Depuis que la vie est apparue sur la terre, elle a eu tendance à devenir de plus en plus complexe et variée. Elle a d’abord pris la forme d’une sorte de soupe très simple au sein de laquelle nageaient quelques molécules organiques. Petit à petit la soupe est devenue plus épaisse, des molécules se sont assemblées en cellules, puis des cellules se sont structurées en organismes. Certains de ces organismes, contenant de la chlorophylle, se sont mis à produire de l’oxygène, permettant ainsi la formation d’une atmosphère respirable pour des formes de vie plus complexes.
On sait, grâce à Darwin, que ce processus évolutif a demandé des millions d’années. On sait aussi qu’il n’a pas connu que des avancées. La disparition des dinosaures, il y a soixante-cinq millions d’années, est la plus connue des « vagues d’extinction », c’est-à-dire des périodes au cours desquelles la diversité du vivant (« biodiversité ») a reculé. Eh bien ! notre époque est le théâtre d’une nouvelle vague d’extinction de ce genre - la quatrième de l’histoire de la vie sur Terre.
Exagération catastrophiste ? Hélas, non : la biodiversité sur notre planète diminue de 27.000 espèces chaque année. Septante-quatre (74) par jour. Trois par heure ! A ce rythme, on estime que 20% des espèces animales et végétales auront disparu d’ici quelques décennies (1). Un tel phénomène est sans précédent depuis la disparition des diplodocus, iguanodons et autres tyrannosaures.
Cette perte est catastrophique, car les capacités d’adaptation du vivant sont fonction de la diversité du patrimoine génétique. Notre alimentation repose à 80% sur l’exploitation de vingt espèces de plantes. Massacrer la biodiversité, c’est risquer de perdre une partie des 75.000 espèces, pour la plupart inexploitées, dont on sait aujourd’hui qu’elles pourraient soulager des maladies, améliorer notre alimentation, voire servir d’alternatives dans des conditions climatiques nouvelles : c’est scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
On s’interroge sur les causes de la disparition des dinosaures. La thèse de la collision entre la terre et un énorme astéroïde est remise en question, sur base de nouvelles découvertes. Quoi qu’il en soit, l’extinction des grands reptiles fut le résultat d’une catastrophe naturelle, tandis que la vague actuelle est due essentiellement à l’activité humaine : empoisonnement de la biosphère par les pesticides (on ferait mieux de dire « biocides » !), destruction et morcellement des milieux naturels, sans oublier le pillage pur et simple des ressources…
L’agriculture, la sylviculture et la pêche capitalistes portent une responsabilité écrasante. Poussées par la chasse au profit, les grandes entreprises de l’agro-business contraignent les agriculteurs à la monoculture industrielle qui détruit les habitats et nécessite de grandes quantités de produits chimiques. Résultat, en Europe par exemple : 38% des espèces d’oiseaux et 45% des espèces de papillons sont menacées d’extinction. Des mécanismes analogues sont à l’œuvre dans les secteurs du bois (surtout dans les régions tropicales) et de l’exploitation des produits de la mer.
Face à cela, les politiques mises en œuvre sont notoirement insuffisantes. Ni la convention internationale CITES (sur la protection des espèces menacées), ni la directive européenne « Habitats » ne s’en prennent aux causes fondamentales. Ne parlons même pas de la politique européenne de la pêche, impuissante à enrayer la menace de disparition d’un poisson pourtant aussi courant que le cabillaud…
Contrairement aux dinosaures, nous avons la possibilité d’agir sur les conditions de notre propre existence. La solution est politique : il faut prendre conscience du risque auquel le capitalisme nous expose, battre la politique néolibérale de la course effrénée au profit et inventer des relations sociales nouvelles, respectueuses des équilibres naturels et de leurs rythmes.
(1) Edgard O. Wilson, The Diversity of Life, cité par John B. Foster dans The Vulnerable Planet, Mothly Review Press, NY, 1999.