Comment ce mouvement s’est il déclenché ?
Tout est parti du geste tragique d’un jeune dans la région déshéritée de Sidi Bouzid, le 17 décembre, pour son droit au travail et à la dignité. Immédiatement, la population locale s’est identifiée à lui. Cela a touché particulièrement les jeunes se sentant rejetés par la société, survivant grâce à des petits boulots, poursuivis par les tracasseries administratives et policières. Les manifestations ont fait boule de neige aux alentours..
Ce sont les mêmes ressorts qui avaient joué en 2008 dans le bassin minier de Redeyef-Gafsa, dans un contexte d’absence de liberté et de démocratie où les pouvoirs publics n’ont trouvé comme réponse que l’usage de la répression.
Mais cette fois-ci le mouvement de solidarité s’est étendu progressivement à l’ensemble du pays, en grande partie grâce à l’utilisation de Facebook par la jeunesse, à la télévision satellitaire Al-Jazira, aux militants des droits de l’Homme et aux syndicalistes. La contagion s’est étendue aux régions côtières, puis les 13 et 14 janvier à la région de Tunis. Et le 14 janvier, le monde entier a assisté à la fuite de Ben Ali.
Pourquoi ce mouvement a-t-il réussi à chasser Ben Ali ?
La raison fondamentale est que l’ensemble du pays s’est senti concerné. Se sont jetés dans l’arène un nombre croissant de syndicalistes, d’avocats, de lycéens et d’étudiants. L’ensemble du pays s’est alors embrasé, mêlant des revendications sociales, la volonté d’en finir avec le développement inégal du pays, le refus de l’absolutisme et de la corruption, le rejet de l’absence de démocratie et la volonté de mise en place d’un Etat de droit.
A quelques rares exceptions près, les Unions locales de l’UGTT, la centrale syndicale unique, ont été pleinement partie prenante du mouvement. Les sièges des structures locales ont été les points de ralliement des manifestants. Même si ce mouvement était spontané, il n’est pas tombé du ciel : il avait été préparé par des années de luttes sociales et notamment celles de Redeyef-Gafsa en 2008, ainsi que celles pour les droits de l’Homme.
Tout cela s’est fait au prix d’un véritable massacre, au moins 150 morts. Dans la région de Bizerte, par exemple, les bandes armées de l’Ancien régime ont encore continué à sévir dans les quatre jours ayant suivi la fuite du dictateur.
Si Ben Ali est tombé, c’est aussi parce qu’il a été lâché par l’armée dont le responsable avait refusé de tirer sur la foule, et avait été pour cette raison démissionné.
Les pays occidentaux ont progressivement commencé à prendre leurs distances avec Ben Ali, ce qui n’a pas été le cas du gouvernement français qui l’a soutenu jusqu’au bout.
Comment faire pour que le mouvement débouche sur un vrai changement ?
Le peuple est dans la rue et veut faire table rase de tout ce qui rappelle le passé. Il veut reconstruire la Tunisie sur de nouvelles bases, avec de nouvelles valeurs basées sur la démocratie, avec des hommes et des femmes nouveaux.
C’est maintenant la rue qui décide, et elle demande la disparition complète du RCD, le parti-Etat de Ben Ali.
Des manifestations monte également l’exigence de la disparition de tout le cadre législatif qui organisait auparavant l’espace public. Certains veulent une nouvelle Constitution, d’autres se contenteraient de nouvelles règles de comportement, mais il s’agit d’une même exigence du peuple tunisien.
La rue demande également la saisie des biens de la mafia chassée du pouvoir, ainsi que l’amnistie générale pour tous les militants qui depuis 50 ans ont été condamnés pour leurs opinions ou leur action politique.
Pour que de telles mesures soient mises en œuvre il faut que continuent à se mettre en place des comités locaux, des comités de vigilance. Ces conditions sont indispensables pour que la société tunisienne se reconstruise sur de nouvelles bases.
Les forces qui essaient de saboter et de briser ce processus sont toujours présentes, et elles ont une capacité de nuisance :
– les caciques de l’Ancien régime qui veulent se maintenir au gouvernement,
– les bandes criminelles lâchées par Ben Ali après son départ pour terroriser la population,
– la menace extérieure d’un Khadafi qui menace la Tunisie et dispose des moyens d’y faire passer des armes et de l’argent.
Il n’y a pas actuellement, à mon avis, de menace de coup d’Etat militaire.
Propos recueillis dans les locaux de la FTCR à Paris, le 21 janvier 2011, par Alain Baron pour l’Union syndicale Solidaires.