Islamabad, correspondante
Chaque matin depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, le rituel est le même pour Ghulam, un journaliste : envoyer des SMS pour vérifier que tout va bien pour ses amis et ses « sources » encore en liberté. « La moitié des mes contacts est en prison et le reste est passé dans la clandestinité, et nous communiquons par SMS », dit-il. Difficile à intercepter, les SMS sont devenus le moyen de communication le plus sûr pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui craignent les foudres du régime.
L’interruption en vigueur depuis six jours de la transmission câblée de toutes les chaînes télévisées locales ou internationales d’informations contribue, d’autre part, à alimenter les rumeurs, et chacun tente de vérifier auprès de l’autre ce qui se passe. Pour empêcher tout détournement de cette interdiction, le gouvernement a fait fermer les magasins qui vendaient aux plus nantis des antennes satellitaires. Seuls désormais ceux qui possèdent l’Internet peuvent encore avoir accès à certaines chaînes d’informations.
CRAINTE DE L’AVENIR
L’état d’urgence fait l’objet de toutes les conversations. Les Pakistanais en discutent avec un sentiment de honte de ce qui arrive encore à leur pays, de crainte de l’avenir immédiat, mais aussi du futur plus lointain et d’impuissance face à une situation qui leur échappe.
« C’est notre malédiction de n’avoir pas un politicien à la hauteur », affirme Fatima réceptionniste dans un cabinet dentaire. « Aucun politicien dans ce pays n’est digne de confiance. Ils ne pensent qu’à eux-mêmes. »
Si les juges et les avocats qui ont pris la tête de la résistance sont respectés par l’homme de la rue, les politiciens sont tous rejetés aux oubliettes avec l’armée qui, comme le dit un étudiant, « ferait mieux d’aller combattre Al-Qaida que de tabasser les défenseurs des droits de l’homme ».
Les Etats-Unis que beaucoup rendent responsables de la situation sont aussi très critiqués dans la rue pour leur « respect de la démocratie très lié à leurs intérêts », estime un professeur d’université.
Depuis une semaine, alors que police et forces paramilitaires casquées et armées sont déployées dans Islamabad, les Pakistanais ont déserté les marchés et les commerçants se lamentent d’une semaine noire. « Depuis l’imposition de l’état d’urgence, nous ne voyons plus personne », affirme Imran, vendeur dans un magasin d’électroménager. « Tout le monde a peur de ce qui peut arriver. Si la situation ne change pas je vais essayer d’émigrer car il n’y a plus d’espoir dans ce pays », ajoute-t-il.
« Dans l’incertitude, les gens gardent leur argent et je n’ai pas vu un client pakistanais cette semaine », dit Salman, un bijoutier de renom. La roupie commence à décrocher face au dollar alors que la Bourse de Karachi ne cesse de baisser depuis l’instauration de l’état d’urgence. « Les étrangers vendent en masse leurs actions », indique un homme d’affaires. Les ambassades multiplient les consignes de sécurité à leurs ressortissants dont certains pensent déjà à partir.
Françoise Chipaux
* LE MONDE | 09.11.07 | 09h46 • Mis à jour le 09.11.07 | 09h4
Benazir Bhutto placée en résidence surveillée à Islamabad
L’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto était enfermée, vendredi novembre, dans sa maison d’Islamabad par la police qui l’empêcher d’organiser un meeting interdit par l’état d’urgence.« Elle est en train d’être assignée à résidence », a déclaré à l’AFP dans la matinée un haut responsable du gouvernement, sous couvert de l’anonymat.
Il était impossible de vérifier si le mandat d’assignation à résidence lui a été formellement remis ou non, son parti assurant que ce n’était pas le cas, mais reconnaissant qu’elle est empêchée de facto de sortir. Un journaliste de l’AFP a vu un magistrat pénétrer dans la maison de Mme Bhutto muni d’un document tandis que plus de 200 policiers prenaient position autour de la résidence et dans les rues adjacentes. La maison a été encerclée par des fils barbelés et personne ne peut s’en approcher.
« C’est une entrave illégale à sa liberté, c’est une arrestation illégale d’un leader du mouvement démocratique », a déclaré le sénateur Anwar Baig, du parti de Mme Bhutto, qui se tenait à l’extérieur de sa résidence. « Ils peuvent faire ce qu’ils veulent mais nous irons quand même à Rawalpindi », la grande ville de la banlieue d’Islamabad où le meeting du Parti du Peuple Pakistanais (PPP) de Mme Bhutto doit avoir lieu dans l’après-midi, a déclaré à l’AFP un porte-parole de ce mouvement.
LE PRÉTEXTE : DES MENACES D’ATTENTAT
« Nous avons essayé de la convaincre d’annuler ce rassemblement mais elle n’a pas voulu, nous n’avons pas eu d’autre choix que de faire respecter les dispositions » de l’état d’urgence, a commenté un officier supérieur de la police, sous couvert de l’anonymat. Les forces de l’ordre avaient annoncé jeudi qu’elles feraient tout pour empêcher la réunion, invoquant d’une part l’interdiction de tout rassemblement par le décret qui a instauré samedi l’état d’urgence et, d’autre part, des « menaces très précises » d’attentats suicide des extrémistes islamistes. Un attentat suicide, le plus meurtrier de l’histoire du Pakistan, a déjà visé Mme Bhutto le 18 octobre, faisant 139 morts.
Depuis la nuit, plus de 6 000 policiers ont été déployés pour bloquer tous les accès à cette vaste cité-dortoir de la capitale pakistanaise. Toutes les routes d’accès à Rawalpindi sont entravées par des conteneurs, des blocs de béton ou des fils barbelés. Aucun transport public ne peut accéder à Rawalpindi, également principale ville garnison du pays, et tous les véhicules sont scrupuleusement fouillés. Aux abords du site où doit se tenir le meeting, aucun militant du Parti du Peuple Pakistanais (PPP) de Mme Bhutto n’était visible vendredi matin, les lieux étant cernés par les policiers.« Il est absolument exclu que ce meeting ait lieu et nous ferons appliquer la loi si quiconque tente de la violer », a indiqué le chef de la police de Rawalpindi, Saud Aziz.
Jeudi, M. Aziz avait indiqué à l’AFP que des informations « très précises » en provenance des services de renseignements indiquaient que jusqu’à huit kamikazes de mouvements proches d’Al-Qaida étaient entrés dans Rawalpindi ces derniers jours avec leurs bombes prêtes à exploser et dont la cible est le meeting du PPP. Des hauts responsables du gouvernement ont indiqué que des négociations de dernière minute étaient en cours pour dissuader Mme Bhutto de maintenir le meeting de son parti. Jeudi soir, le président Pervez Musharraf a annoncé, sous la pression de la rue et de Washington, que les législatives, prévues initialement pour la mi-janvier, auraient lieu avant le 15 février. Mais Mme Bhutto, qui a parlé d’« annonce vague » et réclamé une date précise, a décidé de maintenir le rassemblement prévu.
* LEMONDE.FR avec AFP | 09.11.07 | 07h46 • Mis à jour le 09.11.07 | 08h57