Que la plupart des médias appartiennent à la grande bourgeoisie, aux grands groupes, voire aux transnationales, n’est ni un secret, ni une surprise. Qu’ils véhiculent l’idéologie dominante n’est guère étonnant. Pendant la campagne en faveur du traité constitutionnel européen (TCE), la plupart des médias avaient bien fait leur travail, mais les électeurs n’ont pas suivi. Cette fois, bien avant que ne débute la campagne présidentielle, la plupart des journaux ont pris ouvertement fait et cause pour Nicolas Sarkozy... à quelques exceptions près. C’est ainsi que Laurent Joffrin officie maintenant à la direction de Libération, qui mène campagne de façon peu discrète pour Ségolène Royal. Il aurait été insoutenable que les journalistes de Libération livrent une information « libre et non faussée » sur la campagne présidentielle et ses enjeux.
Mis à part l’Humanité, Politis, Le Monde diplomatique, Rouge et quelques autres, rares sont les médias, écrits ou audiovisuels, qui n’ont pas pris fait et cause pour le libéralisme, la pensée unique et le bipartisme.
Concentrations et licenciements
Plus étonnant, malgré les rappels à l’ordre (sic !) du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), radios et télévisions publiques ont emboîté le pas sans remords. Jusqu’au dernier avatar : Alain Duhamel, chantre du libéralisme et éditorialiste multicartes, a été suspendu des antennes de France Télévisions le temps de la campagne présidentielle pour avoir manifesté son soutien à... François Bayrou. Les mauvaises langues diront que son seul tort est de ne pas soutenir Nicolas Sarkozy.
Depuis plusieurs années, pas une semaine ne passe sans une mauvaise nouvelle sur le front des médias. À chaque cession de journaux ou groupe de médias, des dizaines de postes disparaissent pour le plus grand profit de transnationales qui exigent un taux de rentabilité à deux chiffres (Socpresse, ex-Emap France, groupe l’Express-l’Expansion, etc.). Autre source d’inquiétude, l’annonce de la restructuration du pôle médias du groupe Lagardère, au nom du passage à l’ère numérique, laisse craindre des centaines de licenciements dans de nombreux pays, entre 250 et 300 en France.
Et la qualité de l’information dans tout cela ? Et les droits sociaux ? Quel avenir pour les titres dont l’édition papier est considérée comme non rentable ? C’est ce que demande l’intersyndicale d’Hachette Filipacchi Médias (CFDT, CGT, SNJ, CGC) à Arnaud Lagardère, dans une lettre ouverte signée massivement par les salariés, réaffirmant la nécessité « d’une double indépendance, éditoriale et rédactionnelle ». Depuis le début de l’année, les assemblées générales se succèdent. Les salariés affirment : « Nous n’accepterons aucun plan de licenciements. Nous ne laisserons aucun titre disparaître sans exiger le reclassement de tous ses salariés. » Refusant l’allégeance à Nicolas Sarkozy, ils analysent l’éviction d’Alain Génestar, ex-directeur de Paris Match (il avait osé publier la photo de Cécilia Sarkozy au bras de son compagnon de l’époque), comme « une inquiétante remise en cause de l’indépendance éditoriale ».
Au service du bipartisme
Nous avons eu aussi droit au lancement d’un nouveau journal gratuit, Matin plus, propriété du Monde et de Vincent Bolloré (qui possède déjà Direct Soir), et à la nomination d’un fidèle serviteur de la droite à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel, Michel Boyon. Coauteur de la loi Léotard, qui a privatisé TF1, Michel Boyon a présidé Radio France plusieurs années et dirigé le cabinet de Jean-Pierre Raffarin. Avec sa nomination, la droite parachève le verrouillage du CSA, qui ne risque pas de protester contre les derniers cadeaux faits par le Parlement à TF1 et M6 : l’attribution de chaînes sur les nouveaux réseaux. Le même CSA veille jalousement à ce que les chaînes locales ne soient pas attribuées à des médias indépendants, associatifs par exemple, dont certains présentent des projets de qualité.
Quant au service public de l’audiovisuel, si vous pensiez y trouver les informations que vous cherchiez sur la campagne présidentielle, c’est raté ! Le CSA nouveau a attribué une mauvaise note à tous les médias audiovisuels, dont ceux du groupe France Télévisions (communiqué du 8 février), malgré un léger progrès, peut mieux faire : « Le Conseil relève que la plupart des chaînes se sont efforcées de réduire la bipolarisation excessive précédemment observée. Il remarque cependant, sur certaines d’entre elles, la persistance d’un déséquilibre marqué [...]. Dès lors, les temps de parole et d’antenne accordés à certains candidats restent insuffisants au regard des critères d’équité, notamment des résultats obtenus à la précédente élection présidentielle. » En clair, les journaux et les magazines d’information télévisés ne respectent pas même pas le principe d’équité, déjà injuste.
Candidats invisibles
La lecture des relevés du temps d’antenne consacré aux candidats est éclairante : malgré un léger redressement en janvier, pour la période allant du 1er décembre 2006 au 2 février 2007, Olivier Besancenot n’occupe que 0,8 % du temps d’antenne sur France 3 nationale, 0,6 % sur Canal+ (en clair), 3,5 % sur M6, 3,6 % sur France 2 et 4,2 % sur TF1. Arlette Laguiller n’est pas mieux lotie. France 2 détient la palme du bipartisme puisque Ségolène Royal y occupe 33,3 % du temps d’antenne, contre 35,3 % pour Nicolas Sarkozy. Les relevés déclaratifs des radios nationales, publiques et privées, sont encore plus caricaturaux pour les candidats de la gauche radicale (voir le tout sur le site du CSA : , onglet « campagnes électorales »).
De fait, on a l’impression que les médias audiovisuels sont décidés à faire pire que lors du débat sur le traité constitutionnel européen. Les dernières émissions de « débat » organisées par TF1 et France 2 augurent mal de l’avenir : tapis rouge déroulé pour Sarkozy sur TF1, traitement préférentiel pour Le Pen sur TF1 et France 2, temps ridiculement réduit pour les candidats à la gauche du PS relégués en fin de soirée, aucune mise en perspective des propositions des uns et des autres. Dans les deux cas, le plus grand doute est permis sur la façon dont le panel d’électeurs admis à poser leur question a été choisi.
Depuis plusieurs semaines, les prises de position des syndicats de journalistes (presse écrite et audiovisuelle) et de journalistes de l’audiovisuel public se multiplient. Dernière en date, la pétition initiée par des journalistes d’Information impartiale et des journalistes du Syndicat national des journalistes CGT des radios et télévisions publiques (lire ci-contre) en est déjà à plus de 4 600 signatures. Si ces initiatives ont le même impact que lors des débats sur le TCE et si, comme nous le proposons, les luttes sociales s’invitent dans la campagne électorale... on peut bousculer quelque peu les médias dominants et avancer vers un véritable droit d’expression et d’information.
Alice Queval
• Pour en savoir plus :
– Marie Bénilde, « M. Sarkozy, déjà couronné par les oligarques des médias », Le Monde diplomatique, septembre 2006 ;
– « Le manifeste de la LCR » (propositions de la LCR pour les médias) ;
– Encre rouge n° 31 (propositions de la LCR pour la presse quotidienne nationale) et .
Encart
Les états généraux pour le pluralisme interrogent des candidats à la présidentielle
Les organisateurs des états généraux [1] ont sollicité les candidats à la présidentielle pour énoncer leurs propositions sur quatre thèmes : les concentrations des médias et le pluralisme, les mesures concrètes pour rénover et développer l’audiovisuel de service public, le soutien aux médias associatifs, les mesures à prendre pour garantir les droits et l’indépendance des journalistes. Tous les candidats de partis démocratiques ont été invités à la session du 10 février, mais seuls le PS, les Verts, la LCR et le PCF ont répondu à l’appel, le candidat de l’UDF s’étant excusé.
On peut regretter que la forme de l’audition n’ait pas permis que s’engage le débat entre les protagonistes et la salle sur les constats et les propositions. Ainsi, Stéphane Pellet, pour le Parti socialiste, proposait une nouvelle loi anticoncentrations, mais n’a pas eu à s’expliquer sur le peu d’empressement des gouvernements de la gauche plurielle à appliquer les lois qui existaient déjà, ni sur le refus du PS d’abroger les décrets Tasca (qui ont institutionnalisé la production privée à France 2 et France 3). Guillaume Liégard, pour la LCR, a insisté sur la nécessité de mesures radicales : interdire les concentrations, intégrer ou réintégrer dans le secteur public TF1 et M6, démocratiser l’audiovisuel public et le mettre sous contrôle des salariés et des usagers, etc. Francis Parny, représentant du PCF, a insisté sur la nécessité de remplacer le CSA par un conseil supérieur des médias comprenant représentants des partis (dont ceux qui n’ont pas de députés), salariés et usagers. Hervé Pérard (les Verts) proposait de légiférer en faveur des médias associatifs et d’opinion.
Les réponses des invités seront publiées par les états généraux. Les auditions de septembre 2006 et de février 2007 feront l’objet d’une vidéo d’une heure réalisée avec l’aide de Zaléa TV.
1. Sur le site , vous trouverez : l’appel aux États généraux et les 200 organisations signataires (dont la LCR), la synthèse des ateliers et la déclaration finale : « Pour des médias soustraits à l’emprise des pouvoirs économiques et politiques. »