Alors que l’idée de planification fait son grand retour, le livre de de Cédric Durand et Razmig Keucheyan, Comment Bifurquer. Les principes de la planification écologique[1], est un ouvrage important que doivent lire toutes celles et ceux qui sont à la recherche de solutions face aux urgences écologique et sociale[2]. Il ne s’agit pas ici d’en faire une recension complète mais d’examiner les débats qu’il pose. Nous nous concentrerons donc sur les lignes de forces de l’argumentation. En ce sens, il s’agit moins de réponses assurées que d’interrogations dans la perspective d’une transformation sociale et écologique de la société.
Besoins réels et besoins artificiels
Face à la logique du capital qui subordonne la satisfaction des besoins à la logique du profit, gouverner par les besoins s’avère être un mot d’ordre particulièrement pertinent. Les besoins, mais lesquels, car comme le disent à juste titre les auteurs, ils doivent être « conditionnés à un principe de soutenabilité, stipulant que leur satisfaction doit tenir compte des limites des ressources terrestres, et à un principe d’égalité[3] ». Comment faire ? Après d’autres, Cédric Durand et Razmig Keucheyan s’attellent à mettre en évidence une distinction entre besoins artificiels et besoins réels, les premiers étant à éliminer. Or cette distinction n’est pas si évidente que cela.
Ils analysent très finement le fait que le capitalisme crée en permanence de nouveaux besoins qui se traduisent en normes de comportement intégrées par les individus dans un imaginaire social. Le néolibéralisme a d’ailleurs fait franchir une étape nouvelle à la « société de consommation », en raccourcissant la durée de vie des produits, techniquement par l’obsolescence programmée et symboliquement par un déchaînement publicitaire continu. La possession des objets est devenue le signe d’un statut social dans une fuite en avant sans fin où le mode de vie des plus riches est un horizon qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on pense s’en rapprocher. Dans ce cadre « Les besoins ressemblent aux désirs, la distinction est fluide, et il serait vain de prétendre tracer une frontière étanche[4] » et, nous disent-ils, « Un besoin apparu avec le temps devient ainsi essentiel. Son caractère « essentiel » ne se mesure pas abstraitement, mais en fonction des standards de vie à une époque et dans un pays donné[5] ». Cette analyse rend en fait caduque la distinction entre besoins artificiels et besoins réels. Tout besoin est à la fois réel et artificiel. Même ceux que les auteurs pointent comme nécessaires à une « vie décente » - se nourrir, se loger, se vêtir, etc. - besoins basiques s’il en est, sont, comme ils l’écrivent eux-mêmes en rapport à un référentiel historique et civilisationnel. Même ce type de besoins comporte une dose d’artificialité que l’on ne peut éradiquer. Peut-on par un débat démocratique faire évoluer la perception que les individus peuvent avoir des besoins ou des désirs qu’ils expriment ? Question sans réponse évidente.
De plus, Cédric Durand et Razmig Keucheyan pointent très justement « le risque de « dictature sur les besoins », où ceux-ci seraient définis par des bureaucrates comme c’était le cas dans la défunte URSS[6] ». On est donc d’autant plus surpris quand ils avancent des normes de consommation précises, visiblement impératives et pour le moins discutables. Ils prônent par exemple un ordinateur par foyer. Outre que l’on voit bien que la taille du foyer en question est ici d’une importance majeure, une telle préconisation a pour effet d’aggraver considérablement les inégalités entre celles et ceux qui, par leur position sociale, ont accès dans leur vie professionnelle à internet et les autres qui devront se contenter de se partager un ordinateur dans les quelques heures qu’ils passent chez eux. Cet exemple est certes caricatural mais il montre le danger qu’il y a à essayer de définir a priori ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas.
Ces difficultés renvoient aussi à la différenciation entre le Nord et le Sud. Il est indéniable que les normes de consommation avancées pour une « vie décente » et compatibles avec une soutenabilité écologique forte seraient un progrès considérable pour les milliards d’êtres humains vivant aujourd’hui dans des conditions catastrophiques. Mais quid des pays riches ? Les auteurs notent à juste titre que dans ces pays aussi, « Le mode de vie des classes moyennes et populaires devra aussi évoluer[7] ». Mais ils ne s’attardent pas vraiment sur la question. « Le consumérisme, c’est fini » nous disent-ils et l’État doit « se fixer à lui-même un objectif de sobriété. Par ce biais, les besoins artificiels décroîtront considérablement[8] ». Ils ne nous disent rien sur ce que serait ce régime de sobriété pour l’État, ni même comment cela permettrait de faire décroître les besoins artificiels des individus. De plus, comme à juste titre ils préconisent le renforcement et la création de nouveaux services publics pour satisfaire des besoins collectifs, on voit mal dans ce cadre de quelle sobriété il s’agit.
La question de la mobilité est un concentré des difficultés d’une bifurcation écologique. Dans la perspective d’une sobriété de l’État, ils préconisent le démantèlement de certains aéroports et la nécessité « d’inventer des imaginaires du voyage qui sauront se délester du kérosène[9] » et, ajoutons-nous, du pétrole et même de l’électricité au vu du caractère non soutenable du développement mondial de la voiture électrique. La mobilité est-elle un besoin réel ou artificiel ? De toute évidence, c’est un besoin qui renvoie à une construction sociale et historique. Certes le capital s’en est emparé dans sa logique de valorisation et on sait l’importance de l’automobile dans le capitalisme fordiste qui s’est mis en place après la seconde guerre mondiale. Mais, pour les classes moyennes et populaires des pays riches et probablement aussi dans les autres, la mobilité est considérée comme une liberté fondamentale.
Ce qui renvoie à l’obstacle essentiel, celui de l’acceptabilité sociale des mesures nécessaires à prendre pour remettre en cause le consumérisme car, nous disent les auteurs « Il faut donc beaucoup de ressources en travail, en capital, mais aussi en ressources naturelles pour transformer la structure économique, ce qui implique de renoncer à leur usage pour la consommation. Et ce surcroît d’effort, contrairement aux expériences développementistes, n’engage pas une promesse de prospérité grandissante pour l’avenir[10] ». Comment dans ces conditions penser pouvoir s’appuyer sur une adhésion populaire ? Certes la réduction des inégalités sociales et le fait de s’attaquer en priorité au mode de consommation des plus riches sont la condition pour que des mesures transformatrices soient acceptées par le plus grand nombre. Mais s’il s’agit d’une condition nécessaire, elle est loin d’être suffisante. Transformer l’imaginaire consumériste suppose de lui en substituer un autre. Même si on peut penser que la transformation du travail, la valorisation d’un autre rapport à la nature peuvent participer à la création de ce nouvel imaginaire, tout cela prendra beaucoup de temps. Or, sans ce nouvel imaginaire, mener à bien la bifurcation écologique sera difficile et il ne faut pas sous-estimer les résistances sociales que les mesures visant à changer les comportements pourront susciter, y compris dans les classes moyennes et populaires, ce que notent rapidement les auteurs dans la conclusion de l’ouvrage.
Ces résistances seront d’ailleurs d’autant plus importantes que l’expérience d’une bifurcation écologique commencera probablement dans un seul pays et que joueront à plein, non seulement les tentatives de déstabilisation, mais aussi les effets de comparaison avec les autres pays. Ce qui pose la question de la démocratie. Les auteurs martèlent que « la planification écologique suppose un approfondissement de la démocratie[11] » et reviennent longuement sur ce sujet, consacrant une partie importante de leur livre à la nécessité de créer « un nouveau régime politique ». Mais les exemples de planification réussie mis en avant sont en fait des planifications de nature dictatoriale – Corée du Sud des années 1960, Chine – à l’exception de la France de l’après-guerre. De plus, la mise en œuvre de ces planifications, si elles ont pu avoir des effets bénéfiques pour toute la population, se sont faites globalement au bénéfice des classes dirigeantes, même si une partie de ces dernières ont pu se montrer réticentes. Un projet politique émancipateur ne peut qu’être démocratique. Il doit viser à ce que toutes et tous participent effectivement à tout pouvoir dans la société. La bifurcation écologique suppose de transformer en profondeur la vie concrète de l’énorme majorité de la population avec un changement radical de paradigme. Il n’est pas si évident que bifurcation écologique et démocratie se complètent harmonieusement.
Plan, marché, capitalisme
Les auteurs font une critique acérée des propositions des économistes orthodoxes en matière de lutte contre le réchauffement climatique que ce soit le recours central au « signal prix » par l’établissement d’un prix du carbone ou la mise en place de mécanismes de transactions marchandes passant par l’établissement de droits de propriété. En quelques pages synthétiques tout est dit, et bien dit, sur ces sujets.
Cependant, un certain nombre de points méritent que l’on s’y attarde. Les auteurs refusent tout mécanisme marchand et semblent opposer l’« Anarchie du marché »[12] à la rationalité du plan. Ils critiquent au détour d’une phrase la perspective de Karl Polanyi « d’encastrement des marchés » avec l’argument qu’ « un marché reste un marché, même s’il est fortement régulé[13] ». Or justement non, tous les marchés ne se valent pas. Le marché est un instrument de coordination des activités économiques horizontal et décentralisé. Laissé à sa propre logique, ou pire dominé par la logique capitaliste, il ne peut qu’aggraver les inégalités et s’avère incapable de répondre aux nécessités sociales. Encastrés dans des dispositifs institutionnels qui les surdéterminent, ils peuvent permettre de réaliser des objectifs déterminés collectivement. Il y a donc plusieurs types de marchés.
Concernant la crise écologique, quoi de commun entre le marché européen, totalement inefficace, dérèglementé, des quotas carbone où ces derniers ont été pour une très large part distribués gratuitement et le marché très encadré du dioxyde de soufre aux États-Unis qui a permis de réduire considérablement les émissions ? Ce que Cédric Durand et Razmig Keucheyan semblent ne pas voir c’est que marché et capitalisme ne peuvent être assimilés l’un à l’autre et que, dans certaines conditions, des marchés peuvent échapper à la logique capitaliste. D’ailleurs, dans les exemples de planifications réussies qu’ils mettent en avant, les marchés n’ont pas disparu. Ils ont été « encastrés » dans le plan. Contrairement donc à ce que l’opposition sommaire plan/marché laisse entendre des mécanismes marchands peuvent cohabiter avec ceux de la planification.
De plus, il ne faut pas confondre aussi concurrence et marché. Pour qu’un marché existe, il faut une institution qui l’organise et qui permette de mettre en relation acheteurs et vendeurs. Ce processus n’existe que pour la plupart des produits financiers et pour une poignée de biens, les matières premières par exemple. Pour les millions d’autres produits disponibles, il n’y a pas de marché au sens strict du terme, c’est-à-dire permettant par une mise en concurrence réelle des produits d’en déterminer les prix. Ces derniers sont administrés par les entreprises dans une situation la plupart du temps oligopolistique. Ces dernières, campagnes de publicité à l’appui, essaient de faire distinguer leurs produits par des qualités réelles ou supposées, le prix n’étant qu’un des éléments du choix du consommateur. Parler ici de « marché » est abusif et signifie simplement que la validation sociale de la production se fait a postériori dans l’échange. Les auteurs notent d’ailleurs ce point lorsqu’ils indiquent « que la concurrence entre des firmes en plus petit nombre se livre désormais moins sur le terrain des prix – puisqu’il y a monopole ou oligopole – et davantage sur celui de la publicité[14] ». Ils n’en tirent cependant pas vraiment de conséquence.
Ainsi ils nous disent que « Les entreprises doivent […] se situer au niveau de productivité moyen du secteur où elles opèrent[15] ». Ce niveau moyen est une abstraction qu’aucune entreprise d’une branche ne calcule. Pour que cette moyenne puisse avoir la moindre réalité, cela supposerait que la grande majorité des entreprises de la branche travaille dans ces conditions moyennes, ce qui est rarement, voire jamais, le cas. Pour que cela soit le cas, il faut postuler une économie statique, dans laquelle aucun changement technique ne puisse à court/moyen terme modifier le procès de production, ou dans laquelle les entreprises ne sont pas capables d’innovation sur leurs produits, et dans laquelle la concurrence est inexistante. En fait, ce que regardent les entreprises d’un secteur, c’est le niveau de productivité de l’entreprise la plus efficace et c’est par rapport à cette dernière que les stratégies des entreprises moins productives se développent : restructuration, baisse des prix en rognant les marges, augmentation des volumes, rupture technologique pour reprendre l’avantage, etc.
Pour résumer, ce qui distingue les sociétés capitalistes de celles qui les ont précédées n’est pas l’existence de marchés, mais, comme l’a montré Karl Polanyi, le fait que la sphère économique devient partiellement autonome[16] car le capital s’en est emparé. Mais même dans le cadre du capitalisme, il peut y avoir des marchés qui, particulièrement encadrés et contrôlés, échappent au moins partiellement à la logique capitaliste. Il y a donc une ambivalence du marché, à la fois instrument du capitalisme et institution le dépassant.
Le calcul en nature
Les auteurs n’abordent pas vraiment la question de la propriété. Les coopératives sont évoquées dans un paragraphe et on peut y lire que c’est l’État « qui est en mesure de les protéger du secteur marchand, et d’œuvrer à leur montée en échelle par des mesures juridiques – par exemple la "déconstitutionnalisation de la propriété privée – et financières[17] ». Il restera donc un secteur marchand. Lequel, dans quelle conditions et comment cela s’articulera avec la planification ? Cela n’est pas précisé. De plus, les coopératives, si elles diffèrent effectivement dans leurs objectifs des entreprises capitalistes comme les sociétés par actions, restent des entreprises privées au sens où elles appartiennent à leurs sociétaires. Il s’agit donc d’une socialisation très limitée. Il est de même de la notion de « commun » qui est mentionnée favorablement. Les problèmes complexes de l’existence de différentes formes de propriétés et des conséquences que cela peut avoir sur le processus de planification sont passés sous silence.
On ne peut qu’être d’accord avec les auteurs lorsqu’ils affirment qu’il « est nécessaire d’assumer une décision politique sur les priorités indissociablement économiques, sociales et écologiques[18] ». Toute la question est de savoir comment mettre en œuvre ces priorités décidées politiquement. Refusant tout mécanisme marchand dans la planification, Cédric Durand et Razmig Keucheyan se prononcent pour une planification fondée sur le calcul en nature. Ils s’appuient sur les travaux d’Otto Neurath (1882-1945), économiste autrichien de gauche. Ce dernier « pose l’alternative entre le capitalisme et le socialisme dans les termes d’une opposition entre calcul monétaire et calcul en nature[19] ». Pour Neurath « Pour un tel calcul socialiste, il n’existe pas d’unité du type de celle que le capitalisme trouve dans l’argent […] La comptabilité n’indique que des quantités de machines, de pétrole, de matières premières, d’heures de travail, etc. utilisés par une entreprise[20] ». En fait Neurath ne fait ici que reprendre l’idée d’Engels qui, évoquant « le plan de production » d’une société ayant exproprié les capitalistes affirme : « Dès que la société se met en possession des moyens de production […] le travail de chacun, si différent que soit son caractère spécifique d’utilité, devient d’emblée et directement du travail social. La quantité de travail social que contient un produit n’a pas besoin, dès lors, d’être d’abord constatée par un détour[21] ». Il précise quelques lignes plus haut ce qu’il entend par là : « La production immédiatement sociale comme la répartition directe exclut tout échange de marchandise, donc aussi la transformation des produits en marchandises ».
Nous verrons plus loin les problèmes de fond que pose cette perspective. Nous avons cependant un exemple historique d’une planification qui a essayé de le faire, celle de l’Union soviétique. En effet, les objectifs annuels essentiels y ont été exprimés en termes physiques par des quantités de produits. Or paradoxalement, alors même que nombre d’exemples de planification sont précisément analysés dans cet ouvrage, aucun bilan sérieux n’est fait de la planification soviétique simplement pointée par allusion au détour de quelques phrases[22].
Des contradictions non résolues
Notons aussi certaines contradictions. Cédric Durand et Razmig Keucheyan prônent un calcul en nature mais indiquent, dans la perspective de la socialisation de l’investissement, que « les crédits distribués par les banques d’investissement/desinvestissement sont conditionnés par un faisceau de critères écologiques qui définissent l’espace des activités financées[23] ». Si on ne peut qu’être que d’accord avec cette dernière proposition, elle suppose néanmoins un calcul monétaire et la comptabilité n’indiquera pas simplement « des quantités de machines, de pétrole, de matières premières, d’heures de travail, etc. » contrairement à la perspective tracée par Neurath à laquelle ils adhèrent. Il y aura une comptabilité monétaire. De même, les salaires seront payés en monnaie, pas en nature. Que des indicateurs de bien-être, et soutenabilité écologique soient intégrés dans les déterminants de la production et de la consommation ou dans des décisions d’investissement ne signifie pas que tout calcul économique disparaîtrait.
Sauf dans la perspective illusoire d’une abondance sans limite, que les auteurs récusent - ils indiquent à juste titre que « les sociétés vont opérer sous contrainte de rareté[24] » - le calcul économique restera nécessaire, mais il ne doit être qu’un élément parmi d’autres de la décision. Sur ce point les auteurs semblent en fait hésiter entre deux positions. D’une part, ils prônent la disparation des catégories marchandes et du calcul monétaire comme quand par exemple ils évoquent la perspective de basculer vers une autre logique, « Celle de se passer des prix, par exemple[25] », c’est-à-dire, si on comprend bien, de revenir au troc... D’autre part, on trouve dans leur ouvrage des formulations qui indiquent que le calcul monétaire perdurera malgré tout. C’est le cas, par exemple, quand ils affirment qu’il faut « mettre en place une comptabilité écologique qui transcende la comptabilité économique[26] ». L’emploi ici du verbe « transcender » indique une tout autre démarche qu’une utilisation du verbe « remplacer ».
De ce point de vue l’affirmation que « dès lors qu’une société vise au bien-être de ses membres, l’analyse coût-bénéfice, si adéquate à la logique du profit, perd toute pertinence[27] » est tout à fait discutable. Il est certain que la logique coût-bénéfice au niveau microéconomique, au niveau de l’entreprise, est tout à fait adéquate à la logique du profit. Mais est-ce vraiment toujours le cas au niveau macroéconomique, c’est-à-dire pour l’ensemble de la société ? Prenons l’exemple du remboursement des soins de santé. Dans l’absolu, on peut défendre que la Sécurité sociale doit tout rembourser. Mais en pratique, même en l’absence de politique d’austérité, il y a une contrainte de financement qui joue et qui nécessite à chaque fois une discussion sur les choix : par exemple doit doit-on rembourser des soins qui, comme l’homéopathie ou les cures thermales, ont des effets curatifs controversés ? On voit donc bien que chaque choix politique est mis en rapport avec une contrainte financière.
Plus globalement, les auteurs indiquent à juste titre qu’un service public n’est pas forcément gratuit. Ils mettent en avant l’idée de péréquation tarifaire qui permet que les usagers les plus riches ou ceux dont le coût de revient du service est moindre, paient en partie pour le service rendu aux plus pauvres ou à ceux dont le coût du service est plus élevé. Cette déconnexion entre le coût du service et le prix payé par l’usager est la règle dans les services publics de réseau. On a donc affaire comme ils l’indiquent à « une politisation des prix[28] ». Cependant, et contrairement à ce qu’ils affirment, il n’y a pas là « une hégémonie du calcul en nature[29] ». En effet la péréquation s’effectue sur la base d’un calcul global des coûts et c’est en fonction de ce calcul économique que sont effectués les choix politiques qui déterminent telle ou telle forme de péréquation. Un service public se fixe des objectifs, décisions de nature politique, mais il est ensuite bien obligé de faire un calcul économique pour en déterminer les conditions de mise en œuvre.
La présence inévitable des catégories marchandes
Bref, les catégories marchandes de disparaitront pas. Il y a pour cela des raisons de fond qui tiennent au fait que l’activité économique dans une économie planifiée n’a pas de caractère immédiatement social. Les auteurs semblent reprendre à leur compte une affirmation de Lénine dans L’État et la révolution qui évoque « la transformation de tous les citoyens en travailleurs et employés d’un grand cartel unique, à savoir : l’État tout entier ». Ils commentent en expliquant que « Ce « grand cartel unique » n’est autre chose que la socialisation organisationnelle parvenue à son aboutissement : une seule organisation économique, et qui fusionne avec l’État[30] ». Au-delà d’une perspective que l’on peut trouver un peu effrayante, c’est surtout confondre étatisation, qui est une opération juridique, et socialisation effective.
Marx avait pointé le nœud du problème : « des objets d’utilité ne deviennent des marchandises que parce qu’ils sont les produits de travaux privés exécutés indépendamment les uns des autres[31] ». Ce qui est important est donc de savoir si des travaux privés exécutés indépendamment les uns des autres peuvent exister dans le cadre du plan, malgré le fait que ce dernier soit censé coordonner rigoureusement à l’avance les différents travaux. Or, outre qu’une coordination absolue ex ante paraît très difficile au vu de la complexité des différents processus de production, le point essentiel est que les entreprises, même nationalisées, peuvent se transformer en centres de production autonomes exprimant les intérêts propres des managers et/ou des salariés concernés. L’existence du plan n’empêchera pas que les entreprises, quel que soit leur statut juridique, restent des agents économiques et que, en conséquence, des travaux privés soient exécutés indépendamment les uns des autres.
Cela sera d’ailleurs d’autant plus le cas que Cédric Durand et Razmig Keucheyan prônent à juste titre un « fédéralisme écologique qui privilégie l’initiative locale tout en autorisant l’intervention du centre pour garantir la trajectoire de soutenabilité[32] ». Ils insistent sur le fait que « cette socialisation centrale de l’investissement ne doit pas empêcher ni l’intervention des travailleurs au niveau du secteur, ni l’existence d’une liberté réelle des collectifs de travail à influer sur les choix […] y compris donc sur les types d’investissements à réaliser[33] ». Ils vont même assez loin dans le sens d’une décentralisation puisqu’ils indiquent que « Récuser la dictature d’une planification bureaucratique implique de laisser aux individus (c’est nous qui soulignons), dans le cadre du plan, une liberté de choix et une capacité à peser depuis leur position de consommateur sur l’innovation et l’évolution de l’offre[34] ». De plus, ils admettent qu’existera « une période de transition au cours de laquelle l’économie passerait par différentes étapes, dont les premières seraient encore capitalistes[35] ».
Tout cela a des conséquences sur la planification. Les auteurs pointent la « friction » entre centralisation et décentralisation mais n’en tirent pas les conséquences. Le plan peut éliminer les catégories marchandes uniquement s’il peut coordonner totalement ex ante les différents travaux. Mais dès lors que des centres de production autonomes, avec leur propre décision d’investissement, existeront dans le cadre du fédéralisme écologique, que les individus consommateurs, les cybercommunautés de consommateurs pourront peser sur l’offre et qu’existeront des entreprises capitalistes, les productions seront en partie effectuées indépendamment les unes des autres, nourrissant les bases des rapports marchands. Il faudra donc bien en passer par « le détour » des catégories marchandes[36].
L’existence du plan ne garantit aucunement la maîtrise réelle de la production, non seulement par la société, mais même par « le centre » auquel font référence nos auteurs et il serait vain de croire, comme le montre l’expérience soviétique, qu’un surcroît de centralisation permettra de résoudre ce problème : dissimulation de l’information, formation d’une économie parallèle, marchandage à tous les niveaux croissent avec l’augmentation de la mainmise du « centre » sur la planification[37]. Comme le résume Jean-Marie Harribey, « Les leçons tirées de l’histoire du XXe siècle, surtout celles de ses échecs, permettent de distinguer sur le plan théorique capitalisme et marché, et d’envisager sur le plan politique, le dépassement du capitalisme sans pour autant renoncer aux avantages du marché et de la monnaie[38] ».
L’émancipation par les algorithmes ?
Les auteurs développent dans cet ouvrage le point de vue qu’ils avaient déjà exprimé dans un article plus ancien[39] sur l’utilisation du big data comme instrument pouvant être mis au service de la planification écologique. Ils voient évidemment bien que « les réseaux et autres data centers représentent une source importante et croissance d’émission de gaz à effet de serre et autres pollutions contribuant au désastre écologique[40] ». Ils plaident donc pour une « utilisation ciblée du numérique à des fins de planification écologique et de décroissance matérielle […] sous contrainte de sobriété[41] ». On ne peut que les suivre sur ce point, mais il est dommage que, dans la suite de leur exposé, cette exigence ne soit plus évoquée et que jamais ne soit indiqué des priorités d’utilisation du numérique dans la perspective d’une planification générale des activités économiques.
Ainsi, ils se prononcent pour « une numérisation intensive de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement depuis les consommateurs finaux jusqu’aux matières premières […] une planification automatique et simultanée des opérations de fabrication et de distribution, avant même la passation des commandes tout en accélérant la conception de nouveaux produits[42] ». Ils préconisent de plus la mise en place de « cybercommunautés de consommateurs […] (de) s’appuyer sur la médiation des réseaux sociaux pour rendre praticable une association entre big data et agentivité accrue des individus[43] ». Dans ces perspectives, la question de la sobriété numérique semble avoir été oubliée.
Le big data réponse aux néoclassiques ?
Au-delà, l’utilisation du big data est avancée comme une réponse à l’objection majeure de l’école néolibérale autrichienne qui, avec Von Mises et Hayek, a avancé à l’époque un élément critique décisif contre la planification centralisée, celui lié au rôle de l’information privée dans la coordination économique et à la difficulté pour une économie planifiée de collecter toutes les informations nécessaires, d’en valider la qualité et de les traiter. L’ouvrage cite ainsi une remarque majeure de Lionel Robbins (1898-1984) économiste néolibéral à l’encontre de la planification : « Il faudrait établir des millions d’équations sur la bases de millions de tableaux statistiques fondés sur des millions de calculs individuels. Au moment même où ces équations seraient résolues, les informations sur lesquelles elles étaient fondées seraient déjà obsolètes et elle devraient être calculées à nouveau[44] ».
Cette critique est-elle dépassée ? Si la récolte des informations est grandement facilitée par l’existence des réseaux numériques, « La question difficile est de savoir comment transformer l’information en connaissance[45] », ce qui renvoie à la seconde partie de la remarque de Lionel Robbins. L’intelligence artificielle (IA) peut-elle résoudre ce problème ? Un des premiers problèmes renvoie à la collecte des données. Or, cette collecte ne pourrait exister sans le travail fragmenté de millions de personnes, « les travailleurs du clic », monde dans lequel la précarité est la règle. Cette « tâcheronisation » du travail est l’envers du décor de l’intelligence artificielle qui nécessite « une arrière-boutique dans laquelle les travailleurs se tuent à la micro-tâche[46]. Or ce travail ne pourra disparaître. En effet, « nourrir principalement l’algorithme avec du contenu généré par l’IA contribue à la dégénérescence, voire à l’ « effondrement » des modèles, avec des effets de distorsion qui sont amplifiés par les cycles d’entraînement[47] ». Les travailleurs du clic ne sont pas prêts de disparaitre et on voit donc mal comment ce processus de recollement de l’information pourrait être utilisé dans une logique d’émancipation. Il est assez surprenant que ce problème ne soit pas abordé.
Le deuxième problème renvoie à la nature même des informations récoltées. Cédric Durand et Razmig Keucheyan insistent longuement, dans le cadre d’une « demande émancipée », sur le fait que « la consommation fasse irruption dans la production de manière à imposer la prééminence des besoins sur l’activité économique[48] ». Ils prônent, comme nous l’avons vu, la création de cybercommunautés de consommateurs « magnifiée par la puissance des machines algorithmiques[49] ». Le problème est que, à la différence des plateformes comme Amazon, il ne s’agit pas dans le cas d’une bifurcation écologique de simplement récolter les désirs de consommation pour pouvoir les anticiper en vue de les combler. Il s’agit de les transformer en profondeur. Dans cette perspective, la logique prédictive de l’IA est d’une utilité moindre puisqu’elle s’appuie sur les comportements passés qu’il s’agit justement de transformer. S’il s’agissait simplement de planifier l’existant ou même le faire croître, l’IA serait un outil technique tout à fait adapté. Elle l’est beaucoup moins pour une planification écologique car ses résultats s’appuient sur des données renvoyant à des pratiques sociales qu’il s’agit de modifier en profondeur.
De plus, la planification est un phénomène complexe nécessitant de prendre en compte les millions d’interactions des facteurs de production. L’IA peut résoudre ce problème à la condition que, au moment où elle le résout, les données, issues des conditions initiales, n’aient pas changé. Or la moindre modification de ces dernières, sans même parler des erreurs inévitables dans le processus d’élaboration du plan, peut entraîner des conséquences considérables et non maitrisées[50]. Le rapport entre la fin et les moyens est ici interrogé. Il est d’ailleurs dommage que les auteurs ne s’attardent pas sur une remarque de Jan Philipp Dapprich et William Paul Cockshott mise en note de bas de page[51] qui indique que « Réaliser les calculs nécessaires pour optimiser une planification intégrale de l’ensemble des produits reste un défi, mais une planification au niveau des différentes branches […] n’a rien d’impossible[52] ». Une planification limitée donc qui aurait mérité un plus long développement.
Le troisième problème a trait au contrôle démocratique des algorithmes. Au vu de leur complexité extrême, il paraît très difficile de faire en sorte qu’une discussion réellement démocratique sur leur contenu puisse avoir lieu. Le pouvoir des experts, question centrale dans la démocratie, s’en trouvera inévitablement renforcé. De plus, l’IA permet l’existence de systèmes de décision automatisés contraires à tout processus délibératif. Comme l’écrivent Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, « Cela ne veut pas dire que les algorithmes sont incompatibles en soi avec la démocratie, mais l’IA ne peut représenter la clef de voûte unique d’une système démocratique[53] ». Reste à trouver les autres éléments de la voûte et la clef en question.
Une vieille question
Il n’est donc pas si évident que « les formes avancées de planification des grandes firmes intégrant l’ensemble des étapes de la chaine de production pourraient être retournées au service d’une consommation désaliénée[54] ». Ce problème n’est pas nouveau. Une vieille idée, déjà présente chez Marx et Engels, défend que le socialisme ne fait que pousser à son terme les tendances présentes dans le capitalisme, les sociétés par actions préfigurant la socialisation de l’économie et l’organisation des trusts la planification socialiste. La social-démocratie du début du XXe siècle, Lénine y compris, voyait dans la grande entreprise capitaliste et dans la poste allemande la préfiguration du socialisme. Pour lui, comme d’ailleurs pour Trotski, le taylorisme, « distribution rationnelle et raisonnée du travail à l’intérieur de la fabrique », même s’il permettait sous le capitalisme de surexploiter la classe ouvrière, pouvait être un outil au service du socialisme[55]. Pour Lénine en 1917, « le capitalisme monopoliste d’État est la préparation la plus complète au socialisme[56] »
Or cette conception fait fi d’un problème fondamental. Les modes d’organisation ou les techniques de gestion employées par les entreprises capitalistes ne sont pas neutres. Ils sont porteurs de rapports sociaux, les rapports de production capitaliste qui s’appuient sur la séparation entre les producteurs directs et les moyens de production ainsi que sur la division sociale du travail. La socialisation du processus de travail dans le capitalisme reproduit et approfondit la division sociale du travail. Les forces productives sont ainsi profondément marquées par le capital et les rapports sociaux sont cristallisés dans leur structure matérielle[57]. Croire, comme le pensait la grande majorité des bolcheviks, qu’il suffisait de transférer à l’État la propriété de ces entreprises pour que les rapports de production soient transformés relève d’une illusion juridique qui a abouti, in fine, à la constitution d’une nouvelle classe exploiteuse et à une surexploitation.
Il serait évidemment absurde de refuser tout emploi des technologies numériques, du big data et de l’IA au nom de ces problèmes. Mais leur existence plaide pour une planification algorithmique limitée[58] et contrôlée tant pour des raisons écologiques, sociales, démocratiques que de stricte faisabilité.
Au-delà, cela renvoie à la question de l’État. Les auteurs donnent un rôle majeur à l’État dans le processus de bifurcation écologique et le « nouveau régime politique » qu’ils décrivent vise à engager un processus de démocratisation à tous les niveaux, y compris celui du noyau dur de l’État. Cependant, il y a, semble-t-il, un trou dans leur analyse. L’État, peu importe au bénéfice de qui s’exerce son action, reste une machine techno-bureaucratique élevée au-dessus de la société. En ce sens tout État est « bourgeois ». C’est d’ailleurs pour cela que la question du « dépérissement de l’État » a été une question majeure du marxisme. Si cette perspective semble aujourd’hui illusoire, il n’en reste pas moins que le problème demeure. Il prendra d’autant plus d’importance qu’à l’âge de l’IA le pouvoirs des experts va prendre encore une nouvelle dimension et que la perspective d’une planification intégrale, même démocratisée, ne fait pas disparaître l’inquiétude que manifeste Thomas Coutrot : « quand un organisme central dispose de l’énorme pouvoir d’organiser la production à l’échelle de la société, si bien intentionnés soient initialement ses dirigeants, il ne peut que se transformer en instrument de pouvoir d’une bureaucratie[59] ».
En conclusion
On le voit, l’ouvrage de Cédric Durand et Razmig Keucheyan, par sa richesse même, pose nombre de questions. La première est celle du postulat de la nécessité d’une planification intégrale des activités économiques dans la perspective de la bifurcation. Est-elle possible ? Est-elle souhaitable ? La deuxième question renvoie à la place des catégories marchandes. Question complexe s’il en est qui a fait l’objet d’interminables débats dans le passé. Troisième question, la définition des besoins dans une situation de rareté écologique. Les auteurs tentent d’y répondre en combinant différenciation entre besoins réels et besoins artificiels et approfondissement de la démocratie. Enfin, les auteurs parient sur les possibilités émancipatrices du big data et de l’IA. Problème majeur pour l’avenir. Sur tous ces sujets, les réponses de Cédric Durand et Razmig Keucheyan soulèvent de nouvelles questions. C’est le propre des ouvrages qui font progresser des discussions. Que le débat continue !
Pierre Khalfa
[1] Cédric Durand et Razmig Keucheyan, Comment Bifurquer. Les principes de la planification écologique, Zones 2024. Sauf avis contraire, toutes les citations sont issues de cet ouvrage.
[2] Sur la planification on peut lire avec intérêt le dossier d’Actuel Marx, La planification aujourd’hui, Actuel Marx 2019/1, n° 65 et celui de la revue d’Attac, Les Possibles, n° 23, printemps 2020.
[3] P. 195.
[4] P. 69.
[5] P. 70.
[6] P. 76.
[7] P. 75.
[8] P. 76.
[9] Ibid.
[10] P. 161.
[11] P. 235.
[12] Sous-titre p. 25.
[13] P. 36.
[14] P. 61.
[15] P. 60.
[16] Karl Polanyi, La grande transformation, Éditions Gallimard, 1983.
[17] P. 54.
[18] P. 153.
[19] P. 102.
[20] Ibid
[21] Friedrich Engels, Anti-Duhring, Éditions sociales, 1950.
[22] Pour une vision critique synthétique de la planification soviétique, voir Bernard Chavance, La planification centrale et ses alternatives dans des économies socialistes in Actuel Marx op cité.
[23] P. 160.
[24] P. 202.
[25] P. 86.
[26] P. 117.
[27] P. 103
[28] P. 232.
[29] Ibid.
[30] P. 45.
[31] Karl Marx, Le Capital, livre premier, tome 1, Éditions sociales.
[32] P. 246.
[33] P. 157.
[34] P. 171.
[35] P. 223.
[36] Sur tous ces points, voir Isaac Joshua, La révolution selon Karl Marx, Éditions Page deux, 2012 et Bernard Chavance, Le capital socialiste, Éditions le Sycomore, 1980.
[37] Sur tous ces points voir Bernard Chavance, op et art cités.
[38] Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Éditions LLL, 2013, p 293-294.
[39] Cédric Durand et Razmig Keucheyan, Planifier à l’âge des algorithmes ? in La planification aujourd’hui, Actuel Marx 2019/1, n° 65.
[40] P. 121.
[41] P. 123.
[42] P. 181.
[43] P. 190.
[44] P. 128.
[45] P ; 129.
[46] Voir Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Éditions du Seuil 2019.
[47] Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le Capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, écosociété 2023.
[48] P. 188.
[49] P. 190.
[50] Voir Hubert Krivine, L’IA peut-elle penser ?, deboecksupérieur 2021.
[51] Note 1, P. 129.
[52] P. 129.
[53] Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, op cité.
[54] P. 191.
[55] Voir sur ce point Robert Linhart, Lénine, les paysans, Taylor, essai d’analyse matérialiste historique de la naissance du système soviétique, Éditions du Seuil, 1972.
[56] Lénine, La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, Œuvres choisies, Tome 3, Éditions du progrès, 1968.
[57] Sur ce sujet, voir Isaac Joshua, op cité.
[58] Voir Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, op cité.
[59] Thomas Coutrot, Démocratie contre capitalisme, Éditions La dispute, 2005.