Nous vivons une réalité infernale, mue par une soif de vengeance qui se manifeste par des crimes de guerre. L’objectif d’Israël n’est pas de frapper des cibles militaires ou des infrastructures terroristes. Il s’agit de viser plus de deux millions de personnes – y compris les enfants, les personnes âgées. L’ampleur de la catastrophe qui nous attend est difficile à imaginer.
Ces derniers jours, en Israël, des voix de personnes par ailleurs raisonnables – des personnes associées aux valeurs humanistes et aux droits de l’homme – ont exprimé cette soif de vengeance. Elles ont justifié l’effacement de Gaza sous un prétexte sécuritaire ou même humanitaire. J’en ai entendu d’autres qui ont adopté la rhétorique des extrémistes de droite qui insistent sur le fait que chaque habitant de Gaza est un antisémite sanguinaire qui soutient l’atrocité commise par le Hamas au cours du week-end [1].
Mais c’est précisément notre humanité qui est mise à l’épreuve. Chaque image et chaque témoignage de l’enfer du sud d’Israël, chaque appel désespéré et déchirant de ceux qui cherchent encore leurs proches, chaque mise à jour du bilan des morts qui ne cesse de s’alourdir – tout cela menace de nous faire perdre nos valeurs et de nous livrer à l’appel de la vengeance.
L’attaque criminelle du Hamas a plongé de nombreux Israéliens dans une peur existentielle que nous ne connaissions pas auparavant – du moins pas dans cette génération. Aujourd’hui, la peur, la rage, la haine et la douleur menacent de faire des ravages non seulement à Gaza, mais aussi sur nous, en tant qu’individus et en tant que société.
L’éthique n’est jamais un privilège, un luxe, un accessoire que l’on peut revêtir quand cela convient ou enlever quand cela convient moins. L’éthique n’est pas une bienveillance que nous ne pouvons pas adopter pendant une catastrophe.
Insister sur l’éthique, c’est insister sur le contexte, sans lequel cette horrible violence perd son sens et se réduit à « des animaux humains qui veulent nous détruire sans raison » [allusion à la déclaration du ministre de la Défense Yoav Gallant]. Insister sur l’éthique et le contexte ne revient pas à justifier un crime. Au contraire, c’est s’assurer que notre compréhension de la réalité inclut tous les facteurs qui y contribuent, afin que nous puissions la changer plus efficacement.
Si les crimes du Hamas justifient une destruction totale par le biais d’une punition collective de la population de Gaza, de quelle éthique pouvons-nous revendiquer pour condamner le Hamas, surtout si l’on tient compte du mal qu’Israël a infligé à cette région au fil des ans ? Si l’élection du Hamas à Gaza, il y a toutes ces années, justifie l’effacement de sa population de la planète, quelle devrait être la punition du public israélien pour avoir élu des dirigeants fascistes et des criminels de guerre, qui imposent régulièrement la destruction et la mort aux Palestiniens ?
Notre engagement envers l’éthique et les principes des droits de l’homme ne peut être conditionné par nos sentiments subjectifs. Il s’agit de tracer les lignes rouges à ne pas franchir, même en temps de guerre. Il n’y a pas de rage qui justifie les crimes de guerre.
Le besoin de se replier sur le « tribalisme » israélien et de s’y accrocher est compréhensible. Mais pas en sacrifiant notre communauté politique. La solidarité judéo-arabe que nous avons réussi à construire dans ce pays a été difficile à mettre en place. Elle est petite et fragile, et elle est confrontée à une terrible épreuve. Nous ne devons pas échouer.
Aucun civil n’est un « dommage collatéral ». Les crimes de guerre sont une abomination qui ne peut jamais être justifiée. On ne peut qu’espérer que le jour où cette poussière toxique sera retombée, le camp qui se définit comme celui des « droits de l’homme » pourra se regarder dans un miroir.
Orly Noy