Être une femme en 2016, c’est devoir faire face aux discriminations et violences de genre. Au travail, c’est être cantonnée aux emplois à temps partiel et/ou peu rémunérés et aux salaires inférieurs à ceux des hommes, y compris à qualification équivalente... Les casses successives du droit du travail et du système des retraites ont des conséquences particulièrement néfastes pour les femmes, dont les pensions de retraites restent très inférieures à celles perçues par les hommes alors qu’elles font valoir leurs droits plus tard. Elles sont aussi particulièrement concernées par les formes d’organisation du travail qui rendent plus difficiles les résistances collectives, même si elles ont pu faire montre de luttes déterminées pour leurs salaires et leurs emplois comme les coiffeuses et manucures du boulevard de Strasbourg à Paris ou les femmes de LATelec en Tunisie.
Ces derniers mois, les femmes se sont levées et organisées contre les violences de genre qu’elles subissent. Et dans le présent dossier, nous avons choisi de relayer ces luttes dont certaines ont permis d’arracher quelques avancées, que ce soit en France, en Europe et dans le monde. Rappelons, cela reste nécessaire, qu’une femme meurt tous les trois jours en France de violences conjugales, qu’au moins 28 % des femmes sont victimes de harcèlement au travail au cours de sa carrière et qu’au niveau mondial les chiffres de l’ONU indiquent qu’une femme sur trois est victime de violences dans sa vie (coups, viol, abus).
Ce 8 mars doit permettre de faire vivre et rendre visible le combat des femmes pour leurs droits et leur dignité dans tous les espaces de la vie : dans la rue, à la maison, au travail. Nous y défendrons notamment le droit au travail et à un salaire digne et égalitaire, alors que la loi Khomri de casse du droit du travail est en cours de discussion.
Dossier réalisé par la Commission nationale intervention féministe du NPA
Autour du monde, contre les violences faites aux femmes
L’année 2015 restera pour le mouvement féministe celle des mobilisations massives contre les violences faites aux femmes...
Une étincelle, la goutte de trop, Jacqueline Sauvage en France, les féminicides croissants dans l’État espagnol, l’Argentine, la Turquie, les violences du nouvel an à Cologne ainsi que l’instrumentalisation de celles-ci, ont permis des mobilisations de centaines de milliers de personnes contre la multiplicité des violences subies par les femmes, que la crise capitaliste ne fait qu’accentuer, et dont les discours réactionnaires cherchent à s’en approprier.
Briser le silence face aux violences
La rue, la cours de récréation, le lit, la famille, l’usine, les bulletins de salaire, les métiers spécifiques, la fermeture des centres d’IVG, l’hétéro-normativité, les « tu es trop moche pour... », les « tu le méritais », dévoilent, en même temps que masquent, les différents types de violence auxquelles les femmes font face depuis leur plus jeune âge. D’après la macro-enquête faite par l’Agence européenne des droits de l’homme en mars 2014, en Europe, plus de 25 millions de femmes ont été victimes de violences sexistes, 13 millions ont souffert de violence physique, 3,7 millions de violence sexuelle, et 9 millions de harcèlement sexuel. Parmi celles-ci, trois quarts connaissaient leur agresseur, celui-ci s’avère être leur conjoint ou ex une fois sur trois, et le cycle se clôt tous les 2,5 jours, avec la mort d’une femme sous les coups de ces derniers, dans un silence ahurissant. Le mouvement #NiUnaMenos en Amérique latine est né en plein milieu de l’année passée, dans le but de le briser.
#NiUnaMenos, « pas une de moins », Argentine
L’étincelle : Chiara Paez, une jeune fille enceinte de 14 ans assassinée et dont le corps a été retrouvé à l’entrée de la maison de son copain. L’indignation fit place à l’organisation, et celle-ci aux mobilisations les plus massives des dernières années en Amérique latine. Une mobilisation qui n’est pas sans rappeler celle qui a suivi le viol collectif et la mort de la jeune étudiante en Inde en 2012, ou le féminicide de Özgecan en Turquie en mars 2015. Ainsi, le slogan « Pas une de moins » s’est rapidement propagé, passant des réseaux sociaux aux journaux, aux écoles, aux universités, aux hôpitaux, aux usines, et convergea dans les rues de plus de 80 villes du pays, réussissant à mobiliser près de 500 000 personnes à Plaza Congreso contre le féminicide et l’ensemble des violences commises envers les femmes. Le phénomène #NiUnaMenos a précisément permis de prendre en compte l’ensemble des violences et de joindre à ses revendications la lutte pour l’avortement, pour un salaire égal, contre le harcèlement, contre la lesbophobie et la transphobie. Le cri initié en Argentine s’étendra très rapidement dans toute l’Amérique latine, arrivant même dans l’État espagnol.
#7N « Nous ne sommes pas au complet, il manquent les mortes », État espagnol
L’initiative est née au début de 2014, de la Coordination féministe de Valence, au vu de l’augmentation des violences envers les femmes depuis 2010. Celle-ci a regroupé 400 organisations féministes dans une des plus grandes manifestations de la décennie, comparée par son ampleur à celles du 15M. Après les manifestations pour le droit à l’avortement, le #7N a rassemblé 500 000 personnes à Madrid sous le slogan « la lutte contre la violence envers les femmes : une question d’État », et l’écho s’est fait sentir jusqu’à Paris, Londres, Montevideo, etc., où se sont tenues des manifestations de solidarité. Et pour cause : rien que l’année passée dans l’État espagnol, plus de 100 féminicides ont été commis, 18 déjà en 2016, dans un pays où par ailleurs la crise ne fait que les exacerber.
Jacqueline Sauvage ou la parodie de justice
En France, c’est l’affaire Jacqueline Sauvage qui a entraîné non seulement une forte vague de mobilisations mais surtout une victoire, même partielle, face à une justice toujours éloignée des intérêts des femmes. Accusée d’avoir tué son mari – violent, violeur, incestueux – après 47 ans de vie commune passées à survivre sous ses coups, la justice refusait de prendre en considération la légitime défense. En raison de la mobilisation qui prenait de plus en plus d’ampleur médiatique autour de cet parodie de justice qui acquittait les policiers coupables de crime mais refusait de reconnaître la légitime défense des femmes qui subissent les violences conjugales, Hollande a décidé de « gracier » Jacqueline Sauvage d’une partie de sa peine. Cela dit, pour lui, il ne s’agit pas pour autant de reconnaître le droit à la légitime défense pour les femmes qui subissent des violences, ou de chercher à répondre à la situation vécue par des millions de femmes et dont la politique du PS est en première ligne responsable.
Cologne, violences et instrumentalisation
Dans la ville de Cologne, en Allemagne, le soir du réveillon, près de 500 femmes ont été agressées sur la place de la gare centrale où la foule a l’habitude de se rassembler pour fêter la nouvelle année. Ces agressions ont été depuis relayées dans la presse comme ayant été le fait de personnes « en provenance d’Afrique du Nord ou arabes ». Il n’en fallait pas plus pour déchaîner une vague de xénophobie à l’encontre des migrantEs ayant trouvé refuge dans la ville depuis quelques mois. Un mois et demi plus tard, il s’est avéré que sur la presque soixantaine d’interpellations ne figuraient que deux réfugiés [1]. Loin du « choc des civilisations », cet événement montre bien que la violence envers les femmes ne connaît pas de nationalité, et que toute instrumentalisation de cette question au profit d’un discours anti-réfugiéEs est à condamner. Pour lutter à la fois contre les violences faites aux femmes et leur instrumentalisation, la réponse demeure celle d’une politique profondément antisexiste et antiraciste.
Tania
Combattantes kurdes : héritage de décennies de résistance des femmes
Depuis près de 40 ans que le peuple kurde subit une violente répression, les femmes ont pris toute leur place dans la résistance...
Elles ont manifesté en tant que mères, femmes ou filles de disparus mais elles ont aussi pris leur part à l’organisation matérielle et aux combats. Le PKK a depuis longtemps des unités de femmes qui se sont formées aussi bien dans la guérilla que dans le mouvement légal en Turquie. Elles ont élaboré leur propre système théorique appelé jinéoloji, proche de nos conceptions féministes, mais qui se veut plus large et vise à la réappropriation globale de leur vies et de leur histoire par les femmes.
Dans le système de confédéralisme démocratique, des assemblées non mixtes se tiennent en parallèle des assemblées locales et sont représentées au Congrès des femmes libres, instance qui participe au Congrès des peuples libres, lAssemblée fédérale du Kurdistan turc. Les assemblées mixtes ne peuvent être considérées comme décisionnelles si le quota de 40 % de femmes n’est pas atteint. Le mouvement kurde s’est doté d’un système de coprésidence mixte à tous les échelons.
Une véritable révolution sociale et culturelle
Dans les cantons libérés du Rojava (Kurdistan syrien), le confédéralisme démocratique trouve sa forme la plus avancée. Il existe des maisons des femmes dans chaque village et les violences de genre sont jugées par des assemblées de femmes. Dans cette région, le mouvement d’émancipation des femmes a été bien plus rapide qu’il ne l’a jamais été sous les régimes réactionnaires soutenus par les puissances impérialistes occidentales. Il s’agit bien d’une véritable révolution sociale et culturelle contre l’ordre existant, en particulier l’ordre patriarcal.
Au Rojava, avec le retrait des troupes d’Assad, ce sont les forces kurdes qui assument la lutte contre Daesh. Des unités de protection mixtes et non mixtes (YPG/YPJ) mènent la résistance dont Kobané a été l’un des symboles. 35 % des combattantEs sont des femmes, et plusieurs centaines de bataillons féminins mènent leurs opérations de manière indépendante. Elles jouent un rôle clef dans les combats contre Daesh.
La place occupée par les femmes kurdes dans le combat contre la répression du gouvernement turc aussi bien que contre le régime de Bachar el-Assad ou contre Daesh est l’héritage de décennies de résistance. En tant que féministes et internationalistes, nous condamnons le soutien de Hollande au gouvernement turc, nous demandons le retrait du PKK de liste des organisations terroristes, et nous exprimons notre solidarité avec les forces kurdes, en particulier avec leurs composantes féminines.
Clémence et Elsa
De nouvelles modalités de mobilisations féministes
Blogs, webzines, réseaux sociaux… Malgré l’atonie du mouvement féministe traditionnel et la difficulté à reconstruire des organisations à la base, la dynamique féministe d’une nouvelle génération est indéniable. Les nouveaux outils se révèlent particulièrement adaptés. Pourquoi ?
Des thématiques traditionnelles
Le premier élément à constater est sans doute le retour en force de thématiques traditionnelles : lutte contre les violences, contre les discriminations, droit à disposer de son corps… à contre-pied des thématiques qui ont déchiré le mouvement autonome des femmes ces dix dernières années, les mobilisations web se recentrent sur des sujets consensuels et incontournables, ce qui explique sans doute aussi leur force et leur attractivité. Des conditions nécessaires pour une mobilisation de masse.
Des médias très adaptés
Si les mobilisations féministes « prennent » si bien sur le web, c’est qu’elles permettent de répondre à des difficultés bien connues qui limitent l’investissement des femmes, dans le féminisme mais aussi ailleurs : le temps, l’espace, et l’isolement.
Le temps : les journées des femmes sont plus chargées mais aussi plus fragmentées que celles des hommes. Pour peu qu’elles soient chargées de famille, il peut être difficile de trouver un moment. Alors, le métro, les pauses café, les horaires de bureau, la nuit après le coucher… deviennent les interstices où les femmes peuvent s’investir, même brièvement, dans un sujet qui leur tient à cœur.
L’espace : on le sait, l’espace public est hostile aux femmes. Pour beaucoup descendre dans la rue pour des manifs n’a rien d’une évidence. Mais l’espace, c’est aussi au sens plus large, les contraintes géographiques : le web permet de relier des femmes du monde entier, permettant des ponts entre mobilisations sur les mêmes thèmes d’un état à l’autre, du pays entier, de donner des tâches possibles à celles qui ne sont pas dans des grandes villes, qui n’ont pas d’organisations féministes dans leur entourage.
Ce qui nous amène à notre dernier point : l’isolement. Les femmes qui se retrouvent sur le web expriment très fortement un besoin de solidarité, de partage, d’identification de leurs vécus individuels à un vécu collectif. Le web joue alors un rôle proche de celui des « groupes de conscience » des années 1970. Certains groupes Facebook de partage et d’entraide face au sexisme comptent ainsi plusieurs milliers de membres. Ces groupes deviennent alors des espaces de formation accélérée de toute une nouvelle génération féministe.
Quels débouchés ?
La grande question reste la finalité de ces mobilisations. On peut en avancer de trois types.
La formation et le renforcement collectif : ces espaces et ces temps de mobilisation, quels que soient leurs degrés de concrétisation et d’effets sur le réel, ont un intérêt indiscutable, celui de permettre aux femmes de prendre conscience individuellement et collectivement de la réalité de leur oppression commune, et de sa persistance malgré les avancées légales des féminismes de première et deuxième vague. Ce phénomène se retrouve dans de nombreux autres pays occidentaux d’ailleurs : l’indignation des nouvelles générations étant à la hauteur du mythe de l’égalité formelle qui nous a été vendu. C’est sans doute pourquoi les mobilisations se centrent pour beaucoup sur les violences endémiques qu’aucune loi n’a permis d’endiguer.
Des victoires réelles : de la campagne contre le harcèlement sexuel dans les transports en passant par l’abrogation de la « taxe tampon », jusqu’à la libération prochaine de Jacqueline Sauvage, les mobilisations web, soutenues par quelques actions de rue, débouchent sur des victoires. C’est enthousiasmant en soi, et cela contribue aussi à nourrir le phénomène. A contrario du reflux du mouvement social, ce « milieu » qui se constitue de façon réticulaire est en ébullition constante.
La reconstruction d’un mouvement organisé : si on en est encore loin, un des objectifs doit être de pouvoir reconstruire un mouvement autonome des femmes de masse et organisé. On assiste à de nombreuses initiatives de jeunes militantes (créations d’associations, de collectifs, de journaux…) qui vont dans ce sens, mais celles-ci restent pour l’instant assez minoritaires. Même si certaines organisations, aux motivations diverses, se font le relais et le porte-voix des mobilisations nées sur le web, elles ne parviennent pas pour l’heure à organiser massivement cette colère. C’est pourtant certainement un des plus grands enjeux militants de la période.
Chloé Moindreau
Les antiféministes contre-attaquent
En même temps qu’émerge une nouvelle génération féministe, nous lui découvrons ses nouveaux détracteurs...
De la droite extrême à des franges dites plus modérées, ceux-ci cherchent à ridiculiser, combattre, voire anéantir, toutes les avancées conquises par les femmes, et vécues par eux comme un camouflet et une atteinte à la supériorité masculine.
Une pensée d’extrême droite réactualisée
De ce côté-ci de l’échiquier politique, rien de surprenant. Du sexisme ordinaire aux envolées les plus virulentes, on a tout vu, tout entendu pour la défense de la famille et de la femme française, le tout teinté d’un pétainisme toujours sous-jacent.
Le lobbying de La Manif pour tous a gagné les Républicains, désormais obligés de tenir compte de cette partie de son électorat dans la rédaction du programme présidentiel (retour sur le mariage homo, refus de l’adoption, etc.). On apprécie chez LR la répartition genrée des taches, et on l’assume : rappelez-vous du grandiose lancement de campagne de Valérie Pécresse aux régionales, « Rien de tel qu’une femme pour faire le ménage ! ». Le pire est que cela puisse influencer y compris le PS, avec la récente création d’un ministère de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes, ce qui en dit long sur la vision rétrograde de la place des femmes.
Au-delà des discours, les mesures du Front national seraient un grave recul si elles étaient mises en place : l’arrêt des subventions au Planning familial prôné par Marine Le Pen aux régionales, par exemple, ou le retrait des femmes du marché du travail sous couvert de mise en place du salaire maternel. Les récents événements de Cologne ont montré comment ces partis étaient prêts sous couvert d’un féminisme qu’ils n’ont jamais porté à justifier leur discours raciste et anti-immigrés.
Haro sur les féministes !
Être antiféministe, pour le retour à la « complémentarité » des sexes, c’est un peu en ce moment le summum de la branchitude... En témoignent quelques affaires récentes.
Le chanteur Orelsan d’abord, poursuivi pour 9 de ses chansons dont le célèbre « Ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintigner » ou « Renseigne-toi sur les pansements et les poussettes, j’peux t’faire un enfant et t’casser le nez sur un coup de tête ». Il a finalement été relaxé en appel pour diffamation, injures et provocation à la haine ou à la violence en raison du sexe, la cour d’appel ayant jugé qu’« il serait attentatoire à la liberté de création que de vouloir interdire ces formes d’expressions », qu’elles reflétaient le « malaise d’une génération sans repère, notamment dans les relations hommes-femmes »... S’assumer sexiste et violent, ce serait donc être le reflet d’une époque...
En plus trash, on a Daryush Valizadeh (alias Roosh V) qui anime le blog « le Retour des rois » (tout un programme en soi !) où il développe toute un rhétorique néomasculiniste. Il a tenté d’organiser un peu partout dans le monde des rassemblements le 6 février dernier pour défendre sa philosophie, qui cherche notamment à renvoyer les femmes à leurs caractères « naturels » que sont la beauté, la fertilité, ainsi qu’à leur espace, la sphère privée. Dans l’un de ses billets, il expliquait en février 2015 que, pour stopper le viol, il suffisait de le légaliser dans la sphère privée. Bah oui, c’est aussi simple que ça, et ainsi « une jeune fille protégera son corps de la même manière qu’elle protège son sac et son smartphone » (sic !)
Dans la même veine, le youtubeur Julien Blanc en Australie ou Rémi Gaillard en France ont fait parlé d’eux en réalisant des vidéos supposées drôles où ils miment des agressions sexuelles sur des femmes dans la rue ou à la plage. Et bien sûr dans les deux cas, ce sont les féministes qui voient le mal partout et manquent d’humour...
Il ne s’agit pas seulement d’anecdotes ou de simples individus un peu fêlés, mais d’un phénomène plus profond, d’un soubresaut d’une partie de la société, dont ses franges les plus conservatrices ont du mal à accepter la nouvelle place occupée par les femmes dans la société et cherchent par tous les moyens à nous renvoyer à nos marmots et à nos casseroles.
Hélène Pierre