Ce 24 octobre, des milliers d’organisations se sont efforcées énergiquement de stimuler une prise de conscience mondiale par rapport à la catastrophe climatique en cours (voir : www.350.org). Peter Bond nous rappelle ci-dessous quelques-unes des revendications en provenance de l’hémisphère sud de la planète.
Les récentes négociations de Bangkok, conséquences du Protocole de Kyoto, ont confirmé que les Etats du Nord et leurs entreprises ne sont pas prêts à faire un véritable effort pour tendre vers les 350 ppm (partie par million) de CO2 dans l’atmosphère (niveau à partir duquel le réchauffement climatique s’emballe – nous en sommes à 385 ppm, NdT).
Que faire de Kyoto ?
Les émissaires d’Obama laissent entendre que le Protocole de Kyoto (1997) est beaucoup trop contraignant pour le Nord et trop souple pour quelques gros pollueurs du Sud, dont la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. L’accord avait promis de réduire de 5 % les émissions d’ici 2012 (par rapport à 1990), ce qui est désormais impossible. Obama espère donc que le monde va accepter de fixer le nouveau point de départ à 2005 ; ainsi, une réduction de 20 % en 2020 ne représenterait que 5 % par rapport à 1990. C’est la catastrophe assurée : les petites nations insulaires revendiquent une réduction de 45 %.
L’autre raison pour laquelle les écologistes conséquents ne peuvent pas prendre Kyoto au sérieux, c’est qu’il autorise un véritable racket sur le marché du carbone et permet de fausses déclarations sur les réductions d’émissions. […] Nous disposons de nombreuses preuves des erreurs, des fraudes et des incapacités systémiques du marché à réguler le commerce du CO2 (voir : www.350reasons.org).
Une dernière raison de dépasser rapidement Kyoto et son orientation marchande, c’est que l’impact du changement climatique va affecter plus durement les populations les plus pauvres et les plus vulnérables du monde. Des réparations à l’égard du Sud liées à la dette climatique sont à l’ordre du jour. L’Union européenne a offert une misère, tandis que les dirigeants africains se préparent à un combat à Copenhague qui rappelle celui de Seattle il y a dix ans. Pourtant, l’entêtement du Nord se confirme sur deux fronts : d’abord, les intérêts liés à l’accumulation du capital à court terme, ensuite le discours des écologistes libéraux qui commencent à saisir l’énorme erreur stratégique qu’ils ont commise à Kyoto.
Obama choisit le laisser-faire…
Sur le premier front, Obama espère que des plans nationaux non contraignants pourront être acceptés à Copenhague. Mais sa position est fragile, puisque dans son propre pays, les deux principales dispositions annoncées – la loi Waxman-Markey (Chambre des représentants) et la loi Kerry-Boxer (Sénat) – risquent de faire beaucoup plus de mal que de bien. Il suffit d’écouter Rich Boucher, membre du Congrès d’un district charbonnier du sud-ouest de la Virginie : s’il a soutenu la loi Waxman-Markey, c’est parce qu’elle ne mettra pas en difficulté les industriels qui le soutiennent. Les deux milliards de tonnes de droits d’émissions prévus signifient qu’« une centrale électrique au charbon ne devra pas réduire ses émissions (…) [ce qui] renforcera la position de ceux qui veulent continuer à en produire avec du charbon ».
Boucher and Co travaillent également dur pour enlever à l’Agence de protection de l’environnement (EPA) la compétence de réguler le CO2. La loi Waxman-Markey prépare le terrain : selon John Kerry, l’autorité régulatrice de l’EPA n’est pas supprimée maintenant, mais elle pourra l’être ultérieurement, ce qui donnera « un peu d’espace de négociation tandis que nous progresserons ». La loi du Sénat contient toutes sortes d’autres dispositions critiquables. […]
Le rapport de forces est fluide. Les producteurs d’énergies fossiles s’efforcent avec succès de transformer la législation climatique d’Obama en pure farce. Quant aux principales agences environnementales du courant de pensée majoritaire – comme Environmental Defense Fund et Natural Resources Defence Council –, elles préconisent des stratégies fondées sur le marché, tentant de sauver le crédit du président en affirmant que ses lois sont un « premier pas » vers des réductions d’émissions plus sérieuses.
Les négociateurs US vont ainsi aller à Copenhague dans le but de liquider les quelques acquis résiduels de Kyoto – tels que les réductions d’émissions potentiellement contraignantes, avec leurs mécanismes de contrôle – pour laisser jouer les dynamiques marchandes, rendant ainsi le désastre climatique inévitable. Ainsi, comme en 1997, lorsqu’Al Gore avait introduit le marché du carbone dans l’accord initial – et qu’il avait rompu par la suite ses engagements en ne réussissant pas à amener les Etats-Unis (autant sous Clinton que sous Bush) à ratifier le Protocole – tout porte à croire que si Copenhague parvient à un accord, il n’aura pas plus de valeur que celui de Kyoto.
La sphère militante US
Ceci nous amène aux dilemmes auxquels sont confrontés deux autres protagonistes : les écologistes états-uniens de base – fidèle des utiles blogues de Grist (www.grist.org : une importante agence d’information verte, NdT ) – et les militant·e·s du Tiers-Monde, qui vont devoir faire face aux effets les plus brutaux du chaos climatique des décennies à venir.
Jonathan Hiskes de Grist a réagi récemment au premier dilemme en qualifiant James Hansen, le directeur du Goddard Institute for Space Studies – le climatologue le plus réputé aux Etats-Unis – de « provocateur ». Ce dernier a non seulement mouillé sa chemise et fait beaucoup de bruit cette année pour arrêter une centrale au charbon en Virginie occidentale, mais il a aussi pris position à plusieurs reprises contre le marché du CO2 […]
Hiskes affirme qu’en dénonçant les lois d’Obama comme « faisant plus de mal que de bien », Hanson et d’autres intransigeants ignorent « le précédent historique de législations gravement déficientes au départ, qui ont évolué vers quelque chose d’efficace et de durable. La loi sur la qualité de l’air n’avait pas pris en compte le ravage des pluies acides […] La première loi sur la sécurité sociale ne concernait pas les travailleurs domestiques ou agricoles […] ». Pourtant, ces deux lois renforçaient les écologistes et les syndicats face à leurs adversaires. Elles avaient un potentiel universel et pouvaient être améliorées par étapes. En revanche, la législation climatique d’Obama tourne à tel point le dos à la bonne voie – en faisant de la marchandisation de l’air sa principale stratégie et en renforçant les industriels qui utilisent des combustibles fossiles – qu’elle prépare la catastrophe. […]
Développement ou maldéveloppement ?
La seconde force prise dans le même dilemme, c’est le Third World Network (TWN) basé à Penang, qui a insisté à Bangkok pour que le Protocole de Kyoto soit pérennisé, parce qu’au moins il rend possible des procédures contraignantes, et que les pays qui n’y sont pas soumis peuvent encore avoir le droit d’augmenter leurs émissions pour se « développer ». D’accord avec le premier point, parce que si les négociateurs US parvenaient à bloquer l’extension de Kyoto, les engagements au niveau national seraient certes beaucoup moins exigeants. En plus, si l’EPA utilisait ses compétences pour réduire les émissions des 7500 principaux pollueurs des Etats-Unis, cela pourrait être beaucoup plus efficace que les législations sur le marché du CO2, qui renoncent à tout contrôle des responsables.
La principale faiblesse de l’argumentation « pro développement » du TWN, c’est qu’une grande partie des activités économiques émettrices de CO2, comme l’exploitation des ressources du Tiers-Monde, sont plutôt à considérer comme du « maldéveloppement » – et qu’il faudrait les stopper, autant pour des raisons environnementales, que socioéconomiques et morales.
En Afrique du Sud, une longue intimité de l’Etat avec le « complexe minier-énergétique » (durant l’apartheid) a cimenté un bloc politique si puissant, qu’il construit actuellement de nouvelles centrales nucléaires et au charbon pour un coût global de 100 milliards de dollars. Sa stratégie vise à offrir l’électricité la moins chère au monde aux entreprises minières et métallurgiques anglo-australiennes (anciennement sud-africaines). Ainsi […] 40 % des émissions de CO2 sud-africaines sont liées à un petit groupe de sociétés […] Et cette électricité bon marché contraste avec les hausses de prix brutales prévues pour la population (+ 250 % de 2008 à 2011), qui suscitent aujourd’hui des manifestations massives dans des dizaines de communes.
De surcroît, tandis que les entreprises exportent leurs profits et dividendes vers leurs sièges de Londres ou de Melbourne, le déficit massif de notre balance des paiements permet à The Economist de classer l’Afrique du Sud parmi les marchés émergents les plus risqués du monde. En somme, il est impossible de défendre que le niveau élevé des émissions sud-africaines de CO2 résulte de son « développement ».
Taxer le commerce international pour défendre le climat ?
[…] Le président français Nicolas Sarkozy a proposé le mois dernier une taxe réduite à l’importation (l’équivalent de 4 cents par litre de pétrole). Aux Etats-Unis, le secrétaire à l’énergie et les syndicats vont dans le même sens. […] Martin Khor du South Centre condamne cette initiative comme du « protectionnisme climatique », ajoutant qu’il « serait triste que le mouvement progressiste soutienne les manœuvres de ceux qui veulent bloquer l’entrée des produits des pays en développement au nom du changement climatique ». Il a raison de considérer ces taxes comme des « mesures d’intimidation intéressées et égoïstes ». […]
Bien entendu, les modalités de la stratégie française, et son orientation protectionniste, doivent être critiquées. Mais le facteur le plus important lorsqu’on impose n’importe quel type de sanctions – que ce soit une taxe carbone ou des sanctions commerciales contre le régime birman ou le parti dirigeant du Zimbabwe – c’est le consentement de ceux qui seront touchés et luttent eux-mêmes pour le changement, un aspect que Sarkozy n’a pas envisagé. Que faire ? Daphne Wysham, de l’Institute for Policy Studies, a suggéré de transformer une taxe carbone en flux de ressources pour le Tiers-Monde. Ses recettes devraient être reversées directement aux pays dont les produits sont taxés pour être affectées à la réduction explicite des gaz à effet de serre. […]
Quelques principes non négociables
Cela étant, les principes essentiels des mouvements progressistes ne sont pas négociables. Avant les manifestations devant le Bella Center de Copenhague, voici les revendications de Climate Justice Action :
* Laisser les combustibles fossiles dans le sol.
* Défendre le contrôle des peuples et des communautés sur la production.
* Relocaliser la production de nourriture.
* Réduire massivement la surconsommation, particulièrement au Nord.
* Respecter les droits indigènes et ceux des peuples de la forêt.
* Reconnaître la dette écologique et climatique envers les peuples du Sud et procéder aux réparations nécessaires.
Si les pays du Nord ne répondent pas à ces attentes, tant pis : la vague de manifestations courageuses de ces dernières semaines contre les criminels du climat – et la perspective, le 16 décembre, de transformer Copenhague en nouveau Seattle – constitueraient alors une réponse intéressante de la gauche […] C’est notre seul espoir…