Les résultats officiels des élections législatives
Dans ce pays de 241 millions d’habitants (dont 128 millions sont inscrits sur les listes électorales), 5 121 candidats se sont présentés aux élections - dont 312 femmes - représentant pour la plupart 167 partis politiques (dont 44 « nationaux »).
Résultats pour l’Assemblée nationale
PML-N. La Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (Pakistan Muslim League - Nawaz, PML-N), parti de droite centriste, a bénéficié du soutien de l’establishment militaire, mais n’a pas réussi à séduire l’électorat. Elle n’a obtenu que 75 sièges, ce qui signifie néanmoins que son groupe parlementaire était le plus important par rapport à celui des autres partis reconnus, grâce au fait que le Pakistan Tehreek Insaaf d’Imran Khan n’a pas été autorisé à se présenter sous sa bannière et à participer à la campagne officielle.
Tehreek Insaaf. La Commission électorale du Pakistan a pris de nombreuses mesures pour rendre « invisible » le Pakistan Tehreek Insaaf (Mouvement pakistanais pour la justice, PTI) d’Imran Khan. Le parti n’a pas été autorisé à se présenter sous son nom et ses candidats « de facto » n’ont pas été autorisés à utiliser son symbole électoral : une batte de cricket (Imran Kahn est un ancien champion du monde de cricket !). Dans un pays où 75% de la population est analphabète, l’aspect visuel des symboles électoraux joue un rôle majeur dans l’identification des candidats. Le PTI n’a pas pu participer à la campagne officielle. Quant à Imran Kahn, il était confronté à de nombreux déboires judiciaires et à même fait l’objet de trois nouvelles condamnations pour des motifs politiques dans la semaine précédant les élections générales. Il était en détention, comme de nombreux autres dirigeants du PTI.
Malgré tous ces obstacles, le PTI a pu suciter et soutenir de nombreux candidats « indépendants » qui ont utilisé les réseaux sociaux pour se faire connaître. Ils ont connu un véritable succès. Ainsi, 102 « indépendants » ont été élus, dont la grande majorité (92) est identifiée au Tehreek Insaaf.
Le PPP. Le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Bilawal Bhutto Zardari a remporté 54 sièges.
Les partis politiques religieux ont subi des revers lors de ces élections, seul le Jamiat Ulema-e-Islam ayant réalisé des gains notables (4 élus). Le Tehreek Labeek a obtenu 5 à 7 % des voix dans chaque circonscription (aucun élu), tandis que la campagne indépendante du Jamaat-e-Islami n’a pas produit de résultats significatifs (aucun élu).
Un mot d’explication sur la répartition globale des sièges à l’Assemblée nationale. Seuls 266 des 336 sièges sont élus au suffrage direct. Les 70 sièges restants sont « réservés » aux femmes (60 sièges) ou aux minorités non musulmanes (10 sièges). Seuls les partis reconnus peuvent bénéficier de ces réserves, au prorata de leurs résultats. Les candidats indépendants n’y ont pas droit. Les « indépendants » du PTI ont donc rejoint le Sunni Itehad Council (un parti politique sunnite enregistré) pour bénéficier des sièges réservés.
Corruption et fraude. Les élections ont été entachées d’une corruption généralisée, tous les grands partis politiques ayant dépensé des sommes exorbitantes pour acheter des voix. La vente ouverte de votes pour des sommes allant jusqu’à 5 000 roupies (18 dollars) a encore affaibli le processus démocratique. Les campagnes électorales n’ont pas abordé les questions de fond, le PTI se concentrant sur la condamnation d’Imran Khan, le PML-N se ralliant autour du slogan « Donnez le Pakistan à Nawaz » et le PPP présentant Bilawal Bhutto comme un sauveur national.
Pendant les élections, le ministère de l’intérieur a temporairement bloqué l’accès à Internet au nom du maintien de l’ordre public (des attentats avaient eu lieu les jours précédents), ce qui a empêché de nombreux électeurs des centres urbains de réserver des taxis ou d’organiser leur famille pour aller voter. Les accusations de fraude électorale sont nombreuses. 28 personnes ont été tuées ce jour-là. Pendant le décompte des voix, lorsque l’avance des candidats « indépendants » pro-PTI est devenue évidente, ledit décompte des voix a été longtemps suspendu, ce qui a alimenté les soupçons de fraude massive orchestrée par les militaires.
Nous ne pouvons donc parler que des résultats officiels du scrutin.
Les assemblées provinciales
Le PML-N a conservé sa majorité à l’assemblée du Pendjab. Le PPP a remporté une large victoire dans l’assemblée du Sindh. L’assemblée du Baloutchistan a été divisée entre plusieurs partis nationalistes et fédéraux. Au Khyber Pakhtunkhwa, les candidats « indépendants » soutenus par le PTI ont dominé.
Un double rejet du FMI et de la répression étatique
Le résultat global des élections exprime un rejet des politiques du FMI, qui ont conduit à une hausse des prix sans précédent au Pakistan. Ils représentent également un rejet clair des responsables de leur mise en œuvre, des responsables de l’inflation et des politiques répressives qui l’accompagnent, en particulier le gouvernement conservateur du Mouvement démocratique pakistanais (PDM, une coalition), arrivé au pouvoir en avril 2022.
En août 2023, un cabinet intérimaire a été nommé pour préparer les élections, qui auraient dû se tenir trois mois plus tard, en novembre. Elles ont été inconstitutionnellement retardées jusqu’en février 2024, afin de redessiner les circonscriptions électorales. L’objectif était clairement de favoriser la Ligue musulmane-N.
Plus précisément, le résultat électoral montre une forte opposition à la répression exercée contre le PTI dirigé par Imran Khan. Cette perception de la victimisation d’Imran Khan, emprisonné, a mobilisé l’électorat contre la Ligue musulmane de Mian Nawaz Sharif. Sharif a été Premier ministre à trois reprises dans le passé. Il s’est exilé au Royaume-Uni pour échapper aux poursuites judiciaires. La fin de son auto-exil, accompagnée du classement rapide de toutes les affaires judiciaires le concernant, indique clairement son retour en grâce aux yeux de l’armée. Fort de cette nouvelle collusion, l’establishment militaire a stratégiquement orchestré la campagne électorale de la Ligue musulmane. Son échec constitue donc un sérieux revers.
Cependant, le résultat des élections met également en évidence la domination des idéologies de droite, bien que le vote ait manqué de ferveur et ait été principalement une réaction aux conflits internes de la droite plutôt qu’une division claire entre la gauche et la droite. Il ne s’agissait pas d’un vote anti-establishment « de principe », la position anti-establishment du PTI s’avérant circonstancielle, temporaire et sélective dans son opposition à l’oppression exercée par l’appareil d’État (ce parti est loin de défendre toutes les victimes de la répression de l’État !)
La gauche marginalisée
Bien que la gauche ait participé dans une certaine mesure à la bataille électorale, son influence a été limitée, avec moins de 40 candidats en lice.
La gauche a souffert de la popularité du Tehreek Insaaf, la plupart des votes contre l’establishment militaire et les politiques du FMI étant allés au PTI. Les candidats de gauche, y compris ceux du parti Haqooq Khalq, du parti Awami des travailleurs (Awami Wokers’ Party) et du parti Brabri, n’ont pas réussi à obtenir un soutien significatif ou des sièges. En particulier, un siège à l’Assemblée nationale détenu par le marxiste Ali Wazir lors des élections générales de 2018 a été perdu cette fois-ci.
Les candidats du parti Haqooq Khalq, Ammar Jan, ont obtenu 3 % du total des suffrages exprimés (soit 1573) dans sa circonscription, Imtiaz Alam et Muzammil ont obtenu 1 %.
Ali Wazir a été élu au parlement national de la province de Khyber Pakhtunkhwa lors des élections générales de 2018, il était le seul parlementaire marxiste siégeant à l’Assemblée nationale. Il a perdu son siège en obtenant 16 000 voix, alors que le vainqueur en a obtenu 21 000.
Malgré ce revers, des partis comme Haqooq Khalq ont promis de continuer à intensifier leur mobilisation. Le principal domaine d’action de Haqooq Khalq est l’organisation des travailleurs et des paysans. Cependant, il a décidé de poursuivre ses activités électorales. Il prévoit de présenter plus d’une centaine de candidats aux prochaines élections législatives et de participer pleinement aux différentes élections locales.
Négociations parlementaires
L’élection du prochain Premier ministre montre qu’il est trop tôt pour se réjouir. L’issue des négociations parlementaires pourrait bien tourner à l’avantage des militaires.
La PML-N de Nawaz Sharif et le PPP de Bilawal Bhutto Zardari sont parvenus à un accord pour former un gouvernement, négociant un partage du pouvoir. Ils espèrent également coopter certains des candidats soutenus par le PTI d’Imran Khan, avec un certain succès.
Nawaz Sharif ne brigue pas le poste de Premier ministre : il préfère s’effacer derrière son frère Shahbaz Sharif [finalement, Nawaz Sharif a décidé de prendre ce poste.]. Nawaz traine beaucoup de casseroles derrière lui (dont certaines sont très récentes) et choisit de ne pas trop s’exposer. Son frère a également été chef de gouvernement à plusieurs reprises, mais dans un passé plus lointain. Nawaz peut gouverner dans l’ombre.
La majorité parlementaire est fragile, ce qui n’est pas forcément pour déplaire aux militaires, qui gardent la main. Aucun Premier ministre civil n’a jamais terminé une législature au Pakistan, ce qui est également fréquent dans les régimes présidentiels (voir France), mais moins dans les régimes parlementaires.
Néolibéralisme autoritaire
Si les élections du 8 février ont été l’expression forte d’un profond mécontentement populaire, elles n’annoncent pas de changement positif dans les mesures qui seront mises en œuvre. Les frères Nawaz, le PLM-N et le gouvernement s’apprêtent à approfondir les politiques néolibérales, à poursuivre la privatisation des institutions publiques et à exploiter davantage les classes populaires au nom du remboursement de la dette.
Le gouvernement accèdera aux demandes du FMI et de la Banque mondiale (sauf lorsqu’ils demandent que les riches soient également taxés pour contribuer à réduire le poids de la dette). Il privilégiera les intérêts des entreprises au détriment du bien-être de la population. L’essor de l’agro-industrie, facilité par le PML-N et les gouvernements intérimaires, risque d’exacerber encore davantage les inégalités économiques et ne répondra pas aux besoins des petits agriculteurs.
L’augmentation du coût de la vie affecte les biens les plus essentiels pour les classes populaires, tels que les légumes, le blé, le sucre et l’électricité, qui sont devenus inabordables. Le taux d’extrême pauvreté continue d’augmenter. Les jeunes cherchent le salut dans l’émigration (pour ceux qui ont les moyens de tenter l’aventure), même dans des pays d’accueil à haut risque. Les transferts de fonds des migrants vers leurs familles ne suffisent plus à compenser la crise du coût de la vie. En toile de fond, les crises climato-écologiques et sanitaires (notamment le Covid, mais pas seulement) survenues ces dernières années au Pakistan ont considérablement fragilisé le tissu social, plongeant davantage de familles et de villages dans l’extrême pauvreté.
Cette situation catastrophique a donné lieu à d’importantes manifestations, comme en septembre 2023, contre la hausse des prix de l’électricité. Malheureusement, les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour qu’elles puissent se consolider, s’installer dans la durée, se renforcer et se relier entre elles.
Il appartient aux forces de gauche de s’impliquer dans les mouvements progressistes, sociaux et de genre, pour contribuer à enclencher une dynamique positive qui permettra de renforcer les organisations en faveur de la classe ouvrière, des femmes, des petits paysans et des gens ordinaires.
Farooq Tariq, Pierre Rousset
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