Le report du comité de groupe européen Airbus qui devait annoncer un plan massif de suppressions d’emplois, trahit une incertitude politique. La date du comité, le 20 février, était pourtant programmée depuis l’automne. En 2006, le groupe a dévoilé à la fois ses faiblesses et ses mœurs de « coquins » - l’ex-PDG tirant partie de l’inefficacité de sa propre entreprise en vendant ses stock-options.
Les salariés d’Allemagne et de France ont commencé à réagir. Le 2 février, 25 000 salariés allemands manifestaient contre les menaces de restructuration. Soit plus que les 19 000 salariés d’Airbus en Allemagne, ce qui prouve que la question dépasse les murs des usines et devient politique. En France, un débrayage d’une heure a été bien suivi, le 6 février. À la veille de la présidentielle française et dans le contexte d’une présidence allemande de l’Union européenne, les salariés d’Airbus disposent, en Europe, d’une arme de dissuasion politique efficace. Pour peu qu’ils sachent s’unir et déjouer les pièges du « patriotisme économique » que chacun des gouvernements utilise pour tenter d’apparaître comme sauvant ses emplois nationaux.
La contradiction dans laquelle est plongée la direction d’Airbus est très forte. D’une part, face à Boeing, aux appétits des investisseurs privés (Lagardère, Daimler) et aux défauts d’efficacité selon les canons du marché, elle doit transformer Airbus en entreprise mondialisée hyperperformante, ce qui implique un recentrage sur le « cœur de métier » pour les secteurs dégageant des profits et des sous-traitances en cascade pour les secteurs non stratégiques. D’où un plan prévu de 10 à 12 000 suppressions d’emplois, avec ventes de sites, délocalisations et saignée de sous-traitants et d’intérimaires. Et cela, alors que les carnets de commande sont pleins pour cinq ans ! Mais, d’autre part, Airbus ne peut s’extirper en douceur de son ancrage dans chacun des pays, juxtaposant des traditions nationales concurrentes.
Chaque gouvernement essaie de faire partager par ses salariés cette concurrence entre États, surtout par les syndicats majoritaires. FO en France, IG Metall en Allemagne estiment que les usines « d’en face » doivent davantage supporter les frais de la crise que celles de leur pays, allant même (selon La Nouvelle Vie Ouvrière du 16 février) jusqu’à réaliser des audits comparant les performances de part et d’autre des frontières. En France, tous les syndicats, y compris la CGT, s’adressent à Jacques Chirac pour faire jouer le sentiment national.
L’interdiction des licenciements dans un groupe qui regorge de profits est centrale. Au-delà, c’est l’appropriation publique nationale et européenne de l’industrie aéronautique et du transport aérien qui est posée, pour répondre aux besoins, dans un cadre écologique, sans passer sous les fourches caudines du marché mondial.