Au moins 130 personnes ont été tuées à Karachi dans la nuit de jeudi 18 à vendredi 19 octobre dans un attentat suicide visant, mais sans l’atteindre, l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto, rentrée triomphalement dans son pays après huit ans d’exil. C’est le plus meurtrier des attentats-suicides jamais perpétrés au Pakistan. La mégalopole du sud du pays avait pourtant été transformée en forteresse, quadrillée par 20 000 policiers, à la suite de menaces d’attentats islamistes.
Le président Pervez Musharraf, qui négocie depuis plusieurs mois un partage du pouvoir avec Mme Bhutto, « a condamné cette attaque dans les termes les plus fermes », parlant d’« un complot contre la démocratie ». C’est au cours d’un défilé, qui durait déjà depuis neuf heures dans la cité portuaire tentaculaire, que le camion blindé sur lequel Mme Bhutto était juchée a été visé par l’attentat. Une grenade et une bombe ont explosé à quelques mètres à peine du poids-lourd, mais Mme Bhutto est « saine et sauve », ont aussitôt dit les autorités.
Au moins 130 personnes ont été tuées et quelque 400 blessées, selon un décompte à partir des bilans des cinq hôpitaux où ont été emmenés les morts et les blessés. Sur les lieux du carnage, la chaussée était couverte de sang et de morceaux de corps, ont constaté des photographes de l’AFP. « C’est comme si je marchais dans un abattoir. Certains corps étaient intacts, d’autres complètement démembrés », a raconté l’un d’eux. Athar Hussain, photographe de Reuters, a été légèrement blessé. Il a décrit « une boule de feu » qui a jailli en l’air et a disparu après la première explosion. « Il y a eu une autre explosion et elle était plus puissante. J’ai alors su qu’il s’agissait d’un attentat à la bombe », a dit Hussain. « C’était un attentat-suicide qui visait Benazir Bhutto », a expliqué à l’AFP le chef de la police de Karachi, Azhar Farooqi. « Une première grenade a été lancée dans la foule et un kamikaze a fait exploser la bombe qu’il portait sur lui », a-t-il ajouté. Tous les témoins ont entendu deux explosions. « Une opération préparée méticuleusement et menée par un expert », a souligné l’officier.
ATTENTAT « ÉPOUVANTABLE »
Le mari de Mme Bhutto a accusé, lui, une agence des services de renseignement du Pakistan. « Cet attentat n’a pas été perpétré par des combattants islamistes, mais par cette agence d’espionnage », a affirmé Asif Ali Zardari à la télévision Ary One, sans étayer ses accusations. Mme Bhutto et les autorités disaient redouter un attentat à la suite de menaces brandies dans la presse par un commandant de combattants islamistes proches des talibans et d’al-Qaida, installés dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan.
Mme Bhutto était menacée de mort après avoir promis à plusieurs reprises d’« éradiquer la menace islamiste » de son pays, en proie depuis plus de trois mois à une vague sans précédent d’attentats-suicides. Le gouvernement avait donc promis une sécurité maximale.
Les Etats-Unis, qui ont fait du président Musharraf leur allié-clé dans leur « guerre contre le terrorisme », ont condamné « l’attentat brutal ». « Les extrémistes ne réussiront pas à empêcher les Pakistanais de choisir leurs représentants à travers un processus démocratique et ouvert », a dit la Maison Blanche, faisant allusion aux élections législatives de janvier 2008. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon et les pays de l’Union européenne ont condamné un attentat « épouvantable ».
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 19.10.07 | 08h01 • Mis à jour le 19.10.07 | 09h45
Benazir Bhutto est de retour au Pakistan
Karachi, envoyé spécial
« Bienvenue à Benazir », « bienvenue à la présidente de notre parti », « Benazir, c’est une nouvelle aube pour le Pakistan ». Les banderoles acclamant l’arrivée attendue de Benazir Bhutto s’étalent partout à Karachi, accrochées aux façades d’immeuble, aux passerelles enjambant les rues et surtout aux bus multicolores qui affluent vers l’aéroport, surchargés de partisans rayonnant de joie, ivres de bonheur.
Karachi fait la fête à Benazir Bhutto ce jeudi 18 octobre pour le retour – après huit ans d’exil entre Dubaï et Londres – de l’héroïne du Parti du peuple pakistanais (PPP). Le parti fondé par son père, Zulfikar Ali Bhutto, s’est longtemps identifié à la lutte pour la démocratie au Pakistan.
Le PPP a mobilisé le ban et l’arrière-ban de ses troupes, principalement dans ses zones rurales de la province méridionale du Sind, le fief du clan Bhutto, pour honorer l’événement comme il se doit et adresser à la face du Pakistan, et du monde, un seul message : il faut désormais compter avec Benazir Bhutto.
A l’entrée du terminal 1 de l’aéroport, c’est l’engorgement. La foule ne passe plus. Elle vient butter sur un conteneur barrant l’accès et gardé par un cordon de policiers anti-émeutes. L’ambiance est bon enfant, festive. Surgissant de 4×4, de camions comme de charrettes tirées par des ânes, les groupes vont et viennent, agitant des drapeaux aux couleurs du PPP : rouge, noir et vert. L’air – toujours chaud – est vrillé de bruits les plus divers : Klaxons, gyrophares, slogans, tambours et sonos musicales se mêlent dans une étourdissante cacophonie.
Un haut-parleur jugé sur un bus diffuse une chanson à la gloire de Benazir : « Bienvenue Benazir. Nous sommes tes frères et tes sœurs qui t’attendons depuis huit ans. Maintenant nous sommes heureux que tu sois avec nous. Nous espérons que tu vas résoudre tous nos problèmes. Nous prions pour toi et ta famille. Bienvenue Benazir, bienvenue Benazir. »
Au son de ces paroles à la naïveté recherchée, la foule danse en levant les bras au ciel. A intervalle régulier fuse le slogan, aussitôt repris en cœur : « Longue vie aux Bhutto ! »
UN PARCOURS DE 16 KILOMÈTRES
Sur les bords herbeux de la route, des manifestants sont assis en tailleur, absorbés par la lecture d’un supplément spécial du quotidien Jang, qui retrace la vie de Benazir Bhutto.
Les photos mettent en scène la fillette aux côtés de dignitaires étrangers – Indira Gandhi, Zhou Enlai – reçus par son père ; l’adolescente rêveuse sur un carré de gazon ensoleillé ; la combattante mûre haranguant la foule lors de son premier retour d’exil en 1986 à Lahore. Il faut bien entretenir la légende. « Longue vie aux Bhutto », fuse à nouveau.
Nianmohann Shoro, un barbu de 28 ans, n’aurait raté pour rien pareille célébration. Il est arrivé la veille de Hala, une localité de Sind, située à 250 km de Karachi. « Je suis si heureux, après une si longue absence de huit ans », se réjouit-il, un rien grisé par la frénésie ambiante.
Quand on lui demande les raisons de son soutien à Benazir Bhutto, il répond tout de go : « Parce qu’elle est notre dirigeante du Sind », trahissant ainsi la dimension très régionaliste de la base populaire du PPP.
Mustapha Hashmani, 53 ans, a lui un discours politique plus convenu. Il faut dire qu’il est syndicaliste et qu’il maîtrise son verbe. « Nous sommes derrière Benazir parce qu’elle défend la démocratie au Pakistan, explique-t-il. Et nous souhaiterions que les Etats-Unis soutiennent la démocratie plutôt qu’un dictateur comme le général Musharraf. »
Mustapha Hashmani participe à l’exaltation collective mais sa joie serait sans nuage s’il n’y avait ses inquiétudes sur la sécurité de Benazir Bhutto.
Un leader islamiste pro-taliban, Baitullah Nehsud, a menacé de lancer contre elle un commando-suicide pour la punir de son engagement pris auprès des Américains d’intensifier la lutte contre l’extrémisme religieux au Pakistan.
« Les islamistes radicaux la considèrent comme un agent des Américains », se désole Mustapha Hashmani qui prend « très au sérieux » de telles menaces.
Le service d’ordre du PPP, en tout cas, est là, en lisière des attroupements, prêt à intervenir en cas de nécessité. Il s’ajoute aux 15 000 membres des forces de l’ordre qui seront déployées le long du parcours de 16 km que Mme Bhutto entend emprunter entre l’aéroport et le mausolée d’Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan, où elle viendra s’incliner.
Frédéric Bobin
* LE MONDE | 18.10.07 | 10h59 • Mis à jour le 18.10.07 | 10h59>.