Depuis les vingt dernières années, malgré la prétention des gouvernements à œuvrer pour une plus grande égalité entre les sexes, les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes (mais aussi entre femmes) se sont aggravées. Et les parents ont toujours autant de difficultés à trouver une place de crèche pour leurs jeunes enfants, tandis que les femmes continuent de supporter le poids principal des tâches domestiques et parentales. Une seule mesure peut nous réjouir : la création d’un congé paternité de quatorze jours qui connaît un vrai succès auprès des pères.
Les choix de politique familiale, depuis plus de vingt ans, n’ont en rien favorisé l’égalité entre hommes et femmes. Au lieu de développer des modes de garde collectifs de qualité, avec des personnels qualifiés (les crèches collectives n’accueillaient que 7 % des enfants en 1999), les gouvernements successifs ont favorisé - par des allègements fiscaux et des subventions - les modes de garde individualisés, comme le recours à des employées à domicile (Aged) pour les parents les plus aisés ou à une assistante maternelle (Afeama) pour ceux qui sont un peu moins fortunés.
Crèches sacrifiées
Pour les autres, Georgina Dufoix (ministre socialiste) a mis en place en 1985 une allocation parentale d’éducation (APE), ouvertement nataliste, pour le parent qui cesse de travailler, dans une famille comprenant trois enfants. Elle a été étendue en 1994 par Simone Veil (ministre de droite) aux parents de deux enfants qui cessaient de travailler ou se mettaient à temps partiel. Dans les faits, cette allocation est, dans la plupart des cas, versée aux mères. En 1998, plus de 26 milliards de francs ont été consacrés à ces trois prestations contre seulement deux milliards aux crèches collectives [1]. La proportion de mères de deux enfants sur le marché du travail a ainsi connu une baisse spectaculaire. Entre 1994 et 1998, le taux d’activité des mères de deux enfants dont le plus jeune a moins de trois ans et qui ont un conjoint est passé de 74 % à 56 % ! Entre 110 000 et 150 000 femmes actives ont été incitées à quitter le marché du travail pour se consacrer entièrement à l’éducation de leurs enfants [2].
Derrière ces chiffres, des conditions de travail et de vie particulièrement pénibles pour les femmes. Les allocataires sont en effet très majoritairement de jeunes ouvrières et employées pour qui le travail signifie bas salaires, flexibilité et course contre la montre pour récupérer un enfant à la sortie de l’école ou chez une nourrice, faire les courses, etc. Dans ces conditions, on comprend pourquoi ces femmes ont préféré (le choix est tout relatif) investir leur énergie et leur préoccupation dans leur vie familiale plutôt que dans leur vie professionnelle.
Cette allocation avait un double avantage pour nos gouvernants : faire baisser officiellement les statistiques du chômage et régler au moindre coût la question de la garde des jeunes enfants de moins de trois ans.
Néanmoins, en juin 2000, le gouvernement Jospin avait prévu de relancer la création de 40 000 places de crèches supplémentaires, alors qu’il en manque au minimum 500 000. Ces engagements financiers étaient insuffisants, ils le sont toujours !
Du temps pour vivre
L’ensemble de cette politique était d’autant moins égalitaire qu’elle continuait de faire reposer sur les femmes les tâches domestiques et parentales.
Aujourd’hui, les femmes assurent 80 % du noyau dur du travail domestique [3]. Elles consacrent deux fois plus de temps à leurs enfants que les pères. Entre 1985 et 1999, les hommes en couple ont augmenté de dix-sept minutes quotidiennes le temps qu’ils consacrent au travail domestique, tandis que les femmes l’ont réduit du même temps. Mais ces petits changements sont essentiellement dus aux modifications des modes de consommation, les femmes actives recourant de plus en plus aux petits pots et aux produits surgelés et les hommes accompagnant un peu plus leur conjointe pour faire les courses le samedi !
Les lois sur la réducton du temps de travail (RTT) n’ont pas amélioré de manière qualitative la question du temps pour les parents, pour les mères en particulier. La RTT s’est très souvent traduite, faute d’embauche suffisante, par une intensification du rythme de travail et par une aggravation de la flexibilité des horaires. Certaines enquêtes tendent à montrer que les femmes sont toujours plus disponibles que les hommes pour les enfants, et que la RTT n’est pas vécue de la même manière par les femmes en fonction de leur statut professionnel : 75 % des femmes cadres constatent une amélioration de leurs conditions de vie contre 40 % des femmes non-qualifiées [4].
Quelle que soit la majorité qui sortira des urnes aux législatives, nous devons mettre en avant la même orientation. Pour nous, chaque individu doit être indépendant financièrement grâce à son travail, disposer de temps libre pour s’occuper de sa famille (enfants ou parents âgés), s’investir dans la vie associative et jouir de loisirs. Par ailleurs, tout individu, quelle que soit sa nationalité et quelle que soit son orientation sexuelle, doit pouvoir choisir son mode de vie et le type de famille qui lui convient.
C’est pourquoi nous soutenons la demande d’un statut autonome pour les femmes immigrées arrivées en France dans le cadre du regroupement familial, ainsi que le droit au mariage et à l’adoption pour les gays et les lesbiennes. Nous soutenons également les revendications élaborées par le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) concernant l’égalité professionnelle et la politique familiale. Ces deux domaines sont totalement liés.
En effet, il ne peut y avoir de réelle égalité professionnelle sans que soit développé un véritable service d’accueil de la petite enfance gratuit. Ce service public devrait regrouper tous les modes de garde et permettre la formation de toutes les personnes actuellement employées, pour transformer ces emplois en métiers reconnus et valorisés et donner à chaque enfant le maximum d’atouts.
– Il faut remplacer l’APE de trois ans par un congé parental d’éducation d’un an, à partager à égalité entre le père et la mère, avec une rémunération à hauteur du salaire et garantie de réembauche ;
– les congés pour enfants malades doivent être partagés entre le père et la mère ;
– il faut supprimer le quotient familial qui introduit une inégalité fondamentale entre les enfants en fonction du revenu de leurs parents et revaloriser les allocations familiales dès le premier enfant ;
– des campagnes médiatiques régulières (en concertation avec les associations féministes) sont indispensables pour lutter contre les stéréotypes sexistes et pour le partage des tâches domestiques ; de même, un suivi de la formation des professionnels de l’éducation doit être assuré.
Mais une telle politique familiale n’a de sens que si elle s’accompagne d’une politique volontariste de lutte contre les discriminations sexistes, contre la précarité et les bas salaires - qui touchent particulièrement les femmes -, et par la hausse des minima sociaux. Il faut, comme le réclame le CNDF, de vrais emplois et du temps pour vivre.
Notes
1. J. Fagnani, Du travail et des enfants, Bayard, 2000.
2. Recherches et prévisions, n° 59, 1999.
3. C. Brousse France, Portrait social, 1999.
4. M. Bullard, Le Monde diplomatique, mai 2002.