I. LA DECLARATION MINISTERIELLE : 6 RAISONS DE LA REJETER
Le Directeur général de l’OMC, M. Pascal Lamy, a présenté, le 26 novembre, le projet de déclaration ministérielle sur lequel les Ministres des 148 pays qui se réuniront à Hong Kong vont avoir à se prononcer.
On sait que les 25 Etats de l’Union européenne seront représentés au niveau ministériel, mais que seul le Commissaire européen, Peter Mandelson, pourra engager l’Union. Il le fera toutefois après avoir consulté les ministres européens juridiquement réunis en Conseil, sur place. Rappelons que toute décision à l’OMC requiert le consensus.
Le projet de déclaration ministérielle est constitué d’une introduction en 53 points et de 6 documents présentés sous forme d’annexes. Celles-ci n’ont absolument pas fait le consensus. Ce que reconnaît M. Lamy. On doit dès lors regretter que les 53 points de son texte prennent la forme d’un document qui engage la conférence ministérielle. Il eut été plus conforme que M. Lamy adresse à la conférence ministérielle un « rapport sur l’état des négociations »
Le projet de déclaration ministérielle a été présenté aux chefs des délégations à Genève. Il a suscité de très nombreuses critiques à telle enseigne que le 1 décembre, M. Lamy a présenté une version révisée de son projet. Cette dernière fait l’objet de la présente note.
Le texte de M. Lamy ne ressemble à aucun document du genre. Sur presque tous les chapitres du programme de négociation décidé à Doha, il présente un état des lieux de la négociation et en prend acte. La formule « nous prenons note » revient très fréquemment. Cette présentation est conforme au souci de « recalibrer » les ambitions de la 6e conférence ministérielle afin d’éviter un échec sur des propositions concrètes. Il y a une exception de taille : les services. L’Annexe C qui leur est consacrée présente un ensemble de décisions à adopter à Hong Kong.
Il faut ajouter que l’absence de propositions constitue également un choix et dès lors une invitation aux Ministres à faire ce choix. Il en va ainsi de la question des brevets et l’accès aux médicaments.
C’est une première raison de rejeter le projet de déclaration ministérielle.
I.1. LE DEVELOPPEMENT
On notera que les documents relatifs au programme de Doha, comme la plupart des déclarations des principaux négociateurs et de ceux qui les soutiennent dans les gouvernements et les médias, font tous référence à la nécessité première de placer le développement au centre des négociations. Manifestement, après quatre années de négociations, c’est surtout du développement des pays les plus riches dont il s’agit.
La théorie économique des avantages comparatifs, qui est vraiment le dogme que professe l’OMC, est celle qui est la moins appliquée dès qu’il s’agit des pays du Sud. En proposant un libre échange linéaire et une ouverture massive des marchés, l’Occident refuse à ces pays le bénéfice de leurs avantages comparatifs.
Et ce ne sont pas les effets d’annonce européens qui changent quelque chose. La fameuse initiative « Tout sauf les armes » (voir sur le site www.urfig.org) s’est bien avérée être un cadeau empoisonné qui n’a guère profité aux pays les plus pauvres. Ceux-ci perdent sur toute la ligne, en particulier les pays d’Afrique qui n’obtiennent rien sur le coton, qui perdent sur la banane et sur le sucre et auxquels les pays riches refusent l’accès aux médicaments essentiels.
L’abondant verbiage sur le développement du texte de M. Lamy ne trompe plus les premiers intéressés, même s’il est toujours relayé par les gouvernements européens, les partis politiques qui les soutiennent et la presse qui les sert.
Si on veut bien se souvenir qu’en 2001, lors de l’adoption du programme de Doha, la principale préoccupation des pays en développement était de redresser le caractère déséquilibré des accords de l’OMC notamment par des modulations dans la mise en œuvre de ces accords ainsi que par des mesures permettant un traitement spécial et différencié selon les pays, force est de constater que les questions de mise en œuvre ont disparu purement et simplement et que le traitement spécial et différencié est réduit à la portion congrue. Par contre, les négociations ont été recentrées sur l’ouverture des marchés du Sud aux produits manufacturés et aux services en provenance du Nord. Plus on parle de développement, moins on s’en soucie.
C’est une deuxième raison de rejeter le projet de déclaration ministérielle.
I.2. L’AGRICULTURE
Même si le rapport présenté prétend refléter l’ensemble des points de vue, la manière dont ceux-ci sont présentés conduit à faciliter des compromis favorables aux pays industrialisés à la fois en ce qui concerne les subventions à l’exportation, les aides internes et l’accès au marché.
On met en parallèle des niveaux d’intervention différents. Mais on n’indique pas que dans un cas le niveau d’intervention est celui pratiqué dans plus de 50 pays, tandis que dans l’autre il s’agir de la situation qui prévaut dans un seul. Comme le rapport indique qu’un accord doit se trouver à mi-chemin des situations existantes, celle d’un seul pays (en fait les USA) est placée sur le même pied que celle de 50 pays sans que cela soit visible. Les paramètres de la négociation sont ainsi orientés en faveur des pays riches.
Quant au dossier du coton, aucune solution n’est proposée et le texte ne fait même pas état de la proposition du Groupe africain. Les promesses faites aux pays africains en juillet 2004 n’ont pas été tenues.
C’est une troisième raison de rejeter le projet de déclaration ministérielle.
I.3. LE NAMA
Le rapport, bien évidemment, néglige de rappeler que des négociations sur l’ouverture des marchés aux produits non agricoles ont été littéralement imposées aux pays en développement alors qu’ils n’en voulaient pas. Il ignore donc le débat qui s’est tenu sur l’opportunité de telles négociations pour les pays faiblement industrialisés et pour les pays émergents. Il réduit la négociation à des questions de formules chiffrées alors qu’il s’agit en fait d’un conflit entre la volonté des pays fortement industrialisés d’ouvrir de nouveaux marchés et le souci des pays en développement de protéger leurs activités manufacturières naissantes ainsi que les matières premières dont ils sont détenteurs. Au contraire, le rapport fait état de « bons progrès » dans les négociations par secteurs, alors que les pays africains ont toujours refusé d’entrer dans ces négociations.
De plus, le rapport passe sous silence certaines propositions du Sud qui modulent les propositions de réduction des barrières tarifaires et non tarifaires avancées par les pays riches. Celles-ci sont linéaires et tiennent trop peu compte du degré respectif de développement des pays dont les pays industrialisés demandent l’ouverture des marchés.
En outre, le rapport, pourtant éloquent lorsqu’il s’agit de protéger les intérêts des Pays les Moins Avancés (PMA), passe sous silence les principales attentes exprimées par ceux-ci.
Ce rapport est totalement déséquilibré dans la mesure où il met en évidence les termes de la négociation auxquels les pays riches apportent la plus grande attention et ignorent les principales préoccupations des pays en développement. Il crée l’illusion de progrès qui en fait ne représentent que des gains pour les pays riches.
C’est une quatrième raison de rejeter le projet de déclaration ministérielle.
I.4. LES SERVICES (A.G.C.S.)
Depuis cinq ans, la Commission européenne, soutenue par des gouvernements de droite comme de gauche, exige une mise en œuvre « substantielle et significative » de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), qui va provoquer un bouleversement radical d’un vaste ensemble d’activités de notre vie quotidienne et remettre en question l’exercice des droits collectifs fondamentaux.
Les services recouvrent une multitude d’activités regroupées par l’OMC en 12 secteurs et cent soixante-trois sous-secteurs. Aucun service n’échappe à l’AGCS : ni les services sociaux, ni les services de santé, ni l’enseignement, ni la culture, ni les transports, ni les services environnementaux (en ce compris la gestion de l’eau).
Rappelons, une fois encore, que l’AGCS s’applique aux normes édictées par les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux pour toutes les activités de service qu’elles soient remplies par le secteur public, par le secteur privé et également par des organismes privés prestataires de services quand ils remplissent des missions d’intérêt général subventionnées par les pouvoirs publics. Contrairement à ce qu’affirment les néolibéraux de droite comme de gauche, l’AGCS ne régule pas les activités de service, il les dérégule afin de les mettre en concurrence. Cette dérégulation est d’une ampleur telle qu’à terme, seules des entreprises privées de taille internationale subsisteront et seulement dans les secteurs fortement rentables. A lui seul, l’AGCS est l’instrument d’un projet de société.
Une telle ambition ne peut se réaliser du jour au lendemain, c’est pourquoi il a été prévu que la mise en œuvre de l’AGCS fasse l’objet de série de négociations successives. A ce jour, la première de ces séries n’a pas encore abouti. C’est sans doute la raison pour laquelle beaucoup, en particulier dans la gauche politique et syndicale, demeurent peu attentifs à ce dossier et négligent les positions adoptées par l’Union européenne en vue des négociations à l’OMC.
Et pourtant, chacun peut observer les effets de l’AGCS dans les pays où, sous la pression du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, on a procédé à son application anticipée. En Amérique du Sud, le chemin de fer, moyen de transport le plus écologique et le moins onéreux, est en voie de disparition au profit du transport routier. En Afrique, la distribution d’eau est tombée dans de nombreux pays dans les mains de firmes privées européennes avec pour conséquences - rentabilité oblige ! - une augmentation du prix de l’eau, une diminution de sa qualité et une limitation de la distribution aux centres urbains. Des firmes privées européennes font payer l’eau en Afrique plus cher qu’en Europe !
Parce qu’ils sont les premiers à vérifier, par anticipation, la nocivité de l’AGCS, les pays en développement sont les plus opposés à sa mise en œuvre. Ce qui explique la lenteur des négociations. Malgré l’intense pression des groupements patronaux sur les gouvernements occidentaux et en particulier sur ceux de l’Union européenne, malgré l’agressivité des négociateurs européens à l’OMC, malgré le recours à des pratiques qui sont une insulte aux procédures démocratiques les plus élémentaires, jusqu’ici, une majorité écrasante de pays du Sud ont opposé une résistance tranquille en usant de la force de l’inertie.
Une flexibilité mise à mal
Ils l’ont fait en parfaite conformité avec les termes mêmes de l’AGCS. En effet, lors de la négociation de l’AGCS, pendant l’Uruguay Round, un accord était intervenu sur les modalités de son application. Ils acceptaient cet accord dont pourtant ils ne voulaient pas et faisaient ainsi une énorme concession aux pays riches. En échange, ils obtenaient que soient inscrites dans le texte des dispositions qui laissent à chaque Etat la liberté de décider à quelle activité de service, à quel moment et avec quelle ampleur il applique l’AGCS. C’est ainsi que l’AGCS, en préambule, reconnaît « le droit des Membres de réglementer la fourniture de services sur leur territoire et d’introduire de nouvelles réglementations à cet égard afin de répondre à des objectifs de politique nationale » et son article XIX dispose que « le processus de libéralisation respectera dûment les objectifs de politique nationale et le niveau de développement des différents membres tant d’une manière globale que dans les différents secteurs. » A ces principes qui concernent tous les Etats, du Nord comme du Sud, s’ajoute une précision : « Une flexibilité appropriée sera aménagée aux différents pays en développement Membres pour qu’ils puissent ouvrir moins de secteurs, libéraliser moins de types de transactions, élargir progressivement l’accès leurs marchés en fonction de la situation de leur développement. » De ces dispositions est né le concept de « listes positives », c’est-à-dire des listes de services auxquels s’applique l’AGCS, listes décidées volontairement et librement par chaque Etat.
Dès l’ouverture de l’actuelle négociation, en 2000, les pays riches (UE, USA, Japon) ont tenté de remettre en cause cette flexibilité. Dans le même temps, en Europe, les responsables de la Commission européenne et les gouvernements répondaient aux critiques que nous formulions par des propos apaisants mettant en évidence le concept de « listes positives »... Comme une majorité écrasante de pays s’opposaient à une application large de l’AGCS, lors de la conférence ministérielle de Doha en 2001, dans le contexte très particulier de l’après 11 septembre, l’Union européenne a réussi à imposer une méthodologie nouvelle : le mécanisme des demandes et des offres. Chaque pays doit adresser à chaque autre Etat membre une liste de services auxquels il veut voir appliqué l’AGCS. Chaque pays doit présenter une liste de services auxquels il est disposé à appliquer l’AGCS chez lui.
Aucune des échéances qui accompagnaient cette méthodologie ne fut respectée par les pays en développement. Quelques pays émergents firent des offres modestes en quantité et limitées en intensité. Et l’Union européenne, qui attendaient des offres « substantielles et significatives » fut la première à exprimer sa « déception ». Pour la conférence de Cancun (2003), les gouvernements européens précisèrent le mandat de la Commission en soutenant une proposition européenne visant à « obliger » chaque Etat à présenter des offres. Cette position européenne a été maintenue et même précisée après Cancun.
Changer l’AGCS pour l’imposer
Avec l’accord des 25 gouvernements européens, la Commission a proposé une nouvelle fois de changer la méthodologie de mise en œuvre de l’AGCS. Sans proposer de modification du texte, elle supprime les flexibilités qu’il contient.
Afin d’obtenir des offres « substantielles », l’UE a proposé d’imposer à chaque pays industrialisé d’appliquer l’AGCS à 139 des 163 sous-secteurs et à chaque pays en développement de l’appliquer à 93 sous-secteurs.
Afin que ces offres soient « significatives », l’UE, avec l’appui du Japon, a demandé que l’ouverture d’un secteur soitt accompagnée de « paramètres qualitatifs » dans chacun des quatre modes de fourniture de ce service.
Lorsque le service est délivré à l’étranger sans impliquer une présence du fournisseur (mode 1), le degré actuel d’ouverture ne pourra être modifié et aucune présence du fournisseur dans le pays où le service est fourni ne pourra être exigée. Lorsqu’il s’agit pour un consommateur se trouvant à l’étranger de faire appel à une activité de service (mode 2), aucune limitation ne pourra être imposée. Lorsqu’un fournisseur de service investira dans un pays étranger (mode 3), il devra pouvoir posséder 51% du capital de la société créée rendant ainsi impossible tout traitement différent entre une firme nationale et une firme étrangère. Avec le soutien de l’Inde, l’UE a demandé qu’un investisseur ne soit plus tenu à ce que son investissement respecte un cadre juridique donné. En ce qui concerne le mouvement des personnes physiques (mode 4), toujours avec le soutien de l’Inde, l’UE a proposé une plus grande flexibilité dans l’ouverture d’un Etat au personnel en provenance, à titre temporaire, d’un autre Etat.
En outre, pour contourner les résistances, l’UE, qui a obtenu le feu vert des gouvernements européens le 6 septembre au Comité 133, a proposé l’ouverture de négociations plurilatérales, c’est-à-dire entre les Etats qui souhaitent appliquer l’AGCS à un nombre encore plus élevé de services avec une intensité encore plus grande. L’objectif avoué est de supprimer, entre les Etats associés à cette négociation, les entraves à l’accès au marché pour la totalité des sous-secteurs dans le cadre du mode 3 (investissement).
On s’en rend compte, les propositions européennes - dans lesquelles on retrouve des dispositions de la proposition Bolkestein - suppriment toute flexibilité dans la mise en œuvre de l’AGCS.
Avec l’annexe C du projet de déclaration ministérielle, inchangée dans la version révisée par rapport à la version initiale, l’UE obtient très largement satisfaction sur les orientations générales de la mise en œuvre de l’AGCS et le changement de méthodologie pour y parvenir. Sans doute quelques indications chiffrées ne sont-elles pas reprises, (au grand dépit de la Commission européenne qui entend les introduire), mais la précision de la formulation et la référence explicite aux travaux conduits dans le cadre du Conseil des services ne permettent aucun doute sur la radicalité de la mise en œuvre de l’AGCS qui serait décidée si ce texte devait être adopté. Les négociations plurilatérales annoncées contraindraient les pays auxquels des demandes ont été adressées d’y participer. Avec le principe du traitement de la nation la plus favorisée, dont il est proposé de supprimer les exceptions, il suffirait une fois conclu un accord plurilatéral de le multilatéraliser. On voit la manœuvre.
Une écrasante majorité de pays ont exprimé leur refus des propositions européennes devenues les propositions de l’OMC. Les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine ont indiqué qu’ils refusent que soient décidés des objectifs quantitatifs et qualitatifs, des objectifs sur les modes de fourniture et sur les secteurs, ainsi que des dispositions autorisant des négociations plurilatérales. Ils ont demandé que l’Annexe C soit, elle aussi, « recalibrée » pour refléter les désaccords persistants.
Le statut de cette Annexe C a été au centre des débats du Conseil général du 2 décembre : les pays en développement ont obtenu que la référence à l’Annexe C dans le texte proprement dit de la déclaration ministérielle soit mise entre crochets, ce qui signifie que cette Annexe ne fait pas l’objet d’un accord. Il demeure toutefois qu’il est indiqué (point 21) que les négociations qui se dérouleront en 2006 auront pour objectif d’augmenter les engagements en quantité et en qualité.
On se trouve donc à la veille de Hong Kong devant 4 possibilités :
a) les pays riches, Union européenne en tête, vont tenter de faire disparaître les crochets qui encadrent dans le texte la référence à l’Annexe C ce qui signifierait que celle-ci constituerait le document de base pour la négociation ;
b) des pays en développement vont s’efforcer d’obtenir la suppression du point 21 ;
c) des pays vont tenter, si l’Annexe C est rétablie comme base de négociation d’en modifier les termes ;
d) des pays vont présenter une Annexe C totalement neuve.
Il ne fait aucun doute que pour la première fois l’AGCS sera un dossier au centre des débats d’une conférence ministérielle de l’OMC. Un dossier qui pourrait devenir aussi explosif que le fut l’investissement à Cancun si, comme à Cancun, les Européens manifestent la même arrogance et la même obstination.
C’est une cinquième raison de rejeter projet de déclaration ministérielle.
I.5. LES DROITS DE PROPRIETE INTELLECTUELLE ET LA SANTE
Le projet de déclaration réaffirme l’attachement à la décision du 30 août 2003 sur la possibilité conditionnelle d’importer des médicaments génériques.
Je ne reviens pas sur ce qui j’ai écrit dans ma note III du 14 novembre. Les pays en développement continuent de demander une révision de l’ADPIC lui-même afin de permettre l’accès aux médicaments essentiels puisqu’ils ont vérifié que la décision de 2003 est inapplicable. Européens et Américains n’acceptent pour toute modification à l’ADPIC que l’intégration des dispositions de cette décision (avec la déclaration interprétative restrictive qui l’accompagne pour les USA ; sans pour l’UE) C’est une fin de non recevoir des Occidentaux à la nécessité de permettre l’accès effectif aux médicaments.
Des milliers de gens vont continuer de mourir chaque jour parce qu’ils ne peuvent se soigner à cause des décisions occidentales. Les 25 gouvernements de l’Union européenne qui soutiennent cette position présentée par la Commission Barroso peuvent à bon droit être accusés, en même temps que les gouvernements américain et suisse, de complicité de crime contre l’humanité.
C’est une sixième raison de rejeter projet de déclaration ministérielle.
I.6. VERS HONG KONG
Deux types de réunions se tiennent en parallèle pour examiner le projet de déclaration ministérielle : les réunions régulières où tous les Etats membres ont le droit d’assister mais où on ne négocie pas et des réunions informelles où, autour du directeur général, négocient l’UE, les USA, le Japon et une vingtaine d’autres pays.
La semaine qui commence est la dernière pendant laquelle le texte révisé du projet de déclaration ministérielle pourrait encore être modifié avant que commence la conférence.
II. AU PARLEMENT EUROPEEN
En vue de la conférence de Hong Kong, le Parlement européen a organisé un débat. Comme il est d’usage, même si cela n’a guère d’influence sur la Commission et le Conseil des Ministres, une résolution est adoptée en conclusion de ce débat. A cet effet, chaque groupe politique prépare son propre projet de résolution. Comme aucun groupe ne dispose de la majorité absolue, l’étape suivante consiste à négocier avec d’autres groupes afin de réunir le plus grand nombre de soutiens au texte négocié.
Le groupe socialiste avait le choix : soit négocier à gauche avec la Gauche Unitaire Européenne - Gauche Verte Nordique (GUE/NGL) et les Verts, soit négocier à droite avec le PPE (les conservateurs britanniques, les chrétiens démocrates et l’UMP), l’ALDE (les libéraux dont l’UDF) et l’Union pour l’Europe des Nations (un groupe d’ultra nationalistes qui comprend quelques fascistes). Les socialistes ont choisi de négocier à droite un texte très néolibéral dont un des signataires est le Français Harlem Désir (document du 28 novembre 2005).
On peut y lire que « grâce au système commercial multilatéral de l’OMC la croissance mondiale, le développement et l’emploi ont augmenté significativement. » Ce que toutes les études indépendantes contredisent. Et en conséquence, le texte appuie toutes les décisions prises à l’OMC, bien souvent à l’initiative de la Commission européenne soutenue par les 25 gouvernements.
Les socialistes avec les libéraux, la droite et l’extrême-droite, dans leur projet de résolution commune, formulent les points de vue suivants :
a) dans une phraséologie en tous points conforme au double langage de la Commission européenne et de l’OMC, les amis de Pascal Lamy alliés pour la circonstance aux conservateurs de toute l’Europe et à l’extrême droite certifient qu’un accord sur le programme de négociation [totalement favorable aux pays les plus riches] décidé à Doha en 2001 va « bénéficier à l’emploi, à la croissance et à la sécurité en Europe tout en offrant de nouvelles opportunités aux exportateurs européens dans une économie globale ouverte et au profit d’un monde plus stable ». On croit rêver. Depuis quand le libre échange a-t-il été créateur de plus d’égalité entre les peuples, de plus de justice dans chaque pays, de plus de prospérité pour tous ? Les socialistes ont totalement renoncé à ces exigences dont la satisfaction peut seule apporter la sécurité et la stabilité.
Si ce programme de Doha était si bienfaisant, pourquoi, depuis quatre ans, suscite-t-il tant d’oppositions au point qu’aucun des points de ce programme n’a débouché sur un accord ?
b) ils expriment leur soutien à la Politique Agricole Commune (PAC) de l’UE dont on sait qu’elle est à l’origine de la disparition de centaines de milliers d’emplois dans le monde rural, de graves crises sanitaires et de dégâts écologiques majeurs sans nous avoir pour autant apporté la pleine autonomie alimentaire (l’Europe est importatrice nette d’oléagineux). Dans le même temps, ils consacrent un couplet à l’agriculture multifonctionnelle qui devrait intégrer le souci d’une alimentation de qualité, d’une protection de l’environnement et de l’emploi rural. Double langage qui ne trompe plus personne.
c) ils demandent que les négociations sur l’ouverture des marchés aux produits manufacturés et aux matières premières - que les pays en développement n’ont jamais demandées et qui leur sont imposées - soient « accélérées aussi vite que possible » ; et de répéter le slogan que « les barrières commerciales sont un obstacle au développement durable ». Négligeant totalement le fait que les droits de douane représentent une des principales ressources des pays du Sud, ceux qui se prétendent socialistes soutiennent, avec les portes paroles politiques du patronat, la plus néocolonialiste des négociations ! Quand on sait que le concept de développement désigne en fait l’emprise des firmes du Nord sur les pays du Sud, on comprend que les pays riches veulent que ce développement soit durable et que toute résistance à cette emprise contrevienne à sa durabilité.
d) ils soulignent la nécessité que la conférence de Hong Kong « conduise à un accord ambitieux sur les services » qui apporte l’ouverture des marchés pour les entreprises européennes tout en concédant que cela ne devrait pas s’appliquer à la santé, l’éducation et la culture. Mais en contradiction avec tous les engagements pris à l’OMC, ils exigent la pleine réciprocité entre l’ouverture des marchés européens et ceux du Sud. Ils soutiennent la modification de fait de l’AGCS que l’UE réclame pour forcer les pays qui refusent de mettre cet accord en œuvre à l’appliquer.
e) ils demandent sans autre précision une « solution permanente » pour l’accès aux médicaments essentiels sans indiquer le contenu de cette solution, alors que la Commission européenne entend imposer comme « solution permanente » la décision de 2003 qui s’est avérée impraticable.
f) dans un remarquable appel à la servitude volontaire, ils soulignent « l’importance d’un soutien public et politique au système de l’OMC » tout en proposant des réformes dont ils ne fournissent aucune indication sur leurs orientations et leur contenu. Un bel exemple de « socialisme d’accompagnement »...
L’alliance ainsi formée sur ce texte entre socialistes, libéraux, droite et extrême droite a permis une synthèse qui est assurée d’obtenir la majorité. C’est donc un tel texte qui sera l’expression du Parlement européen. Pas de quoi se réjouir ! De synthèse en synthèse, la social-démocratie abandonne toujours un peu plus les peuples qu’elle prétend représenter.
Raoul Marc JENNAR
chercheur auprès du mouvement social
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