Dans la confrontation sociale la plus importante de l’année en RFA, ni le capital, ni les travailleurs n’ont encore réussi à s’imposer. General Motors veut détruire 12000 emplois dans ses usines d’Europe, dont 10 000 chez Opel. Sur le site de Bochum, la lutte a été engagée contre la suppression de 4000 emplois sur 9500, tandis qu’à Rüsselsheim, où 4000 emplois sur 20 000 doivent disparaître, les ouvriers n’ont pas bougé. A la suite de la lutte de Bochum, ce n’est plus de 4000 suppressions d’emplois à Rüsselsheim que l’on parle, mais de 4500.
Un combat exemplaire
Même si le résultat concret n’est pas encore mesurable, une chose est sûre : les travailleurs et travailleuses de Bochum ont démontré de façon éclatante qu’il est possible de résister à l’offensive du capital. La lutte d’Opel a électrisé toute la Ruhr, une région industrielle de 5 millions d’habitants. On n’avait pas connu un tel élan de solidarité depuis la grande lutte de Duisbourg-Rheinhausen en 1987-1988, contre la fermeture des aciéries Krupp. Pendant des années, les licenciements, les pertes de salaires, l’allongement du temps de travail ont été subis sans réaction notable. La lutte d’Opel a changé le climat politique dans la région. Dans les entreprises et dans les rues, on entend de nouveau les salariés dire que ça vaut le coup de se battre. La signification de cette lutte est clairement perçue par les dominants, au gouvernement et dans les organismes patronaux. Ils veulent empêcher le réveil de la conscience de classe.
Un arrêt de travail, mais pas une grève !
Cette lutte n’a pas pris la forme d’une grève, le personnel n’ayant interrompu le travail que pour faire valoir son droit de s’informer, selon le paragraphe 39 de la loi d’organisation des entreprises, qui stipule que les salariés ont le droit de se rendre au conseil d’entreprise (CE) pendant le temps de travail, ce qui se fait normalement individuellement et non collectivement. Équipe après équipe, ils ont donc pointé et se sont présentés à leur poste de travail… puis ont fait usage de leur droit d’information de la façon la plus intensive qui soit. Cela supposait deux choses : des travailleurs qui tiennent à être informés, et des délégués qui informent en permanence. Bien que l’on puisse reprocher à la majorité du CE de s’être opposée en fin de compte à ce que la lutte continue, il faut dire aussi que sans le CE dans son ensemble, cette forme de lutte aurait été impossible. L’effet produit est le même que lors d’une grève : pas de travail, arrêt des chaînes de montage .
Cette utilisation habile de la législation a fait l’objet d’analyses détaillées dans la presse régionale. Cela aura plus apporté que des années de cours théoriques dispensés dans les instituts de formation de l’IG Metall. Il ne se passera pas longtemps avant que les partis pro-capitalistes ne proposent de « réformer » la loi sur ce point.
Cela explique pourquoi les « Opeliens » se sont opposés de toute leur force à ce que l’on qualifie leur mouvement de « grève ». Avec en face d’eux le capital, la direction, les dirigeants des partis, les médias et la direction d’IG Metall, avec en toile de fond le niveau de chômage important dans la Ruhr, ils étaient parfaitement conscients de l’étroitesse de leur marge de manœuvre. La plupart des organisations d’extrême-gauche — dont presque aucune n’est présente dans l’entreprise — n’ont rien compris à la forme de lutte qu’ils avaient adoptée. C’est qu’ils n’étaient pas venus aux portes pour écouter, mais pour assurer les travailleurs de leur solidarité et pour leur faire connaître la « juste » perspective politique. Des mots d’ordre tels que « grève illimitée ! », « extension de la grève ! » ou « formez des comités de grève » tapaient en plein à côté et ne font qu’illustrer à quel point l’extrême gauche est éloignée des réalités des entreprises.
Une lutte qui n’a pas été menée activement
Si les portes ont bien été bloquées, il n’y a eu ni appels à la solidarité d’autres boîtes, ni prise de contact avec les sites Opel d’Anvers ou de Trollhättan en Suède, eux aussi touchés. La grande majorité des travailleurs et des travailleuses ont passé ces journées à leur poste, sans refus de travail, et peuvent donc normalement prétendre à être rétribués. L’encadrement, les dirigeants, les services de surveillance et de gardiennage n’ont à aucun moment été entravés dans leur activité, y compris pour ce qui est de l’intimidation. Un ouvrier ne rejoignait le piquet aux portes qu’après avoir faire savoir à son chef qu’il n’était plus « prêts à travailler ». Ces précisions n’enlèvent évidemment rien aux mérites de cette lutte.
Le groupe des délégués du personnel a été la colonne vertébrale du combat. Les ouvriers de production sont syndiqués à 80-90%. La « direction des délégués du personnel », instance dirigeante d’IG Metall dans l’entreprise, a joué le rôle d’un « comité de grève ». Sans surprise, elle n’a pas bénéficié de l’appui de la bureaucratie de l’IG Metall, qui depuis le début était contre l’arrêt de la production. Une telle lutte n’aurait pas été possible sans les dizaines d’années de débats et de conflits au sein de ce corps « d’hommes et femmes de confiance », réfractées au CE par des sensibilités qui vont des « partenaires sociaux loyaux » jusqu’aux « syndicalistes sans frontières » [1], Voilà pourquoi il n’y a pas ici, contrairement à beaucoup d’autres grandes entreprises, de « prince du CE » appuyé sur une clique qui maîtrise tout, et cela en retour a permis aux délégués de prendre des initiatives.
Une unité exemplaire
C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter le résultat du vote de deux tiers du personnel pour la reprise du travail. Certes, la question était formulée de façon manipulatrice : « Le CE doit-il continuer les négociations avec la direction et le travail reprendre ? ». La fraction majoritaire du CE voulait que la production reprenne. Mais le résultat aurait-il été différent avec une autre question ?
L’extrême gauche, qui ne voit là que des travailleurs « trompés », oublie que les ouvriers et ouvrières ont discuté jour et nuit. Ils et elles ont une conscience de classe comparativement haute ; même si l’arrêt de travail avait été prolongé encore quelques jours, ce n’est pas seulement la pression sur le capital qui aurait augmenté, mais aussi la contre-pression et le danger de division.
Qu’en aurait-il été si le travail avait repris équipe après équipe ? Ou si le résultat avait été de 52 % pour la grève et 48 % contre ? Si cela avait entraîné affrontement et division parmi les travailleurs ? L’unité préservée du personnel face au propriétaire du capital Opel est leur grand triomphe. C’est elle seule qui a empêché la répression contre les « meneurs », telle qu’elle avait déjà été annoncée dans les médias de la bourgeoisie. Après deux grandes luttes au cours de ces dernières années (il y avait eu grève en juin 2000 contre la liquidation de certains secteurs à la suite de l’alliance entre GM et Fiat), les ouvriers et ouvrières d’Opel sont en état de relever le prochain défi. Et c’est cela qui compte.
B. B. Herbst, 22 octobre 2004