Le ministre du Travail, Brice Hortefeux, a répondu par le mépris aux manifestations du 1er mai : rendez-vous en été ! C’est sa façon de marquer les deux ans de pouvoir du maître de l’Elysée. Face à ce défi, l’intersyndicale répond par deux dates : une « mobilisation décentralisée » le 26 mai, totalement indéfinie, et une « grande journée de manifestations », samedi 13 juin. Ce compromis signifie que personne ne voulait, à ce stade, sortir du front unitaire, quelle que soit sa visée stratégique. Il reste donc à tout faire pour remplir ce cadre creux d’une dynamique offensive. Comment ? Il est possible que la première date, le 26 mai, serve d’allumage - mais par la grève partout - pour une énorme vague de manifestations directement politiques au lendemain des européennes. Il est aussi possible, que d’ici là, salariés et équipes militantes prennent au mot la volonté affichée de « préciser » la plateforme revendicative du 5 janvier.
Car le 1er Mai a été, une fois de plus, le moment témoin d’une grande exigence d’action. Ceux qui étaient dans la rue n’étant par ailleurs que la partie immergée d’un potentiel populaire très large (70 à 80% soutiennent les journées syndicales), y compris les actions radicales bien ciblées (séquestrations, coupures d’énergie). L’orchestration médiatique visant à stigmatiser une « extrême gauche » sociale, prétendument manipulée par l’extrême gauche politique, si elle produit une chasse aux sorcières dans certains sommets syndicaux, n’a pas réellement d’effet dans la détermination à combattre les fauteurs de crise et Sarkozy. « Rève générale » et « Casse-toi pauv’con » étaient les autocollants les plus répandus de la manifestation parisienne, sous les sigles les plus variés, ou sans sigle du tout, pour des manifestants venus faire masse, solidairement. De même, la grande sympathie envers les cortèges NPA dynamiques (« que du bonheur », résume-t-on à Lannion) témoigne aussi de cela : mettons le paquet ensemble, sans se détacher du front unitaire.
La journée a-t-elle cependant été aussi « exceptionnelle » que les syndicats l’annonçaient ? Non. C’était une erreur de laisser croire que le crescendo allait continuer tout seul : 29 janvier, 19 mars, et encore plus fort le 1er Mai, comme si tout se cumulait. Pour qu’une dynamique populaire progresse en crescendo, il faut que des enjeux précis existent, qu’une victoire possible semble à portée de lutte. La stratégie moyenne du front syndical atteint là ses limites.
Personne n’exige d’appuyer sur le bouton « grève générale » : il n’existe pas. Mais favoriser tout ce qui peut unir les secteurs les plus mobilisés, ou en colère, avec ceux qui agissent pour la première fois, c’est faisable, et cela prépare le cumul des luttes. Pourquoi ne pas encourager, partout, de vraies revendications chiffrées, comme les 200 ou 300 euros ? Plusieurs unions locales ou départementales de la CGT reprenaient ces exigences (« comme aux Antilles », disait la sono Val-de-Marne ou celle de La Courneuve), ou celle de grève dure (CGT-Gers). Pourquoi avoir refusé des cortèges unitaires d’hôpitaux le 19 mars ? Pourquoi ne pas chercher à coordonner les Continental avec les Caterpillar, les Molex, plutôt que de les laisser isolés ? N’est-ce pas à cela que répond l’idée d’une « marche commune » ?
C’est parce qu’un besoin d’appropriation démocratique de l’action existe que se mettent en place des collectifs rassemblant syndicats, partis, associations, comme à Saint-Denis (400 en manifestation, le matin du 1er Mai), à Bayonne, à Mulhouse, ou Niort, où s’est formé un « collectif citoyen » très large.
Dominique Mezzi
Actionnaires choyés, salariés virés…
L’affaire de la Société générale et la publication des dividendes versés aux actionnaires du CAC40, au moment où sont annoncés plus de 63000 chômeurs en mars, illustrent la politique des classes dirigeantes : faire payer la crise dont elles sont responsables à la population.
Le nombre de chômeurs a augmenté, en mars, de 63400, après 79900 en février et 90200 en janvier. Ce sont près de 2,5 millions de personnes qui sont désormais comptabilisées officiellement dans la catégorie A sans que soient encore pris en compte dans ces statistiques les plans de licenciements qui ont été annoncés en rafales ces dernières semaines (Sony, Caterpillar, Molex, Altis, Continental, Fulmen-Exide)… Ce sont des milliers de vies qui sont brisées, des régions entières dévastées.
Mais voilà qu’au moment où ces chiffres qui expriment la catastrophe sociale sont publiés, éclate une nouvelle affaire à la Société générale, révélée par le journal Libération. La banque accuserait des pertes de 5 à 10 milliards d’euros, résultat de spéculations hasardeuses.
La Société générale avait été la première banque française à annoncer des pertes colossales en janvier 2008, de l’ordre de 7 milliards d’euros, dont elle avait fait porter le chapeau à l’un de ses traders, Jérôme Kiervel, accusé d’avoir perdu près de 5 milliards. Puis, alors que les banques avaient commencé à révéler leurs pertes dans la crise des subprimes, à l’automne 2008, son PDG, Daniel Bouton, avait fait scandale en réalisant une plus-value de 1,3 million d’euros grâce à ses stock-options. Sarkozy, dans une de ses envolées hypocrites contre les bonus des patrons, n’avait pas manqué de le montrer du doigt. Mais ces frasques financières n’ont pas empêché l’Etat de verser récemment à la banque 1,7 milliard d’euros d’aides.
Deux jours après les révélations de Libération, Daniel Bouton démissionnait. Il a eu le culot de se poser en victime, mais n’a pas manqué de s’assurer une retraite à vie de 730000 euros par an, 58% de sa rémunération de 2007 (1,25 million d’euros). Au gouvernement, personne n’y a trouvé à redire. Et pour cause, Sarkozy et ses ministres sont entièrement dévoués aux intérêts de ce monde des patrons qui s’octroient des salaires mirobolants, de cette minorité privilégiée qui décide du sort de millions d’hommes et de femmes.
Cette même semaine, on connaissait le montant des dividendes versés pour l’année 2008 aux actionnaires des grosses entreprises cotées à la Bourse de Paris : 35,5 milliards d’euros, un tout petit moins que ceux versés en 2007 (37,8 milliards), alors qu’on ne parlait pas encore en France de la crise financière et économique. En 2008, les bénéfices du CAC 40 ont baissé par rapport à ceux de l’année précédente (58,41 milliards d’euros contre près de 100 milliards en 2007), mais la proportion de ces profits versée aux actionnaires a augmenté, passant de 44% à environ 60%.
Ces quelques faits illustrent la politique des classes dirigeantes. Leur seule préoccupation est de faire payer une crise dont elles sont entièrement responsables aux couches populaires, à tous ceux qui ne peuvent vivre que de leur travail. Cela devient l’évidence pour une majorité.
Il n’y a pas d’autre issue que se préparer à contester frontalement cette politique destructrice, autour d’un plan d’urgence qui réponde aux besoins de la population - l’interdiction des licenciements, le partage du travail existant entre tous, sans perte de salaire, la garantie d’un revenu décent, au minimum 1500 euros net.
Galia Trépère