Gaza est un territoire ayant connu différentes périodes de guerres et d’occupations ces dernières décennies, et qui est à proprement parler assiégé par les forces israéliennes (assistés par les Egyptiens) depuis juin 2007. Les forces armées des assiégés, du Hamas et de ses alliées, ont effectué une sortie (c’est comme cela que ça s’appelle dans un siège) au cours de laquelle elles ont commis des crimes de guerres prémédités et avérés. Les Israéliens ont entamé une opération de représailles dans laquelle ils annoncent explicitement qu’ils vont commettre des crimes de guerre, crimes qui ont commencé à une très large échelle. Ce ne sont évidemment pas les premiers crimes de guerre de la longue guerre israélo-palestino-arabe, mais la première fois que le nombre de victimes israéliennes est aussi important [1].
Il serait étrange de s’opposer à quelque chose sans comprendre de quoi il s’agit,
ou sans la décrire de façon précise. Il serait plus étrange encore de croire
que toute condamnation nécessite un refus de comprendre, de peur que cette
compréhension ne serve qu’à relativiser les choses et diminuer notre capacité de jugement
Judith Butler [2].
Nous assistons ces derniers mois à des opérations guerrières « de haute intensité » , avec leur lot de crimes de guerre, qui ont pour caractéristiques d’avoir été parfaitement prévisibles, c’est le cas à Gaza [3] depuis la mise à mort en 2006 du « processus de paix », c’était le cas en Ukraine (depuis les affrontements de 2014) ou au Haut-Karabakh, (depuis les affrontements de 2016) ; nos gouvernements ne peuvent pas faire semblant d’être surpris…et nous non plus…
La « discussion » en France, notamment par rapport à cet épisode en cours de cette guerre ci, semble porter sur l’utilisation du terme « terroriste ». C’est une notion qui est totalement confuse, qui de manière quasi générale a toujours été utilisée pour discréditer un belligérant, généralement par des occupants pour disqualifier la résistance d’occupé, ou par des dominants pour discréditer des opposants (pas seulement des dictateurs comme Poutine aujourd’hui, pensons aux stupidités de Darmanin contre les « écoterroristes »). Certes il existe, depuis la nuit des temps, des méthodes terroristes, c’est-à-dire des méthodes plus ou moins violentes essentiellement à l’encontre de civils (du meurtre individuel jusqu’au bombardement massif), destinées par le moyen de la terreur, à obtenir des effets psychologiques et politiques chez l’adversaire, indépendamment de tout bénéfice militaire. La notion de « terrorisme » comme catégorie politique est tout à fait problématique, sauf si l’on veut discréditer l’ennemi, l’exclure de tous champs possibles de discussion ou de négociation ; les très orientées et partiales « listes d’organisations terroristes » établies par les Etats-Unis ou l’Union Européenne permettent ainsi d’exclure de facto du droit commun certaines forces, (ce qui est embêtant quand on découvre qu’elles sont d’indispensables interlocuteurs, voire alliées, comme l’Organisation de libération de la Palestine OLP ou le Parti des travailleurs du Kurdistan PKK et sa déclinaison syrienne).
A propos des crimes, avec détour par le statut de Rome
Mais de quoi parle-t-on avec des catégories juridiques ou pseudo juridiques au milieu de la tragédie humaine en cours. De politique, là-bas, et ici aussi…
Donc l’offensive des assiégés n’est pas en elle-même un « acte terroriste », comme les gouvernants israéliens appellent presque toujours toutes les activités de résistance des Palestiniens (y compris des activités culturelles ou juridiques). Le Hamas (branche palestinienne des Frères Musulmans) ou le Djihad Islamique, ont, comme d’autres Palestiniens, effectués des actions meurtrières visant des civils, généralement des attentats suicides. Je me permets, à ce sujet, d’évoquer une souvenir personnel : il y a une petite vingtaine d’année, le « processus de paix » était déjà grièvement blessé (par les gouvernants israélien, par les américains, par la passivité européenne et arabe), mais des initiatives « par en bas » tentaient de le relancer [4]. Lors d’une rencontre israélo-palestinienne en présence de quelques militants européens - dont j’étais – qui se déroulait dans ce cadre, des Palestiniens avaient présenté aux israéliens « leurs excuses pour les victimes civiles » des attentats suicides à l’époque perpétrés par le Hamas, excuses immédiatement refusées par l’amiral israélien Amy Ayalon [5], participant à la réunion, au motif : « vous n’avez pas à vous excuser, la résistance palestinienne utilise les moyens qu’elle a, nous nous avons des missiles et des bombardiers qui ont des effets comparables avec plus de victimes civiles » Ce que nous devons faire, avait-il ajouté, c’est relancer le processus de paix, et précisait-il, « si nous n’y parvenons dans les quelques années qui viennent, alors le rêve qui avait été celui de mon père et le mien, établir un Etat juif et démocratique en Palestine va échouer. Il y aura bien un Etat juif, il sera fasciste ».
Soyons précis en ce qui concerne les actions criminelles. On peut – et c’est absolument mon cas, et surtout celui de la plupart de mes amis palestiniens, être opposé aux orientations politiques, stratégiques, et culturelles conservatrices du Hamas, et à sa lutte armée, sur sa forme et sur le fond. Signalons au passage que la présentation d’une organisation islamiste, le Hamas en l’occurrence, comme intrinsèquement terroriste a aussi pour fonction de l’assimiler aux Djihadistes (genre Daech et Al Qaida) alors que le Hamas est l’expression politique d’un mouvement social enraciné et que ni sa branche militaire, ni d’ailleurs le Djihad islamique, n’ont effectué d’actions armées hors de la Palestine. On peut – et c’est absolument mon cas et celui de la plupart de mes amis israéliens, être opposé aux politiques des divers gouvernements israéliens, et pas seulement à celles mises en œuvre par la droite extrême (Likoud) et ses alliés d’extrême droite racistes. On doit toujours condamner les crimes, et contribuer autant que possible à en empêcher la mise en œuvre.
Or certaines politiques sont criminogènes par nature. On peut penser que la Russie et l’Ukraine ont un destin commun, mais appeler à l’effacement de l’Ukraine comme entité est à l’évidence entrainer des logiques de crimes ; penser que le Haut Karabakh est juridiquement azerbaïdjanais, mais traiter sa population arménienne de cloportes, prépare à l’évidence une purification ethnique, c’est-à-dire un crime identifié comme tel ; considérer que l’Etat d’Israël et les habitants juifs de Palestine ont droit à la sécurité et à la liberté, mais nier ce droit aux habitants arabes vivant dans le même territoire entraine aussi immanquablement cette dérive criminelle.
La notion de crime de guerre a été établie juridiquement par les Conventions de Genève dès 1864, complétée jusqu’en 1949 dans le cadre de l’ONU. Elle est complétée et précisée par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 (un texte et une institution contestés et même combattus par certains Etats, dont les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, Israël, la Russie, etc.). Il s’agit de crimes perpétrés volontairement : toucher un hôpital, ou une école, ou une centrale électrique ou un groupe de civils non armés ou des journalistes, etc. lors d’un acte de guerre est un dégât collatéral, viser délibérément les cibles comme celles que nous venons de citer est un crime de guerre. En matière de crime de guerre il y a prescription, alors que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Cette notion qui date de Nuremberg en 1946, inclue le crime de génocide. Un crime contre l’humanité est un acte volontaire d’attaque généralisée ou systématique contre toute une population. On peut donc légitimement se poser la question d’un crime contre l’humanité quand un agresseur détruit, ou tente de détruire délibérément tous les hôpitaux d’un pays (Arabie Saoudite au Yémen), toutes les infrastructures énergétiques vitales (Israël au Liban, Russie en Ukraine, Etats Unis en Irak), toute une population d’un territoire (annoncé pour le Nord de la bande de Gaza par Israël à l’heure ou ces lignes sont écrites), réduit en esclavage une population (les Talibans contre les femmes afghanes), déporte ou menace de déportation une population (Russie en Ukraine, Israël en Cisjordanie), etc.
La Cour pénale internationale de l’ONU juge les individus, elle dispose – très relativement – de moyens d’agir et peut s’autosaisir en cas de présomption de crime, ce qu’elle a fait – partiellement – en ce qui concerne la Russie et Israël. C’est sans doute pour cela que certaines puissances et Etats plus ou moins voyous, et surtout leurs dirigeants, répugnent à la voir fonctionner, alors qu’ils s’accommodent de la Cour de Justice Internationale de l’ONU qui, elle, juge les Etats, mais doit être saisie par ces Etats et ne dispose d’aucun moyen de faire appliquer ses décisions – si elle les prend – sans engagement du Conseil de Sécurité, c’est-à-dire en pratique jamais dans les cas graves.
Le fonctionnement de la Cour pénale internationale, CPI, depuis ses débuts en 2002, n’a pas été sans susciter de nombreuses critiques, (partialité, bureaucratisme, délais, etc.), mais ce n’est pas cela qui est attaqué, ou mis en cause, par de nombreuses puissances, mais bien son principe même et le contenu de son Statut comme instrument de droit. Dans le cas de la Palestine, non seulement les Israéliens veulent éviter à tout prix d’avoir des citoyens incriminés, mais les Américains (pourtant non partie à la CPI), et aussi les Européens, dont la France ont tout fait pour que la Palestine ne puisse pas être partie en tant que telle, sous prétexte que ce n’était « pas un Etat membre de plein droit de l’ONU », l’Autorité Palestinienne – par ailleurs devenue à peu près inexistante en pratique, mais c’est un autre sujet - ayant fini malgré tout par y accéder en 2015, et il a fallu attendre 2021 pour que la CPI, malgré les pressions américaines et européennes, se déclare compétente pour instruire des affaires concernant la Cisjordanie, Jérusalem Est ou Gaza !
Remarquons au passage qu’elle est donc compétente pour instruire la question des crimes de guerre du Hamas d’octobre 2023… mais que si cela arrivait, sans qu’elle se saisisse aussi des crimes de guerre israéliens, l’effet « deux poids deux mesures » serait catastrophique, discréditant l’idée même de justice internationale, au plus grand plaisir d’ailleurs des autocrates arabes qui comme les gouvernants israéliens, sont fondamentalement hostiles au droit international, des Américains qui y sont favorables tant que cela ne peut pas les concerner, et des Européens qui ont fait de l’hypocrisie en la matière une règle…
Une tragédie en Palestine/Israël : un psychodrame pathétique en France
Nous avons vu que les Européens, n’ont pas du tout joué le rôle positif qu’ils prétendent parfois avoir joué pour favoriser une « paix juste et durable » dans la région. Au contraire malheureusement, ils ont surtout, ces dernières années, contribué à leur manière, à laisser mourir un « processus de paix » mal engagé dès le départ car non établi sur un principe d’égalité en droit des Palestiniens et des Israéliens.
Les Européens sont depuis longtemps des paillassons sur lequel les dirigeants du Moyen Orient peuvent s’essuyer les pieds : ils assurent l’essentiel du financement des infrastructures vitales à Gaza et en Cisjordanie – celles qui selon le droit international devraient être à la charge de l’Etat occupant -, que les Israéliens s’ingénient à détruire régulièrement, portent à bout de bras une « Autorité palestinienne » qui n’a plus d’autorité que le nom, et est rejetée par la grande majorité des Palestiniens et est rejeté par la grande majorité des palestiniens pour sa corruption et sa coopération sécuritaire avec Israël, au nom de la préservation d’un « processus de paix » mort depuis au moins quinze ans, et en multipliant les complaisances envers les dirigeants réactionnaires locaux pétromonarques, castes militaires et extrémistes israéliens corrompus ou fanatiques… Les dirigeants français, jadis plus attentifs que d’autres au sort des Palestiniens, sont maintenant, au fil des présidences de Sarkozy, Hollande et Macron, plutôt à la pointe de cette régression …Régression dont la dernière manifestation est la volonté explicite de certains gouvernements et de certaines autorités de supprimer les aides européennes aux populations palestiniennes, c’est-à-dire littéralement de leur « couper les vivres ».
Les massacres perpétrés par les troupes du Hamas ont servi de prétexte à une opération de politique intérieure française dont les effets vont être à coup sûr catastrophiques (même si évidemment loin de la tragédie en Palestine). Des autorités politiques, universitaires, médiatiques, reprennent la logique sinistre de l’ancien clown Premier ministre Manuel Valls « expliquer, c’est excuser » pour disqualifier toute expression tentant de contextualiser la violence, d’expliquer l’évolution de la guerre israélo-palestinienne en cours, la nécessité de soutenir le droit à la sécurité égale pour tous comme condition indispensable pour arrêter cette guerre et aller vers la paix, tout cela est immédiatement assimilé à une complaisance envers « le terrorisme ». Cela s’accompagne d’une abjecte campagne politicarde pour diviser et affaiblir les oppositions de gauche en France : la première ministre Elisabeth Borne s’est empressée de parler de « l’antisémitisme camouflé en antisionisme » de la France insoumise (LFI) et sa « sortie de l’arc républicain » s’alignant le sur droitiste-xénophobe Éric Ciotti, et de pourfendre ceux des écologistes ou des socialistes qui ne s’engageaient pas dans la mobilisation supposée antiterroriste, (supposée en solidarité avec les victimes israéliennes) et - en fait pour beaucoup une croisade sous couvert d’anti-islamisme, clairement anti-palestinienne et islamophobe et sous couvert du « droit d’Israël de se défendre » revenant à appuyer le droit des gouvernants israéliens d’attaquer.
La France Insoumise, ces socialistes, ces écologistes ont pourtant toutes et tous condamné les actions anti-civils du Hamas comme crimes de guerre. Qu’importe, il n’est pas question pour nos dirigeants macronistes et leurs alliés de circonstance d’obtenir la condamnation des fauteurs de ces crimes, en mettant en œuvre effectivement la mécanique du droit international – ce dont les grandes puissances – notamment européennes - ont les moyens, car cela supposerait de la mettre en œuvre aussi effectivement sur les crimes israéliens, à commencer par ceux qui sont en cours, et que l’on n’a nullement tenté d’arrêter, justifiant ainsi la loi du talion.
Si les manifestations en France de soutien aux Israéliens (et pour beaucoup de participants donc de soutien au gouvernement israélien) ont été autorisées sans problème, celles pour une paix juste et durable et présentées comme pro-palestiniennes ont été interdites, la France étant le seul pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord à pratiquer, par principe, ce genre d’interdiction. Une affirmation claire qu’il y a bien « deux poids deux mesures », choquant pour une bonne partie de l’opinion publique et catastrophique dans ces fractions populaires (souvent d’ascendance maghrébine mais pas que) qui subissent ou ressentent déjà l’impression d’un « deux poids deux mesures » dans leur vie quotidienne… et qui ne manquera pas chez quelques-uns d’être dominés par le ressentiment et séduits par une « dissidence » sociale, politique et culturelle et, pour quelques individus, de passer à l’acte criminel, alimentant ainsi le cercle vicieux mortifère dans notre pays.
Dans nos milieux militants supposés de la solidarité internationale on s’émotionne, mais aussi on s’invective avec plus ou moins d’acrimonie et d’irrationalité, et l’on semble plus s’intéresser à ce qu’il faut « condamner » qu’à ce que nous devons revendiquer ou exiger de nos Etats, et à ce que nous pouvons faire. En tout cas ce n’est pas de cela dont nous parlons entre nous en ce moment.
On pourrait s’étonner que ce texte, écrit par une personne qui se considère comme un militant de la solidarité internationale, fasse tant de place aux catégories du droit, suggère que la solution serait en quelque sorte juridique et non politique, imagine naïvement que des instances de l’ONU, dont la Cour pénale internationale, puisse intervenir. L’avantage du droit c’est qu’il permet de nommer les choses, de ne pas parler de « valeurs abstraites » mais de pratiques concrètes et d’actions de protagonistes réels. Justice car, au-delà de l’indispensable mobilisation pour obtenir la fin de cette phase actuelle de massacre et de combat (un énième cessez-le-feu), nous savons tous qu’il n’y pas de paix sans justice, sans imposition du respect de tous les droits de tous.
La solidarité concrète, c’est, et ce sera, de porter secours aux victimes. Comme dans tous les conflits en cours, comme aussi en Ukraine (et Russie) ou en Arménie (et Azerbaïdjan), c’est d’être attentif aux appels et aux demandes des femmes et des hommes qui luttent pour les libertés et la paix, de leurs mouvements et organisations, sur place. Par exemple le Centre d’information alternative AIC, l’Association pour les droits civiques en Israël (ACRI) l’organisation B’Tselem, le Comité contre la torture en Israël (PCATI) le centre des droits légaux des Arabes en Israël (Adalah) , ls Centre palestinien des droits de l’homme Al Mezan, Al-Haq et le Centre Palestinien pour les Droits Humains (PCHR), le Centre d’études des droits humains de Ramallah (RCHRS), nos amis du Théâtre de la Liberté de Jenine (mis à sac par l’armée israélienne il y a quelques semaines), etc. etc.
Et de le faire, maintenant.
14 octobre 2023