Photo : Décombres près de l’hôpital Al-Shifa de Gaza, mercredi.
Non, et non. Israël avait le choix : ne pas entrer en guerre. Si ce sont là ses résultats, mieux aurait valu faire preuve de retenue, châtier ceux qui auraient dû l’être pour les horreurs commises le 7 octobre et aller de l’avant.
Tout le monde y aurait gagné, sauf l’ego masculin et militaire d’Israël, qui impose toujours un tribut et une châtiment hors de proportion, quel qu’en soit le prix. C’est une politique extrêmement puérile et stupide. Le plus effrayant dans tout cela, c’est la crainte qu’Israël se comporte de la même manière vis-à-vis de l’Iran.
Même le radar à pénétration du sol le plus perfectionné ne saurait, en sondant les ruines de Gaza et ses tombes, y trouver un seul avantage qu’Israël aurait retiré de la guerre. Par contre, les montagnes de destructions inconnues jusqu’à présent sont visibles à l’œil nu.
Tout cela a déjà été dit, en vain, mais le pire est l’atteinte à la réputation morale d’Israël et, par conséquent, à sa position dans le monde. Cette situation est en passe de devenir irréversible. Il faudra des années à la Russie pour retrouver sa position après l’Ukraine ; de même, après Gaza, Israël devra travailler pendant des années pour retrouver sa position. Mais Israël n’est pas la Russie ; elle est beaucoup plus vulnérable.
Mettons de côté toutes les histoires sur l’antisémitisme qui sévit à l’étranger ; seules certaines sont vraies. En voyant ce qu’Israël fait à Gaza, on peut s’attendre à ce que quiconque éprouve de la haine et du mépris à son égard. Mais ne nous préoccupons pas du monde, regardez ce qui nous est arrivé : nous avons toujours été indifférents à la souffrance des Palestiniens, mais aujourd’hui, nous avons établi de nouveaux records monstrueux en matière d’indifférence.
Palestiniens déplacés à Gaza. Crédit : Mahmoud Issa/ REUTERS
Des membres sont régulièrement amputés dans le centre de détention de Sde Teiman, et il n’y a aucune réaction. Il y a 17 000 enfants à Gaza qui sont devenus orphelins ou qui ont été séparés de leurs parents - et rien. Les médecins israélien.nes ne protestent pas contre la situation à Sde Teiman, pas plus que les travailleur.es sociaux pour les enfants qui souffrent de la faim ni pour celles et ceux qui sont morts ou ont été tué.es. Nous sommes devenus des monstres. Non seulement de par nos actions, mais surtout de par notre apathie.
Il fut un temps où il y avait des Israélien.nes qui étaient choqués et qui appelaient à l’action. Ils ont presque tous disparu. Il n’y a qu’un seul médecin droit et juste de Sde Teiman pour écrire une lettre. On ne sait pas s’il continue à collaborer avec le mal qui sévit là-bas.
Le 7 octobre, il y a six mois dimanche, a détruit la conscience morale des Israélien.nes. Désormais, absolument rien d’autre ne compte que ce qui touche à Israël : il n’y a plus personne d’autre que nous. Uniquement nos drames, nos souffrances, nos sacrifices - et tout le reste peut brûler, c’est le dernier de nos soucis.
Toutefois, lorsque le complexe médical le plus important et le plus perfectionné de Gaza a été détruit par les flammes, l’âme d’Israël, qui était déjà en mauvais état auparavant, en a fait de même. À la fin de cette guerre, Gaza sera détruite et mise à mort, et nous découvrirons alors que c’est un tout autre visage qui nous regarde dans le miroir. Le monde nous traitera en conséquence, exactement comme nous nous attendrions à ce qu’il traite n’importe quel État malfaisant qui agirait de cette manière.
Le complexe hospitalier Al-Shifa dans la ville de Gaza, lundi.
De plus en plus d’Israélien.nes commencent à comprendre, à oser parler et à se sortir de leur « état de choc » de l’après-7 octobre. Les appels à un cessez-le-feu inconditionnel se multiplient, même dans les pages de Haaretz, mais ils arrivent trop tard et sont trop hésitants. La soif de sang et le sadisme sont sortis du placard au cours des six derniers mois et sont devenus politiquement corrects en Israël.
Les six prochains mois de la guerre pourraient être encore pires que les premiers. Une invasion de Rafah pourrait faire passer les massacres que nous avons perpétrés jusqu’à présent pour une simple bande-annonce de film.
Si tel est le cas, la frontière nord d’Israël entrera également en ébullition, et l’Iran sera également en ébullition. Il est préférable de ne pas se lancer dans des scénarios d’horreur tout à fait réalistes. Israël continuera à ramasser les corps de ses otages, comme il l’a fait ce week-end ; la Cisjordanie ne pourra qu’entrer dans la ronde et, pour la première fois de son histoire, Israël se retrouvera seul face à tout cela.
Mieux vaut s’arrêter là. Arrêter les descriptions apocalyptiques trop réalistes et arrêter la guerre. Les six premiers mois nous ont suffi : c’est plus que suffisant, nous en avons par-dessus la tête.
Gideon Levy