Femmes et industrie du sexe
Proposition adoptée le 28 octobre lors de l’assemblée générale de la Fédération des Femmes du Québec à Montréal.
Attendu que la FFQ travaille à favoriser le développement de la pleine autonomie de toutes les femmes et la reconnaissance véritable de l’ensemble de leur contribution à la société,
Attendu que la FFQ se veut représentative du pluralisme de la société québécoise et de la diversité du mouvement des femmes, particulièrement des femmes marginalisées ou vivant des oppressions multiples,
Attendu que la FFQ lutte pour l’émancipation des femmes et l’affirmation de leur droit à une participation intégrale et libre à la vie sociale, culturelle, politique et économique,
Attendu que la FFQ adopte une approche féministe intersectionnelle, ce qui inclut le principe de reconnaître l’expertise des premières concernées,
Attendu que la FFQ et ses membres militent activement pour créer un espace d’engagement sans oppression pour toutes les femmes,
Attendu que des femmes s’identifiant clairement comme travailleuses du sexe sont présentes au sein de la FFQ et contribuent à la vie associative depuis des décennies,
Attendu que les femmes dans l’industrie du sexe considèrent leurs pratiques comme un travail incluant le droit d’accéder aux protections des normes du travail, de santé et sécurité au travail et autres protections liées à l’emploi,
Attendu qu’au moins 10 femmes dans l’industrie du sexe ont été assassinées au Canada en 2017, que 79% des femmes incarcérées en prison provinciale ont une expérience dans l’industrie du sexe et que les relations antagonistes avec l’État et ses agents sont un facteur de risque majeur pour le VIH et autres ITSS et pour la santé globale,
Attendu que La FFQ est une organisation ouverte aux questions controversées et émergentes,
12. Que la FFQ reconnaisse l’agentivité des femmes dans la prostitution/industrie du sexe incluant le consentement à leurs activités
13. QUE le FFQ lutte contre la stigmatisation et les barrières d’accès à la pleine participation à la société qui suivent ces femmes toute leur vie, même si elles quittent l’industrie, mais également contre la violence et les obstacles à la sortie de la prostitution/industrie du sexe que subissent les femmes qui sont dans cette industrie et celles qui en sortent
14. Que la FFQ reconnaisse l’importance de défendre, tant pour celles qui choisissent de vivre de la prostitution/l’industrie du sexe que pour celles qui veulent en sortir, leurs droits, à la sécurité, la santé, à l’autonomie, à la liberté d’expression et d’association et à des conditions décentes tant dans l’exercice de leur pratique que dans les autres sphères de leur vie
15. QUE la FFQ travaille à la différenciation entre l’industrie du sexe, les échanges consensuels, les situations d’exploitation et la traite humaine ; Que la FFQ lutte contre l’exploitation et les violences faites aux femmes dans la prostitution/industrie du sexe et défende le droit de toutes les femmes à l’intégrité physique et mentale, à la dignité, à la santé et à la sécurité.
16. QUE la FFQ continue de lutter contre la pauvreté, la marginalisation et les relations antagonistes avec l’État et ses agents, particulièrement pour les femmes qui vivent de multiples oppressions
Fédération des Femmes du Québec
• http://www.ffq.qc.ca/2018/10/14702/
La Fédération des femmes du Québec légitime-t-elle la culture de l’agression ?
« Le consentement n’est pas le désir, n’est pas la volonté, n’est pas la liberté » - Ana-Luana Stoicea-Deram, militante féministe et présidente du Collectif pour le Respect de la Personne en France.
Lors d’une assemblée générale extraordinaire, le 28 octobre dernier, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a voté cette résolution : « Que la FFQ reconnaisse l’agentivité des femmes dans la prostitution/industrie du sexe incluant le consentement à leurs activités » (1).
Celle qui se dit solidaire des « marginalisées » (dont les femmes racisées et les autochtones surreprésentées dans la prostitution) les laisse, en fait, en pâture aux proxénètes, aux bandes de rues et au crime organisé. La FFQ vient ainsi de donner l’absolution à « l’industrie du sexe ».
L’« agentivité » est une contorsion fumeuse que la FFQ utilise pour différencier les femmes qui consentent à « travailler dans l’industrie du sexe » de celles qui sont exploitées. Elle veut ainsi insister sur le fait que les premières ne sont pas des victimes de la prostitution. C’est très mal comprendre l’ensemble des facteurs qui mènent à la prostitution.
Ana-Luana Stoicea-Deram, militante féministe et présidente du Collectif pour le Respect de la Personne en France, parle ainsi du consentement : « Dire que les femmes sont consentantes, c’est faire oublier les conditions dans lesquelles elles sont amenées à consentir, c’est taire ce à quoi elles consentent, et c’est mépriser les raisons pour lesquelles elles peuvent consentir – c’est-à-dire, accepter de s’asservir. La critique du consentement est faite depuis longtemps par les féministes, qui montrent que le consentement n’est pas le désir, n’est pas la volonté, n’est pas la liberté ». (2)
« Comme on n’impose pas un acte sexuel par la violence, on ne l’impose pas non plus par l’argent, forme de violence économique et sociale », soulignait Claudine Legardinier, journaliste française lors d’une entrevue à Alternative Libertaire. (3)
Dans un avis paru en 2012 - « La prostitution, il est temps d’agir » - le Conseil du statut de la femme (CSF) révélait que de 80 à 95% des femmes qui sont prostituées ont été victimes d’agressions sexuelles, soit de viol, d’inceste ou de pédophilie étant jeunes. (4)
La prostitution est le continuum de violences masculines dénoncées dans plusieurs pays et particulièrement depuis les dénonciations de #Moiaussi. Le biais « intersectionnel », que la FFQ emploie de façon très particulière, fait l’impasse sur les liens de toutes les violences envers les femmes. Il semble que la FFQ vient de sanctionner la culture de l’agression !
Près de 80% des personnes prostituées sont des femmes, elles seraient âgées de 13 à 25 ans et elles auraient été entraînées dès l’âge de 13 ou 14 ans dans la prostitution.
Plusieurs études soulignent qu’elles sont 40 fois plus à risque de mourir à cause de leurs activités prostitutionnelles que d’autres personnes qui effectuent un travail, que leur espérance de vie est d’environ 40 ans, que plusieurs sont sous la dépendance de drogues, de l’alcool, de médicaments, qu’elles combattent nombre de maladies et sont souvent victimes du syndrome post-traumatique. Plus de 80% désireraient sortir de ce milieu.
La pauvreté, les guerres, les conflits armés et les catastrophes, le racisme, l’idéologie consumérisme, la pornographie et la sexualisation précoces des jeunes filles sont les facteurs structurels contribuant à la prostitution. (5)
On se serait attendu que la FFQ dénonce ces faits avérés, qu’elle reconnaisse l’ensemble des circonstances qui mènent à la prostitution et qu’elle veuille contribuer à les éliminer, plutôt que de vouloir maintenir des femmes dans cette exploitation.
La FFQ dit aussi vouloir défendre les droits des femmes qu’on prostitue (leurs droits à la sécurité, la santé, l’autonomie, à la liberté d’expression et d’association et à des conditions décentes) tant dans l’exercice de leur pratique que dans les autres sphères de leur vie. Comment fera-t-elle pour protéger ces femmes alors que 90% d’entre elles sont sous l’emprise d’un proxénète ?
Ou alors tout ça n’est qu’une manœuvre pour protéger les 10% des femmes prostituées qui disent choisir ce « travail » ? Considérant que dans ces 10% des réceptionnistes, des « bookeuses », des chauffeurs qui jouent parfois le rôle de proxénètes se disent « travailleuses.eurs du sexe », peut-on envisager que la prochaine étape de la FFQ sera de contester la loi qui criminalise prostitueurs et proxénètes ? De contester le « modèle nordique » établi au Canada depuis décembre 2014 ?
Dans une de ses résolutions, la FFQ mentionne qu’elle « travaille à la différenciation entre l« ’industrie du sexe », les échanges consensuels, les situations d’exploitation et la traite humaine ». Une supercherie pour faire accepter le « travail » dans cette « industrie du sexe ». Et c’est sans compter que la traite des femmes et des enfants augmente suivant la demande de la prostitution. Et que les femmes autochtones sont parmi les plus vulnérables à la traite, comme le mentionnait l’inspectrice Tina Chalk lors du passage à Terre-Neuve de l’’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : « L’inspectrice a expliqué en quoi la pauvreté, l’isolement, les agressions subies par le passé et le racisme rendent les victimes particulièrement vulnérables à la traite de personnes. » (6) La FFQ démontre ici une totale indifférence à la traite des personnes et un manque de volonté insupportable à offrir de véritables choix à ces femmes et à toutes les femmes vulnérables à l’exploitation sexuelle.
Manipulation pour obtenir des appuis
L’assemblée générale extraordinaire du 28 octobre fait suite à une assemblée tenue par la FFQ au printemps dernier et qui n’avait pas permis d’adopter les propositions sur la prostitution et sur le voile islamique. Le Centre de lutte contre l’oppression des genres, comme s’il parlait au nom de la FFQ, a d’ailleurs accusé les « TERFs » (trans-exclusionary radical feminists), les « SWERFs » (Sex worker exclusionary radical feminism) et les féministes blanches de s’attarder sur d’autres propositions, ce qui a empêché le vote. (7)
C’est ainsi qu’on pouvait lire cet été sur la page Facebook du Centre de lutte contre l’oppression des genres - dont Gabrielle Bouchard a été coordonnatrice - une note visant à recruter les « bonnes féministes » et à les inciter à s’inscrire comme membre pour pouvoir faire adopter leurs propositions cet automne. Cela s’appelle « paqueter » une salle, comme le soulignait Lise Ravary dans une chronique en septembre. (8)
Il était également spécifié qu’un vote « contre ces propositions serait considéré par le public non seulement comme un vote contre Gabrielle [Bouchard] mais comme un rejet de toutes les femmes trans du mouvement féministe » (9), même si les propositions n’étaient pas directement reliées aux femmes trans. Des membres semblent très soucieuses d’imposer leurs priorités et surtout de s’imposer tout court.
L’opinion de la FFQ sur la prostitution : minoritaire
N’osant pas prendre position explicitement en faveur de la prostitution et forcée de faire des compromis face à ses membres abolitionnistes, la FFQ se retrouve avec des résolutions confuses. En mettant l’accent sur le consentement, sur une apparente capacité d’agir, sur la protection des femmes qui affirment choisir librement de se prostituer la FFQ s’accroche à des concepts qui viennent justifier ses propositions.
Finalement, on comprend que tout ce cinéma visait à satisfaire le très petit nombre de femmes qui encourage l’« industrie du sexe ».
Il faut rappeler que la FFQ est loin de représenter la majorité des femmes même si elle prétend parfois parler en leur nom.
La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (La CLES) [1], une organisation abolitionniste dont sont membres une cinquantaine de groupes et plus de 250 individues - et dont le rôle est d’aider des femmes à quitter la prostitution - s’est dite « consternée » par les propositions faites par la FFQ en mai dernier et déclare que les amendements à ces propositions ne les rendent pas plus acceptables. Les membres de la CLES réfléchissent à la pertinence de demeurer au sein de la FFQ. (10)
Le Regroupement québécois des CALACS [2], qui apporte son aide lui aussi à nombreuses femmes victimes de la prostitution, dit ne pas « se reconnaître » dans les propositions de la FFQ : « Nous appelons la Fédération à s’investir dans les luttes féministes qui visent à créer un monde où chacune peut réellement faire des choix, sans violences sexuelles imposées dès un jeune âge, sans pression sociale sexiste, sans menace de pauvreté, d’emprisonnement ou de déportation », déclare le Regroupement. (11)
Le groupe Pour les droits des femmes du Québec [3], qui rassemble 500 membres, a aussi une position abolitionniste. Diane Guilbault, présidente de PDF Q, conteste aussi fortement les résolutions entérinées par la FFQ : « L’appui de la FFQ pour reconnaître la prostitution comme un travail librement choisi par certaines femmes n’est pas un appui aux femmes dans la prostitution, mais bien un appui aux clients et aux proxénètes pour agir sans contraintes. Dire que l’exploitation sexuelle d’une fille de 14 ans devient un travail lorsqu’elle a 18 ans est de la fumisterie, indigne d’un groupe qui prétend parler au nom des femmes. »
Mentionnons aussi La Maison de Marthe [4], à Québec, crée et animée par l’anthropologue Rose Dufour. La Maison de Marthe définit la prostitution non comme « le plus vieux métier », mais « le plus vieux mensonge du monde ». Résolument abolitionniste, « la Maison de Marthe se range du côté des femmes qui en sont victimes et les survivantes », et les aide à acquérir le pouvoir d’en sortir. Elle réclame des mesures sociales pour lutter contre la prostitution au même titre qu’il en existe pour les autres violences envers les femmes.
Rose Sullivan, survivante de la prostitution et co-fondatrice du CAFES ou Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement [5], qui compte une centaine de femmes et intervient dans plusieurs régions, estime que la FFQ banalise la prostitution et les agressions qui y sont inhérentes. Pour Rose Sullivan : « La résolution sur l’agentivité nous pénalise à nouveau, nous les survivantes de cette industrie, en niant notre parole. On est nombreuses à avoir travaillé vraiment fort pour ne pas nous culpabiliser ou pour ne pas nous sentir les seules responsables de ce qu’on a vécu. Parler d’agentivité à des femmes qui ont du mal à se remettre de ce qu’elles ont vécu et ont peu de soutien pour y arriver, c’est comme leur dire qu’elles sont faibles de ne pas se remettre. Et plusieurs n’y arriveront jamais. Les résolutions de la FFQ banalisent la prostitution et minimisent les gestes de leurs agresseurs, les premiers dans l’enfance, les seconds dans cette industrie. Cette industrie a failli nous tuer et a tué plusieurs des femmes qui nous étaient proches. »
Pour Manon Marie-Josée Michaud, survivante et membre du groupe Abolition de l’industrie du sexe [6], la prostitution n’est pas un métier comme les autres : « Quand elle prétend défendre « l’égalité pour toutes et entre toutes », et d’un autre côté, demande à ses membres d’appuyer la décriminalisation de la prostitution, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) n’est pas très honnête parce que, franchement, a-t-elle déjà vu des femmes de tous milieux sociaux prétendre vouloir exercer dans le domaine de la prostitution parce que ce serait un métier comme un autre, épanouissant, passionnant et bien payé ? L’égalité pour toutes, ce serait plutôt d’aider ces personnes à vivre dignement, à avoir un toit, un travail correctement rémunéré, à être libres et à ne subir aucune violence ! En d’autres termes, en demandant à ses membres de voter pour la décriminalisation de la prostitution, ce que défend la direction de la FFQ, c’est la perpétuation de la culture patriarcale qui donne aux hommes le droit d’exploiter les femmes et plus particulièrement les femmes précaires. » (12)
Enfin, on sait que l’AFEAS - Association féminine d’éducation et d’action sociale [7] - a elle aussi une position abolitionniste sur la prostitution. L’AFEAS, qui rassemble quelque 8 000 membres individuelles au sein de 204 associations locales, regroupées en 11 régions, ne s’est pas exprimée publiquement sur les récentes positions de la FFQ.
En conclusion, la prétention selon laquelle la Fédération des femmes du Québec serait « LA voix féministe » au Québec est mensongère. Il semble plutôt que la vision de la prostitution que la FFQ veut imposer ne rallie qu’une faible minorité de féministes québécoises.
4 novembre 2018
Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe
Notes
1. Page Facebook de la Fédération des femmes du Québec, 29 octobre 2018, https://www.facebook.com/FFQMMF/
2. Ana-Luana Stoicea-Deram, « La GPA est une violence faite aux femmes et une marchandisation des êtres humains », Huff Post, France, 23 octobre 2018. https://www.huffingtonpost.fr/analuana-stoiceaderam/la-gpa-est-une-violence-faite-aux-femmes-et-une-marchandisation-des-etres-humains_a_23569001/
3. Propos recueillis par Flo (Lorient), « Claudine Legardinier (Mouvement du Nid) : « La prostitution est un archaïsme indigne », Alternative Libertaire, France, 25 octobre 2018. http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=7955
4. Le Conseil du statut de la Femme, « Avis La prostitution : il est temps d’agir », mai 2012 https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis-la-prostitution-il-est-temps-dagir.pdf
5. Ibid.
6. La Presse canadienne, « Les autochtones souvent victimes de la traite de personnes », Le Droit, 15 octobre 2018. https://www.ledroit.com/actualites/societe/les-autochtones-souvent-victimes-de-la-traite-de-personnes-63022b7e9b4ecf63817d1c4074f1ccf8
7. Le Cercle de lutte contre l’oppression des genres, 3 septembre 2018 https://www.facebook.com/CentreforGenderAdvocacy/posts/929705093889602?__tn__=K-R
8. Lise Ravary, « Trop blanche, Lise Payette », Le journal de Québec, 11 septembre 2018. https://www.journaldequebec.com/2018/09/11/trop-blanche-lise-payette
9. Le Centre de lutte contre l’oppression des genres, 3 septembre 2018 https://www.facebook.com/CentreforGenderAdvocacy/posts/929705093889602?__tn__=K-R
10. La CLES, Réaction aux prises de position de la FFQ sur la prostitution, https://sisyphe.org/spip.php?breve2631. Aussi dans Le Devoir : https://www.ledevoir.com/societe/540258/un-premier-organisme-pourrait-quitter-la-ffq
11. Le Regroupement québécois des CALACS réitère son engagement envers toutes les filles et les femmes qui se retrouvent dans des situations d’exploitation sexuelle, http://www.rqcalacs.qc.ca/actualites/103-le-regroupement-quebecois-des-calacs-reitere-son-engagement-envers-toutes-les-filles-et-les-femmes-qui-se-retrouvent-dans-des-situations-dexploitation-sexuelle
12. Manon Marie-Josée Michaud, « Légalisation de la prostitution : Les fausses promesses », dans l’aut’journal, 3 octobre 2018.
• http://sisyphe.org/spip.php?article5491
Communiqué : retour sur notre dernière assemblée générale
Ce dimanche 28 octobre, les membres de la FFQ ont voté en assemblée générale, entre autres propositions sur la gestion féministe et les pratiques intersectionnelle, une proposition reconnaissant la capacité d’agir des femmes dans la prostitution/industrie du sexe.
En cohérence avec cette proposition, nos membres ont ensuite voté une résolution afin que la FFQ lutte contre la stigmatisation et les barrières d’accès à la pleine participation à la société qui suivent ces femmes toute leur vie, même si elles quittent l’industrie, mais également contre la violence et les obstacles à la sortie de la prostitution/industrie du sexe que subissent les femmes qui sont dans cette industrie, et celles qui en sortent.
Depuis notre assemblée générale dimanche dernier, nous avons pris note des différentes réactions et interprétations au sujet des décisions que nous avons prises.
Nous avons également pris note des attaques personnelles, menaces, commentaires racistes et transphobes qui se sont infiltrés dans les conversations.
La lecture complète et détaillée de nos propositions prise en concertation avec l’ensemble de nos membres permet de la nuancer.
Nous avons ainsi été étonnées de lire que cette proposition donnerait un laisser-passer à la culture de l’agression alors que nous sommes convaincues qu’elle permet au contraire de mieux défendre les droits fondamentaux de toutes les femmes, en incluant toutes leurs expériences.
La mission de la FFQ vise à accepter toutes les femmes dans notre mouvement, défendre la pleine humanité de chacune de ces femmes et par conséquent reconnaître les droits fondamentaux de toutes les femmes. Nous visons à ne laisser aucune femme de côté. Nous soutenons toutes les femmes, sans jugement, à chaque étape de leur vie et dans toutes leurs batailles.
Nous refusons la vision selon laquelle ces femmes seraient seulement des victimes.
Elles sont présentes dans notre mouvement depuis des décennies et nous voyons en action quotidiennement leur résilience et capacité d’agir.
Nous pensons que les fondations du combat féministe se construit sur un travail d’écoute de toutes les femmes. Nous tenons à saluer par ailleurs les nombreuses femmes qui ont eu le courage de témoigner dimanche dernier au micro de notre assemblée générale pour nous présenter les difficultés qu’elles rencontrent dans leur vie quotidienne.
Nous saluons aussi celles qui ont partagées leur expériences au cours des derniers jours et qui ont montré le besoin de soutenir toutes les femmes dans toutes leur expérience, en particulier les expériences de diverses formes de violence vécues dans l’industrie du sexe.
Nous croyons fermement que notre position nous permettra de mieux faire ce travail en trouvant les bonnes solutions aux bons problèmes.
La proposition qui a été votée nous donne mandat pour défendre les droits des femmes quelques soit leur expérience avec l’industrie du sexe. Leurs droits, leur sécurité, leur santé, leur autonomie, leur liberté d’expression sont autant de chantiers que cette proposition nous permet d’avancer.
Les luttes contre les rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes ne seront jamais incompatibles avec les luttes pour les droits humains de toutes les femmes.
Notre résolution inclut toutes les femmes dans l’industrie du sexe et vise à améliorer les conditions de vie et de travail de toutes. Inclure ces femmes ne veut pas dire exclure les femmes qui subissent l’ignominie de l’exploitation sexuelle. Inclure plus n’est pas exclure.
C’est cela notre vision de la défense collective de TOUTES les femmes et de l’égalité pour toutes et entre toutes.
Le vote adopté avec l’ensemble de nos membres dimanche dernier s’inscrit dans ce principe.
La mission de la FFQ vise à ne laisser aucune femme de côté. Nous soutenons toutes les femmes, sans jugement, à chaque étape de leur vie et dans toutes leurs batailles.
Fédération des Femmes du Québec
• http://www.ffq.qc.ca/2018/11/communique-retour-sur-notre-derniere-assemblee-generale/
Prostituée ou « travailleuse du sexe » ? De l’importance des mots pour décrire nos réalités
En tant que survivantes de la prostitution, nous remarquons une tendance généralisée des médias à transformer les mots que nous utilisons pour nous décrire et pour raconter notre histoire. Nous voyons souvent des journalistes changer nos références à la condition de prostituée ou de victime d’exploitation sexuelle pour y substituer une expression qu’ils croient être plus digestible : celle de « travailleuse du sexe » (TDS). Ce détournement de sens se retrouve souvent en titre de leur article.
Est-ce leur propre malaise qui parle ? Les gens semblent penser que ces mots se trouvent sur un gradient de politesse, où appeler une femme prostituée serait dégradant et où parler de « TDS » serait plus respectueux.
Récemment, un journaliste a décrit l’expérience de l’une d’entre nous dans l’adolescence comme ayant été celle d’une « travailleuse du sexe adolescente ». Cela tend à faire disparaître qu’une personne mineure prostituée est dans les faits une victime d’exploitation sexuelle au sens de la loi.
Les mots que l’on utilise pour décrire notre monde sont importants. Parler de « travail du sexe » impose à l’esprit l’acceptation même de la prostitution comme un travail et une vision de ces échanges comme étant du sexe. On en vient ainsi à percevoir la femme comme un agent libre de se vendre, mais on masque la réalité du client prostitueur, et l’effet cumulatif de ses pénétrations non désirées dans le corps des femmes traitées comme réceptacles. La traumatologie a pourtant tant de choses à nous apprendre à ce sujet !
Nous qui sommes sorties de la prostitution depuis plusieurs années, et qui pouvons maintenant faire un exercice de perspective sur notre vécu, devrions être plus écoutées. Il y a beaucoup de sagesse dans notre compréhension actuelle de tout ce qui nous a amenées dans la prostitution et du poids des conséquences que nous vivons dans notre corps.
Nous disons aujourd’hui que la prostitution n’est pas un travail, que l’argent masque un grand pouvoir de coercition dans la transaction prostitutionnelle, que le consentement monnayé n’en est pas un et que le recours à la prostitution ne sera jamais autant un choix que la conséquence d’un manque de choix et de conditions prédisposantes. Une foule d’études ont confirmé que c’est près de 95% des femmes en situation de prostitution qui aimeraient en sortir, mais ne savent pas comment faire.
En s’en tenant à des mots polis et à de vagues idées, on perd de vue ce qui devrait être inaliénable pour chaque individu-e. Rappelons que le Canada proscrit la vente de sang ou d’organes, puisque ce sont les personnes défavorisées qui en seraient les principales fournisseuses ; mais notre société semble faire bien peu de cas d’une sexualité libre de contraintes pour les femmes.
À ce titre, la FFQ faillit à vouloir protéger les femmes embrigadées dans le cycle infernal de la prostitution qui n’est, en fait, rien d’autre qu’un rapport de domination de la part des prostitueurs et des abuseurs. Elle préfère se concentrer sur un petit nombre de femmes qui disent le faire par choix (dont certaines qui font du déni pour se protéger).
Sans compter que nous voyons déjà poindre à l’horizon la volonté des jeunes Libéraux fédéraux de légaliser l’exploitation du « travail du sexe » et de la maternité de substitution. Il est temps d’avoir un véritable débat de société sur les limites de l’intrusion du marché dans la sphère intime. L’achat ou la location du corps de personnes est incompatible avec l’égalité entre les hommes et les femmes et elle renforce les attitudes patriarcales.
Valérie Tender, survivante
– Cette lettre est cosignée par : Maylissa, Valérie Legal Tender, Rose Sullivan et Sophie Lavoie Coursolle, toutes présentes sur scène dans le numéro Hommage aux survivantes au Gala des Gémeaux 2018.
• Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 novembre 2018
http://sisyphe.org/spip.php?article5493