Extrêmes droites : les connaître pour mieux les combattre
Une introduction au dossier de cette revue :
Il est souvent à déplorer que les extrêmes droites fascinent ou suscitent la curiosité plus qu’elles n’interrogent, et que leur critique soit limitée à un discours moraliste. Il est pourtant nécessaire de dépassionner notre regard sur elles, afin de comprendre les relations comme les contradictions qui peuvent exister entre leurs différentes familles. C’est le seul moyen d’éclairer la manière dont les concepts qu’elles ont développés peuvent être utilisés par la droite classique ou comment elles récupèrent certains aspects du discours de gauche en le détournant à leur profit.
L’arme principale des extrêmes droites est le brouillage du champ référentiel. C’est pour y voir plus clair que nous avons souhaité porter un éclairage particulier sur cette famille politique.
Le congrès du Front national à Tours, les 15 et 16 janvier 2011, sera à coup sûr un moment important de la vie politique française (et européenne). Les cartes de la galaxie d’extrême droite seront redistribuées. C’est pour mieux appréhender cette nouvelle donne que nous avons construit ce dossier.
Il n’est évidemment pas exhaustif (il nous aurait fallu un numéro spécial) : tandis que la guerre entre Marine Le Pen et Bruno Gollnisch fera l’objet d’un article détaillé dans TEAN hebdo dans les prochaines semaines, certaines familles auraient mérité plus de développement (la frange radicale et ses groupuscules, l’activisme dans les stades, les soi-disants antisionistes ou l’influence sur la droite, avec par exemple, la création du Collectif droite populaire au sein de l’UMP, etc.).
Pour ne pas en rester au constat et parce que l’extrême droite se combat sur le terrain, nous avons voulu revenir sur des mobilisations antifascistes, passées ou présentes, qui montrent qu’il est possible et nécessaire de passer à l’offensive. Les formes que doivent prendre celle-ci restant à débattre.
Commission nationale antifasciste du NPA
Voir aussi les autres articles de ce dossier :
Histoire de réseaux antifascistes
Europe : des gouvernants sous pression des extrêmes droites islamophobes
Succession Le Pen : enjeux et perspectives
Conscience de classe contre inconscience nationale
Lyon : Création d’un collectif contre les identitaires
Lyon possède une tradition historique de l’extrême droite mais aussi de luttes et de résistance. Tour d’horizon de la situation lyonnaise, marquée par une certaine tendance à la violence. Les différentes familles de l’extrême droite sont représentées à Lyon : catholiques intégristes, soraliens d’Égalité et Réconciliation, FN, Bloc identitaire...
Avec un score de 15,22 % en 2010, Bruno Gollnisch préside un groupe de dix-sept élus FN au conseil régional. Également député européen, le prétendant à la succession de Jean-Marie Le Pen possède de solides contacts à l’étranger lui permettant d’organiser la Conférence internationale des organisations patriotiques à Tokyo à l’été 2010. Exclu en raison de propos jugés négationnistes, en juillet 2011, il devrait réintégrer son poste en langues et civilisations japonaises à LyonIII, fac connue pour sa complaisance envers des recherches douteuses.
Malgré un impact électoral important, le FN (qui dispose d’un local ) est peu visible sur l’agglomération hormis quelques collages.
Un activisme radical, notamment des Identitaires
Les Identitaires ont par exemple mené des actions de harcèlement de bibliothèques qui devaient accueillir une exposition sur les sans-papiers, ou monté un happening pro-cochon au Quick Hallal de Villeurbanne en mars dernier.
Fins mélomanes, ils organisent des concerts de RAC (Rock Against Communism) très discrets. Mais c’est surtout l’activité physique qui les attire. Actifs au sein de kops de supporters de l’Olympique lyonnais (Cosa Nostra Lyon, dissout en avril 2010, et Bad Gones), ils organisent aussi des matchs de foot, des randonnées et autres combats de boxe avec leur bien-nommé club, La Torgnole. Déjà célèbre pour l’attaque d’une manifestation antifasciste par les Jeunes Identitaires (JI) lors de leur rencontre nationale en 2004, Lyon connaît au début 2010 une montée en puissance de la violence physique des JI et des néonazis : agressions lors de la Gay Pride, attaque du rassemblement contre la tenue du débat sur l’identité nationale, intimidation de militants sur les pentes de la Croix-Rousse, tags racistes, attaque incendiaire d’un squat politique, agression en mars de trois militants de la CNT (coups, nerfs de bœuf, ceintures cloutées…) agrémentée de « Lyon est fasciste » ou « Sieg Heil »…
Cette agression motiva diverses organisations à réagir de manière unitaire sous la forme d’un Réseau 69 de vigilance antifasciste et de l’organisation d’une manifestation pour témoigner de la solidarité envers les camarades agressés et réaffirmer nos valeurs et déterminations communes antifascistes. Le 10 avril 2010, à l’appel de ce collectif, 2 500 personnes défilaient dans les rues de Lyon pour une manif qui passait symboliquement dans le quartier Saint-Jean (lieu de la dernière agression) que les fafs essaient de revendiquer comme leur territoire.
Le collectif se réunit depuis tous les mois pour réaliser une veille des actions fascistes, la collecte de témoignages d’agressions, l’organisation de la protection d’initiatives à risques (RESF, pro-choix…), la production de matériel antifasciste unitaire et une initiative publique à moyen terme (conférence-débat, concert…).
Valentine Delion et Antoine Sindelar
Chauny : après une manifestation réussie, envisageons la suite
Chauny (Aisne) était le théâtre depuis plusieurs mois (fin 2008 et début 2009) de l’activisme d’un groupe de jeunes d’extrême droite proche des mouvements de skinheads-néonazis. Ils arboraient des tenues ne laissant aucun doute sur leur appartenance politique et se manifestaient par des insultes à caractère raciste, des saluts hitlériens et des provocations violentes envers les jeunes d’origine maghrébine causant des affrontements desquels ces derniers sortaient souvent les plus durement sanctionnés devant les tribunaux.
Ces jeunes fachos devenaient suffisamment formés et organisés (notamment à travers la création d’une association contre le racisme antiblancs dissoute depuis). Ils organisaient leur activité autour des deux lycées de la ville et de la gare routière, par des rassemblements hebdomadaires.
Les seules réponses institutionnelles de l’État et des élus furent la surveillance et la répression. La presse locale a souvent classé ces affrontements au rang des faits divers sans aucune analyse approfondie.
Création du collectif
L’initiative fut prise par des militants libertaires (du groupe Union action révolution autogestion) qui ont lancé l’idée d’une manifestation chaunoise par la diffusion de tracts et par Internet. La création du collectif antifasciste axonais a ensuite agrégé le NPA et les libertaires organisés dans la ville (CNT, FA) ; puis la sphère associative (Ligue des droits de l’homme, Mémoire juive et éducation, SOS racisme...). L’élargissement fut faible au niveau politique (Gauche unitaire et le Parti de gauche). Il en fut de même au niveau syndical : Solidaires a très vite rallié l’organisation de la manifestation puis seule la CGT éduc’action les a rejoints.
La manifestation, point d’orgue de la mobilisation
Rassembler 400 personnes dans les rues de la ville fut une grande victoire, avec le soutien de militants de Paris et Lille. La peur des petits commerçants, la désinformation de la presse locale n’avaient pas facilité les préparatifs. Un rassemblement devant le musée de la Résistance et de la Déportation à Tergnier (ville voisine) avait pourtant permis au collectif de se présenter. La manifestation a laissé une grande place aux jeunes des quartiers populaires. Ceux d’entre eux issus de l’immigration ont pu reprendre le « territoire » du centre-ville souvent occupé par les skinheads-néonazis. Le passage devant l’usine Nexans, récemment fermée pour sauvegarder les profits des actionnaires, a réaffirmé que les idées d’extrême droite germent souvent du sentiment d’impuissance face aux désastres sociaux qui incite à chercher des boucs émissaires.
Une volonté éducative
Le collectif a fait le choix d’éditer régulièrement un bulletin : L’Aisne sans haine. Il se donne désormais pour objectif d’organiser une fête multiculturelle avec des associations locales et de mener des actions éducatives dans les établissements scolaires du département.
Clément L.
Paris : la « riposte sociale » doit prendre de l’ampleur
Le 9 mai était organisée à Paris, à l’appel d’une quinzaine d’organisations (CNT, Scalp, Rlf MLV, AL, FA, SUD-étudiants…) une manifestation antifasciste soutenue par la CGT Continental, SUD-Rail et le NPA. Précédée la veille d’un débat sur l’extrême droite (150 participants) cette initiative a mobilisé un millier de personnes.
Cette année, la « riposte sociale antifasciste » avait lieu dans un contexte très particulier, celui d’un gouvernement à l’offensive sur le racisme et d’une crise économique aux conséquences sociales désastreuses. Si les dernières élections ont montré un regain électoral de l’extrême droite institutionnelle (et en premier lieu du FN), on assiste également depuis quelques mois à une résurgence de l’extrême droite radicale. Face à cela, des manifestations unitaires ont déjà eu lieu à Chauny, Lyon, Bordeaux… La manifestation parisienne du 9 mai s’inscrivait donc à la fois dans la mobilisation annuelle « traditionnelle » face à la présence de l’extrême droite dans la rue1, mais aussi dans la nécessaire remobilisation du mouvement social face à ce phénomène.
La présence au débat et à la manifestation de Didier Bernard, délégué CGT de Continental Clairoix, dont la lutte du printemps 2009 était devenue symbolique du « Nous ne paierons pas leur crise ! », et d’un dirigeant de SUD-Rail, marquait la volonté de s’opposer à toute tentative de récupération : les images de la lutte des Contis avaient en effet été utilisées par les organisateurs du 9 mai fasciste.
Cette présence marque un changement qualitatif dans l’histoire des mobilisations du 9 mai, dont le cadre unitaire peut et doit être un point d’appui chaque fois qu’une mobilisation sera nécessaire. Depuis trop longtemps porté presque exclusivement par les organisations libertaires, il devra être élargi à d’autres forces, non seulement syndicales mais aussi sociales et politiques.
Alexandre Timbaud
Pour mieux résister, le Sud-Ouest se coordonne
À Bordeaux, l’extrême droite constitue une grande famille (à la limite de la consanguinité tant les liens entre orgas sont multiples) avec comme pivot l’église catholique intégriste Saint-Éloi offerte en 2000 par Juppé aux lefebvristes de la congrégation du Bon-Pasteur. Bloc identitaire, Dies Irae, FN… toutes les organisations de l’extrême droite locale ont un lien, politique ou affinitaire, avec cette église. De l’avis même de David Rachline [1], dirigeant national du FNJ : « Il y a un bon esprit dans cette région. On travaille avec certains militants du Bloc identitaire, d’Égalité et réconciliation, et du Forum étudiant [2]. »
Célèbre pour son vin, Bordeaux l’est désormais aussi pour son association Dies Irae (Jour de colère) au QG installé à l’église Saint-Eloi. Dans un documentaire en caméra cachée diffusé sur France 2, on voit que c’est bien à une organisation fasciste radicale plus qu’à une association cultuelle catholique traditionaliste que l’on a affaire. Proposant à ses militants formations physiques et débats sur une guerre civile raciste (étude des Cahiers de Turner [3]) l’association développe un discours antisémite, complotiste, nostalgique de Pétain et du franquisme. Se revendiquant d’un militantisme local « enraciné », elle n’est pas isolée : elle travaille en réseau avec d’autres structures en France comme Vox Populi à Tours ou le MAS à Paris.
Rebond antifasciste
L’apparition à l’été 2009 du Forum étudiant dans ce climat déjà bien délétère a motivé la volonté de leur opposer une réponse coordonnée. Parti des facs, un collectif informel de militants politiques et syndicaux s’est rapidement mis en place, profitant des anciens réseaux antifas des années 1990 et des nouveaux réseaux militants étudiants.
Il a d’abord fallu se réapproprier les murs de la fac, souillés plusieurs fois de tags racistes et nationalistes (« La fac aux français ») et informer par nos tracts. Il a ensuite fallu faire apparaître un mouvement antifasciste dans toute la ville, par notre présence systématique sous forme de contre-rassemblements face à chaque manifestation de l’extrême droite.
Une des preuves de la vitalité de cette dynamique antifasciste a été la mobilisation pro-choix du 29 mai 2010. En réponse à une initiative anti-avortement de l’association « Oui à la vie » et toute la nébuleuse de Saint-Éloi, un appel unitaire allant des socialistes aux anarchistes a été lancé pour défendre le libre choix et le droit des femmes à disposer de leur corps. Finalement près de 3 000 personnes ont manifesté pour le droit à l’avortement et contre les intégristes catholiques, leur empêchant tout mouvement dans le centre-ville de Bordeaux.
Sur cet élan, la même volonté s’affirme contre une messe annuelle contre l’avortement qui aura lieu prochainement. De plus la mise en place d’une coordination des collectifs antifascistes du sud-ouest est à l’œuvre, afin de répondre et de combattre plus efficacement et massivement l’extrême droite dans la région.
Julian et Antoine Sindelar
1. Source : blog du Monde, Droite(s) Extrême(s), 25 janvier 2010.
2. Structure nationaliste réunissant toute la jeunesse étudiante bordelaise de diverses organisations d’extrême droite.
3. Roman raciste étatsunien de 1978 racontant une guerre civile raciste renversant le gouvernement des États-Unis et menant à l’extermination des juifs et « non-blancs ».
Bibliographie sur le dossier « extrême droite »....
Pour ne pas en rester là et approfondir certains points abordés dans ce dossier, un aperçu non exhaustif de publications utiles.
Parmi les publications d’ouvrages généraux nous recommandons celle très récente de Jean-Paul Gautier, Les Extrêmes droites en France : de la traversée du désert à l’ascension du Front national, 1945-2008 (Éditions Syllepse, 2009), montrant comment cette frange politique marquée du sceau de la collaboration a su se reconstituer pour opérer un compromis nationaliste, improbable en apparence et qui a pourtant réussi à devenir une force politique crédible et audible dans le paysage politique français.
Pour une approche exhaustive (si tant est que cela soit possible) des innombrables tendances de la nébuleuse d’extrême droite, une approche érudite par le Dictionnaire de l’extrême droite, coordonné par Erwan Lecœur, avec des contributions de Jean-Yves Camus, Sylvain Crépon, Nonna Meyer…(Larousse, 2007). Ou encore les deux répertoires de Jacques Leclercq : Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de 1945 à nos jours (L’Harmattan, 2008) et Droites Conservatrices, Nationales Et Ultras. Dictionnaire 2005-2010 (L’Harmattan, 2010).
Pour des idées de lutte au quotidien contre les fafs, Le guide des résistances à l’extrême droite de Manuel Abramovicz du site ResistanceS.be (Édition Labor, 2005). Également ouvrage de lutte, à l’approche du congrès historique du FN, le Petit manuel de combat contre le Front national, sous la direction d’Anne Tristan et René Monzat (collectif Ras l’front, Flammarion, 2004).
Comme analyse des phénomènes contribuant au regain des extrême droites, nous recommandons le numéro 8 de la revue Contretemps (Textuel, septembre 2003), consacré à « Déconstruire l’extrême droite ». Mais surtout le revigorant ouvrage de René Monzat sur la nécessaire et possible réintégration de l’électorat frontiste : Les Voleurs d’avenir (Textuel , 2004).
Pour une analyse des conditions historiques d’ascension du fascisme et des définitions précises à donner aux mouvements politiques y contribuant, nous conseillons une conférence de 78 min de l’historien Pierre Milza (www.canalu.tv) sur le fascisme au xxe siècle en Europe sur le site de Canal-U, vidéothèque numérique de l’enseignement supérieur.
Enfin, pour un décryptage journalistique actualisé de l’activité d’extrême droite nous recommandons la lecture régulière de deux blogs :
– http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/ des journalistes au Monde Abel Mestre et Caroline Monot.
– http://www.rue89.com/jean-yves-camus du politologue spécialiste des extrêmes droites Jean-Yves Camus.
Pour un regard plus militant, le très documenté site de Reflexes : http://reflexes.samizdat.net/