SNCF : Cafouillages
Les négociations à la SNCF n’ont permis d’obtenir que de très légères compensations. La mobilisation s’impose, mais elle est pénalisée par une division syndicale meurtrière.
La grève de novembre à la SNCF s’était terminée dans une assez bonne ambiance. Certes, les cheminots n’avaient pas gagné face à Sarkozy, mais une lutte d’ampleur, étalée sur un mois (du 18 octobre au 22 novembre), avec des taux de grévistes historiques, avait donné du baume au cœur à toutes et tous. Les cheminots reprenaient le boulot sans abattement, prêts à se remobiliser, pensant que les négociations qui s’ouvraient se feraient sous pression.
Rapidement, chacun a pu voir que les négociations ne donnaient rien. Les quelques « avancées timides » de la part de la SNCF n’étaient plus d’actualité, dès le départ ! Rien sur les points essentiels de la réforme : le passage aux 40 années de cotisation, la décote par année manquante, l’indexation des retraites sur les prix. On ne peut même pas dire que « le compte n’y est pas ». C’est une mascarade ! C’est du « foutage de gueule, un manque de respect ». Voilà le sentiment des cheminots à la lecture des tracts syndicaux et des comptes rendus des négociations, qui sont décortiqués et discutés. Chaque fois, la même conclusion s’impose : « Si on peut trouver ici et là des légères compensations, on n’a pas fait grève pour ça » (lire ci-dessous).
Bref, il est plus que temps, pour les cheminots, de repartir ensemble en lutte, comme le laissaient entendre les assemblées générales de reprise. Mais, hélas, ce n’est pas ce qui semble se profiler ! La CGT a convoqué une interfédérale dont elle a exclu SUD, afin d’éviter qu’une majorité de syndicats se positionnent sur une nouvelle grève reconductible. Lors de sa commission exécutive du 5 décembre, la CGT justifie sa position, dénonçant SUD-Rail : « L’histoire se répète à chaque grand conflit social. La mouvance gauchiste, en instrumentalisant les mobilisations sociales, en divisant les salariés, en crachant sur les autres syndicats, a toujours servi les intérêts des pouvoirs en place et du patronat »…
Cette réunion interfédérale a été marquée par un cafouillage total : aucun accord, la CGT réduite à appeler à une grève, le 13 décembre, avec la CGC… avant de se retirer, la veille, sous la pression de nombreux militants – voire de sections entières – de la CGT, qui ne voulaient pas d’une grève de 24 heures, inefficace et diviseuse. Leur référence, c’est l’unité syndicale qui avait permis une grève historique le 18 octobre, car ils savent qu’il n’y a pas d’autre manière de faire plier le gouvernement.
Plus qu’un cafouillage, ce serait un immense gâchis, voire un sabotage, de « conclure » ce mouvement de la sorte. Le sentiment de combativité, qui dominait jusqu’à présent, pourrait rapidement se transformer en désarroi, en sentiment de défaite. Il est encore temps de se ressaisir. Les négociations vont se poursuivre jusqu’en février : d’ici là, c’est aux cheminots de faire comprendre aux fédérations qu’il faut repartir ensemble pour gagner.
QUE PERD UN CHEMINOT AVEC LA « RÉFORME » ?
Chaque agent de la SNCF représente un cas particulier, puisque cette « réforme » s’appliquerait progressivement, sur plus de dix ans. Si la « réforme » s’applique, et s’il part à 55 ans, il peut perdre jusqu’à 18 % de sa pension – déjà maigre – s’il est entré à la SNCF récemment, un peu moins s’il est plus ancien. Les nouveaux embauchés perdent 30 %.
La négociation fixée par le gouvernement ne fait que récupérer une petite partie de la perte : 3,6 % avec le dixième échelon (attribué automatiquement à l’ancienneté), 2,5 % d’augmentation de salaire et 1,5 % en cotisant sur les indemnités et des primes. Le reste des « acquis » n’est pas négligeable mais compte peu… et aurait pu être donné depuis longtemps.
Un cheminot actuellement en place, qui accepterait de travailler deux ans et demi de plus, c’est-à-dire qui partirait à 57,5 ans ou 52,5 ans pour un conducteur, ne subit pas la décote, et augmente sa pension. C’est un « acquis » du 6 novembre, obtenu par la pression de la grève reconductible. Pour les nouveaux embauchés, il faudra faire cinq ans de plus.
Basile Pot
RATP : Faux-semblant et confusion
A l’issue de la réunion tripartite du 5 décembre, la CGT de la RATP avait déposé un préavis de grève de 24 heures à la date de ce qui devait être la dernière réunion de négociations, le 12 décembre, pour que, selon ses mots, le « gouvernement et la direction de notre service public prennent en compte le mécontentement exprimé […] et fassent évoluer encore les réponses apportées dans le cadre de ces réunions de négociations ». Elle s’était retrouvée seule à le faire, alors que tous les syndicats se disaient prêts à organiser un mouvement pour peser sur la fin des négociations, SUD-RATP – qui avait refusé le principe de ces rencontres – défendant l’idée d’une grève reconductible pour refuser la réforme elle-même.
Le 10 décembre, la CGT a infléchi sa position. Sans retirer son préavis, elle n’appelait plus les salariés qu’à des « actions ponctuelles », « qui ne perturbent pas plus que nécessaire le service public », comme l’a expliqué, le lendemain, le secrétaire de l’union syndicale CGT-RATP, Jacques Eliez. Celui-ci a expliqué que des représentants du syndicat, reçus par la direction à la suite du dépôt du préavis de grève, avaient eu « un certain nombre d’éléments et de bougés » et que, d’autre part, « aucun syndicat ne s’était joint au mouvement ». La direction de la RATP aurait accepté, entre autres, une nouvelle séance de négociations, le 17 ou le 18 décembre.
Tout cela ne fait que rajouter à la confusion. Face au mécontentement des salariés, et alors que le seul moyen de gagner face à la direction, la grève reconductible, a été abandonné en cours de route contre les « avancées » que représentait, pour la majorité des syndicats, l’ouverture de négociations tripartites, il y a là une tentative de donner le change qui ne fait guère illusion. L’esprit de boutique a repris ses droits, chacun s’abritant derrière l’hypocrisie des autres pour justifier sa position. Loin de l’unité qu’avaient réussi à imposer la détermination des salariés et des militants syndicalistes, leur souci de surmonter, dans la lutte, les divisions, tant que la grève leur permettait d’imposer leur contrôle démocratique.
Galia Trépère
La capitulation, non merci
Le 12 décembre à la RATP, le 13 à la SNCF, la CGT avait appelé les salariés à « peser par l’action de grève sur les négociations pour gagner de nouvelles avancées », avant de suspendre son appel à la dernière minute, sous la pression de la base, qui ne voulait pas d’une grève de 24 heures, aussi inefficace que diviseuse. Si les directions des confédérations syndicales avaient voulu que les salariés soient en position de force, elles auraient encouragé les cheminots et les agents de la RATP à poursuivre la grève reconductible en novembre, au lieu de peser pour sa suspension. Elles auraient mis à profit la jonction qu’ils avaient faite d’eux-mêmes avec la grève des fonctionnaires, le 20 novembre, au moment aussi où s’exprimait la colère d’autres catégories de la population, comme les internes, les magistrats ou les pêcheurs. Elles ne laisseraient pas isolée et en butte à la répression la mobilisation des étudiants et des lycéens contre la loi sur l’autonomie des universités ou contre la réforme des bacs professionnels. Mais elles ne veulent pas la convergence des luttes.
C’est pourtant un mouvement d’ensemble du monde du travail et de la jeunesse qui est nécessaire pour stopper l’offensive de Sarkozy et de ses commanditaires du Medef. La grève que salariés et militants de la SNCF et de la RATP ont construite, de leur propre initiative, aurait pu être aux avant-postes d’une lutte de tous les travailleurs, du public comme du privé, pour le retour aux 37,5 ans pour tous. Avant 1993, tous les travailleurs pouvaient partir en retraite après 37,5 ans de travail. C’est le décret Balladur dans le privé, puis la loi Fillon en 2003 dans le public, qui ont augmenté le nombre d’années de cotisation pour avoir droit à une pension à taux plein, sous couvert d’une prétendue impossibilité de financer les retraites des plus vieux à l’horizon 2040. Prétexte mensonger qu’ont soutenu tous les dirigeants de la gauche institutionnelle, syndicale et politique, de Rocard avec son livre blanc sur les retraites en 1991, aux directions des grandes centrales syndicales qui participent au Conseil d’orientation des retraites, lequel préconise aujourd’hui le passage à 41 ans pour tous.
Fort de ces complicités, Sarkozy, muet pendant les grèves de novembre, réoccupe maintenant le terrain, servi par des médias à ses ordres. Quand il parle « d’augmenter le pouvoir d’achat » en transformant les jours de RTT en argent, ce sont les 35 heures qu’il veut remettre en cause et, à terme, toute durée légale du travail. Aux salariés, à ceux qui ne vivent que de leur travail, Sarkozy ne cesse de décliner toutes les manières de « travailler plus pour gagner plus ». Les patrons et les riches, eux, n’ont qu’à tendre la main. Dernières libéralités en date, qui ont valu à Sarkozy, les 8 et 9 décembre, une véritable ovation lors d’une manifestation de la CGPME (petites et moyennes entreprises), le gouvernement veut supprimer pendant deux ans les « seuils sociaux », qui imposaient aux patrons de payer des frais supplémentaires lorsqu’ils passent de dix à vingt salariés, ainsi que l’imposition forfaitaire annuelle (ce qui représente 1,6 milliard d’euros). Le gouvernement supprime 23 000 postes de fonctionnaires et devait annoncer, le 12 décembre, une série de mesures destinée à réduire les dépenses publiques tandis que, comme vient de le révéler un rapport fait au Sénat, près de 650 « niches fiscales » permettent aux plus riches d’alléger leurs impôts, pour un total de 72,3 milliards d’euros.
Le mouvement à la SNCF et à la RATP désarmé, le gouvernement accélère son offensive. Outre la réforme de l’État, l’allongement de la durée de cotisation pour les retraites, la fusion ANPE-Assedic, se prépare également la réforme du contrat de travail, dont le patronat veut qu’elle débouche sur la disparition des garanties attachées au contrat à durée indéterminée, avec une « séparation à l’amiable », un contrat de projet et l’allongement des périodes d’essai. Mais cette réforme de la « modernisation du marché du travail » est actuellement préparée par une « négociation » entre le patronat et les directions des confédérations syndicales, qui devrait déboucher sur un accord, d’ici à la fin décembre ou à la mi-janvier. Une autre série de concertations, auxquelles participent des représentants de l’État et des syndicats, prépare les mauvais coups contre les retraites, le statut des fonctionnaires, dont celui d’enseignant. Et là, il n’y a aucun rapport de force favorable aux salariés qui permettrait, comme c’est malgré tout le cas à la RATP ou à la SNCF grâce aux grèves de novembre, d’en limiter le coût pour les travailleurs.
C’est sur la base du consensus obtenu lors de ces « négociations » que le gouvernement compte faire passer, au printemps prochain, ces réformes. C’est dire si les travailleurs, militants syndicalistes, jeunes ne peuvent compter que sur leurs capacités d’initiative pour lui faire échec. En refusant la capitulation et en dénonçant les reniements, en prenant en main leurs propres luttes pour les diriger démocratiquement, seul moyen de les faire converger.
Galia Trépère