La direction de Québec solidaire vient d’émettre un communiqué de presse mis très en évidence sur son site web [1]. La portée politique de ce communiqué n’est pas banale. Par l’intermédiaire de ses attentes vis-à-vis le prochain budget, la direction du parti annonce son orientation politique lors de la prochaine campagne électorale dont le déclenchement est incessant. La direction Solidaire a décidé, au prix du reniement de la plate-forme électorale du parti, d’occuper le terrain programmatique évacué par le PQ. L’épreuve du pouvoir a forcé le PQ a révéler la nudité néolibérale de sa politique aux dépens de tout faux discours social-libéral se faisant passer pour de la social-démocratie. La direction Solidaire a décidé que le parti, contre l’avis de ses militantes exprimé par le processus de construction du programme et de la plate-forme si manipulé fut-il, se muerait du parti de l’alternative de gauche en parti de l’alternance centriste. Les porte-parole du parti veulent que le parti deviennent le porte-parole des porte-parole.
La direction Solidaire se rallie à l’objectif péquiste de l’abolition du déficit l’an prochain par le moyen de marginales augmentations fiscales contenues en substance dans la plate-forme électorale péquiste de l’élection de 2012 [2] mais reniées depuis par lui. Comme les nouveaux moyens fiscaux serviront à combler le déficit, il ne restera plus grand chose pour des programmes nouveaux [3]. La direction Solidaire abandonne la revendication de la construction de 10 000 logements sociaux et écologiques par année durant 5 ans, pour laquelle le FRAPRU manifestait encore il y a deux semaines, en faveur de l’indéterminé « [f]avoriser l’accès au logement social avec un vaste chantier... ». Elle renonce aux objectifs de la plate-forme de réduire les gaz à effet de serre de 40% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2020 en faveur de l’objectif péquiste d’une réduction de 25% [4] pour laquelle le PQ refuse un plan d’action crédible. Elle se rallie à l’objectif péquiste d’une réduction de la consommation de pétrole de 30% d’ici 2020 [5] au lieu de s’en tenir à l’élimination complète de la consommation énergétique des énergies fossiles d’ici 2030.
Cerise sur le gâteau, la direction Solidaire renonce à l’objectif de la gratuité du transport public sur 10 ans en faveur d’un ralliement à la revendication de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain d’un investissement supplémentaire de 1 milliard $ par année sur 10 ans pour le transport public [6] tout en sachant fort bien la nette insuffisance de cette revendication pour faire du transport en commun une alternative à l’automobile [7]. Il faut avoir du front tout autour de la tête pour conclure comme elle le fait que ce budget pré-électoral minimaliste est « ...un plan solide pour sortir le Québec du pétrole et [pour] une transformation des bases de notre économie [...qui] mettr[a] l’économie au service de la société plutôt que l’inverse. »
La direction Solidaire, sans état d’âme et certaine de son emprise sur le parti, a résolument pris le chemin du NPD et de tous les autres partis dit sociaux-démocrates du siècle passé qui ont fait la paix avec le capitalisme néolibéral en faveur d’une illusion d’exercice du pouvoir au bénéfice de son seul appareil. La direction du parti n’a pas compris que la profondeur et la pérennité des crises économique, écologique et démocratique exigent une rupture systémique dont les mouvements des Indignées et Occupy tout comme les Printemps arabe et érable traduisent l’urgence. Il appartient aux membres du parti, peut-être aiguillonnés par ses collectifs anticapitalistes bien discrets, de rétablir au sein du parti la « souveraineté populaire » du congrès qui a longuement débattu du programme et de la plate-forme avant de les adopter y compris ses nombreux éléments antilibéraux dont ceux mentionnés ci-haut et bien d’autres comme la nationalisation complète ou partielle des entreprises exploitant les ressources naturelles.
On nous rétorquera que le parti est le seul à s’opposer à la dérive pétrolière du PQ, le sujet d’actualité de l’heure. Une opposition conséquente suppose de combattre aussi de dire non au pétrole conventionnel comme l’exige la plate-forme, ce que la direction refuse de traduire dans son discours en laissant la porte ouverte à ce type d’exploitation en autant qu’il soit approuvée, réglementée et objet de redevances [8]. Heureusement qu’actuellement les possibilités d’extraction de pétrole conventionnel sont dérisoires. Last but not least, la meilleure défensive contre la grande tentation (illusoire) de la rente pétrolière et minière, c’est la contre-attaque du plein emploi écologique (et son corollaire d’expropriation des banques et de profonde réforme fiscale) par l’ouverture de vastes chantiers dans le bâtiment, le transport, l’agriculture et le réaménagement urbain sans compter la sécurisation du droit au travail et des assurances sociales pour saper les bases du consumérisme. C’est ce terrain alternatif, ouvert par le programme et la plate-forme, que déserte la direction du parti.
Comme on récolte ce qu’on a pas semé, l’opinion publique québécoise appuie fortement la dérive pétrolière péquiste [9], la seule alternative offerte pour se sortir du marasme actuel. Comme l’option rentière carbure au nationalisme, le PQ la combine avec son offensive identitaire de sa Charte islamophobe, là aussi avec un succès dans les sondages électoraux (et une descente significative de Québec solidaire) lesquels montrent une scission inquiétante entre le vote francophone d’une part et anglophone et allophone d’autre part [10]. Prendre une position radicale nuirait au vote ? Le dernier sondage démontre que le centrisme de Québec solidaire ne paie pas [11]. Par contre, en novembre dernier, le succès étonnant d’une candidate radicale mais ancrée dans les luttes sociales, ne cachant pas son idéologie socialiste, aux élections municipales de Seattle aux ÉU [12] et la percée aux législatives d’Argentine d’un grand nombre de candidatures d’extrême-gauche [13] démontrent qu’une portion grandissante de l’électorat, aiguillonnée par les crises du système mais aussi par les grandes mobilisations sans lendemain, cherchent une rupture débouchant sur une alternative pérenne.
Marc Bonhomme, 19 février 2014
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