Les récentes élections locales partielles en Grande-Bretagne ont été catastrophiques pour le Parti travailliste alors que les Conservateurs en ressortent grand gagnants, remportant aussi la mairie de Londres. En dehors de la capitale, les résultats sont de 44% pour les Conservateurs et 24% seulement pour les Travaillistes.
Ces résultats sont une condamnation sans appel de la politique anti-classe ouvrière et pro-guerre de Gordon Brown. Quelques jours à peine avant cette élection, le gouvernement se trouvait en situation de conflit avec les député-e-s de son propre camp au sujet de l’abolition du taux d’imposition spécial réservé aux très bas revenus - ceci afin de financer des baisses d’impôts destinées aux plus aisés. Cette attaque contre les 5 millions de gens les plus pauvres du pays n’a pas été une bonne stratégie électorale.
De plus, le gouvernement travailliste est aussi attaqué pour sa politique d’augmentation de salaires ultra-minimalistes pour les travailleurs-euses du secteur public, ceci dans une situation d’inflation en forte hausse. Le gouvernement s’est également montré incapable de défendre le pouvoir d’achat face à la crise économique, crise qui frappe particulièrement la Grande-Bretagne en raison de ses liens économiques étroits avec les USA.
Cependant, le début du déclin aigu de popularité des travaillistes date de la décision, prise par Tony Blair, d’apporter un soutien total à la guerre des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan après le 11 septembre 2001.
Bien que des circonstances particulières expliquent la brutalité du déclin des travaillistes, cette nouvelle crise s’inscrit dans le cadre d’un virage général à droite en Europe - du moins sur le plan électoral.
Ces trois dernières années nous avons vu :
– L’accession au pouvoir de la droite CSU/ CDU en Allemagne, grâce à la capitulation du SPD de centre-gauche, sous forme d’une coalition dirigée par Angela Merkel ;
– l’élection d’un gouvernement ouvertement de droite au Portugal pour la première fois depuis 1975 ;
– la récente élection d’un gouvernement Berlusconi très à droite en Italie ; · la victoire de l’alliance de droite de Sarkozy en France en 2007 ; ·
– + un gouvernement populiste de droite au Danemark, et un gouvernement de droite anti-immigrés aux Pays-Bas.
L’Espagne et la Grande-Bretagne sont les seuls pays où un « centre-gauche » pro-néolibéral se maintient au pouvoir - et en Grande-Bretagne les élections générales de 2010 verront certainement une défaite des Travaillistes.
Des marxistes doivent analyser cette situation attentivement, sans tomber dans un alarmisme simpliste. Cependant il serait imprudent d’ignorer les signes de danger. Alors que nous entrons dans une crise économique majeure qui se traduira aussi par une nouvelle attaque de grande envergure contre le niveau de vie des travailleurs-euses, la droite agressive néolibérale et anti-immigrés passe à l’offensive, avec parfois le concours d’une composante fasciste ou d’extrême-droite. L’élection à la mairie de Rome d’un candidat ouvertement néo-fasciste en est une illustration éloquente.
Responsabilité du centre-gauche social-démocrate
La situation actuelle conduira certainement à de nombreux débats au sein de la gauche européenne et il arrive souvent que des militant-e-s tirent de défaites des conclusions pessimistes et de droite, plutôt que des conclusions militantes avec un point de vue de classe. Ainsi, il est important de préciser les responsabilités quant à cette situation.
En réalité, le centre-gauche n’a rien entrepris pour s’attaquer sur le fond aux inégalités de classe, ils n’ont pas réagi aux présupposés racistes de la droite anti-immigrés et n’ont presque rien fait pour combattre l’insécurité et le chômage touchant la plupart des travailleurs-euses du continent.
En Grande-Bretagne, où la croissance économique a été considérable ces derniers dix ans, avec un bas taux de chômage, la situation de fond de la plupart des travailleurs-euses ne s’est guère améliorée, les inégalités sociales ont crû massivement, le pays est resté l’un de ceux en Europe à la mobilité sociale des plus basses et des sommes énormes ont été englouties dans des guerres insensées. De plus, l’inflation s’emballe et les restrictions du crédit obligent un nombre croissant de personnes à trouver des emplois supplémentaires pour joindre les deux bouts.
Pour la plupart des gens, le bilan du gouvernement travailliste se résume à l’obligation de travailler plus dur et plus longtemps, dans une insécurité économique accrue. Dans le même temps, la situation des riches et des ultra-riches s’est améliorée de manière extraordinaire. Les travaillistes en ont payé le prix électoral : des millions d’électeurs-trices ne se sont pas rendus aux urnes ou ont changé de parti.
Bases sociales et idéologiques de la réaction
C’est la même histoire partout : Le « centre-gauche », la gauche néolibérale, est discréditée. Un espace politique s’ouvre pour une alternative, mais des forces à forte prédominance bourgeoise ou populistes de droite sont mieux placées pour occuper cet espace que la gauche anticapitaliste de lutte des classes. Il y a à cela plusieurs raisons principales :
• Les victoires néolibérales dans la lutte des classes ont fait reculer les syndicats et fait du mouvement ouvrier un pôle social et politique bien moins important dans la société, avec des conséquences négatives inévitables pour la gauche anticapitaliste. Pour qu’un projet anticapitaliste soit crédible, il doit avoir un agent de changement crédible, non seulement en termes de forces politiques organisées - bien que ce soit vital - mais aussi en termes de poids social et de dynamisme. C’est de loin le facteur principal de la faiblesse de la gauche aujourd’hui.
• Les mass medias capitalistes sont de plus en plus concentrés entre quelques mains et fonctionnent de plus en plus ouvertement comme vecteur de mobilisation de masse réactionnaire - des exemples frappant dans ce sens sont l’Evening Standard et le Daily Mail en Grande-Bretagne, ainsi que la TV et la presses aux mains de Berlusconi en Italie.
• Ces medias réactionnaires ont une énorme audience auprès de la petite bourgeoisie enragée des centres urbains de plusieurs pays. Ceci est une base clé de la frénésie anti-immigrés, spécialement en temps de crise et d’insécurité économiques. La petite bourgeoisie suburbaine a été la base essentielle de la campagne médiatique en faveur de Boris Johnson (candidat conservateur à la Mairie de Londres) ; elle est aussi la base essentielle pour Berlusconi et le chef de la Ligue du Nord Bossi en Italie, et la base de Le Pen et de Sarkozy en France. Naturellement, une telle base peut être utilisée pour faire de grandes percées en direction des secteurs les plus arriérés de la classe ouvrière. Dans des pays importants, des changements sociaux quant à la composition de la main-d’œuvre, avec en particulier à l’échelle mondiale le déplacement vers le Sud ou l’Est du prolétariat industriel, ont provoqué un renforcement du poids spécifique de la petite bourgeoisie et miné le syndicalisme en attendant que le nouveau prolétariat « des bureaux » se forge une culture d’organisation et de lutte.
• Dans certaines régions ouvrières de Grande-Bretagne et d’autres pays, une partie de la classe ouvrière frappée par le chômage de longue durée s’est démoralisée ou transformée en lumpen-proletariat. Elle est la cible idéale des fascistes et des démagogues xénophobes.
• Le déclin du poids social de la classe ouvrière organisée et des luttes syndicales de masse ont facilité l’offensive culturelle réactionnaire de la droite, particulièrement auprès des jeunes. Des idéologies simplistes d’hédonisme, de célébrité et de carrière personnelle ont une emprise très forte, bien que chez les jeunes la pauvreté dans le Tiers-Monde, la crise de écologique et la guerre, sont des sujets qui font contrepoids de manière significative.
La crise idéologique profonde provoquée par ces facteurs est tristement illustrée par la réhabilitation de la figure morbide de Mussolini dans des secteurs des classes moyennes et supérieures italiennes, ainsi que par le révisionnisme historique visant à mettre sur un plan d’égalité morale les partisans communistes et les fascistes pendant la Deuxième guerre mondiale.
Le poison du racisme anti-immigrés et anti-musulmans
Il est frappant de remarquer à quel point le racisme anti-immigrés et islamophobe est un thème fédérateur des réactionnaires d’Europe. Deux facteurs interagissent dans ce sens :
– D’une part l’idéologie hystérique de la « guerre contre le terrorisme » après le 11 septembre 2001, qui permet à un auteur en vogue « respectable » (mais aussi misogyne et de droite) comme Martin Amis en Angleterre de pontifier ouvertement sur sa haine contre les musulmans.
– D’autre part, les différentes vagues d’immigration dues aux crises économiques et politiques à travers le monde néolibéral globalisé.
De telles vagues d’immigrations se sont toujours produites et il est impossible de les arrêter. C’est pourquoi les USA et le Royaume-Uni ont une population juive et les USA une population américano-irlandaise (c’est aussi pourquoi tant de gens sont d’ascendance irlandaise en Australie). La crise économique et l’« épuration ethnique » de la fin du 19e siècle en Russie et en Europe de l’Est ont contribué à transformer la carte démographique du monde entier.
Les mêmes facteurs fondamentaux sont à l’œuvre aujourd’hui, du Mexique au Zimbabwe. Le bilan des vingt ans passés en Europe montre que les tentatives d’agir dans le cadre du paradigme anti-immigration, mais de manière « plus humaines » ne marchent pas. En Angleterre, les tentatives successives de politiques « plus musclées » du New Labour envers l’immigration, n’ont fait qu’ouvrir la porte aux conservateurs et aux fascistes du British National Party. Le refus du centre-gauche de prendre une position claire contre le racisme et en faveur des droits des migrant-e-s n’a fait qu’encourager la droite dure, la droite encore plus dure, et les fascistes.
Le racisme et le nationalisme réactionnaire sont bien sur enracinés dans certaines parties de la population dans les pays capitalistes développés. Il n’y a pas de « solution miracle » à ce problème, au-delà de la défense militante des communautés migrantes et des réfugié-e-s. Toutefois le mouvement anti-guerre, certes affaibli mais toujours vivant, est un élément vital dans la création d’une atmosphère politique de solidarité humaine et de défense des opprimé-e-s.
Luttes sociales et gauche anticapitaliste
Comment il ne faut pas réagir à la montée en puissance électorale de la droite a été clairement illustré par la débâcle des deux dernières années de Refondation Communiste en Italie. Fausto Bertinotti a entraîné le parti dans un virage serré à droite, avec sa participation à la coalition néolibérale de centre gauche de Romano Prodi. Ce fut un désastre, démontrant la futilité d’une tentative de construire un rempart gouvernemental néolibéral de centre-gauche contre les néolibéraux de droite.
La conséquence en a été l’anéantissement de la représentation de Rifondazione au parlement italien lors des dernières élections et la chute en piqué de l’alliance « Arc-en-ciel » créée par Rifondazione, qui est maintenant dans un processus d’éclatement. Si l’on participe à un gouvernement néolibéral de gauche, on est nécessairement contaminé par lui, dans le cas italien, par la participation à la guerre en Afghanistan et à des politiques économiques contre les travailleurs-euses. Après les élections, Bertinotti a déclaré que le gouvernement Prodi « n’avait pas aidé les travailleurs ». On se demande pourquoi il n’y avait pas pensé avant de former cette coalition gouvernementale.
Le virage à droite de Rifondazione a porté un coup majeur à la tentative de résoudre la crise de représentation de la classe ouvrière au niveau politique national. En Italie et ailleurs la lutte pour une telle alternative demeure une tâche primordiale. Mais elle s’inscrit dans une situation économique, sociale et politique nouvelle, comme en témoignent les récents évènements en Grande-Bretagne.
L’inflation galopante et les faibles augmentations de salaire y ont provoqué le 24 avril la première grève nationale des enseignant-e-s depuis 20 ans. Elle se déroulait en même temps qu’une grève des fonctionnaires contre les bas salaires et les restructurations néolibérales, et en même temps qu’une grève des travailleurs de la raffinerie de Grangemouth en Ecosse contre la réforme de leur système de retraites, cette dernière semblant avoir rencontré un succès relatif.
Il est probable que de tels phénomènes deviennent, de manière inégale, la tendance en Europe. Dans la plupart des pays, il n’y a aucune chance à court terme d’un gouvernement qui donne un répit aux travailleurs-euses face aux attaques du néolibéralisme sauvage. Le choix sera, de plus en plus, entre lutter ou capituler.
Chaque crise économique est une attaque contre la classe ouvrière, et dans cette situation la colère contre l’Europe des super-riches et contre le monde confortable et auto-satisfait d’une certaine petite bourgeoisie urbaine ne fera que croître - entraînant des grèves et des conflits sociaux importants. Cela se dessine déjà en Angleterre et se produit bien plus déjà en France, en résistance à Sarkozy. Seules de telles luttes créeront la base d’un renouveau du mouvement ouvrier et de la gauche.
Anticapitalisme et écologie
Cependant, sur un plan idéologique, la gauche militante doit se positionner à l’intersection de l’anticapitalisme et de l’écologie. Ceci est en particulier vrai face à la crise alimentaire mondiale. La ruée sur les agrocarburants, pour répondre à la demande écologiquement démentielle des voitures privées aux USA et ailleurs est un des principaux facteurs de l’aggravation de la crise la plus fondamentale touchant les populations du Tiers-Monde : le manque de nourriture pour survivre. Les mêmes facteurs, spéculation et agrocarburants, provoquent l’explosion des prix de l’alimentation dans les pays développés et viennent empirer la situation des travailleurs-euses. Rien ne démontre mieux la banqueroute du capitalisme.
Les victoires électorales de la droite et la crise économique provoqueront de nouvelles luttes sociales, mais aussi des attaques renforcées contre les syndicats, contre les travailleurs-euses en général et contre les immigrant-e-s et les réfugié-e-s.
Cela nous indique où la gauche anticapitaliste doit se positionner stratégiquement. En disant OUI à la lutte pour la création de nouveaux partis anticapitalistes, OUI à la justice économique et environnementale globale. Mais par-dessus tout en se positionnant au cœur des batailles sociales et économiques à venir, parmi les ouvriers-ères, les jeunes et les immigrant-e-s…