La commune de Montreuil (Seine-Saint-Denis) abrite le parc des Beaumonts qui est le cadre, depuis des années, d’un suivi ornithologique et, plus généralement, naturaliste. Ce suivi comprend l’observation des migrations d’oiseaux, objet de nombreux rapports (voir par ailleurs dans cette rubrique).
Depuis l’automne 2011, la migration est aussi régulièrement suivie d’un « site » que nous avons intitulé « Montreuil ville » et qui est situé 1 km à l’ouest du parc des Beaumonts. Dans un premier temps, la plupart des données réalisées ici ont été intégrées à celles des Beaumonts, car elles concernent le même espace aérien : une bonne partie du secteur occidental du ciel visible du parc. Une mention précisait alors que ces données avaient été réalisées d’un point relativement bas, avec un champ de visibilité plus réduit que de coutume.
En 2012 cependant, il a été décidé de mieux séparer les deux sites, les « angles de vue » étant bien différents. L’intérêt du site « Montreuil ville » est qu’il illustre ce que peut apporter un point d’observation urbain fort banal : deux balcons au quatrième et dernier étage d’un immeuble tout ce qu’il y a de « moyen », dans le secteur de la Croix de Chavaux.
Conditions comparées d’observation
Autre aspect intéressant : la proximité des deux sites – le parc et mes balcons – permet de comparer ce qui est observé de l’un des meilleurs points de vue de la région parisienne (les Beaumonts) et d’un point de vue « quelconque » de la petite couronne.
Les Beaumonts
Le parc des Beaumonts est évidemment un site bien plus favorable que mes balcons. En bordure du plateau qui divise Montreuil en deux, il est haut perché (altitude de 109 mètres), surplombant le territoire à l’ouest et le sud. D’un point unique, il permet un tour d’horizon de 360% avec relativement peu de gêne : quelques arbres de grande taille, des bâtiments élevés à l’est. Cela permet de voir des oiseaux en provenance de tous les horizons, mais aussi de les suivre à la longue vue une fois qu’ils nous ont dépassé. Ce suivi peut être important pour vérifier que le vol porte loin (renforçant l’hypothèse de la migration) ou pour l’identification (un rapace mystérieux qui se met enfin à tournoyer, offrant à la vue le dessus, le dessous, la silhouette…).
Les bruits de la ville sont très atténués, surtout si l’on se tient un peu en dessous du « sommet », ce qui facilite l’audition des cris des migrateurs, leur localisation et, souvent, leur identification – quand il n’y a pas d’activités humaines (jeux…) trop bruyantes alentour.
Enfin, visible de loin, il est probable que le site des Beaumonts attire l’attention de migrateurs auxquels il peut offrir gîte et couvert – surtout des passereaux, mais aussi parfois de grands rapaces qui prennent du repos dans les parties boisées. Les haltes migratoires peuvent être brèves, durer quelques heures ou quelques jours. Rien ne remplace une « fouille » du site, mais il est possible, du point de skywatch usuel, de noter la présence de tels migrateurs à l’arrêt.
Mes balcons
Mes balcons sont situés en contrebas du plateau (altitude d’environ 65 mètres + quatre étages) et ne surplombent rien d’autre qu’une rue au nord, des jardinets et le toit d’un garage au sud. L’immeuble lui-même coupe en deux le champ de vision, rendant impossible le suivi d’un oiseau une fois qu’il le dépasse (je n’ai jamais couru d’un balcon à l’autre pour tenter de retrouver un migrateur). Par ailleurs, je n’ai jamais osé y installer ma longue-vue, craignant que les voisins ne trouvent déjà… énervant que je balaie les environs de mes jumelles (à ma connaissance, personne n’a contacté la police à ce sujet et je dois avoir une réputation d’ornitho hurluberlu). Monter sur le toit (plat) permettrait de réduire ces inconvénients en gagnant quelques mètres en hauteur, en augmenter considérablement le champ de vision « unitaire » (qui serait alors d’un peu plus de 270°) et peut-être en permettant de monter la longue-vue… Cependant, j’hésite…
L’un des balcons est orienté face au nord, avec un large champ de vision (180°), où la vue n’est vraiment gênée, droit devant, que par quelques bâtiments élevés qui cachent les oiseaux qui ne volent pas plus ou moins vers le sud.
L’autre fait face au sud avec un champ de vision plus réduit (un peu plus de 90°) : le regard porte loin au sud et à l’ouest, mais est bloqué par un immeuble voisin à l’est.
Le bruit est relativement limité pour un milieu urbain : au nord, une rue peu passante, souvent calme, mais parfois très bruyante ; au sud, des jardinets et le toit d’un garage entre des immeubles… On peut, un matin calme, entendre une bergeronnette printanière crier en survolant le balcon, cependant, les possibilités auditives sont bien plus limitées qu’aux Beaumonts.
On peut voir de loin et suivre longtemps des migrateurs en vol élevé et/ou qui prennent leur temps (martinets se nourrissant en migrant, rapaces ou cigognes cerclant…). L’observation se déroule alors dans des conditions très favorables. Mais bien souvent, des oiseaux volant bas, vite et sans détour ne sont visibles que brièvement. Il faut les repérer et les identifier rapidement, ce qui ne m’est pas toujours évident. Avec les difficultés d’écoute, voilà qui limite en particulier le comptage et l’identification des petits passereaux.
Malgré la présence de jardinets, l’environnement est évidemment aride et peu propice aux haltes migratoires, même si un jour de printemps j’ai eu la surprise de voir sous mon balcon sud un rougequeue à front blanc voler vers le nord en se glissant entre les immeubles…
Le gros avantage du suivi « maison » des migrations, c’est qu’il peut être plus ou moins quotidien, quand on est assez présent chez soi. Outre les plages d’observation d’au moins 15 minutes recensées sur Trektellen, il peut y avoir durant une journée de multiples « coups de sonde » pour essayer de « sentir » s’il y a du passage ou pas. On peut faire du skywatch intercalé entre d’autres activités (et dans son fauteuil !). Pour les Beaumonts, en revanche, il faut prendre son temps.
La durée des plages d’observation est plus courte qu’aux Beaumonts (sinon, il vaut mieux s’y rendre), mais elles peuvent être beaucoup plus fréquentes. Bien que mes balcons offrent un point de vue plus limité, ils permettent aussi de voir des oiseaux qui passeraient inaperçus du parc (où alors, il faudrait se placer en bordure du plateau).
Ajoutons à tout cela une différence notable : le suivi des Beaumonts est assuré par une (petite) équipe d’ornithos, alors que lesdits balcons ne sont occupés que par un seul observateur avec certes quelques qualités, mais surtout des limites. Un œil plus perçant, une ouïe plus fine et une capacité d’identification plus rapide seraient fort utiles…
Conclusion
Ce n’est que récemment (novembre 2011) que le suivi « maison » de la migration est devenu plus systématique, mais on peut déjà tirer quelques conclusions. La plus importante est que ses résultats ne sont pas simplement anecdotiques. Bien entendu, dans le cas de Montreuil, ils restent très en deçà de ce qu’offrent les Beaumonts, mais il le complète utilement. Donnons trois exemples.
Le 6 novembre 2011, vu des Beaumonts, en après-midi, le passage des vanneaux huppés était très modeste (21 individus pour 2h15 heures de skywatch). Le matin, en revanche, de mon balcon nord le passage des vanneaux était apparu beaucoup plus important (204 individus en 1h10). La « physionomie » de la journée en était modifiée.
En fonction de ce qui a été dit sur la topographie urbaine du lieu (mais aussi sur les limites de l’observateur), les résultats concernant la migration des petits passereaux sont et risquent de rester inégaux. Cependant, parce qu’il permet de faire du skywatch à des moments où il n’y a aucun ornitho aux Beaumonts, le suivi « maison » contribue (modestement) à faire apparaître les jours « avec » ou « sans » migration, voire à relever des dates précoces ou tardives de passage.
Enfin, le champ de ciel visible étant assez vaste, la présence de migrateurs – disons de bonnes tailles – peut être relativement facilement notée quand les conditions météo s’y prêtent. Ceci explique l’éventail assez étonnant de « grandes » espèces observées sur une période encore courte, des vanneaux aux busards, des cigognes aux bondrées ou milans… Ainsi, le 1er septembre 2012, un garde-bœufs en plumage encore nuptial est passé, rayonnant de lumière solaire, devant mon balcon nord – un héron qui n’a pas encore été vu du parc des Beaumonts !
Comme chacun sait, c’est la multiplication des points d’observation et la collectivisation des données qui permettent de faire apparaître la carte et le calendrier des migrations d’oiseaux. C’est particulièrement vrai dans des régions où il n’y a ni cols au-dessus desquels, ni côtes le long desquelles les flux migratoires se concentrent. On peut donc souhaiter que bien d’autres balcons soient pour ce faire mis à contribution, à Montreuil ou ailleurs.
Pour la liste récapitulative des espèces observées de ce site, voir sur ESSF (article 32436), Migrateurs et résidents : l’avifaune de Montreuil « centre » en Seine-Saint-Denis.
Pierre Rousset