Les eurosceptiques comme les proeuropéens sont au moins d’accord sur une chose : l’accord signé au forceps lundi 13 juillet pour éviter la sortie de la Grèce de la zone euro s’accompagne d’une perte de souveraineté sans précédent.
La Grèce sous tutelle
Le compromis prévoit que les Grecs « consultent les institutions et conviennent avec elles de tout projet législatif » dans les domaines concernés par l’accord et qu’ils reviennent sur les décisions prises depuis février par le gouvernement Tsipras. Ces deux dispositions mettent de facto le gouvernement grec sous tutelle. En clair, pas question de proposer de nouvelles lois, ou un référendum, sans un accord préalable des créanciers.
Dans les deux plans d’aide précédents, le contrôle de leur bonne application était fait a posteriori, par l’intermédiaire des rapports trimestriels de la « Troïka » des bailleurs de fonds (FMI, Banque centrale et Commission européennes). A plusieurs reprises, les créanciers ont conditionné le versement d’une nouvelle tranche d’aide à la bonne application des engagements pris – de manière souvent très détaillés – par les différents gouvernements grecs.
Sur le fond des politiques, même s’il n’est pas forcément plus dur que les programmes de 2010 et 2012, le texte ne tient pas compte des objectifs politiques du gouvernement Tsipras, élu sur un programme anti-austérité. Sous pression de Berlin, Athènes a ainsi dû accepter un fonds de privatisations, longtemps dénoncées par Syriza.
Rupture de confiance
L’abandon de souveraineté imposée aux Grecs est à la mesure de la perte de confiance des Européens envers le gouvernement d’Alexis Tsipras. Cette défiance a culminé lors de l’annonce du référendum contre le programme d’assistance, et la campagne de Syrisa pour le non. La consultation a brisé net une négociation sur le point d’arriver à son terme, qui aurait pu aboutir à un accord plus favorable à Athènes – et moins coûteux pour ses bailleurs de fonds.
De surcroît, le rapport de forces entre Athènes et ses créanciers a toujours été très déséquilibré. Les « durs », au premier rang desquels l’allemand Wolfgang Schäuble, mais pas seulement (il y avait ses collègues finlandais, slovaque, autrichien, slovène, letton, etc.) ont vite pris l’ascendant. D’autant qu’Alexis Tsipras s’est aussi aliéné les dirigeants sociaux-démocrates, ou des pays du Sud. Mariano Rajoy en Espagne, a cherché à « casser » l’expérience Syriza, pour mieux contrer Podemos. En Italie, Matteo Renzi n’a jamais pris la défense de son homologue grec et François Hollande s’est jeté dans la bataille quelques semaines avant le sommet décisif du 12 juillet afin d’empêcher un Grexit.
Enfin, même si personne ne le reconnaît officiellement, le fossé idéologique entre les créanciers et le parti de la gauche radicale Syriza n’a rien arrangé. Certains, en particulier en Allemagne, ont eu du mal à accepter de parler à des « communistes ».
Une exception ou un précédent ?
Tous les dirigeants européens l’assurent : les restrictions imposées à la souveraineté grecque sont « exceptionnelles ». « Cet ultrafédéralisme par exception est un pis-aller pour des Etats en faillite, cela ne doit surtout pas faire école », juge Yves Bertoncini, le directeur de l’Institut Jacques Delors, qui y voit surtout l’illustration d’une gouvernance européenne défaillante : « On n’a pas fait l’Europe pour mettre les Etats sous curatelle ».
De fait, l’Irlande et le Portugal ont retrouvé leur pleine souveraineté après être sorti du plan d’aide, avec la fin des missions de la « Troïka » des bailleurs de fonds, qui venait contrôler tous les trois mois le respect des conditions fixées en contrepartie de l’assistance. Par ailleurs, les réflexions en cours pour approfondir l’Union monétaire et le gouvernement économique de l’euro ne s’orientent pas vers la généralisation des mises sous tutelle, même si l’appartenance à la monnaie unique devrait, de l’avis général, s’accompagner d’une plus grande convergence des politiques économiques. Angela Merkel a tenté en vain de proposer la signature de contrats entre Bruxelles et les capitales, mais elle a dû battre en retraite face à des partenaires, dont François Hollande, jaloux de leur souveraineté.
La panne démocratique de la zone euro
La crise grecque a surtout démontré qu’il fallait accompagner l’intégration monétaire d’un système de gouvernance politique, qui lui fait actuellement défaut. Pour certains analystes, préserver l’euro sans davantage d’intégration politique aboutira soit à une implosion, soit à de nouveaux transferts financiers considérables afin d’« équilibrer artificiellement un système politique structurellement déséquilibré », estime Jan Techau, du groupe de réflexion Carnegie Europe. « L’UE survivrait peut-être à la fin de l’euro mais elle ne survivrait sans doute pas à son incapacité à s’unir face aux menaces et aux défis globaux », analyse M. Techau.
Si M. Hollande a relancé le sujet d’un « gouvernement de la zone euro » lors de son intervention du 14 juillet, le texte du 13 juillet n’en dit pas un mot. Deux thèses s’affrontent aujourd’hui : l’une affirme que l’euro finira par tuer l’Europe et n’est qu’un instrument de l’hégémonie économique et politique allemande, l’autre soutient que la monnaie unique protège les pays qui l’ont adoptée et leur peuple. Certains défendent une zone euro, renforcée par un nouveau traité, qui harmoniserait les pratiques budgétaires, une partie du régime fiscal et les systèmes de taxation de ses membres. Sans toutefois faire renaître le spectre d’une « Europe fédérale » qui effraye.
Service international du Monde