Un manifestant porte une chemise à l’effigie du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d’une manifestation pour exiger la libération des otages pris par le Hamas, à Tel-Aviv, en janvier.
Les soldats ont également compris qu’aujourd’hui, le gouvernement se bat sur leur dos. Ils sont sa chair à canon. Ils ne sont ni déconnectés ni idiots. Ils voient où va l’argent, ils voient l’extension du service de réserve, l’incompétence à s’occuper des Israélien.nes déplacé.es, l’apathie envers les otages. Ils sont stupéfaits de constater que l’objectif de la guerre change chaque semaine. De « renverser le Hamas » dans le passé à la « victoire totale » aujourd’hui. Qui sait ce qu’est cette « victoire totale » pour laquelle ils sacrifient leur vie ?
Les médias le savent. Les journalistes qui peuvent analyser [ce qui se passe à] chaque seconde dans l’esprit de Sinwar savent ce qui se passe dans celui de Netanyahou. Ils savent que la « victoire totale » signifie préserver le pouvoir de Netanyahou. Ils savent et se taisent. Ils savent qu’il n’y a pas d’autres objectifs, pas de plans. Pas de « jour d’après ». Ni destruction du Hamas ni libération des personnes enlevées. Ils servent tous le même objectif, même les combattants qui tomberont et les otages qui seront libéré.es. C’est le but, et c’est de là que tout découle. C’est ce qu’il faut mentionner à l’occasion de chaque reportage.
Les journalistes savent, mais ils ne rapportent pas ce que le public doit savoir, seulement ce que le public veut savoir. Que ne veut-il pas savoir ? Que ses fils se battent pour Netanyahou. Une enquête menée par Nimrod Nir et Nimrod Zeldin de l’Université hébraïque a révélé que la majorité du public pense que la chaine télévisée Channel 1 [remplacé en 2017 par KAN 11 – E.] est la plus fiable. Elle est également la moins regardée. Conclusion : La fiabilité ne compte pas. Le public préfère qu’on lui mente plutôt qu’on le tourmente avec la douloureuse vérité.
Les commentateurs ne récitent pas la douloureuse vérité devant les caméras comme des otages avec un pistolet sur la tempe. Ils pratiquent le terrorisme psychologique, présentent un faux spectacle de réservistes prêts à servir deux ou trois ans de plus tant que l’objectif est atteint. Ils dissimulent le fait que l’objectif demeure délibérément vague.
Mais le gouvernement n’apprécie pas leur dévouement soumis et traite les commentateurs comme des soldats de réserve. A qui s’adresse-t-il pour parler de 30 otages morts, à Alon Ben David [journaliste spécialiste des affaires militaires sur la chaîne israélienne Canal 13 – E.] ? A qui envoie-t-il le Brig-Gen. Barak Hiram [1] pour expliquer le bombardement d’un centre communautaire avec des otages à l’intérieur, Nir Dvori ? Non. Il se tourne vers le New York Times.
Les médias acceptent l’humiliation la tête baissée. Ils abandonnent la scène aux discours sans valeur des politiciens qui n’ont rien à dire. Au lieu d’informations, ils nous inondent d’histoires d’otages au son d’une harpe funèbre. Elle ne veut pas gâcher la joie de la libération de deux otages [le 11 février – E.] par le nombre effrayant de Gazaouis morts.
Les studios de télévision pensent que nous sommes des abrutis, qu’il est facile de nous abreuver de bêtises, mais pas de mauvaises nouvelles. Les mauvaises nouvelles dont la publication a été « autorisée » ne peuvent pas être cachées par « des réalisations impressionnantes » et des « succès ». Ils ne diront pas la vérité : que désormais la guerre est le caprice d’un dangereux et cynique individu. Cela nuirait à l’image d’une « nation unie » qu’ils entretiennent. Ils ne veulent pas que nous pensions que quiconque sera tué à partir de maintenant ne tombera pas pour défendre le pays, mais pour défendre le gouvernement. Ils n’enquêtent pas, ils cachent. A la place de l’information, il y a une inondation : un flot d’informations sans importance. Cette division a été déplacée d’ici à là et de là à ici.
Ce n’est pas pertinent. Ce n’est pas intéressant. Qu’est-ce qui est intéressant ? Les otages, les Israélien.nes déplacé.es et l’attaque de Rafah.
Comment gagner sans éliminer des milliers de réfugiés ? Comment se débarrasser d’eux ? On les « transporte » [2]. Bien sûr, les brillants esprits qui ne savent même pas comment s’occuper de 100.000 réfugiés israéliens « sauront » comment « transporter » 1,4 million de réfugiés gazaouis ? Comme des moutons, comme des oranges ? A priori, c’est facile. Vous les arrosez de tracts leur disant de se transporter eux-mêmes. Et celui qui reste ? Qu’Allah ait pitié de lui [3].
J’ai une suggestion pour le sondeur Dr. Camil Fuchs : vérifiez si le public soutient ou s’oppose à une opération à Rafah au cours de laquelle, disons, 5 000 personnes âgées, femmes et enfants seront tuées. À mon avis, l’opinion publique y sera favorable, à condition qu’il n’ait pas à le voir.
Yossi Klein