La laïcité apparaît de plus en plus souvent parasitée par un discours polémique, confus et idéologique, entre un pouvoir politique l’instrumentalisant avec cynisme, un parti majoritaire empêtré dans son débat fiasco, une héritière de l’extrême qui tente de la privatiser au bénéfice de la haine, une gauche souvent frileuse et responsable de trop de renoncement, une suspecte union sacrée des religions qui s’invite dans le débat en prétendant la défendre et des éditorialistes qui n’en finissent pas de l’ethniciser ou de pétitionner en troublante compagnie.
La laïcité est avant tout un instrument de concorde
Il y a ceux qui pensent qu’elle les mènera au pouvoir, ceux qui espèrent qu’elle les y maintiendra, ceux pour qui l’évoquer c’est déjà « stigmatiser » et ceux pour lesquels ce n’est qu’un instrument de domination de classe.
Et puis il y a ceux, pas forcement les plus bruyants, qui pensent la laïcité comme un instrument de concorde, une garantie d’égalité et de protection des minorités, un moteur œcuménique d’intégration et d’ascension sociale. C’est aussi parce que, venus d’ailleurs, nous en avons bénéficié que nous sommes parmi ceux-là, si charnellement attachés à elle.
Mais si la laïcité est devenue une proie appétissante pour tous, c’est que les problèmes sont réels, que l’inquiétude est intense, que les menaces sont nombreuses, profondément ressenties et source de dislocation du corps social.
Refuser cette réalité reviendrait à offrir à l’extrême droite son plus beau cadeau électoral et nul doute qu’elle serait ravie de se voir accorder un fructueux monopole sur ces sujets. Danger mortel – au demeurant à l’échelle européenne – qui impose de ne pas abandonner ce débat malgré les tentatives de récupération d’une certaine droite et les accusations d’« islamophobie » d’une certaine gauche.
La laïcité n’est pas un thème qui appartient à l’extrême droite
A cet égard, il faudrait en finir avec cette folle dialectique qui transforme en allié de l’extrême toute personne évoquant les problèmes posés par la pression obscurantiste s’exerçant dans les services publiques et en particulier les hôpitaux ou les rejets de la mixité dans les écoles, les piscines et les services municipaux.
De crainte d’alimenter les peurs, faut-il également s’interdire de parler de ces établissements scolaires où les enseignements des sciences naturelles et du sport sont boycottés par des élèves refusant aussi bien le darwinisme que « l’exhibition » de leur corps ? Que faire face aux demandes de privatisation de l’offre alimentaire dans les cantines ? Faut-il enfin s’abstenir de discuter du port des signes religieux dans l’entreprise privée ?
Et puisqu’il est souvent prétexté de la Cour européenne des droits de l’homme pour nous expliquer qu’on ne peut prendre aucune mesure nouvelle dans ce domaine, rappelons au contraire que celle-ci a maintes fois jugé, en particulier concernant l’interdiction de porter le foulard islamique à l’école, « que dans une société démocratique où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté [religieuse] de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun » (arrêts Leyla Sahin contre la Turquie (CEDH, 10 nov. 2005) et Kervanci contre France (CEDH, 4 déc. 2008).
A l’inverse, quelle délirante radicalité laïque empêcherait de discuter du financement de la construction des mosquées et de l’instauration de carrés musulmans dans les cimetières ?
Et de même, feindre d’ignorer que l’immense majorité des musulmans – puisqu’il sont manifestement visés par ce débat – est aussi attachée à la laïcité que les autres, surexploiter ce thème à quelques semaines ou mois d’échéances électorales, noyé entre incantations sécuritaires et discours sur l’immigration, est irresponsable, parfois obscène et rend inaudible toute réflexion sérieuse sur le sujet, dévoyant un bien commun pourtant précieux.
Il faut des débats, mais élevés et encadrés
Alors « n’ayons pas peur », les débats sont légitimes et la gauche, qui a tant contribué à la loi de 1905, devrait en être le rempart sourcilleux et intangible plutôt que de chercher quel accommodement serait raisonnable ou pas.
Mais ces débats doivent nécessairement être sereins, élevés, encadrés et ne pas se transformer systématiquement en foire au dérapage, anéantissant les années d’efforts des innombrables acteurs de la laïcité qui, sur le terrain et depuis longtemps, n’ont, eux, d’autres ambitions que de défendre et de promouvoir ce principe.
Des solutions concrètes peuvent être trouvées sans que notre société se trouve déchirée. La commission Stasi l’avait démontré avec un rapport qui proposait déjà une série de mesures largement acceptée, d’une étonnante modernité et dont nous pourrions nous inspirer.
Eviter le renoncement et la récupération
Enfin et surtout, on ne rappellera jamais assez que la finalité de la laïcité ne consiste pas à empêcher des croyants de vivre leur foi mais au contraire à protéger son existence et son expression dans les limites de l’espace privé. Elle permet alors l’émergence dans le champ public de citoyen(nes) et non de « Français d’origine musulmane ».
La laïcité est un universalisme et, au-delà de la séparation du politique et du religieux, un espace d’interaction sociale entre groupes, hommes et femmes, religieux et non religieux, homos et hétéros afin de renouveler un pacte social.
La laïcité est plus que jamais un enjeu de civilisation singulièrement pour nous, comme pour les démocraties arabes en devenir et nous avons une responsabilité historique à son égard. Cette obligation de résultat, chacun de nous en est comptable en évitant les renoncements des uns et les récupérations des autres.
Par Sihem Habchi et Richard Malka, Militante et avocat