« D’après les données du ministère de la Santé de Gaza, que le système [israélien – E.] de sécurité considère comme globalement recevables, plus de 30 000 Gazaouis ont été tués jusqu’à présent dans la guerre… Le nombre de blessés s’élève à plus de 70 000. C’est le nombre reconnu dans les hôpitaux et cliniques de Gaza… À eux, il faut ajouter ceux qui ont quitté Gaza… En supposant de manière exagérée qu’il y ait un million huit cent mille [sic] personnes dans la bande de Gaza, Israël a jusqu’à présent blessé et exclu de toute action contre lui environ huit pour cent de la population de la bande de Gaza. C’est un pourcentage énorme… En termes de logement, des dizaines de milliers de logements ont été endommagés dans la bande de Gaza, parallèlement à la destruction massive des infrastructures routières, d’eau, d’égouts et d’électricité. Tout cela entraîne [la population] vers un statut des réfugiés qui prendra beaucoup de temps à être corrigé. La pression sur ces réfugiés augmente à mesure qu’ils ont de plus en plus faim… En d’autres termes, il y a déjà plus de réfugiés et plus de morts dans la bande de Gaza qu’il n’y en avait lors de la première Nakba de 1948… Tsahal détruit méthodiquement la bande de Gaza. Ce processus important ne doit pas être interrompu. »
Ces propos durs n’apparaissent pas dans un article d’Amira Hass dans Haaretz. Ils ont été publiés - mot pour mot, mais sans une seule virgule dans l’original - par le journaliste-de-cour Shimon Riklin, dans un post qu’il a publié samedi soir sur le réseau X (Twitter). Son objectif, Dieu nous en préserve, n’était pas d’exprimer de l’empathie envers les dizaines de milliers de morts, de réfugiés et de personnes affamées, mais de s’en vanter : en réponse aux « discussions sur le piétinement et l’indécision à Gaza », comme il les a défini, Riklin a fièrement noté qu’Israël avait effectivement obtenu des résultats extraordinaires dans le domaine du nettoyage ethnique et de la destruction systématique de Gaza.
Depuis de nombreuses semaines, de hauts responsables politiques aux États-Unis et en Europe mettent en garde Israël contre les dommages généralisés causés aux innocents et contre l’escalade du désastre humanitaire dans la bande de Gaza. Ils ne comprennent pas que la documentation détaillée des souffrances à Gaza constitue une liste de réalisations aux yeux de gens comme Riklin – et des gens comme Riklin siègent actuellement au gouvernement. Et cela ne concerne pas seulement l’extrême droite : la conviction selon laquelle « il n’y a pas d’innocents à Gaza » et l’appel à une vengeance sans entrave se sont répandus parmi de larges pans de l’opinion publique israélienne.
Au crédit de Riklin, on peut au moins noter qu’il n’essaie pas de nier les données et n’appartient pas à l’école des « affameurs-pleureurs (1) » - ceux qui ressentent un léger inconfort face aux spectacles horrifiants de nourrissons affamés à Gaza, mais se rassurent immédiatement en affirmant qu’ils l’ont provoqué eux-mêmes [en ne se révoltant pas contre Hamas etc. – E.], et que Israël ne porte aucune responsabilité pour ce qui se passe.
Selon les estimations, environ soixante-dix pour cent des morts à Gaza sont des femmes et des enfants, mais Riklin ne fait aucune distinction entre un bébé d’un mois et un homme armé du Hamas - il est fier des trente mille cadavres, de l’effondrement du système des services médicaux, de la soif et la faim, du système d’égouts détruit et de la fuite massive. Son message, en plus d’être un aperçu troublant d’une âme sombre, est également la preuve que la destruction massive et continue à Gaza n’est pas un sous-produit de la stratégie, mais plutôt la stratégie elle-même.
Ce n’est pas un hasard si du point de vue de la droite délirante, l’une des heures les plus difficiles du pays est une période d’euphorie et de transcendance - « une période incroyable », comme l’a décrit Yinon Magal [journaliste et homme politique de droite plus ou moins extrême – E.] dans une interview avec Roni Cuban [journaliste, animateur de télévision, metteur en scène et acteur – E.] il y a environ deux semaines.
L’indifférence morale et le désir de vengeance du public sont exploités par nos fondamentalistes pour atteindre leur véritable objectif, que Riklin expose sans mâcher ses mots : nettoyer Gaza de ses habitants – certains par le feu et d’autres par l’eau, certains par l’épée et d’autres par l’épidémie.
Ce qui est considéré dans les pays normaux du monde entier comme une effrayante catastrophe – beaucoup en Israël le définissent comme une réussite. Et à mesure que leurs réalisations s’accumulent, la société israélienne dans son ensemble va sombrer dans l’abîme.
Yoana Gonen
(1) Paraphrase de « Ils tirent, puis ils pleurent », expression forgée en 1976 par le satiriste, écrivain et journaliste Kobi Niv ; « ‘Tirer et pleurer’ est une expression en hébreu de nature négative, décrivant des déclarations, des articles, des lettres, des manifestations et des œuvres d’art de ceux qui étaient des soldats et des commandants de Tsahal qui expriment leurs regrets et leurs critiques à l’égard des opérations militaires auxquelles ils ont participé. et les ordres qu’ils ont reçus et exécutés. » - extrait de l’article de Wikipédia en hébreu consacré à cette expression.
« Tweet » de Shimon Riklin (signes de ponctuation ajoutés à la traduction française).
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Voici la traduction intégrale :
« Je vois les discussions sur le piétinement et l’indécision à Gaza.
À mon avis, cela n’a aucun sens et je vais vous expliquer pourquoi :
D’après les données du ministère de la Santé de Gaza, que le système de sécurité considère comme globalement recevables, plus de 30 000 Gazaouis ont été tués jusqu’à présent dans la guerre, sans compter les 1 500 personnes entrées en Israël [le 7 octobre – E.], ni les 8 000 personnes portées disparues.
Cela signifie que le nombre de morts est désormais d’environ 40 000.
Le nombre de blessés s’élève à plus de 70 000.
C’est le nombre reconnu dans les hôpitaux et cliniques de Gaza.
Puisque le système médical à Gaza s’est en grande partie effondré, j’ai compensé le nombre de blessés légers par un grand nombre de blessés qui ne sont pas signalés du tout.
De plus, le ratio entre les morts et les blessés est généralement 2 fois plus élevé, nous laissons donc le nombre à 70 000 et, avec le nombre de morts, nous parlons d’environ 110 000 Gazaouis qui sont hors de possibilité de nuire à Israël.
À eux, il faut ajouter ceux qui ont quitté Gaza.
Aucune donnée n’est publiée à ce sujet.
Mais récemment, on a appris qu’une société égyptienne facture 5 000 dollars pour chaque visa de sortie de la bande de Gaza et gagne environ un million de dollars par jour.
Cela représente un rythme de 200 personnes qui quittent Gaza par jour uniquement via cette compagnie.
Si l’on y ajoute les cas des personnes qui bénéficient de coups de piston, les étrangers partis dès le début de la guerre et [de personnes] s’enfuyant par les tunnels, on peut compter environ 300 personnes qui quittent la bande de Gaza par jour.
Cela nous amène au nombre d’environ 40 000 Gazaouis qui ont jusqu’à présent quitté la bande de Gaza.
Et en résumé, avec le nombre de morts et de blessés et ceux qui quittent la bande de Gaza, ce sont 150 000 personnes qui sont mises hors de possibilité de nuire à Israël.
En supposant de manière exagérée qu’il y ait un million huit cent mille [sic] personnes dans la bande de Gaza, Israël a jusqu’à présent blessé et exclu de toute action contre lui environ huit pour cent de la population de la bande de Gaza.
C’est un pourcentage énorme.
Parlons maintenant du territoire :
La superficie de la bande est d’environ 365 kilomètres carrés.
Israël prend 60 kilomètres carrés de cette zone pour sa zone de sécurité et 14 kilomètres carrés supplémentaires sur l’axe Netzarim (2) traversant [la bande de] Gaza.
Il devrait y avoir un autre axe comme celui-ci dans la zone qui sépare la ville de Rafah (3), mais en attendant on peut dire qu’Israël exproprie environ un cinquième du territoire de la bande de Gaza ! L’expropriation comprend les travaux de démolition de milliers de maisons dans cette zone et ces travaux se poursuivent ces jours-ci.
En ce qui concerne les infrastructures que le Hamas a mis en place dans la bande de Gaza, la plupart de ses armes ont été produites en important des biens à usage double d’Israël qui ont été convertis selon ses besoins.
Israël ne répétera plus cette erreur et, en même temps, il détruit systématiquement des dizaines d’usines d’armes différentes créées par le Hamas [et] porte atteinte aux connaissances organisationnelles et aux experts de cette industrie. En outre, Israël endommage d’importants tunnels, des postes de commandements, des postes de contrôle et des entrepôts et détruit de grandes quantités d’armes dans toute la bande de Gaza.
En termes de logement, des dizaines de milliers de logements ont été endommagés dans la bande de Gaza, parallèlement à la destruction massive des infrastructures routières, d’eau, d’égouts et d’électricité.
Tout cela entraîne [la population] vers un statut des réfugiés qui prendra beaucoup de temps à être corrigé.
La pression sur ces réfugiés augmente à mesure qu’ils ont de plus en plus faim et que ni les parachutages ni les camions ne couvrent la demande de produits de base au-delà de la nourriture de subsistance.
L’industrie de la pêche qui se trouvait dans la Bande ne fonctionne pas et de nombreux bateaux ont été endommagés.
Il n’y a quasiment aucune plantation dans la Bande.
Tout a été rasé [abattu – E.] afin d’empêcher les embuscades à l’encontre de nos forces et les tirs contre Israël.
Il n’y a quasiment aucune institution publique dans la bande de Gaza.
Elles ont toutes été détruites.
En d’autres termes, il y a déjà plus de réfugiés et plus de morts dans la bande de Gaza qu’il n’y en avait lors de la première Nakba de 1948.
Et chaque jour qui passe exclut au moins 500 Gazaouis [supplémentaires] de la possibilité de nuire à Israël et la pression y augmente.
Je suppose que Sinwar ait peur de sortir de son trou, pas seulement à cause d’Israël, mais aussi à cause des nombreux Gazaouis qui l’étrangleront pour les énormes destructions qu’il a causées dans la bande de Gaza par ses actes cruels.
C’est pourquoi je suggère à tout le monde de ne pas parler de piaffement ou de piétinement.
Tsahal détruit méthodiquement la bande de Gaza et chaque jour qui passe voit augmenter les destructions et le prix payé par les Gazaouis pour leurs actions infâmes.
Au Moyen-Orient, le temps joue un rôle important dans le façonnage de la conscience.
J’estime que, lentement et avec persistance, la réalité à Gaza évolue au point de devenir méconnaissable.
Ce processus important ne doit pas être interrompu. »
(2) Axe crée pour séparer la ville de Gaza du centre et du sud de la bande de Gaza, portant le nom de la colonie qui a été démantelée lors du « désengagement » israélien en 2005.
(3) Entre la partie palestinienne au nord et égyptienne au sud. Plus généralement, il est fait référence ici à l’axe dit de Philadelphie, qui sépare la bande de Gaza du Sinaï et de l’Égypte..