Le siège de Kobané par « l’État islamique » et sa défense déterminée par les forces surtout kurdes a attiré l’attention internationale sur le Parti d’union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat) kurde de Syrie. Le PYD est la principale force kurde dans une grande partie de la Syrie du nord, où il a une influence importante dans trois enclaves, ou « cantons », des zones à majorité kurde. En novembre 2013, il a déclaré dans ces cantons une administration provisoire du Rojava (Kurdistan occidental). L’objectif déclaré du projet de Rojava est de construire une société libérée, démocratique, avec des droits égaux pour les femmes, au sein de laquelle les divers groupes ethniques et religieux pourraient vivre ensemble. L’inspiration idéologique de ce projet, c’est la pensée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan) de Turquie et de son leader Abdullah Öcalan.
Au début des années 1990, le PKK a mené une guérilla féroce contre l’État turc. Il continue à être une force importante à la fois en tant que parti et par son influence sur les autres organisations. Initialement, le PKK a suivi une idéologie « marxiste-léniniste ». Cependant, ce mouvement a connu de profonds changements idéologiques, en particulier depuis l’emprisonnement d’Abdullah Öcalan en 1999. Le PYD nie tout lien organisationnel avec le PKK, mais il a été fondé par des membres syriens du PKK et proclame la même ligne idéologique.
Cet article examine cette idéologie et ses changements en ce qui concerne plusieurs aspects clés.
► Dans les deux premières parties, nous allons discuter l’orientation stratégique du PKK à ses débuts et sa ressemblance avec d’autres mouvements de libération nationale à cette époque.
► La troisième partie traitera de l’idée de la « création d’un homme nouveau », qui est devenue centrale dans la conception de la société future pour laquelle le PKK lutte. Les militants de ce mouvement décrivent fréquemment leurs convictions politiques en parlant de « l’idéologie d’Öcalan ».
► La quatrième partie est consacrée au rôle d’Abdullah Öcalan en tant que dirigeant et idéologue de ce mouvement.
► La cinquième partie traitera d’une autre caractéristique qui distingue le PKK : le rôle qu’il donne aux femmes et à la libération des femmes dans les transformations sociales.
► Enfin les sixième et septième parties de cet article s’intéresseront à l’évolution des idées du PKK sur la société future : sa vision d’une « civilisation démocratique » et sa conception du « socialisme ».
Il ne s’agit pas d’écrire une histoire du PKK, mais certains aspects de son histoire seront abordés pour situer son évolution idéologique. L’accent est mis sur l’idéologie « officielle » de ce mouvement, telle qu’elle apparaît dans les déclarations d’Öcalan et les documents du PKK. Comment cette idéologie se traduit dans la politique actuelle du PKK et comment les militants de base l’interprètent sont des questions qui vont au-delà de l’objet de cet article. L’influence d’Abdullah Öcalan dans le PKK pourrait difficilement être surestimée. Comme un ancien membre l’a formulé, « le PKK est dans un certain sens identique à son fondateur, Abdullah Öcalan » (1). En raison de son rôle dominant à la fois en tant que dirigeant et en tant qu’idéologue du mouvement, cet article se concentre sur les déclarations et les écrits d’Öcalan lui-même.
Racines du PKK
L’actuel mouvement kurde de libération en Turquie a ses racines dans la radicalisation des années 1960. Après le coup d’État des officiers « kémalistes progressistes » en 1960, la nouvelle Constitution turque a promis le droit au travail, un salaire minimum, le droit de grève ainsi que le droit de s’organiser. Cest dans ce contexte que les syndicalistes et les intellectuels progressistes forment le Parti des travailleurs de Turquie (TIP, Turkiye Isci Partisi), qui en 1965 obtient 3 % des votes et 15 sièges au Parlement. Le TIP était un parti réformiste qui a réintroduit les idées socialistes qui avaient été taboues et même hors la loi dans l’État kémaliste.
Le TIP condamnait les actions radicales des jeunes militants de la gauche radicale et avait peu de racines dans la classe ouvrière. Toutefois, il bénéficiait d’un soutien relativement important parmi les Kurdes de Turquie. Les provinces kurdes de Turquie ont toujours été la partie la plus pauvre du pays, ce qui est aussi le produit des politiques étatiques discriminatoires contre les Kurdes. Parler kurde était un crime, l’usage des lettres x, q et w – qui existent dans l’alphabet kurde, mais pas dans l’alphabet turc – pouvait provoquer des poursuites, les publications qui mentionnaient simplement le terme « Kurde » étaient interdites et l’État kémaliste a tenté d’assimiler la minorité kurde dans la majorité turque.
À la fin des années 1960, un certain nombre de militants kurdes du TIP ont commencé à discuter des problèmes spécifiques de la population kurde en Turquie. De ces débats émergèrent les Cœurs culturels orientaux révolutionnaires (DDKO, Devrimci Kültür Doğu Ocaklari). Le terme « orientaux » était un euphémisme visant à éviter la répression de l’État, car tout ce qui concernait l’existence même des Kurdes était interdit.
À la même époque, la Turquie voit le développement d’une nouvelle gauche, militante. C’est en 1965 que se crée la Fédération de la jeunesse révolutionnaire de Turquie (Turkiye Devrimci Genclik Federasayno, dite Dev-Genc). Les militants de Dev-Genc organisaient les occupations des universités, protestaient contre la présence des troupes étatsuniennes, organisaient la solidarité avec les luttes ouvrières et combattaient les fascistes dans les campus et dans les rues. Une partie du mouvement ouvrier s’est également radicalisée et, en 1967, la Confédération des syndicats des travailleurs révolutionnaires de Turquie (DISK, Türkiye Devrimci İşçi Sendikaları Konfederasyonu) a été créée, pour une alternative à la fédération officielle des syndicats. Les travailleurs ont mené des grèves sauvages et des occupations d’usines, alors que les paysans occupaient les terres. Grâce à cette fermentation et cette radicalisation, les premiers groupes armés se sont développés au début des années soixante-dix. Inspirés par la révolution cubaine et par le maoïsme, ces groupes voyaient la Turquie comme une « néo-colonie » des Etats-Unis et se considéraient eux-mêmes comme luttant pour une révolution « démocratique nationale » afin de briser l’emprise de l’impérialisme, obtenir une véritable indépendance nationale et ouvrir la voie à une nouvelle étape, socialiste, de la révolution.
Abdullah Öcalan a commencé sa vie politique dans ces cercles de la gauche radicale. Né en 1949, fils d’une famille de paysans pauvres, Öcalan a grandi dans un environnement très religieux et conservateur. En 1966, il part à Ankara où il étudie pour travailler dans les services du cadastre. Diplômé en 1969, il commence à travailler d’abord à Diyarbakir, puis à Istanbul. Peu avant la fin de ses études, Öcalan commence à fréquenter les réunions politiques, rejoint les DDKO et participe aux luttes de la jeunesse radicale. En 1971, l’armée commet un nouveau coup d’État, cette fois pour tenter d’éradiquer le mouvement radical. Le TIP et les DDKO sont interdits, et beaucoup de militants doivent fuir le pays. En 1972, Öcalan, qui avait commencé des études de sciences politiques à Ankara, est arrêté lors d’une manifestation en solidarité avec les militants de gauche tués lors d’une fusillade avec la police. Condamné à sept mois de prison, il est détenu dans la prison militaire de Mamak avec des dirigeants de Dev-Genc et d’autres militants radicaux expérimentés. Son arrestation l’a radicalisé davantage et les discussions politiques dans la prison l’ont fortement impressionné. Il décide de s’engager pleinement dans l’activité politique radicale. Mais lorsqu’il sort de prison, le régime a réussi à démanteler un grand nombre de groupes radicaux.
Öcalan ne se sentait à l’aise dans aucun des groupes existants, qu’ils soient turcs ou kurdes.
La gauche radicale turque, plus ou moins sous l’influence du nationalisme kémaliste et de la théorie de la révolution par étapes, avait tendance à négliger l’oppression des Kurdes, voire même à la nier. Considérant que la Turquie elle-même était une nation opprimée, ces groupes considéraient que l’État turc ne pouvait pas mener une politique impérialiste telle que l’oppression nationale des Kurdes. Et s’ils reconnaissaient que les Kurdes étaient victimes d’une oppression nationale spécifique, un grand nombre de ces militants de la gauche turque pensaient que cette question ne pourrait être traitée qu’après la victoire de la révolution nationale démocratique libérant la Turquie de l’impérialisme.
En 1975, le mouvement nationaliste kurde traditionnel a subi un coup dur avec la défaite de la guérilla dirigée par le mollah Mustafa Barzani (le père de l’actuel président de la région kurde irakienne, Massoud Barzani). Barzani avait passé une alliance avec les États-Unis, Israël et l’Iran contre l’État irakien, mais il a été lâché par ses alliés après que Bagdad a fait des concessions à Téhéran.
De tout cela Öcalan tira la conclusion que ni la gauche turque ni les nationalistes traditionnels, comme Barzani qui cherchait des soutiens extérieurs, ne pouvaient servir la cause des Kurdes. Les Kurdes devraient se battre pour eux-mêmes, en tant que Kurdes. Il a commencé à construire son propre groupe, qui a adopté le concept – élaboré par le pionnier de la sociologie turque, Ìsmail Beşikçi – selon lequel le Kurdistan était une colonie internationale, occupée par la Turquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak. À partir de 1975, le groupe fondé par Öcalan a commencé à agir sous le nom de Révolutionnaires du Kurdistan (SK, Soresgeren Kurdistan). Ses principaux membres avaient une trajectoire similaire à celle d’Öcalan : des jeunes issus du milieu rural pauvre qui se sont radicalisés lors de leurs études. Leur origine sociale était très différente de celle d’un Barzani, issu d’une famille de riches notables, ou de celle des élèves d’écoles urbaines, qui ont joué un rôle important dans la nouvelle gauche turque. Les militants du SK n’étaient pas exclusivement des Kurdes ; il y avait en son sein aussi un certain nombre de militants de la gauche radicale turque, pour lesquels la libération du Kurdistan était la condition préalable à la révolution en Turquie.
Contrairement aux autres groupes de gauche, le SK a décidé de ne pas dépenser des ressources dans des publications, mais de recruter à travers d’intenses discussions en tête-à-tête. Il s’adressait surtout à des Kurdes pauvres, souvent illettrés, en général d’origine rurale et venus dans les villes à la recherche de travail. L’emploi de la violence contre les groupes tels que les Loups gris fascistes était une autre caractéristique du SK. Cela lui a valu un certain respect et a attiré vers lui la jeunesse radicale, en compensant l’absence d’un leader connu et de moyens financiers. Ce militantisme pouvait attirer les très nombreux Kurdes qui avaient constaté que l’État turc ne leur permettait pas de se libérer par des moyens non violents et qui, après l’échec de la tentative de Barzani, cherchaient une alternative.
Un ancien membre du Comité central du PKK, Mehmet Can Yüce, expliquait ainsi sa radicalisation : « Vous êtes une nation colonisée et vous aspirez à vos droits. Vous pouvez publier des magazines, former une association et même entrer au Parlement – bref, vous pouvez opérer dans les limites imposées par cet État, mais l’ennui c’est que cet État interdit d’employer le mot “Kurde” et qu’il ne vous laissera pas vous référer à un lieu appelé “Kurdistan”. Dire ces mots est un crime, c’est du séparatisme, et des motifs pour vous arrêter, vous torturer, vous emprisonner pendant des années. Alors, qu’est-ce qui maintient cette nation sous la répression ? La force. L’armée, la police, la gendarmerie, les contre-guérillas, le Parti d’action nationaliste d’extrême droite… Dans un tel pays, où l’appareil de répression est tellement organisé et enraciné, il ne vous reste qu’une seule voie, c’est d’employer la force pour répondre avec force. » (2)
Quelques années plus tard, le SK avait gagné une petite audience dans plusieurs grandes villes des régions kurdes. En 1977 le groupe a été réorganisé, a pris le nom du PKK et a adopté un manifeste. Ce dernier, « La voie de la révolution kurde », ressemble beaucoup aux déclarations d’autres mouvements de libération nationale « marxistes-léninistes » de cette époque. En 1977, le premier programme du parti est rédigé. Il reprend largement les idées du manifeste.
Ces documents déclarent que l’objectif immédiat du PKK est la révolution « nationale démocratique » qui mènera à un « Kurdistan indépendant et démocratique ». Toute option autre qu’un État-nation kurde est rejetée avec véhémence ; le programme initial appelle à dénoncer les « attitudes capitulardes, qui ne visent pas à briser le joug colonial de la République turque et qui proposent des choses comme “l’autonomie régionale”, “l’autonomie”, etc. », car ces propositions sont « dans leur essence un compromis avec le colonialisme ». Le programme appelle à une « lutte déterminée » contre de telles idées (3).
La révolution devait prendre la forme d’une lutte armée prolongée ou « guerre populaire », basée sur la paysannerie. Sa direction devait être « la classe ouvrière » menée par le PKK. Le pouvoir des leaders « féodaux » de la société kurde devait être brisé puisqu’ils étaient les représentants du colonialisme. La paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine étaient les deux principaux alliés de la classe ouvrière. Il n’y avait pas de « bourgeoisie nationale » car le colonialisme ne permettait pas le développement d’une telle classe. Les alliés de la révolution à l’échelle internationale étaient les « pays socialistes », les partis ouvriers des pays capitalistes et les « mouvements de libération des peuples opprimés du monde ». Ses ennemis : l’État turc, ses « collaborateurs indigènes féodaux » et, « derrière eux, les puissances impérialistes ». Après la révolution « nationale démocratique » la lutte devait se poursuivre « sans interruption » afin de procéder à une révolution socialiste. Ce manifeste ainsi que le symbole du parti – un drapeau rouge avec faucille et marteau – resteront en place jusqu’au cinquième congrès du parti en 1995.
Ces documents sont évidemment fortement influencés par les idées maoïstes, mais ils n’adoptent pas la désignation de l’URSS comme « social-impérialiste ». Les partis au pouvoir en URSS et en Chine sont tous les deux critiqués pour leurs politiques « révisionnistes ». Globalement, les « pays socialistes réellement existants » sont considérés comme des alliés de la révolution kurde, mais aucun de leurs partis gouvernants n’est accepté en tant que guide idéologique. Mehmet Can Yüce, l’idéologue du PKK, se moquera plus tard des groupes de la gauche turque qui étaient à la recherche d’une « Mecque » à Moscou, Tirana ou Pékin.
Le PKK n’était pas le seul groupe de la gauche kurde qui adoptait un tel cadre à cette époque, ni le seul à déclarer la nécessité de la lutte armée. En fait plusieurs autres groupes kurdes, comme le Parti ouvrier d’avant-garde du Kurdistan (PPKK, Partiya Pêşenga Karkerên Kurdistan) et le Parti socialiste du Kurdistan turc (TKSP, connu sous le nom Özgürlük Yolu, la Voie de la liberté), qui avaient alors plus d’influence, ont fait des déclarations similaires.
Le style ampoulé des documents fondateurs du PKK le différenciait cependant des autres groupes : la libération du Kurdistan était nommée « tâche sacrée ». « Notre Mouvement (…) considère que la direction de notre peuple avec les moyens idéologiques, organisationnels et politiques est une tâche sacrée et historique » alors que « avoir une vie éloignée de la Révolution au Kurdistan ne serait pas différent d’un mode de vie bestial » (4).
Guerre populaire
La spécificité la plus importante de ce petit groupe de jeunes à l’origine du PKK, était qu’il considérait que l’organisation de la lutte armée était une tâche immédiate, alors que les autres groupes déclaraient qu’elle ne pourrait commencer qu’après une phase de construction d’un soutien politique à cette lutte. Parlant des dirigeants des autres groupes de la gauche kurde, qui avaient souvent critiqué le PKK et son chef pour leur manque de finesse idéologique et d’expérience politique, Öcalan déclarait en 1996 : « J’avais un principe pour moi-même : Pourquoi ai-je osé initier cette guerre et y croire ? Parce que celui qui ne se bat pas est la pire des putains. C’était ma conviction dès le début ; je me suis modelé autour de cette conviction. Tous ces hommes des groupuscules kurdes, qui proclamaient la cause nationale, étaient malhonnêtes. Pourquoi ? Parce que, je l’ai dit, ils se prostituaient plus qu’une prostituée. J’ai dit, je ne serai pas comme eux ; je vais me battre pour des objectifs plus nobles » (5).
La volonté et la capacité du PKK d’employer la violence furent un appel pour de nombreux Kurdes opprimés. C’est durant la guerre qui a suivi que le PKK s’est construit. La vengeance est devenue un thème important de l’identité du PKK au cours des années 1980 et 1990 lorsque la guerre devint plus intense et que l’État essayait de terroriser les Kurdes pour les soumettre. Une brochure de 1985 déclarait même que le PKK est « une organisation de la vengeance révolutionnaire » et affirmait : « Les sermons pseudo-socialistes ne nous sauveront pas mieux que les sermons religieux qu’ils sont venus remplacer. La violence (…) ne sera pas seulement pour le Kurdistan la sage-femme qui aidera à la naissance [d’une nouvelle société], mais c’est elle qui va créer quelque chose de tout à fait nouveau. La violence révolutionnaire doit jouer ce rôle et elle prendra , nous le disons, la forme de la vengeance révolutionnaire » (6).
La composition sociale du PKK le différenciait des autres groupes. Selon le spécialiste du Kurdistan, Martin van Bruinessen, le PKK était « la seule organisation dont les membres provenaient presque exclusivement des plus basses classes sociales – les jeunes déracinés, à moitié instruits, venant des villages et des petites villes, qui savaient ce que c’est d’être opprimé, qui voulaient l’action et non la sophistication idéologique » (7). « Les élites des tribus sont représentées dans divers autres partis mais non dans le PKK. Ou plutôt, ce parti représente les sections les plus marginales de la société kurde. » (8)
Le PKK a d’abord commencé à agir contre l’élite kurde traditionnelle, les aghas – ces propriétaires « féodaux » qui avec l’aide de leurs partisans contrôlaient les villages entiers et souvent coopéraient étroitement avec l’État turc. Le PKK a combattu au côté des paysans révoltés et a perdu des dizaines de membres dans les affrontements avec les milices des propriétaires terriens. Pour le PKK, le principe directeur dans le choix de ses objectifs n’était cependant pas l’antagonisme social, mais la politique des aghas : s’ils s’opposaient ou non au mouvement national. À cette époque divers groupes de gauche, turcs et kurdes, se battaient entre eux ; « le PKK était initialement relativement insignifiant parmi eux et il n’est devenu connu que parce qu’il était le plus violent » (9). Au cours de ces luttes internes il y a eu des dizaines de morts. Le PKK était à la fois l’initiateur et la victime de cette violence.
Lorsqu’en 1980 l’armée réalisa un nouveau coup d’État, le PKK devint le plus fort parti kurde en Turquie. Des dizaines de milliers de militants ont été arrêtés. La gauche turque, qui dans les années précédentes avait à nouveau atteint une force significative, était en grande partie incapable de résister à la répression. À la fin de 1983, il y avait encore 40 000 prisonniers politiques, qui ont été systématiquement brutalement torturés. Parmi ces prisonniers il y avait des milliers de sympathisants et de membres du PKK. Beaucoup d’entre eux ont poursuivi la lutte dans les prisons, menant des grèves de la faim qui ont coûté la vie de dirigeants éminents, ou se suicidant en signe de protestation. Les martyrs sont devenus un symbole important du mouvement et leurs sacrifices ont renforcé la réputation des militants du PKK en tant que révolutionnaires inflexibles.
Öcalan lui-même a échappé à la répression. Peu de temps avant le coup d’État il s’était rendu en Syrie et de là, au Liban. Il avait pris contact avec le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) et avec d’autres groupes palestiniens comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le Fatah. Abou Laila, un dirigeant du FDLP, a dit plus tard à propos d’Öcalan : « Nous avions rencontré d’autres Kurdes de Turquie et ils ne nous semblaient pas être fiables. Cet homme paraissait sérieux. Il ne cherchait pas de l’aide [militaire et financière] (…) il voulait seulement envoyer des volontaires (…) pour que dans l’avenir ils soient entraînés ». « Ces gens-là se sont avérés très sérieux, de vrais combattants, de vrais soldats. Il était clair qu’il [Öcalan] avait une base populaire au Kurdistan. » (10). Les Palestiniens ont assuré une formation militaire et organisationnelle aux Kurdes, mais les membres du PKK recevaient leur formation idéologique séparément des autres groupes. Le PKK a rejoint les Palestiniens dans la lutte contre l’armée israélienne lorsqu’elle a envahi le Liban en 1982.
Quelques années plus tard, le PKK lance sa guerre populaire. Öcalan avait établi des contacts avec le régime syrien et est autorisé à se baser lui-même à Damas. Le PKK ouvre un camp d’entraînement dans la partie du Liban contrôlée par les Syriens. En 1982 il conclut un accord avec le plus important groupe rebelle kurde en Irak, le PDK de Barzani, qui lui permet d’installer des camps près de la frontière turque. Le PKK commence alors des actions armées à petite échelle dans le Kurdistan turc ainsi que l’agitation au sein des communautés rurales de la zone frontalière. Sa première action importante a lieu en 1984, lorsqu’il attaque plusieurs casernes militaires et prend le contrôle temporaire de certains villages. Les combattants du PKK distribuaient des déclarations affirmant que leur but était « la lutte de notre peuple pour l’indépendance nationale, une société démocratique, la liberté et l’unité, sous la direction du PKK, contre l’impérialisme, le fascisme colonial turc et ses laquais locaux ». En même temps le PKK lançait un appel aux « révolutionnaires et aux travailleurs de Turquie » : « Chaque coup porté au fascisme colonial par le HRK [Heza Rizgariya Kurdistan, Forces de libération du Kurdistan, la branche armée du PKK au début des années 1980] est un coup contre le fascisme en Turquie » (11). Néanmoins la coopération entre le PKK et la gauche radicale turque était très difficile. Le coup d’État militaire avait décimé la gauche turque et le PKK essayait de dominer toute alliance, considérant que la gauche turque s’était avérée incapable de mener une révolution. En retour, cela éloignait les alliés potentiels.
La théorie de la révolution du PKK était alors très influencée par la conception maoïste de la guerre populaire prolongée. Dans cette stratégie, la lutte armée est le principal moyen pour s’emparer du pouvoir. La lutte armée est menée dans les zones rurales et la majorité des combattants est recrutée au sein de la paysannerie. Elle est dirigée par le parti qui est censé représenter la direction « prolétarienne » et préserver l’objectif socialiste, bien que la stratégie vise d’abord une étape « nationale démocratique ». La guerre populaire commence par de petites attaques de guérilla et se poursuit à travers les différentes étapes de l’escalade de la guerre. Il est d’abord question d’une « défense stratégique », au cours de laquelle les rebelles se limitent à des attaques éclairs à petite échelle, puis d’un deuxième niveau au cours duquel les forces gouvernementales sont poussées à la défensive, alors que le parti élargit son influence politique. Dans la phase finale la guérilla est supposée avoir rassemblé assez de forces et d’armes pour passer à la guerre conventionnelle et engager les batailles décisives contre l’ennemi. Jusqu’au milieu des années 1990, Öcalan et le PKK se réfèrent à ce cadre stratégique avec pour but un Kurdistan indépendant.
Les deux éléments qui distinguent dès le début le PKK des mouvements similaires étaient son évaluation de l’histoire de l’Internationale communiste et sa conception des rapports entre le parti et l’armée de guérilla.
Dès ses premiers documents, le PKK critique sévèrement l’Union soviétique et le Komintern (Internationale communiste) pour leur soutien critique au kémalisme au début des années 1920. Le 23 janvier 1921, Mustafa Suphi, le fondateur du Parti communiste de Turquie, et une douzaine de ses camarades ont été assassinés par des nationalistes de droite. Ce massacre a eu lieu avec l’approbation au moins tacite de Mustafa Kemal Atatürk, mais cela n’a pas empêché la signature du traité de fraternité entre la Grande Assemblée nationale de Turquie (dirigée par Atatürk) et l’Union soviétique le 16 mars 1921. Les déclarations du PKK non seulement critiquaient le jeune PCT et le Komintern pour leurs illusions sur le potentiel démocratique du kémalisme, mais aussi accusaient le Komintern d’avoir ignoré la situation locale, et la direction soviétique d’avoir donné la priorité à la sécurité nationale de l’URSS, par-dessus les principes internationalistes et anti-impérialistes. Un tel point de vue critique des débuts de l’Union soviétique n’était pas partagé par la plupart des partis « marxistes-léninistes », qui avaient plutôt tendance à considérer les textes soviétiques comme des écritures saintes.
Plus tard, après l’implosion de l’URSS, le PKK a tenté de formuler une critique plus exhaustive du « modèle » soviétique, mais cela est resté superficiel : il blâmait les décisions erronées de la direction et son manque de démocratie ainsi que la priorité donnée aux intérêts de l’État sur ceux des citoyens, mais il n’expliquait pas comment ces erreurs ont pu devenir une politique qui durera des décennies.
L’autre élément qui distinguait le PKK c’est qu’il était un « parti-guérilla ». Au lieu de suivre le modèle maoïste qui dicte une claire distinction entre l’armée et le parti qui la dirige – Mao a écrit en 1938 : « Notre principe, c’est : le Parti commande aux fusils, et il est inadmissible que les fusils commandent au Parti » – les deux organisations s’interpénétraient. Dans le PKK, les combattants devaient abandonner complètement leur vie antérieure et se consacrer exclusivement à leur vie de guérilleros. Les cadres qui n’avaient aucune responsabilité militaire devaient être prêts à rejoindre à tout moment les bases de guérilla dans les montagnes. Selon le dirigeant du PKK Duran Kalkan « ce n’était pas seulement une [question] de valeur militaire, mais le plus important était sa signification idéologique et morale » (12). Se référant au congrès du parti de 1986, Kalkan décrit ainsi cette signification : « Une telle guérilla fait une rupture idéologique totale avec l’ordre dominant, elle rompt dans une certaine mesure avec le système hiérarchique de l’État et du pouvoir. C’est pourquoi au troisième congrès il y a eu un sérieux renouvellement de la conception du socialisme réellement existant ; la conception du socialisme réellement existant concernant l’individu et de la famille, l’égalité des droits et la liberté petits-bourgeois, a été remplacée. Une telle mesure a des conséquences dans la société où elle suscite des changements qui touchent à la liberté et à l’égalité. Elle détruit la vie personnelle et familiale. »
Édification de « l’homme nouveau »
Kalkan touche ici à l’élément le plus distinctif de la pensée du PKK au cours des années 1980 et 1990 : son ambition de créer un « homme nouveau », caractérisé par sa « personnalité ». Ce thème de la « personnalité » des Kurdes est déjà apparu dans les écrits d’Öcalan au début des années 1980 est reste une part importante de ceux-ci. Selon Öcalan il y aurait une « mentalité kurde », métaphysique, une certaine « composition de la psyché kurde ». Il continue à avancer que « de nombreuses qualités et caractéristiques attribuées aux Kurdes et à leur société d’aujourd’hui peuvent être déjà remarquées au sein des communautés néolithiques des chaînes de montagnes de Transcaucasie – la zone que nous appelons le Kurdistan » (13). Cependant, les Kurdes ont vu leur « vraie » identité aliénée par les tentatives de l’État turc de les assimiler et par les structures sociales traditionnelles, le « féodalisme » selon Öcalan.
Par la critique et l’autocritique ainsi que par un travail acharné, les membres du PKK ont été appelés à se reconstruire, à se libérer de leurs opinions et attitudes apprises dans leur « ancienne vie » et à se remodeler en « hommes nouveaux ». Cet objectif est décrit dans le journal du parti Serxwebûn : « L’homme nouveau ne boit pas, ne joue pas, ne pense jamais à son propre plaisir ou confort et il n’y a rien de féminin en lui. Ceux et celles qui se livraient à de telles activités devront, de manière tranchante, comme avec un couteau, couper toutes ces habitudes dès qu’il ou elle est parmi les hommes nouveaux. La philosophie et la moralité de l’homme nouveau, la manière dont il se conduit et se comporte, son style, son ego, son attitude et ses réactions sont les siennes et seulement les siennes. Le fondement de toutes ces choses c’est son amour pour la révolution, la liberté, le pays et le socialisme, un amour qui est solide comme un roc. L’application du socialisme scientifique à la réalité de notre pays crée l’homme nouveau » (14).
Dans un texte de 1983, intitulé « Sur l’organisation », Öcalan débat du rôle de l’organisation politique, citant Marx, Engels, Lénine, Giap et Che Guevara. Comme les autres textes du PKK et d’Öcalan de l’époque, celui-ci est très semblable aux écrits du reste de la gauche radicale turque et kurde, mais « la partie substantielle et spécifique de l’argumentation de ce travail concerne “la réorganisation de toute la société”. Plus que la structuration d’un “parti marxiste-léniniste de la classe ouvrière” il propose une réorganisation globale de la société kurde car elle a été victime “d’un programme délibéré de désorganisation du haut en bas mis en œuvre par les colonialistes turcs” » (15). Réorganiser la société kurde « de haut en bas » exigerait la construction d’une nouvelle identité , d’une nouvelle personnalité kurde.
Graduellement les notions comme « humanisation », « socialisation » et « personnalité libérée » ont remplacé les concepts marxistes de classes et de lutte de classes. Lorsque dans les écrits récents d’Öcalan les termes de classe apparaissent encore, leur fonction est celle de synonymes d’opposants politiques (les féodaux dans le cas des chefs de clans kurdes, petit-bourgeois pour les groupes kurdes non liés au PKK), dont la caractéristique déterminante est souvent celle de leurs personnalités « déformées » ou « malades ». Öcalan attaque de manière répétée la personnalité « malade » de ceux qui sont en désaccord avec lui.
Le congrès du PKK de 1995 a marqué une rénovation idéologique. Le thème de l’édification d’un « homme nouveau » a été officiellement incorporé dans l’idéologie du parti et le nouveau programme définit l’objectif comme « une personnalité qui, avec une grande clairvoyance, une grande compréhension, avec beaucoup d’efforts et de détermination, cherche à dépasser tous les obstacles et à transformer le négatif en positif ; une personnalité dont la force de la volonté fascine en toutes circonstances et qui est même prête à donner sa vie pour la lutte pour le développement de l’humanité, sans chercher d’avantages personnels » (16). La « socialisation despersonnes » était déclarée essentielle pour le socialisme (17).
La création de « l’homme nouveau » a joué un rôle central dans la critique du « socialisme réellement existant » que le PKK a tenté de formuler après son effondrement, ainsi que dans la nouvelle vision du socialisme qu’il a essayé d’élaborer. Le PKK ne regrettait pas l’effondrement du bloc soviétique. « Nous ne pleurons pas tellement cet effondrement, nous nous sentons plutôt soulagés d’un fardeau », a dit Öcalan en 1992 (18). Le programme de 1995 définit le « socialisme réellement existant » comme « l’étape la plus basse et la plus brutale du socialisme » et explique ainsi ses défauts : « en ce qui concerne son aspect idéologique, il s’est abaissé jusqu’au dogmatisme, le matérialisme vulgaire et le chauvinisme grand-russe ; son aspect politique c’est la création d’un centralisme extrême, le gel de la lutte de classes démocratique et l’élévation des intérêts de l’État au rang de seul facteur décisif ; son aspect social c’est la restriction de la vie libre et démocratique de la société et de l’individu ; son aspect économique, c’est la domination du secteur étatique et l’incapacité de dépasser la société de consommation qui imite les pays étrangers ; enfin, son aspect militaire c’est la priorité à l’armée et à l’armement sur tous les autres domaines ». L’édification de l’homme nouveau, c’est pour le PKK la voie permettant au nouveau socialisme d’éviter ces erreurs.
Au milieu des années 1990, le PKK souligne ses divergences avec le socialisme réellement existant et tente de formuler sa propre idéologie. En 1993, Öcalan affirme que le PKK, lorsqu’il parlait de « socialisme scientifique » ne se référait pas au marxisme mais à sa propre idéologie d’un « socialisme » supposé « dépasser les intérêts des États, de la nation et des classes » (19). De manière symbolique, le congrès de 1995 a supprimé la faucille et le marteau du drapeau du parti : « la faucille et le marteau du socialisme réellement existant ne concernent que la classe des ouvriers et paysans, et cela exprime ce qu’est le socialisme réellement existant. La nouvelle conception du socialisme concerne toute l’humanité » (20). La proclamation qu’ils luttent pour « toute l’humanité » reste une figure de style fréquente dans les déclarations du PKK et du PYD.
L’alternative du PKK au défunt modèle soviétique a été un socialisme de l’homme nouveau : la création de cette nouvelle personnalité était le but du socialisme et la seule garantie que même après la révolution la société n’allait pas régresser vers le capitalisme ou le fascisme. Ce « socialisme » n’était pas une façon d’organiser la société en une « association d’hommes libres qui fonctionne avec les moyens de production communs », comme disait Marx, mais la création d’une personnalité. C’est pourquoi dans un texte de cette période, Mehmet Can Yüce – par ailleurs « marxiste-léniniste » rigide – peut parler de « socialisme qui a été réalisé dans le parti » (21), tout comme l’a fait le programme de 1995 (22). Yüce écrit : « Si le socialisme ne domine pas dans la personnalité de l’individu et dans les relations au sein de l’organisation, il ne peut pas être réalisé dans la société, dans le système social » (23).
L’idée que les gens doivent « remodeler » leur personnalité pour devenir révolutionnaires n’est pas avancée seulement par le PKK. Au sein du Parti communiste des Philippines (PCP) c’était un thème récurrent : pour devenir de véritables révolutionnaires prolétariens, les membres devaient se « remodeler » eux-mêmes pour se défaire de leurs habitudes « petites-bourgeoises ». Mais le PKK est allé beaucoup plus loin : les gens n’étaient pas seulement supposés devenir de bons membres du parti, mais changer toute leur personnalité. L’idée de l’édification de l’homme nouveau évoque les écrits de Che Guevara sur le socialisme et l’homme ou les discours soviétiques sur l’homme nouveau. La différence essentielle, c’est que le PKK prétend créer l’homme nouveau avant la révolution et que, à force de détermination et de travail acharné, le « surhomme » socialiste serait créé dans les bases du PKK.
Ce n’est pas seulement le socialisme en tant que système socio-économique qui a été progressivement écarté par ce socialisme de l’homme nouveau. Quelque chose de semblable a eu lieu dans les déclarations du PKK sur l’autodétermination kurde. Dans la seconde moitié des années 1980, le PKK mentionne de moins en moins un « Kurdistan unifié et indépendant », parlant plutôt de « Kurdistan libre », une formulation plus d’ambiguë sur l’objectif politique.
Des termes comme « liberté » et « indépendance » ont été de plus en plus employés pour parler des objectifs individuels, « spirituels », se référant à cette nouvelle personnalité et non à la structure de l’État. Ce thème est devenu particulièrement central dans la déclaration d’Öcalan devant le tribunal en 1999, publiée partiellement en tant que « Déclaration sur la solution démocratique de la question kurde », ainsi que dans ses écrits de prison. Dans ces textes, Öcalan affirme que, dès avant son emprisonnement, il a utilisé les termes comme « liberté » et « l’autodétermination » principalement pour se référer aux individus et non aux peuples. Il a même affirmé que le PKK n’a jamais été sécessionniste, une déclaration qui contredit l’insistance véhémente de 1978, selon laquelle exiger moins qu’un Kurdistan indépendant (spécifié comme étant sous l’occupation de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie) serait une trahison. Malgré les autres rénovations idéologiques, le programme de 1995 affirmait qu’un État kurde indépendant était le but final du mouvement.
Après 1993, alors que le PKK proposait un cessez-le-feu à l’État turc, Öcalan a commencé à parler d’un règlement politique du conflit et a déclaré que le démantèlement de l’État turc n’était pas une condition préalable à un tel règlement. Mais cela n’excluait pas qu’un État kurde indépendant (et socialiste) soit l’objectif final, qui pourrait être obtenu par d’autres moyens que la lutte armée. C’est certainement ainsi que beaucoup de membres et de sympathisants du PKK ont interprété ces déclarations. Lorsque peu avant sa capture Öcalan déclarait qu’une « alternative démocratique » pourrait être réalisée sur la base de la reconnaissance par la Turquie de l’identité kurde, d’un Parlement fédéral et dans les frontières existantes de la Turquie, il contredisait le programme officiel du PKK. Lorsqu’en 1999 en se défendant devant le tribunal il a catégoriquement nié l’objectif d’un État kurde, même à très long terme, des milliers de partisans du PKK l’ont quitté, désillusionnés (24).
Serok Apo
Au cours des années 1980, Öcalan a consolidé son contrôle du mouvement. Après une lutte pour le pouvoir au début de la décennie, qui s’est terminée par la mort ou la fuite de ses rivaux, « Apo » – un diminutif d’Abdullah qui signifie également « oncle » en kurde – a imposé son contrôle de l’organisation. Officiellement président du parti, Serok Apo (le chef Apo) est devenu non seulement le dirigeant politique, mais également le commandant militaire, le « philosophe » du mouvement et une sorte de prophète. Il a déclaré en 1992 : « Une personne représente la nouvelle posture debout, pratiquement la résurrection de la nation. Mon rôle est bien celui d’un prophète, s’adressant à un peuple asservi, impitoyablement opprimé. (…) Nous devons nous battre nous-mêmes pour notre liberté. Je symbolise cette lutte » (25). Les publications idéologiques du PKK se composent presque uniquement de textes d’Öcalan. Quelques autres personnalités du parti seulement ont publié des livres, le plus souvent des mémoires. Lors des réunions du parti, Öcalan prononçait des discours, sans notes, qui duraient pendant des heures et étaient ensuite retranscrits et publiés sous forme de livres. Même ses conversations téléphoniques ont été enregistrées pour être « étudiées ». Dans le jargon du PKK, les déclarations d’Öcalan sont connues en tant qu’« analyses » (çözümlemeler).
Tous les membres du PKK devaient se consacrer complètement au parti, ce qui donc signifiait un dévouement total à Abdullah Öcalan. Ce dernier était lui-même présenté comme Önderlik (direction), « guide » et même « soleil ». Dans un reportage plein de sympathie sur la guérilla du PKK, l’internationaliste allemande Anja Flach avait alors écrit : « le statut de la direction du parti [c’est-à-dire d’Öcalan] est une institution, il n’est pas le représentant du parti, il est le parti » (26). Un auteur qui a connu Öcalan en tant que chef de son parti a écrit plus tard : « Öcalan n’était pas disposé à partager son autorité. Il exigeait une soumission absolue de son entourage à sa personne et il l’imposait implacablement. » (27)
L’opposition à Öcalan et à ses décisions était impossible et le PKK allait en payer un prix élevé lorsque ses succès sur le champ de bataille déclineraient. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’armée turque a acquis plus d’expérience dans la guerre contre la guérilla, employant des équipements sophistiqués telles les lunettes de vision nocturne israéliennes et les hélicoptères de combat étatsuniens. En outre l’armée turque a brutalement pris pour cible les civils, qu’ils soient sympathisants du PKK ou des droits des Kurdes en général. Entre 1984 et 1999, environ 40 000 personnes furent tuées. Selon l’armée turque, elle a perdu 6 500 soldats jusqu’en 2008 et a tué 32 000 membres du PKK, mais ces chiffres ne sont pas crédibles. Selon le PKK, ses pertes étaient beaucoup moins importantes, mais le nombre total des victimes du conflit serait beaucoup plus élevé.
Les deux camps s’en prenaient aux civils soupçonnés d’aider l’ennemi, mais la grande majorité des victimes doivent être attribuées à l’État turc. Selon l’association turque des droits de l’homme (IHD), la Jandarma İstihbarat ve Terörle Mücadele (JİTEM), une branche de la gendarmerie turque qui n’existait même pas officiellement, a été impliquée dans 5 000 meurtres non résolus de journalistes, d’intellectuels, de militants des droits humains et de militants politiques, étant responsable de plus de 1 500 « disparitions ». Les services de renseignement turcs ont également coopéré avec les milices d’extrême droite et islamistes, qui ont fait des milliers de victimes, pour la plupart des civils. À la fin de la décennie 1980, l’armée turque a commencé à déporter les villageois kurdes, pour priver la guérilla des soutiens civils. Les estimations du nombre de personnes ainsi déplacées varient entre 275 000 et 2 millions. Privé ainsi d’une grande part de son soutien civil et subissant des attaques de plus en plus importantes, le PKK a commencé à subir des revers militaires au milieu des années 1990.
Mais Öcalan a refusé d’écouter les avertissements de ses commandants sur le terrain et a insisté pour qu’ils passent à l’offensive. Une déclaration de 1994 proclame que « la lutte menée par le PKK a dépassé le stade de la défense stratégique (…). Il est inévitable que nous intensifiions notre lutte en réponse à la déclaration d’une guerre totale par la Turquie. » Les revers n’ont pas été considérés comme le résultat d’instructions erronées de « la direction » mais comme l’échec des commandants locaux à les appliquer correctement. Anja Flach décrit les sessions de « critique et autocritique » dont elle a été témoin durant cette période : « les échecs étaient d’abord examinés sous l’angle de la personnalité des commandants et des combattants. Les structures de la vie ancienne [avant la guérilla] sont encore vivantes, les points de vue féodaux ou petits-bourgeois n’ont pas été dépassés et c’est justement ce qui est perçu comme le plus important obstacle pour la mise en œuvre des idées du parti » (28). Mais la validité de ces idées elles-mêmes n’a pas été mise en cause.
L’idée du PKK d’édifier un « homme nouveau » était un puissant moyen de contrôle du fait de son idéal d’obéissance aveugle – la critique de « la direction » était considérée comme une preuve que cet objectif n’était pas atteint. Öcalan était plus qu’un dirigeant éminent ou même indispensable. Sa personne a été idéalisée comme indispensable pour la libération du peuple kurde. Un observateur critique décrit ainsi son rôle : « Il ne dispose pas de la clé de la libération, il “est” lui-même cette clé » (29). Cela explique pourquoi, même après avoir été capturé, Öcalan est resté le dirigeant du mouvement.
En 1998, la Turquie menace la Syrie de guerre si ce pays continue à abriter le chef du PKK. Le régime syrien ordonne à Öcalan de quitter le pays, ce qu’il fait en octobre. Durant 130 jours il va d’un pays à l’autre à la recherche d’asile. Il intensifie ses appels pour un règlement politique et déclare que le PKK serait prêt à accepter une « République démocratique », une Turquie unifiée qui garantirait la liberté d’expression aux Kurdes et reconnaîtrait la présence d’une minorité kurde. Il ajoute que le PKK est prêt à déposer les armes si ces conditions sont remplies. En février 1999, il est capturé par des agents turcs.
Une révolution des femmes
Dès son premier programme, le PKK a appelé à l’égalité complète des hommes et des femmes dans tous les domaines sociaux et politiques, mais c’était une revendication cliché parmi d’autres, juste après celle de la journée de travail de 8 heures. Le même programme déclarait que l’oppression nationale des Kurdes était « la contradiction principale » contre laquelle le parti doit lutter. En 1987, le parti a mis en place une « Union des femmes patriotes du Kurdistan » (YJWK, Yekitiya Jinen Welaparezen Kurdistan). Comme les organisations de femmes de nombreux autres partis marxistes-léninistes, son intention d’origine était de faciliter la participation des femmes dans le parti, mais il s’agissait aussi de fournir un espace pour traiter les problèmes spécifiques des femmes.
La pratique spécifique du PKK en ce qui concerne la libération des femmes a été développée au cours de la seconde moitié des années 1990, lorsque la participation active des femmes dans le mouvement kurde s’est accrue, à la fois en tant que militantes politiques et en tant que combattantes (30). Mais comme sur toutes les autres questions au sein du PKK, le guide idéologique de la libération des femmes est Öcalan. À partir des années 1980 « les “analyses” d’Öcalan critiquent de plus en plus les structures patriarcales de la famille, le statut secondaire des femmes en son sein ainsi que la répartition genrée des rôles qui soumet la femme au namus [le contrôle de la sexualité des femmes] et assigne à l’homme le devoir de le protéger. » (31)
Synthèse et articles Inprecor
Turquie
Syrie
Irak
Actuellement, c’est dans le domaine de la libération des femmes et de l’égalité des genres que le mouvement PKK prend ses positions les plus radicales. Un des aspects qui différencie la lutte du PKK des autres rebellions kurdes est l’importance de la participation des femmes à tous les niveaux du mouvement. D’une certaine manière, la catégorie « femme » a remplacé celle du « prolétariat international » dans l’idéologie du PKK : aujourd’hui ce sont les femmes qui assument le rôle d’avant-garde dans la lutte. Le mouvement a déclaré que son but n’est pas seulement la libération des femmes kurdes, mais des femmes dans le monde entier.
Les idées du PKK sur la libération des femmes sont fortement influencées par le mythe d’un passé préhistorique matriarcal, au néolithique, « lorsque la femme était une déesse de la création », comme l’a formulé Öcalan (32). Selon lui, c’est avec la montée de la société de classes que l’oppression des femmes a commencé. Ces notions sont clairement tirées de l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État de Friedrich Engels.
Selon Öcalan, la structure patriarcale de la famille et l’inégalité entre les hommes et les femmes servent les intérêts de l’État turc oppresseur et des dirigeants « féodaux » kurdes, qui coopèrent avec lui. Cet État et ses marionnettes jouent un rôle crucial dans la perpétuation de ces inégalités en imposant des traditions tribales qui bloquent le développement des femmes et de la société kurde dans son ensemble, contrôlant ainsi le peuple kurde. La famille traditionnelle opprime les femmes en bloquant leur vie sociale et la famille est protégée par le namus – la surveillance par les hommes du corps, du comportement et de la sexualité des femmes (33). Selon Öcalan : « Comme les aspirations sexuelles sont des instincts fondamentaux, les problèmes ainsi créés conduisent à des perversions politiques profondes. Résoudre les aspirations sexuelles c’est réaliser la plus grande révolution. Personne parmi nous ne l’a encore compris. Tout le monde succombe. La société kurde exprime un individualisme et une réalité sociale, qui succombe, plus que toute autre société dans le monde, à l’instinct de la faim et de la sexualité. (…) Autour de ces aspirations sexuelles s’est formé un certain namus, une certaine compréhension de la moralité, et aucun camarade courageux n’a le pouvoir pour le surmonter. (…) Dans ce goulot d’étranglement, notre individu a perdu une fois de plus, avant même d’avoir atteint l’âge de vingt ans… » (34)
Briser les liens qui oppressent les femmes leur permettrait de jouer un rôle actif dans le mouvement de libération, que cela renforcerait. Öcalan considère également qu’en tant que victimes à la fois de l’oppression nationale et de l’oppression de genre, les femmes sont plus réceptives aux idées radicales et plus désireuses de défier la tradition ainsi que le statu quo : « Aujourd’hui, au cours du soulèvement palestinien, ce sont surtout les femmes, les enfants et les jeunes qui, avec des pierres, réalisent la révolution. Il y a des leçons à en tirer. (…) Lorsque les femmes, qui composent la moitié de la société, descendent dans les rues, il est impossible de les contrôler (…). De ce point de vue, en particulier pour renforcer le mouvement urbain, nous devons préparer les actions de l’étape suivante. (…) Certainement les femmes sont toutes furieuses. Toutes ont faim et sont paupérisées. Il est possible d’en faire des rebelles en employant toutes sortes de méthodes. » (35)
La libération des femmes a été et continue à être vue comme faisant partie de la libération du peuple kurde, mais il y a eu un changement dans la façon de concevoir les rapports entre les deux. Dans son article déjà cité, Handan Çağlayan résume cette évolution en disant qu’avant il s’agissait de parler des femmes, en les instrumentalisant, en ne les voyant qu’en tant que ressource pour la révolution, et qu’ensuite la préoccupation devint de parler aux femmes, en tant qu’actrices de leur propre libération. Ce tournant a eu lieu au cours de la seconde moitié des années 1990.
Au début des années 1990, la participation des femmes au sein du PKK, y compris dans ses unités de guérilla, a augmenté de façon spectaculaire. De grandes manifestations ont éclaté parmi les populations kurdes au cours de ces années – le Serhildan, connu parfois aussi comme l’Intifada kurde. Le Serhildan a été alimenté par un sens nouveau de l’identité kurde ainsi que par le sentiment de force issu de la lutte armée. Des couches de la population qui n’étaient pas en contact direct avec les unités de guérilla du PKK dans les montagnes, mais qui sympathisaient avec, se sont mobilisées dans ces mouvements de masse. Les célébrations du Newroz (nouvel an kurde) en 1990, 1991 et 1992 ont été particulièrement importantes et se sont transformées en affrontements avec les forces de sécurité turques. Les femmes y ont participé massivement, faisant face aux forces turques dans les rues.
Ces manifestations ont été réprimées, mais elles ont fait que le mouvement kurde est devenu un véritable mouvement de masse populaire, impliquant des organisations étudiantes, des associations culturelles, des publications, des groupes de femmes et d’autres initiatives. Le PKK a été la force hégémonique dans ce mouvement, mais il a eu du mal à intégrer les nombreuses nouvelles recrues, qui venaient souvent de milieux sociaux très différents de la vieille garde. Des dizaines de ces nouveaux volontaires, jeunes et éduqués, ont été exécutés par les commandants du PKK qui s’en méfiaient ou craignaient que leur pouvoir soit contesté.
Mais l’afflux de nouveaux membres a modifié le parti. Comme la participation des femmes dans la guérilla augmentait, le mouvement a dû faire face à la persistance des idées et des pratiques sexistes. Les femmes refusaient que leur rôle dans le mouvement soit limité à celui d’aides, choisissant plutôt de combattre au sein de la guérilla.
Le parti a également découvert l’attrait émotionnel des images de jeunes femmes combattantes, qui ont abandonné leur foyer et leur ancienne vie pour se battre au nom de la cause kurde. Les femmes martyres sont devenues un puissant symbole émotionnel du mouvement et elles le sont toujours, telle Arin [Mirkan] et d’autres combattantes tuées au cours de la défense de Kobané. Parmi les martyrs du mouvement, il y a des femmes qui ont affronté le feu de l’ennemi pour protester ou qui sont tombées au cours d’attaques suicidaires, une tactique adoptée au cours des années 1990. Les femmes se sont sacrifiées d’une manière disproportionnée dans ces attentats suicides, dans une région où le suicide des femmes pour échapper à leur situation désespérée est une tradition (36).
Le nouveau rôle des femmes a conduit à des changements dans l’idéologie et l’organisation du PKK. Au sein de la guérilla, des unités indépendantes des femmes ont été mises en place et, plus tard, une armée de femmes indépendante a vu le jour. Une pratique qui a été adoptée également par le mouvement kurde en Syrie, lorsqu’il a organisé les YPJ (Yekîneyên Parastina Jine, unités de protection des femmes). Il s’agissait ainsi de mettre les femmes à l’abri des pratiques sexistes de leurs camarades mâles et en même temps rompre avec les notions traditionnelles d’obéissance et de soumission des femmes et leur permettre d’assumer un rôle dirigeant. Le même principe a été appliqué au sein des organisations politiques. En 1994, le Mouvement des femmes libres du Kurdistan est créé, rebaptisé plus tard Union des femmes libres du Kurdistan (YAJLK). Après l’arrestation d’Öcalan, l’organisation a été dissoute et plus tard reformée en tant que Parti des femmes libres (PJA). Dans tous les organes mixtes du PKK il y a un quota obligatoire de mandats par genre. Les directions doivent comprendre au moins 40 % de femmes, les fonctions exécutives étant doublées : un homme et une femme. Par exemple le PYD a deux leaders – Salim Muslim et Asya Abdullah – qui sont restés à Kobané pendant le siège.
Handan Çağlayan décrit ainsi les changements dans les écrits d’Öcalan concernant les femmes : « Au cours des années 1980, Öcalan s’adressait aux militants hommes sur la façon dont ils doivent traiter les femmes, c’est-à-dire qu’il parlait des femmes avec les hommes ; mais au cours des années 1990 il s’est adressé aux militantes à propos des hommes et il a attiré l’attention sur l’importance de cela »(37). En 1999 Öcalan écrit : « L’homme de notre époque a été analysé et on a vu que l’homme est le principal problème. (…) Pour moi, la question homme est maintenant une priorité avant la question femme. Est-ce que l’homme est égal alors qu’il a le pouvoir ? Je le demande aux hommes : Si vous avez le pouvoir, alors pourquoi ne pouvez-vous pas voir que c’est le problème le plus élémentaire de la guerre ? L’homme prouve sa virilité en dominant les femmes, par la domination sexuelle. C’est la domination de la puissance brute. J’ai trouvé la faute et je l’ai anéantie. »
Encore une fois, l’idée du PKK de créer un homme nouveau — et une femme nouvelle – s’est avérée être un puissant outil idéologique. Une importante différence entre la théorie de l’oppression et de la libération des femmes du PKK et celle de Friedrich Engels concerne la négligence des facteurs socio-économiques par le PKK. Engles a fait valoir qu’avec la division de la société en classes la division du travail a relégué le travail des femmes, et donc leur statut social, en position secondaire. Pour le PKK, l’accent est mis (une fois encore) sur les questions comme « la mentalité » et « la personnalité ». L’oppression des femmes est censée être enracinée dans les attitudes patriarcales, transférées de génération en génération et intériorisées par les femmes. Pour se libérer, les femmes doivent – tout comme les hommes – désapprendre ces attitudes, et ainsi hommes et femmes seront re-créés.
Le discours du PKK sur la libération des femmes voit la catégorie des femmes comme ce qui remplace les différences politiques. Comme l’a écrit le PJA, « l’idéologie de la libération des femmes est une alternative à toutes les visions du monde précédentes, qu’elles soient de droite ou de gauche. Elle est aussi le résultat de la critique de ces idéologies. Parce que toutes les idéologies précédentes, qu’on les ait classifiées comme socialistes ou capitalistes au cours des derniers siècles, ont une forme masculine, c’est-à-dire qu’elles ont été façonnées par le patriarcat qui s’est institutionnalisé depuis 5 000 ans dans tous les domaines de la vie » (38).
La pensée du PKK est très essentialiste. Les femmes sont souvent assimilées à la nature et, dans un second temps, « la femme » est identifiée à la maternité. Les femmes sont supposées avoir certaines caractéristiques en tant que femmes, comme l’empathie, l’horreur de la violence et une proximité avec la nature. Ces qualités doivent être enseignées aux hommes afin de pouvoir surmonter la société patriarcale.
Ces idées font peser un lourd fardeau sur les femmes. D’une part, la famille est critiquée en tant qu’espace où les attitudes patriarcales oppriment les femmes et en tant qu’institution à travers laquelle les dirigeants de l’État turc et les féodaux dominent le peuple kurde. D’autre part, la famille est considérée comme étant le berceau de la nouvelle société kurde, car la famille joue un rôle important dans la socialisation des gens, dans la « création des personnalités » qui est au centre de la vision du PKK de la libération. Ainsi, c’est la femme, en tant que mère et éducatrice, qui se voit décerner la responsabilité de l’issue de la lutte.
Les femmes sont considérées comme l’avant-garde de la lutte de libération, mais pour être en mesure de jouer ce rôle elles doivent d’abord se libérer de ce qui est appelé leur « mentalité d’esclave ». Ce sont alors les femmes, qui ont failli à jouer leur rôle, qui portent la responsabilité des revers du mouvement. La libération et la réorganisation de la société kurde « du haut en bas » que le PKK s’est fixé comme but sont maintenant considérées comme impossibles si les femmes ne sont pas libérées et, en fait, c’est à elles de jouer le rôle pionnier dans cette transformation sociale.
. Civilisation démocratique
C’est à la fin de la décennie 1980 que le PKK a commencé à développer sa propre idéologie et, au milieu de la décennie suivante, un certain nombre d’innovations idéologiques ont été intégrées dans sa politique officielle. Après son arrestation, Öcalan a voulu accélérer la métamorphose idéologique du PKK. Emprisonné par l’État turc, il a commencé à faire des déclarations de prison par le biais de ses avocats. Il a loué ses conditions de détention et a invité le PKK à respecter l’accord de cessez-le-feu qu’il avait annoncé en septembre 1998 et annoncé qu’il continuerait personnellement les négociations avec l’État turc.
Ses déclarations ultérieures devant le tribunal ont été un choc. Öcalan a radicalement réinterprété l’histoire et l’idéologie du PKK. Il a déploré la mort des soldats turcs et, lorsque le tribunal lui a demandé s’il serait correct de retranscrire ses paroles comme des excuses, il n’a pas exprimé de désaccord. Il n’a pas mentionné les souffrances du peuple kurde, mais a trouvé le temps de faire l’éloge d’Atatürk, le fondateur de la République turque, et a évoqué la coopération entre Kurdes et Turcs au cours de la guerre d’indépendance au début des années 1920. Il a affirmé que si les idées d’Atatürk avaient été fidèlement suivies, il n’y aurait pas de « question kurde ».
Öcalan ne s’est pas limité à réviser l’histoire. Il a affirmé que l’objectif d’un État kurde indépendant était irréalisable, même à long terme, et qu’il n’était même pas souhaitable. Même les idées d’autonomie kurde ou de Parlement fédérateur – qu’Öcalan avait suggéré peu avant sa capture – sont passées à la trappe. Dans son discours de défense il a proposé à la place une « solution démocratique » (discours publié sous le titre « Déclaration sur la solution démocratique de la question kurde »), se limitant à la reconnaissance par la Turquie de l’existence des Kurdes et au respect leurs droits démocratiques élémentaires : la liberté d’expression et l’utilisation de la langue kurde. C’était censé suffire à faire de la Turquie une société démocratique et permettre de dépasser le conflit. « Je veux souligner – disait-il – que cela transcende les tensions et les conflits avec un bel équilibre. Des gouvernements idéaux, grâce à la pertinence des institutions démocratiques de l’État dont c’est l’objectif, peuvent offrir des solutions sans permettre aux diverses politiques et aux forces qu’elles représentent d’entrer en conflit » (39).
La notion de « civilisation démocratique », que le PKK déclare maintenant comme étant son objectif, est récurrente depuis cette déclaration. Öcalan explique qu’il a emprunté ce terme à une étude surl’évolution du système parlementaire dans les sociétés occidentales, du sociologue américain Leslie Lipson. Dans ses récents écrits de prison, ce terme occupe une place centrale, mais à présent sans la référence. Ce qu’est exactement pour Öcalan cette « civilisation démocratique » reste flou.
Mais il est clair qu’il est devenu, au plus tard lors de sa « Déclaration sur la solution démocratique de la question kurde », un admirateur de la démocratie parlementaire occidentale. Il la mentionne à plusieurs reprises comme un modèle pour la Turquie. Dans sa déclaration il avait intégré de longues citations de Lipson décrivant le système politique suisse, qui est pour Öcalan un exemple de vie commune de différentes communautés socio-culturelles. Selon lui il s’agit d’un modèle pour la coexistence turco-kurde au sein d’un seul État. Plus tard, Öcalan est devenu un partisan enthousiaste de l’intégration de la Turquie au sein de l’Union européenne, espérant que cela pourrait obliger la Turquie à introduire des réformes démocratiques qui la rapprocheraient d’une « République démocratique ».
La démocratie dont Öcalan fait l’éloge est souvent assimilée aux États capitalistes parlementaires occidentaux : il affirme qu’une « démocratie déterminée » a été développée dans les pays européens et que cela a conduit à la « suprématie de l’Occident ». « Dans ce sens, la civilisation occidentale peut être nommée civilisation démocratique » (40). Ce dont la Turquie et les Kurdes ont besoin c’est « la résolution des problèmes dans le style occidental » (41). En août 2011 il poursuit : « En principe, le système démocratique occidental – qui a été établi par des sacrifices immenses – contient tout ce qu’il faut pour résoudre les problèmes sociaux ». « L’Europe – le berceau de la démocratie – a pour l’essentiel dépassé le nationalisme en raison des guerres du XXe siècle et a établi un système politique adhérant aux normes démocratiques. Ce système démocratique a déjà démontré ses avantages par rapport à d’autres systèmes – y compris le socialisme réel – et est maintenant le seul système acceptable dans le monde entier ».
Dans ses dépositions devant le tribunal, Öcalan a présenté la phase la plus intensive de la guerre comme un accident : « la Turquie a failli à construire un système démocratique en raison d’un manque de conviction, de sérieux efforts et d’une véritable compréhension de la démocratie (en opposition à la démagogie) » et cela a conduit à l’apparition de la lutte armée (42). Mais, déclarait Öcalan, la lutte armée du PKK au cours des années 1990 était une erreur : « En Turquie au cours des années 1990, ensemble [Turcs et Kurdes] il y avait des développements positifs en ce qui concerne les droits humains. Après cela, ce soulèvement était une erreur. Il y avait une [autre] voie pour résoudre le problème » (43). Öcalan parle ici de la période durant laquelle il a ordonné au PKK de passer à l’offensive et a traité de traîtres ceux de ses cadres qui voulaient attirer l’attention sur d’autres moyens de lutte que la lutte armée.
Après l’emprisonnement d’Öcalan, le présidium du PKK a déclaré : « Il est notre dirigeant, mais il a été capturé. Ses directives ne sont plus obligatoires ». Pour un mouvement clandestin, c’était une déclaration de bon sens, mais le PKK a rapidement fait marche arrière. En juillet 1999 une réunion élargie du comité central a adopté le discours d’Öcalan devant le tribunal en tant que nouveau manifeste du parti ou « Second manifeste ». Dans leur livre « PKK – Perspectives de la lutte pour la liberté des Kurdes : entre l’autodétermination, l’UE et l’islam », Nikolaus Brauns et Birgitte Kiechle écrivent :« L’autorité d’Öcalan était si grande que le présidium du PKK, qu’il le veuille ou non, devait prendre cette décision s’il ne voulait pas perdre son influence sur le parti voire même être accusé de trahison. » (44). Emprisonné ou pas, Öcalen est resté önderlik (direction).
La nouvelle orientation d’Öcalan, devenue la politique du parti, était inacceptable pour de nombreux militants précédemment fidèles à Apo. Des milliers ont quitté le mouvement (45). Un petit nombre de dirigeants du PKK se sont opposés sans succès à la nouvelle orientation et à l’arrêt de la lutte armée, adoptés officiellement par le septième congrès du PKK en février 2000. Des leaders connus, comme Meral Kidir, secrétaire général du DHP (Parti révolutionnaire du peuple), une organisation légale proche du PKK, ainsi que Mehmet Can Yüce, ont critiqué la nouvelle orientation depuis les prisons où ils étaient détenus par l’État turc. Une déclaration du DHP a répondu : « La liquidation et les provocations, qui ont toujours été brisées jusqu’aujourd’hui, ne peuvent réussir. Le sort qui s’impose aux provocateurs et liquidateurs sera le même. » Après le septième congrès du parti, Serxwebun a menacé les dissidents « de la peine la plus sévère en temps de guerre ». Les dissidents, incapables de formuler toute autre alternative que la poursuite de la stratégie de guerre populaire, qui a failli, ont échoué et furent mis à l’écart rapidement. En signe de bonne volonté, Öcalan a ordonné aux guérillas du PKK de se retirer du territoire turc. Beaucoup de combattants ont été tués lorsque l’armée turque les a attaqués pendant leur retraite.
Au cours de la période 1999-2005, le PKK a été en état de choc, aux prises avec l’emprisonnement d’Öcalan et tentant de se réorganiser sans Serok conformément à ses nouvelles instructions.
Depuis le Second Manifeste et bien qu’il soit dépendant de ses geôliers pour toute information sur le monde extérieur, Öcalan continue de faire des déclarations idéologiques autoritaires. Dans ces déclarations, il revient souvent au passé mythique. Il prétend que la lutte du PKK n’est que la dernière rébellion kurde contre le pouvoir de l’État centralisé. Dans ce qui pourrait être considéré comme un remarquable exemple « d’auto-orientalisme », les Kurdes sont présentés comme un peuple sans histoire qui, depuis l’époque sumérienne (quatrième millénaire avant notre ère), se sont rebellés contre le pouvoir d’État tout en restant les mêmes « dans l’essence ». Le « péché originel », qui a provoqué leur oppression, c’est la formation de l’État en tant que tel, contre lequel les Kurdes ont essayé de préserver leur culture libre « originelle ». Öcalan présente son but comme une « renaissance » de la société néolithique idéalisée qui est supposée avoir existé dans ce qui est aujourd’hui le Kurdistan. Par une sorte d’Aufhebung (46), les aspects positifs de ce passé mythique – le rôle central des femmes dans la société, une identité kurde « pure », l’égalitarisme social – doivent revenir sous une forme moderne et devenir un modèle pour le régime dans son ensemble.
Cette renaissance est censée être réalisée dans trois projets entrelacés : la République démocratique, l’autonomie démocratique et le confédéralisme démocratique (47). La « République démocratique » implique une réforme de l’État turc. De manière similaire aux déclarations qu’Öcalan a faites avant son arrestation, il s’agit d’un appel à la Turquie pour qu’elle reconnaisse l’existence des minorités, en particulier des Kurdes, au sein de sa population et qu’elle dissocie la citoyenneté de l’ethnie turque. Ce thème a été central dans la défense d’Öcalan devant le tribunal.
L’autonomie démocratique est un concept emprunté à Murray Bookchin (1921-2006), un théoricien socialiste libertaire des États-Unis. Après une brève période stalinienne durant son adolescence, Bookchin a rejoint le mouvement trotskiste à la fin des années 1930 et devint membre du Socialist Workers Party. Comme beaucoup de trotskistes, Bookchin espérait que la Seconde Guerre mondiale se terminerait par une vague de révolutions sociales, dirigées par la classe ouvrière, dans lesquelles les trotskistes joueraient un rôle important. Lorsque cela ne s’est pas réalisé et que le mouvement trotskiste est resté faible et isolé, Bookchin a commencé à reconsidérer ses idées. Il a abandonné le marxisme, qui à ses yeux avait commis une erreur fondamentale en voyant dans la classe ouvrière un sujet révolutionnaire, mais il est resté anticapitaliste. Il était clair pour lui que le capitalisme est un système destructeur qui doit être aboli. Son point faible, argumentait Bookchin, n’est pas la contradiction capital-travail, mais la contradiction capital-écologie. En accumulant sans cesse, le capital détruit l’environnement. La lutte pour sauver l’écosystème prend un caractère anticapitaliste et peut unifier tous ceux qui voient leurs vies menacées par la détérioration de l’environnement naturel et qui se rebellent de ce fait contre leur aliénation. Pour construire une société écologiquement durable – suggère Bookchin – les villes devraient être décentralisées et réduites afin de permettre aux gens l’utilisation des énergies renouvelables, de cultiver localement la nourriture et de réduire ainsi l’énergie utilisée par les transports. Ces villes plus réduites seraient gouvernées par des assemblées de leur population qui prendraient les décisions démocratiquement.
Bookchin est fréquemment traité d’anarchiste, mais il n’a pas rejeté la participation aux élections ni les structures politiques existantes, contrairement à beaucoup d’anarchistes. Il était favorable à une combinaison de mouvements sociaux et de coopératives, qui préfiguraient à son avis la société future, avec la participation aux conseils municipaux afin d’obtenir le pouvoir politique légal.
Cela semble être la stratégie que le mouvement kurde applique actuellement avec un certain succès dans la Turquie orientale. Dans les villes et les villages où le parti kurde légal HDP a gagné un soutien suffisant dans les municipalités, les ressources étatiques sont employées pour faciliter les conseils et les associations de quartiers mises en place par la population avec la collaboration de divers mouvements et ONG. De cette façon le mouvement espère construire « l’autonomie démocratique », pouvoir prendre les décisions au niveau local par des assemblées et les conseils, en « se dérobant » à l’État central turc chauvin. Öcalan et le PKK voient en cela une façon de rendre les citoyens acteurs dans l’exercice de l’autogestion. Grâce au renforcement des conseils exécutif locaux et des associations de femmes ainsi que de diverses identités ethniques, religieuses et culturelles, une pression doit s’exercer sur l’État turc pour qu’il se réforme en une République démocratique.
Un militant kurde a expliqué la stratégie de la manière suivante : « Quand nous parlons de l’autonomie démocratique, nous ne pouvons pas attendre que les lois soient modifiées. Nous devons faire les transformations nous-mêmes, par des actes concrets. (…) Dans dix ans nous aurons construit l’autonomie démocratique et nous prendrons toutes les décisions qui concernent l’aménagement de la ville et sa mise en pratique. (…) Ainsi nous construisons lentement nos propres institutions pour développer la résistance. (…) La Turquie n’a pas d’autre choix que l’autonomie démocratique : son système actuel est insensé et l’histoire balaye tout ce qui n’a pas de sens. L’État sera obligé de s’en rendre compte et de se transformer. » (48)
Bien sûr, « l’ancien » PKK avait déjà construit des organisations civiles de toutes sortes. Mais la différence fondamentale c’est que ces structures, même si elles sont inspirées par le PKK, sont supposées être autonomes par rapport au parti. Le PKK – qui a repris son nom historique après avoir plusieurs fois changé de nom au début des années 2000 – affirme aujourd’hui que sa fonction n’est pas d’exercer la direction organique mais d’être l’inspirateur idéologique, un centre d’où la pensée d’Öcalan se propage à travers d’autres structures.
Synthèse et articles Inprecor
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Le PKK suggère de construire les structures de l’autonomie démocratique par-dessus les frontières des États-nations existants. De telles structures pourraient alors se fédérer de bas en haut dans un système de « confédéralisme démocratique ». Bookchin parlait déjà d’un « réseau de conseils d’administration dont les membres ou les délégués sont élus à partir des assemblées générales populaires dans les villages, les villes ou même les quartiers des grandes villes » (49). Öcalan décrit ce système comme « un modèle d’organisation du type pyramidal. Ce sont les communautés qui s’expriment, discutent et prennent les décisions. De bas en haut les délégués élus formeraient une sorte d’organe de coordination. Ils seront élus représentants du peuple pour un an » (50).
Cette stratégie implique également un changement fondamental dans l’emploi de la violence par le PKK. Dans l’ancienne stratégie, la lutte armée était essentielle pour vaincre le pouvoir d’État et s’emparer du pouvoir. Aujourd’hui le PKK considère l’usage de la violence comme de la « légitime défense », c’est-à-dire que les actions violentes qu’engagent les combattants du PKK sont souvent des représailles contre la violence de l’État dont sont victimes les militants du parti ou les civils défendant les droits des Kurdes. Ces actions ont pour but de maintenir une sorte d’équilibre des forces, de montrer à l’État turc que sa répression a un coût et que le PKK dispose encore d’un potentiel militaire considérable. La seule violence légitime, déclare maintenant le PKK, c’est ce type de violence défensive.
En plus de Bookchin, Öcalan indique deux autres auteurs dont il revendique l’influence : l’historien français de la « longue durée », Fernand Braudel, et le théoricien du système-monde, Immanuel Wallerstein. Öcalan leur a emprunté l’idée que le développement de la société humaine peut être vu comme évoluant à travers diverses époques-monde. L’interprétation stalinienne du matérialisme historique est encore présente dans les textes récents d’Öcalan. La liste traditionnelle « communisme primitf – esclavage – féodalisme – capitalisme – socialisme » a été retravaillée, mais l’idée que l’histoire passe nécessairement par une série d’étapes progressives est toujours présente. Le néolithique sumérien a remplacé le communisme primitif et l’ère de la « civilisation démocratique » vers laquelle le monde est censé s’avancer, remplace le socialisme.
Dans cette nouvelle civilisation, les différences politiques seront surmontées : « La vie politique actuelle montre bien que les visions du monde, tant de droite que de gauche, doivent subir une transformation fondamentale, à l’issue de laquelle elles aboutiront ensemble dans ce que j’appelle le système de la civilisation démocratique. Cette approche a déjà commencé à montrer ses qualités dans la solution des conflits, la construction des institutions internationales et la reconstruction de l’ordre international selon les principes démocratiques » (51).
Ces écrits de prison indiquent un virage profondément idéaliste, qui considère la « culture » et la « civilisation » en tant que sources des développements politiques et socio-économiques. Öcalan est d’accord avec le politologue étatsunien de droite, Samuel Philips Huntington, sur l’idée d’un choc de civilisations entre « l’orient » et « l’occident » (52).
. Où est passé le socialisme ?
Dans ses écrits récents, Öcalan mentionne très peu la profonde inégalité socio-économique entre l’ouest et l’est de la Turquie. De même en ce qui concerne les propositions pour améliorer la situation économique de la population kurde. C’est plutôt surprenant de la part de quelqu’un qui avait prétendu être marxiste. Les thèmes de la lutte des classes et de la structure de classe, traités comme des clichés dans les documents anciens, ont aussi en grande partie disparu, à l’exception d’étiquettes accolées aux Kurdes collaborateurs et aux adversaires du PKK, traités de « féodaux » ou de « petits-bourgeois ». La question du Kurdistan en tant que (néo)colonie ou victime d’exploitation n’apparaît pas dans le livre sous-titré « Le PKK et la question kurde au XXIe siècle ». La possibilité de développer un gouvernement dans la Turquie orientale est parfois mentionnée, mais c’est tout.
Pour Öcalan, le socialisme et les luttes ouvrières sont des questions d’une importance secondaire par rapport aux questions d’identité religieuse et ethnique ou des libertés démocratiques. Cette évaluation semble partagée par un bon nombre de ses disciples. Lorsqu’un groupe de militants de gauche allemands a visité le nord du Kurdistan pour observer la pratique du système de l’autonomie démocratique, un sujet comme la réforme agraire n’a même pas été soulevé. Comme en écho au vieux principe maoïste, selon lequel l’attention devrait se concentrer sur la « contradiction principale » (donc nationale), un militant de la jeunesse a déclaré au groupe : « le socialisme et la lutte anticapitaliste sont des éléments importants de notre idéologie. Mais en ce moment notre oppression en tant que Kurdes est notre problème principal » (53).
Le socialisme du PKK est devenu plus abstrait lorsqu’il a abandonné l’idée stalinienne que le socialisme c’est un parti-État qui détient les moyens de production, pour adopter celle de l’édification de l’homme nouveau. La conviction que c’est le parti qui établit le socialisme est cependant restée constante lors de cette évolution. Quant à la classe ouvrière et à son auto-émancipation, ce n’étaient pas des sujets très présents dans l’ancienne idéologie du PKK, même s’il a manifesté un intérêt formel pour être le parti de la classe ouvrière.
Alors que dans le marxisme la classe ouvrière est le sujet qui au travers de son auto-émancipation peut créer le socialisme, le PKK avait une attitude méfiante envers la classe ouvrière et ne voyait pas son auto-émancipation comme la voie vers le socialisme. Au Kurdistan beaucoup de travailleurs étaient employés par l’État et vivaient dans les villes (54). Le PKK, dont les membres provenaient surtout du milieu rural, regardait avec méfiance la population des villes qui à ses yeux était privilégiée et trop étroitement associée aux institutions étatiques turques. Dans un livre basé sur les discussions à l’école du parti du PKK, Heval Zilan, un des cadres du parti, l’a formulé ainsi au milieu des années 1990 : « Le prolétariat qui s’est développé ici, est un prolétariat au service de l’ennemi. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas prendre en charge la lutte prolétarienne au Kurdistan. Cela ne signifie pas non plus qu’aucune idéologie prolétarienne ne pourra émerger. (…) Nous savons que plus de 70 % de la population kurde ce sont des paysans, évidemment dans des conditions féodales » (55).
Au début des années 1990, Öcalan a déclaré que la société kurde ne connaissait pas une vraie division en classes (56). La véritable ligne de démarcation, selon lui, était entre « collaborateurs » et « patriotes » et non entre capitalistes et travailleurs. Récemment, il a affirmé que les conditions de la lutte de classes ne sont pas (encore) développées dans la société kurde (57). Ce point de vue semble contredire le premier manifeste et le programme, qui proclamait que la révolution doit être dirigée par la classe ouvrière. Mais cela signifiait qu’elle devait être sous la direction du PKK, car c’est ce parti qui était supposé porter la conscience socialiste et la transmettre au peuple. Heval Zilan l’a présenté ainsi : « Premièrement, l’armée [la guérilla du PKK] est le protecteur de toutes les valeurs. Deuxièmement, elle est le transporteur de la conscience socialiste, qu’elle transmet également dans la société. Troisièmement, c’est l’armée qui transforme le travail effectué au Kurdistan en valeur et crée la conscience correspondante. Quatrièmement, l’armée est la base de la société socialiste. » (58) Comme, selon le PKK, il y avait à peine du prolétariat au Kurdistan et qu’il n’y avait pas de lutte de classes, c’était le parti qui devait créer le socialisme.
Il n’est pas surprenant que, lorsque le PKK a cessé de se proclamer comme l’avant-garde pour devenir un centre idéologique, l’accent mis sur « le socialisme » – que ce soit un système socio-économique ou la société de l’homme nouveau – soit devenu moins prononcé. Le projet de « l’autonomie démocratique » est basé sur les identités différentes et sur la lutte pour la libre expression de ces idées. « Travailleur » n’est qu’une des identités parmi d’autres. Aujourd’hui, Öcalan croit que la reconnaissance des droits démocratiques pour toutes ces différentes identités conduira à une « civilisation démocratique ». Il croit que le XXe siècle a vu « la disparition des bases matérielles de la division en classes », en raison du « progrès technologique ». Mais la possibilité d’une société sans classes reste inexploitée à cause de l’État : « L’État régit la structure sociale » et c’est l’État qui « continue la division en classes » (59). Toute analyse du capital est absente. Öcalan ne fait pas de distinction entre l’exploitation socio-économique qui conduit à la division en classes et l’oppression extra-économique de certaines identités. Au lieu de cela, il décrit tout cela comme des formes d’oppression. Peut-être cela fait-il écho à la façon dont « l’ancien » PKK réduisait la position de classe à la position politique envers ce parti.
L’oppression permanente de certaines identités, comme l’identité kurde en Turquie, est selon Öcalan le produit de la politique d’État qui est à la traîne du développement de la nouvelle civilisation. Un développement qu’il considère cependant inévitable du fait du progrès technologique (60). La tâche est alors de faire pression sur l’État pour permettre la réalisation du potentiel démocratique déjà existant. À long terme, cela permettra la création d’une sorte de socialisme et la réalisation du vieux rêve de la disparition de l’État.
La vision socio-économique du nouveau PKK à moyen terme est celle d’une économie basée sur les coopératives. Elles doivent contribuer à la « démocratisation » de la société. Le vice-président du PYD, Asya Abdullah, a présenté dans une interview les idées économiques pour Rojava en février 2014. À la question « Qui devrait posséder les moyens de production ? L’État, les cantons, les capitalistes ? Qu’en est-il de la propriété privée ? Qui devrait posséder les usines et les terres ? », Asya Abdullah répond : « En principe nous protégeons la propriété privée. Toutefois la propriété du peuple est la propriété du peuple et il la protège. Nous avons récemment fondé un conseil pour le commerce et l’économie qui va établir des règles pour le commerce et les relations économiques et établir des relations économiques avec l’étranger. » À la question « Mais encore une fois, en ce qui concerne les moyens de production : y a-t-il des coopératives ou d’autres formes alternatives de la production à Rojava ? », il a répondu : « Nous encourageons les gens à tenter cela. Par exemple à Kobané il y a la coopérative des femmes dans laquelle une centaine de femmes travaillent. Les vêtements y sont produits et vendus » (61).
La conception de la société alternative future telle qu’Öcalan la présente pourrait être qualifié de social-démocrate : « À mes yeux, la justice exige que le travail créatif soit rémunéré en fonction de sa contribution au produit entier. La rémunération du travail créatif, qui contribue à la productivité de la société, doit être proportionnelle aux autres activités créatives. La création d’un emploi pour tous sera une tâche publique générale. Tout le monde sera en mesure de participer au système de santé, à l’éducation, aux sports et aux arts en fonction de ses capacités et de ses besoins » (62).
. Le potentiel du flou
En 2011 Öcalan déclarait : « Les gouvernements marxistes ont néanmoins échoué parce qu’ils ont tenté de mettre en œuvre une forme de gouvernement appelée “dictature du prolétariat”. Ce modèle de gouvernance était le résultat d’un raisonnement abstrait et théorique et pouvait être interprété pratiquement de n’importe quelle façon. Notre expérience du socialisme réel montre que des classes et des structures du pouvoir d’État extrêmes ont pu se former sous ce modèle prolétarien. Les pays qui ont appliqué ce modèle ont en fait développé les structures les plus autoritaires et totalitaires dans l’histoire. En fin de compte, ce genre de gouvernement dévorait ses propres enfants. Les sociétés concernées ont paniqué et ont cherché le salut et la protection en se jetant dans les bras du capitalisme et de ses structures de classe » (63).
Cette citation est caractéristique des écrits d’Öcalan. Un langage confus : « un modèle » qui pourrait être « interprété pratiquement de n’importe quelle façon », mais pourrait-il être encore mis en œuvre ? Une analyse de l’effondrement du « socialisme réel » qui fait écho aux conceptions idéalistes des libéraux selon lesquelles le bloc soviétique s’est effondré du fait de son « totalitarisme » – une discussion historique et matérialiste de ce développement est absente. À la lecture de son texte il apparaît clairement qu’Öcalan voit l’idéologie soviétique comme synonyme du « marxisme » et qu’il n’est pas familier avec les courants marxistes qui se sont développés en dehors ni des critiques marxistes de cette idéologie.
Les écrits d’Öcalan sont interminables et répétitifs, ce qui ne peut être expliqué seulement par les limites dues à son emprisonnement. Ces textes sont immédiatement reconnaissables par leur style errant, serpentant. La juxtaposition des réflexions sur le sens de « l’humanité » et de la « liberté » avec ce qui lui reste de l’ancien jargon peut être très déroutante. Les termes familiers du marxisme sont employés d’une manière indiquant que leur sens pour Öcalan est fort différent : le « second manifeste » parle de « nomades féodaux », les écrits de prison déclarent que les dirigeants kurdes « féodaux » sont « la petite-bourgeoisie compradore ». Les termes employés sont indéfinis et vagues. Par exemple la « démocratie » est devenue à la fois l’objectif et le moyen pour résoudre les problèmes sociaux tout en étant la caractéristique déterminante de la nouvelle civilisation. Mais dans ses centaines de pages Öcalan n’offre pas une explication clarifiant ce que ce mot signifie pour lui. Bref, il est souvent difficile de voir ce qu’il veut dire.
L’idéologie du PKK a subi des changements majeurs depuis sa fondation à la fin des années 1970. Depuis son origine marxiste-léniniste, qui voyait la conquête du pouvoir d’État comme la libération, il est passé à la conception de « la liberté » et de « l’indépendance » au plan personnel. D’une conception stalinienne du socialisme en tant que propriété étatique des moyens de production, il est passé au socialisme en tant qu’édification de l’homme nouveau. D’un « Kurdistan unifié et indépendant », il a glissé vers un « Kurdistan libre » qui, d’une façon ou d’une autre, pourrait éventuellement exister dans les frontières de l’État turc. Après avoir vu les femmes comme une ressource pour la lutte révolutionnaire, il est passé à une vision des femmes en tant que sujet central au sein du mouvement.
Le PKK n’était pas seulement une direction politique et militaire, il allait réorganiser la nouvelle société. Il voulait construire non seulement des rapports sociaux reflétant la société désirée, mais même créer la personnalité nouvelle qui caractériserait la société future. Ce principe de préfiguration, de la construction immédiate d’éléments qui reflètent la société future, est toujours présent au sein du mouvement. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les personnalités mais également les structures politiques de la société future que le PKK espère construire maintenant en organisant des institutions supposées être le noyau de la future société. Cela apparaît également clairement dans son approche de la libération des femmes, lorsqu’il demande aux hommes et aux femmes de « désapprendre » les attitudes qui sont supposées perpétuer le patriarcat. « Nous voulons construire une société nouvelle. Réalisons cette nouvelle société, l’égalité, la liberté, l’estime et l’amour entre nous d’abord », écrivait Öcalan en 2000 (64).
Ce qui reste constant au cours de l’évolution du PKK, c’est la centralité de Serok Apo et de ses déclarations. Lorsque des militants allemands sont allés au Kurdistan du nord pour « voir par eux-mêmes » comment l’autonomie démocratique est mise en œuvre, on leur a maintes fois répété que les militants « suivent les instructions » d’Öcalan, les défenseurs de Kobané proclamaient que c’est « la pensée d’Apo » qui leur a permis de vaincre l’État islamique, son image est affichée sur les t-shirts et sur les banderoles. Les représentants du PYD caractérisent leurs idées comme étant « l’idéologie d’Öcalan », les militantes kurdes déclarent que tout ce qu’elles savent sur le féminisme, elles l’ont appris d’Öcalan. La continuation de la direction idéologique et politique, si ce n’est plus directement organisationnelle, par un seul individu est en désaccord avec les proclamations d’auto-émancipation de l’autonomie démocratique. Le PKK constitue le cas confondant d’un mouvement qui est censé avoir adopté une vision de « démocratie du bas vers le haut », mais sur des instructions « d’en haut ».
Dans le « vieux » PKK, les lacunes dans la théorie, les sujets qui n’étaient pas traités ou restaient peu clairs, baignaient dans le stock d’idées reçues des théories « marxistes-léninistes ». Les écrits de Mahmet Can Yüce, un des idéologues du mouvement les plus en vue à cette époque, pourraient presque être écrits par un idéologue d’un autre parti de cette tradition, aussi longtemps qu’ils ne traitent pas des quelques sujets à propos desquels le PKK avait développé son propre point de vue, comme l’histoire de l’Internationale communiste. Les programmes du PKK et ses déclarations des années 1970 et 1980 sont à bien des égards interchangeables avec ceux des marxistes-léninistes des autres mouvements de libération nationale. Maintenant que le PKK se définit « ni marxiste ni antimarxiste » ce stock d’idées n’est plus utilisable et il est plus difficile de combler les lacunes.
Le flou et le caractère inachevé qui en résulte peuvent s’avérer utiles. L’ONG libérale s’occupant de la « surveillance des conflits », International Crisis Group, a par exemple suggéré que ce qu’elle appelle « le flou intolérable » de l’objectif de l’autonomie démocratique est une tactique visant à rendre plus difficile à l’État turc l’interdiction des groupes kurdes pour « séparatisme ». C’est sous-estimer les changements du PKK et du mouvement sous son hégémonie (et cela ne tient pas compte du fait que l’État turc n’a pas hésité à interdire des organisations kurdes sous les prétextes les plus futiles). Mais ce flou rend le projet ouvert à des interprétations très larges. En raison de ce flou, le projet du PKK peut faire appel à la sympathie de couches très diverses. Depuis les libéraux jusqu’aux anarchistes, beaucoup de gens peuvent y retrouver leurs propres aspirations.
Plus encore que lorsqu’il était le chef au sens strict du mouvement, en contact quotidien avec ses disciples, Öcalan est devenu une sorte de prophète. Et comme les déclarations des autres prophètes, les siennes sont ouvertes aux interprétations. Les militants de terrain disposent d’un espace considérable pour manœuvrer et pour interpréter ses directives selon les circonstances. Le caractère incomplet de la nouvelle idéologie, et l’imprécision des écrits d’Öcalan, permet de l’adapter de manière pragmatique à la situation locale, et ceux qui le font peuvent prétendre à la fidélité à « l’idéologie d’Öcalan ».
Comment les militants interprètent et façonnent cette idéologie sera décisif pour l’évolution du mouvement. L’approche moins centraliste de la construction d’organisations sociales ouvre la possibilité d’une praxis plus ouverte et plus progressive que ce n’était possible avec le « vieux » PKK. Le mouvement kurde a non seulement réussi à se maintenir contre l’État turc, mais il est parvenu à lui arracher des concessions. Il n’y a pas si longtemps l’État turc niait même l’existence d’une « quelconque minorité kurde », aujourd’hui il est obligé de tenir compte du mouvement kurde en tant que force politique. Cela a été possible grâce aux sacrifices immenses des combattant-e-s kurdes, de la guérilla et des militants. Ce sont eux qui vont décider de l’avenir du mouvement.
Alex de Jong
Notes
1. Selahattin Çelik, Den Berg Ararat versetzen – Die politischen, militärischen, őkonomischen und gesellschaftlichen Dimensionen des aktuellen Kurdischen aufstands, Köln 2002, p. 37.
2. Cité dans : Christopher de Bellaigue, Rebel Land : Among Turkey’s Forgotten Peoples, London 2009.
3. PKK, Programm, Köln 1984, p. 45, 49.
4. Ali Kemal Özcan, Turkey’s Kurds – A theoretical analysis of the PKK and Abdullah Öcalan, New York 2006, p. 86.
5. Ibidem, p. 89.
6. Martin van Bruinessen, « Between guerrilla war and political murder : the Workers’ Party of Kurdistan », Middle East Report (1988) 153 (July – August), pp. 40-42, pp. 44-46, p. 50, Ici p. 46 et p. 50.
7. Ibidem, pp. 40-41.
8. Ibidem, p. 42.
9. Martin van Bruinessen, « The nature and uses of violence in the Kurdish conflict », présenté au collque international “Ethnic Construction and Political Violence”, organisé par la Fondazione Giangiacomo Feltrinelli, Cortona, 2-3 juillet 1999, p. 10.
10. Aliza Marcus, Blood and Belief – The PKK and the Kurdish fight for independence, New York 2007, p. 55.
11. Nikolas Brauns & Brigitte Kiechle, PKK – Perspektiven des kurdischen Freiheitkampfes : Zwischen Selbsbestimmung, EU und Islam, Stuttgart 2010, p. 55.
12. Ibidem, p. 57.
13. Abdullah Öcalan, Prison Writings – The PKK and the Kurdish question in the 21st century, London 2011. p. 21 et p. 42.
14. Olivier Grojean, « The production of the new man within the PKK », European Journal of Turkish Studies (2012) : http://ejts.revues.org/4925 (p. 4).
15. Özcan, Turkey’s Kurds, op. cit, p. 91.
16. Brauns & Kiechle, PKK, op. cit, p. 84.
17. PKK, Programm, Utrecht 1995. Pages non numérotés.
18. Brauns & Kiechle, PKK, op. cit, p. 76.
19. Ibidem, p. 77.
20. Ibidem, p. 77.
21. Mehmet Can Yüce, Gedanken über die nationale Befreiung und den Sozialismus, Informationsstelle Kurdistan, Hamburg 1996, p. 79. Je souligne.
22. PKK, Programm, Utrecht 1995. Pages non numérotés.
23. Yüce, Gedanken, op. cit, p. 79.
24. Marcus, Blood and belief, op. cit, p. 291.
25. Brauns & Kiechle, PKK, op. cit, p. 66.
26. Anja Flach, Jiyaneke din – ein anderes Leben, Hamburg 2011. p. 19.
27. Çelik, Den Berg Ararat versetzen, op. cit, p. 47.
28. Flach, Jiyaneke din, op. cit, p. 20.
29. Grojean, « The production of the new man within the PKK », op. cit, p. 9.
30. Handan Çağlayan, « From Kawa the Blacksmith to Ishtar the Goddess : Gender Constructions in Ideological-Political Discourses of the Kurdish Movement in post-1980 Turkey », European Journal of Turkish Studies 14 (2012) : http://ejts.revues.org/4657 (p. 2).
31. Ibidem, p. 8.
32. Abdullah Öcalan, « Jineolojî als Wissenschaft der Frau », Einleitende Worte der Herausgeberin : http://www.kurdistan-report.de/index.php/archiv/2014/172/110-jineoloji-als-wissenschaft-der-frau
33. Çağlayan, « From Kawa… », op. cit., p. 2.
34. Ibidem, p. 9.
35. Ibidem, p. 10.
36. Marcus, Blood and belief, op. cit., p. 244.
37. Çağlayan, « From Kawa… », op. cit., p. 13.
38. Brauns & Kiechle, PKK, op. cit., p. 247.
39. Abdullah Öcalan, Declaration on the Democratic Solution of the Kurdish Question, London 1999. p. 71.
40. Ibidem, p. 59.
41. Ibidem, p. 19.
42. Ibidem, p. 17.
43. Marcus, Blood and Belief, op. cit., p. 248.
44. Brauns & Kiechle, PKK, op. cit., p. 94.
45. Marcus, Blood and Belief, p. 291.
46. Aufhebung est un substantif allemand correspondant à un concept central de la philosophie de Hegel et dont les implications se laissent difficilement traduire en français. Il caractérise le processus de dépassement d’une contradiction dialectique où les éléments opposés sont à la fois affirmés et éliminés et ainsi maintenus, non hypostasiés, dans une synthèse conciliatrice. Dans sa lecture critique du droit politique hégélien, le jeune Marx applique le concept Aufhebung aux relations entre la philosophie et la réalité : il demande l’Aufhebung de la philosophie par sa réalisation et la réalisation de la philosophie par son Aufhebung.
47. Ahmet Hamdi Akkaya & Joost Jongerden, « Reassembling the political : the PKK and the project of radical democracy », European Journal of Turkish Studies (2012) : http://ejts.revues.org/4615 (p. 6).
48. Tatort Kurdistan, Democratic Autonomy in North Kurdistan : The council movement, gender liberation, and ecology – in practice, Hamburg 2013. p. 53.
49. Hamdi Akkaya & Jongerden, « Reassembling the political », op. cit., p. 6.
50. Abdullah Öcalan, The declaration of Democratic Confederalism, 2005 : http://www.kurdmedia.com/article.aspx?id=10174
51. Öcalan, Prison Writings, op. cit., p. 139.
52. Idem, p. 40.
53. Tatort Kurdistan, Democratic Autonomy, op. cit., p. 98.
54. Çelik, Den Berg Ararat versetzen, op. cit., p. 223 - 224.
55. [Auteur inconnu], Licht am Horizont. Annäherungen an die PKK, n.p. 1996 : http://www.nadir.org/nadir/initiativ/isku/hintergrund/Licht/IV-1-3.htm
56. Brauns & Kiechle, PKK, op. cit., p. 82.
57. Öcalan, Prison Writings, op. cit., p. 50.
58. [Auteur inconnu], Licht am Horizont. op. cit.
59. Abdullah Öcalan, The third domain. Reconstructing liberation. Extracts from the submissions to the ECHR, London 2003, pp. 52, 53.
60. Öcalan, The third domain, op. cit., p. 54 et p. 56.
61. Thomas Schmidinger, Krieg und Revolution in Syrisch-Kurdistan. Analysen und Stimmen aus Rojava, Vienna 2014. pp. 222- 223.
62. Öcalan, Prison Writings, op. cit., p. 60.
63. Ibidem, p. 52.