Pendant que les frasques de Berlusconi et son lâchage par le pape dominent la scène médiatico-politique italienne, l’usine Fiat Mirafiori à Turin, symbole de l’industrie et du mouvement ouvrier italien, est le siège d’un traumatisme social et politique inquiétant. Les 13 et 14 janvier, par voie de référendum, une courte majorité des salariés (54, 3 %) a approuvé l’accord signé par l’ensemble des organisations syndicales à l’exception de la Fiom et du Cobas (voir ci-dessous). Les employés et cadres administratifs, sous pression directe de la hiérarchie, ont massivement voté pour l’accord (421 pour, 20 contre) alors que sur les chaînes de montage (à l’exception des équipes de nuit) le vote est à 53 % contre.
Par cet accord, Marchionne, patron de Chrysler-Fiat a promis que si les travailleurs italiens, qu’il a qualifiés « d’improductifs », étaient prêts à changer leur « éthique du travail » et à le suivre dans son projet de « L’Italie fabrique », il « concéderait » aux usines italiennes la production de nouveaux modèles, avec des investissements de 20 milliards d’euros à moyen terme, garantissant l’avenir de l’emploi pour tout le secteur.
En contrepartie, l’accord prévoit d’ajouter de nouvelles modulations des horaires de travail : soit des 3x8 heures avec un étalement sur cinq ou six jours suivant les besoins, soit des 2x10 heures, pendant six jours par semaine. La direction peut passer d’une modalité à l’autre avec un préavis de quinze jours. Le nombre maximum d’heures supplémentaires passe de 40 à 120 heures annuelles, avec la possibilité d’ajouter 80 heures, avec l’accord des syndicats. Les 40 minutes de pause des équipes de huit heures sont réduites à 30 minutes en échange d’une augmentation salariale brute mensuelle de 45 euros. « Anticipant » la fatigue et l’usure des travailleurs, l’accord prévoit de lutter contre l’absentéisme en aggravant les pénalités, pouvant aller jusqu’au licenciement pour les travailleurs qui recourent « excessivement » aux congés pour maladie.
Le deuxième volet de cette attaque consiste à exclure de la représentativité de l’entreprise les syndicats qui, comme la Fiom et le Cobas à ce jour, refuseraient d’approuver un tel accord. La direction du groupe Chrysler-Fiat engage ainsi une gigantesque offensive contre les droits des collectifs dans l’automobile et dans toute la péninsule. Les nouvelles structures d’entreprises qui remplaceraient celles de Pomigliano et de Turin ne seraient pas liées à la Confindustria (Medef italien), ne seraient plus liées par les conventions collectives, écartant ainsi les syndicats qui ne se plieraient pas à ses diktats.
L’enjeu est considérable, non seulement pour les travailleurs italiens mais pour ceux de la filière auto et même au-delà. Ces mêmes chantages ont déjà fait céder les salariés de Fiat à Pomigliano et s’exercent sur ceux de Tychy, Fiat Auto en Pologne. C’est la même démarche que l’on a connue récemment en France avec les référendums de General Motors ou de Continental dans la région de Toulouse : en s’appuyant sur des syndicats conciliants, faire accepter par les travailleurs eux-mêmes des réductions drastiques de leurs droits en même temps qu’une aggravation des conditions de travail. Cette offensive traverse les frontières des groupes et des pays, les luttes doivent emprunter les mêmes chemins. Vite. Le 28 janvier, la Fiom et les Cobas appellent à une grève générale dans la métallurgie. Il est de notre responsabilité qu’elle ne soit qu’une première étape et qu’elle ne reste pas isolée.
Robert Pelletier
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 87 (27/01/11).
FIAT : DE LA POLOGNE À TURIN, CHANTAGE À L’EMPLOI
Les salariés de l’usine historique de Fiat à Turin se prononçaient les 13 et 14 janvier, par référendum, sur les propositions de la direction concernant l’accroissement de la productivité. Ce chantage s’inscrit dans la politique de destruction des accords collectifs déjà amorcée sur le site de Pomigliano et la mise en concurrence avec le site polonais de Tichy. La direction menaçait de renoncer à l’investissement d’un milliard d’euros prévu pour l’usine si l’accord, signé par tous les syndicats sauf la Fiom, était repoussé : « Le déménagement de production de l’usine de Turin pour les États-Unis est une option si un accord n’est pas atteint ». L’accord prévoit le licenciement en cas d’absentéisme jugé trop important par l’employeur, la rotation accélérée des équipes, la réduction des pauses. Les syndicats qui ne signeraient pas l’accord seraient exclus du droit de représentation. Le « oui » l’a emporté d’une courte majorité (54, 3 %) lors du référendum auquel ont pris part 95 % des 5 431 employés du site. Seule l’organisation d’une riposte internationale pourra arrêter cette régression sociale sans précédent.
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 86 (20/01/11).
LE RÉFÉRENDUM MARCHIONNE À L’USINE FIAT DE TURIN : UNE DÉFAITE VICTORIEUSE, UNE VICTOIRE PRÉCAIRE
C’est d’un cheveu, mais c’est finalement l’estomac qui a vaincu le cœur et le cerveau. Le réferendum dans l’usine FIAT de Mirafiori (Turin) vient d’avoir lieu : 54% des travailleurs ont dit « Oui » à la nouvelle convention d’entreprise et 45% ont dit « Non », et cela alors que la campagne médiatique en faveur du « Oui » a été intense. 5.139 personnes ont voté – 94, 6% de l’effectif total – et si le « Oui » l’a emporté avec un peu plus de 400 votes, il est difficile de croire que ceux qui ont voté en faveur de l’accord le défendent tel quel.
Le nouveau contrat de travail à FIAT Mirafiori prévoit, d’une part, un durcissement drastique des conditions de travail, ce qui explique que le « Non » a été majoritaire dans toutes les lignes de montage, tandis que le « Oui » l’a emporté grâce au vote des employés de bureau (en grande partie des chefs qui forment l’encadrement hiérarchique). D’autre part, ce contrat établit un dangereux précédent pour la représentation syndicale et s’attaque aux principes fondamentaux du droit du travail et de la Constitution italienne.
L’histoire de l’Italie enseigne que ce qui se passe chez FIAT anticipe ce qui va se passer dans le reste des secteurs du monde du travail, de là le fait que ce référendum a été perçu comme quelque chose d’extrêmement important pour ses conséquences dans tout le reste du pays. Qu’on en finisse avec le contrat collectif, que l’on convoque un référendum sous pression d’un chantage – FIAT avait menacé que si le « Non » l’emportait elle quitterait l’Italie et Berlusconi s’est déclaré d’accord avec cela – pour approuver un accord qui modifie substentiellement les conditions de travail, c’est un fait gravissime, mais qui a déjà eu lieu à l’usine FIAT de Pomigliano (où le « Non » avait obtenu 36%) l’été dernier, dans une procédure qui fut, à l’époque, présentée comme « extraordinnaire ». Mais il n’y a là rien « d’extraordinnaire » ; on assiste aujourd’hui à l’extension d’un modèle de contrat basé sur l’atomisation des travailleurs : « ou tu travailles comme je le veux, moi, ton patron, ou c’est la porte ».
Il est important d’évoquer le contexte local dans lequel s’est déroulé ce référendum. Comme le raconte Marco Revelli, à Turin surgit à nouveau, surtout dans les quartiers ouvriers, des magasins avec des pancartes indiquant « On achète de l’or » et dans lesquels on trouve de tout, y compris des prothèses dentaires. En 2010, le nombre de logements saisis à cause des hypothèques a augmenté de 54, 8%. De 35 à 40% des travailleurs turinois du secteur du métal ont, au cours de ces deux dernières années, demandé un crédit, souvent tout simplement pour arriver en fin de mois. Vu avec cette loupe, les 45% de « Non » représentent quelque chose de surhumain.
Sergio Marchionne, Directeur exécutif de FIAT est le personnage central de l’affaire. Pour le patronat, pour Berlusconi et pour une grande partie du Parti Démocratique dans l’opposition, il fait désormais figure de « héros », de « capitaine intrépide » qui veut « changer l’Italie », « moderniser les relations syndicales » et qui parle avec « clarté et dureté ». Pour le reste, c’est un parasite qui gagne 4 millions d’euros par an, plus des stocks-options qui, grâce à la montée en Bourse du titre FIAT, dépassent aujourd’hui les 120 millions d’euros. Un manager qui gagne plus que tous les travailleurs de Mirafiori réunis, qui paye ses impôts en Suisse et non en Italie ; un patron à qui il n’arrive rien si le groupe FIAT vend 17% en moins en 2010, mais qui s’en tire au contraire en massacrant les syndicats, en augmentant la valeur boursière du titre de 33%.
Comment résister à ces attaques ? La réponse est apportée par Rajka Veljovic, responsable des relations internationales du syndicat serbe Samostalni, qui rappelle aux travailleurs italiens que lorsque FIAT a racheté l’usine de Zastava, elle a liencié 1.600 travailleurs : « Au moins, il faut que les travailleurs de FIATdans le monde soient unis et il faut coordonner les initiatives de lutte. Comme par exemple une grève internationale. Nous le répétons depuis 1999 » (« Il Manifesto », 13/1/2011) .
De l’autre côté du front, le ministre du Travail, Sacconi, annonce une « évolution des relations industrielles » et Marchionne célèbre « un changement historique ». La recette néolibérale pour la grande crise que traverse le secteur automobile, en surcapacité productive, consiste à précariser le travail et non dans des projets industriels qui misent sur un autre type de mobilité, ce que demande le syndicat FIOM et ce que les travailleurs exigeront dans la grève générale convoquée pour le 28 janvier.
Les néolibéraux pensent qu’ils ont gagné, mais ils sous-estiment l’augmentation de la misère massive et, par conséquent, la croissance de la conscience sociale. Les 36% de « Non » lors du référendum à l’usine de Pomigliano et les 45% à Mirafiori, personne ne s’y attendait. Tout le monde pensait que ces référendums seraient une promenade de santé pour la direction de FIAT, et cependant ce ne fut pas ainsi. Signe que cette conscience sociale se développe également parmi les intellectuels, qui depuis des années ne prêtaient pas beaucoup d’attention au monde du travail, on a vu aujourd’hui des appels se mulitiplier, comme l’appel « MicroMega » (voir ci-dessous, NdT), la lettre ouverte de 46 économistes italiens, de chercheurs, d’étudiants de l’Université de Rome « La Sapienza » ou celle de Rossana Rossanda au Président de la République.
Qui a gagné dans ce référendum de Mirafiori ? On pourrait dire que ce sont les employés, les « cols blancs » des bureaux, mais il est également vrai que les travailleurs des lignes de production ont gagné dans leur terrain. Les syndicats UIL et CISL, qui ont signé l’accord, ont gagné, mais ils ont perdu en crédibilité car ils s’attendaient à 80% de « Oui ». Marchionne lui-même a gagné, mais cependant, il sort politiquement défait, à la différence de la FIOM qui sort renforcée. Les conditions de travail de ceux qui ont voté « Oui » vont empirer. Par contre, ceux qui ont voté « Non », sans perdre leur travail, ont gagné en dignité et en courage.
Gorka Larrabeiti (extraits), 16 janvier 2011
www.rebelion.org , traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be
RÉFÉRENDUM CHANTAGE DE FIAT : MARCHIONNE N’A PAS GAGNÉ LA PARTIE
Le referendum chantage organisé auprès des 5.500 salariés de l’usine de Mirafiori a donné une courte majorité de 54% pour la direction de Fiat.
« Ce référendum est illégal parce qu’il a été effectué avec un« chantage sur les salariés et leur emploi ». » C’est ce qu’a déclaré l’un des responsables de la FIOM Maurizio Landini. Il a poursuivi : « Nous avions appelé à voter »non« , mais les conditions ont été très difficiles difficile et pourtant les salariés ont massivement dit non...Fiat n’a pas obtenu le consensus qu’il souhaitait »
Pour le responsable du secteur auto de la FIOM , Giorgio Airaudo, "Marchionne a gagné avec ses hommes, pas avec les travailleurs. Il veut faire travailleur plus avec moins de droits., et en gagnant moins... Les 54% de voix obtenus par la direction l’ont été à cause de la contribution décisive des employés... Nous sommes même surpris que 46% aient voté non car si nous sentions que les travailleurs étaient de notre côté, nous ne pensions par que ce sentiment aille jusqu’à un vote non de franche opposition à la direction. Que 46% des salariés aient dans ce conditions voté « non » constitue un véritable défi un véritable défi pour nous le syndicat de la fiom. Mais c’est aussi un défi pour toute la société
A voté « non » une majorité déterminée des les ouvriers du rang. Marchionne a sauvé son accord gràce à ses hommes de main, ses relais hiérarchiques et les cols blancs. Ce sont les ouvriers qui sont les plus concernés par l’utilisation des machines vingt quatre heures sur vingt quatre, et par la diminution des pauses. Et ces ouvriers ont voté en majorité non.
Le vote de jeudi et vendredi n’est pas un vote minoritaire ou de seul témoignage politique, c’est un vote syndical pour préparer de nouvelles luttes."
Les plans de la direction de Fiat et de Marchionne sont connus.Il s’agit de faire tourner l’usine 24 heures sur 24 jusqu’à six jours par semaine, de diminuer les pauses et de tripler le nombre maximum des heures supplmentaires. Les travailleurs de Fiat ne dépendraient plus de la convention collective nationale de la métallurgie italienne.
Marchione n’a pas gagné la partie
La date du 28 janvier est maintenue pour organiser une riposte des travailleurs italiens au plan de toute la métallurgie.
* Publié sur le site : http://www.npa-auto-critique.org
APPEL DU SYNDICAT FIOM POUR LA GRÈVE GÉNÉRALE DU 28 JANVIER : UNIS, ON PEUT RÉUSSIR !
Nous avons appelé à une grève generale des métallurgistes pour le 28 janvier ; c’est une étape fondamentale pour la reconquête du Contrat national de travail et la défense des droits sur les lieux de travail.
Le choix fait par Fiat à Mirafiori et à Pomigliano d’Arco est une action antisyndicale, autoritaire et antidemocratique sans precedents dans l’histoire des relations syndicales de notre pays depuis l’après-guerre.
C’est un attaque aux principes et valeurs de la Consitution italienne et à la democratie, parce qu’elle piétine la liberté des travailleurs et travailleuses de décider du syndicat auquel adhérer pour défendre collectivement leurs propres droits et élire leurs propres représentants dans l’entreprise. Celui qui ne signe pas, disparaît ; celui qui signe devient un syndicat d’entreprise, corporatiste, gardien des choix imposées par Fiat.
Le contrat national de travail est annulé, les conditions de travail deviennent plus lourdes, l’exploitation et l’horaire de travail augmentent, tout droit de grève est violé et la retribution est reduite pour ceux qui tombent malades. D’un seul coup, des années de luttes et conquetes sont annulées.
Le chantage de Marchionne est cohérent avec la destruction de la législation du travail actuelle, qui va rendre tous et toutes plus seuls et precaires ; c’est la meme logique répressive realisée par le Gouvernement en attaquant le droit à l’éducation et à la recherche, avec l’approbation de la lois Gelmini et les coupes des fonds pour l’information et la culture. De cette facon, des principes fondamentaux pour la democratie et la cohexistence civile sont mis en echec.
La Fiom considère que le travail est un bien commun et pour cette raison le 16 octobre avait appelé à une grande manifestation, après le référendum/chantage illegitime de Pomigliano, ouverte à tous ceux qui sont engagés dans la defense des droits et des libertés constitutionelles inviolables.
La grève générale dans la métallurgie, proclamée pour le 28 janvier et les manifestations après le referendum/chantage de Mirafiori, ont le même objectif : quand il y a une lésion des droits fondamentaux, si la blessure n’est pas délimitée, elle s’étend progressivement au monde du travail entier, comme il a eté demontré par l’introduction de dérogations au Contrat National signé par Federmeccanica et les autres organisations syndicales.
La Fiom est engagée dans le soutien au Contrat Collectif National de Travail sans dérogations ; dans la defense de la légalité, la démocratie et la liberté d’association ; dans la lutte contre la précarisation et la domination du marché, qui dévorent la vie des gens et déchirent la cohésion sociale et le futur du pays.
Nous demandons à toutes les femmes et hommes, aux associations, aux mouvements qui partagent les raisons exposées, de soutenir la lutte des metallurgistes et de signer notre appel.
Federazione Impiegati Operai Metallurgici nazionale (FIOM)
e-mail : protocollo fiom.cgil.it
dimanche 23 janvier 2011