerre civile. C’est ce que veulent les néo-conservateurs de Washington et Tel-Aviv. Et l’armée d’occupation israélienne en Cisjordanie n’hésitera pas à jeter beaucoup d’huile sur le feu. Et même à allumer des foyers si nécessaire...