Le mardi 30 janvier 2024, à 5h30 du matin, les caméras de surveillance de l’hôpital Ibn Sina de Jénine ont filmé 12 soldats, agents de l’Unité spéciale de police et du Shin Bet, qui entraient dans l’hôpital sous des apparences de membres du personnel médical, d’accompagnates et de patients. Ils sont montés au troisième étage et l’un d’entre eux, vêtu d’une blouse blanche de médecin, a appuyé sur la sonnette du service de rééducation.
L’infirmière à la réception a ouvert la porte et le groupe est entré dans le service. Plusieurs d’entre eux sont restés à l’entrée, deux sont montés à la réception pour détourner l’attention de l’infirmière et les autres sont entrés dans la chambre où Basel Ghazawi, 18 ans, était couché. Ghazawi, un membre de la branche militaire du Jihad islamique, a été hospitalisé le 25 octobre 2023 après avoir été blessé par un éclat d’obus lors d’une frappe aérienne israélienne qui l’a laissé paralysé du bas du corps. Les membres du commando ont utilisé un silencieux pour abattre Ghazawi et deux personnes qui se trouvaient avec lui dans la chambre : son frère Muhammad Ghazawi, 23 ans, et Muhammad Jalamneh, 27 ans, tous deux membre de la branche militaire du Hamas.
Pendant ce temps, ceux qui étaient allés à la réception ont agressé l’infirmière, l’ont renversée et se sont emparés de son téléphone. Après avoir abattu les trois hommes, le groupe a quitté le service, cependant que l’infirmière se cachait sous son bureau.
Israël, qui s’est comporté dans cette affaire comme une organisation criminelle plutôt que comme un État, a qualifié l’opération de succès et le porte-parole des FDI s’est empressé de féliciter les membres du commando. Sans même tenter de présenter l’opération comme une opération de capture qui aurait mal tourné, Israël a déclaré avoir « ciblé » ces individus. Toutefois, le meurtre intentionnel de personnes qui ne mettaient personne en danger à ce moment, à l’intérieur d’un hôpital qui est censé être un lieu refuge, est en contradiction avec les principes juridiques et moraux fondamentaux que tout État est censé respecter. Compte tenu de la réaction d’Israël, il est clair que personne ne sera tenu pour responsable de ces trois meurtres - ni les auteurs des tirs, ni leurs supérieurs, ni les autorités qui ont donné le feu vert à l’opération et en ont donné l’ordre. Dans ces conditions, de tels incidents sont appelés à se reproduire.
Le 4 février 2024, l’infirmière de l’hôpital Ibn Sina a témoigné auprès du chargé d’enquêtes de terrain de B’Tselem, Abdulkarim Sadi, et a raconté ce qui s’est passé :
"Le mardi 30 janvier 2024, je travaillais à l’hôpital Ibn Sina, dans le service de rééducation au troisième étage. Mon service avait commencé à 20 heures et il devait se terminer à 8 heures du matin. J’étais la seule personne de service dans le service cette nuit-là, et j’étais assise derrière le bureau de la réception.
À 5 h 30, j’ai entendu la sonnerie de l’entrée principale du service. Normalement, après 23 heures, nous verrouillons la porte principale parce que les heures de visite sont terminées, et nous ne l’ouvrons que pour le personnel médical. Lorsque la sonnerie a retenti, j’ai regardé l’écran et j’ai vu une personne en blouse blanche qui portait le badge d’identification des médecins de l’hôpital. J’ai donc immédiatement appuyé sur le bouton de commande de la porte. Deux hommes sont entrés. L’un d’eux portait une blouse blanche de médecin et l’autre m’a dit que son fils avait eu un grave accident et qu’il était venu le voir. Je lui ai dit que tous les patients accidentés se trouvaient à un autre étage.
D’autres personnes les ont suivis. L’une d’elles portait les vêtements traditionnels des Palestiniens d’un certain âge. Un autre amenait une personne en fauteuil roulant. Au début, je n’ai pas fait attention à eux, parce que je parlais aux deux premiers. Puis j’ai commencé à leur expliquer qu’ils n’étaient pas autorisés à entrer dans le service la nuit. Tout à coup, les hommes à qui je parlais sont passés derrière le bureau. L’un d’eux m’a attrapée, l’autre a porté la main à mon cou et a essayé de me faire tomber par terre. J’ai commencé à appeler à l’aide et il a plaqué son autre main sur ma bouche. L’autre homme s’est joint à lui et m’a fait tomber par terre. Ils m’ont ensuite pris mon téléphone parce que j’avais essayé d’appeler, puis l’un d’entre eux m’a dit qu’ils étaient membres de l’armée israélienne.
Je ne pouvais pas voir ce qui se passait dans le département et j’entendais seulement des gens parler hébreu, langue que je ne comprends pas. J’étais en état de choc et j’avais très peur. J’ai rampé sous la table et j’y suis restée jusqu’à ce que tout se calme et que je n’entende plus rien. Je ne savais pas quoi faire, alors je me suis levée et j’ai couru jusqu’au service situé en face du mien. Quand j’y suis arrivée, je me suis effondrée et j’ai commencé à pleurer. Ils m’ont fait asseoir et ont essayé de me calmer, jusqu’à ce que mon frère arrive et me ramène à la maison. À ce moment-là, je n’avais aucune idée de ce qui s’était passé dans la pièce où ils étaient entrés. Je n’ai appris que plus tard qu’ils avaient tué trois jeunes hommes.
Je n’arrive pas à croire que c’est arrivé. Je pensais travailler dans un cadre sûr, où ce genre de choses n’arrive pas. Je ne me suis pas encore vraiment remise et je n’arrive pas à reprendre le travail. Je n’aurais jamais imaginé que je puisse un jour connaître une telle situation".
B’Tselem