Galilée : … Nos calculs à nous, astronomes, se heurtent depuis quelques temps à de grandes difficultés. Nous y utilisons un très ancien système, qui semble en parfait accord avec les principes de la philosophie mais non hélas avec les faits… Vous plairait-il Messieurs de commencer par un coup d’œil sur les satellites de Jupiter… ?
Le philosophe : Je crains que cela ne soit pas aussi simple. Monsieur Galilée, avant de passer aux applications de votre célèbre tube, pourriez-vous nous accorder le plaisir d’une discussion ? Notre thème serait : de telles planètes peuvent-elles exister ?… de tels astres sont-ils nécessaires ?… L’univers tel qu’il est décrit par le divin Aristote… est un édifice d’une telle ordonnance et d’une telle splendeur que nous devrions sans doute hésiter à en déranger l’harmonie.
Galilée : Eh bien, ces astres aussi impensables que privés de nécessité, si votre Altesse les voyait dans cette lunette ?
Le mathématicien : Il serait alors tentant de répondre que votre tube montrant quelque chose qui ne peut être serait un instrument peu digne de confiance. Vous saisissez ?
Galilée : Je suis habitué à voir ces Messieurs de toutes les Facultés fermer les yeux devant tous les faits, et faire comme si de rien n’était. Je montre mes relevés et l’on sourit, j’invite à utiliser ma lunette afin qu’on puisse se convaincre, et l’on me cite Aristote. Mais lui n’avait pas de lunette !
Le philosophe : Votre Altesse, Mesdames, Messieurs, je me demande vraiment à quoi la vérité peut nous conduire.
Le philosophe explosant : Monsieur Galilée, la vérité peut nous conduire fort loin.
Bertold Brecht, La Vie de Galilée [1]
Certaines vérités sont difficiles à regarder en face. Si notre livre Les Gardiens de la raison [GDR], publié le 24 septembre 2020 aux éditions de la Découverte, est une lunette astronomique, peut-être ses lentilles sont-elles faites d’une matière trop ironique pour certains ; peut-être montrent-elles un alignement des astres entre l’industrie et le mouvement pro-science trop difficile à admettre ? Ou bien a-t-on fait simplement trop de bruit autour de ce livre ? L’ouvrage, il est vrai, a suscité un afflux de réactions positives et une couverture médiatique que nous n’avions pas anticipés.
Pris dans le flot d’une rentrée éditoriale très axée sur la science, et coincés entre la promotion du dernier livre de Didier Raoult
Notre but était au départ pourtant très circonscrit, à la limite du confidentiel. L’ouvrage montre comment l’industrie a su prendre le tournant de la mode du fact-checking, de la lutte contre les fake news et de l’éducation à la « bonne science » pour manipuler l’opinion. Il aborde frontalement une question gênante : comment, après des années d’affaiblissement et d’absence de réflexivité sur les mots d’ordres favorables à l’innovation technologique, le mouvement rationaliste se trouve désormais aligné sur les stratégies des consultants en relations publiques. Au point d’être considéré par Monsanto comme un relais dans le débat public, ainsi que le montrent les « Monsanto Papers ».
L’amateur de sciences comme nouvel horizon du lobbying
Le livre détaille, par exemple, comment des argumentaires élaborés par des consultants du tabac finissent dans des revues tenues par des défenseurs bénévoles de la science. Il décrit comment des firmes investissent les réseaux sociaux et nourrissent plus ou moins directement des comptes Twitter « pro science » influents via ce que l’on appelle des « fermes de contenu ». Il y est aussi raconté comment certains usages du rationalisme par les milieux conservateurs américains (comme la défense de thèses antiféministes au nom de la science) ont fini par percoler et s’attirer les grâces d’intellectuels ou de chercheurs français plutôt classés à gauche. Il s’aventure, enfin, dans la zone mondaine de la science où de nombreux lobbyistes patrouillent de cocktails en conférences sur l’avenir du pilotage de la recherche et la « bonne communication » de ses résultats au public et aux décideurs.
Point sans doute le plus important : le livre décrit ces phénomènes en espérant que les choses changent et que certains amateurs de science parviennent à infléchir ces tendances. Car ceux-ci ont plus souvent été pour nous des sources d’information que des acteurs à critiquer.
En se donnant pour objet ces évolutions, le livre a connecté différents publics qui se posaient jusqu’ici des questions dans leur coin : des biologistes s’interrogeant sur la montée abusive des références à la génétique ou au darwinisme dans l’espace public, des physiciens alarmés par la caution apportée par certains de leurs pairs aux industriels, des scientifiques défenseurs des abeilles et de la biodiversité, des amateurs de sciences sociales. Il a aussi intéressé des lecteurs de travaux sur le lobbying qui constatent l’évolution des techniques de relations publiques, des militant.es féministes qui font face à un regain des discours d’apparence scientifique destinés à naturaliser les rapports de genre.
Venant percuter l’instruction de la nouvelle loi de programmation de la Recherche (LPR), il a également suscité un débat important, jusqu’à l’Assemblée nationale, sur la question de l’information scientifique. Il a nourri les interrogations sur la possible importation en France du Science Media Centre, une organisation chargée de délivrer clefs en main une information scientifique aux journalistes et qui s’est avérée mortifère pour la profession de journaliste scientifique Outre-Manche. Il a aussi suscité des rencontres et des invitations que nous espérons reprendre après ce reconfinement et qui nous permettront d’aborder d’autres aspects du livre.
Sans trop de surprises, le livre a aussi hérissé certaines personnes citées dans l’ouvrage. Pour l’heure, l’immense majorité des réactions négatives sont de leur fait ou de celui d’adhérents de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), à laquelle nous consacrons de nombreuses pages. Parce qu’il porte précisément sur la zone de contact entre des engagements bénévoles au nom de la science et des professionnels du lobbying, le livre risquait « de choquer des engagements sincères, de heurter ceux qui donnent de leur temps pour faire progresser l’idéal scientifique auprès de différents publics », écrivions-nous dans l’introduction [GDR, p. 13].
Nous n’avons, hélas, pas été déçus sur ce point. Un fichier des épreuves du livre, pourtant exclusivement destiné à la presse, fut récupéré de façon détournée avant publication, et diffusé largement parmi nos « gardiens autoproclamés de la science ». Ce détail a son importance car cette mise en circulation a facilité des lectures numériques très sélectives à coups de « CTRL+F », et des personnes mentionnées ont réagi à chaud à des passages où ils étaient mentionnés sans jamais discuter le livre, que ce soit dans son ensemble ou sur le fond.
Au sein de la constellation d’acteurs décrits dans l’ouvrage, quelques-uns ont choisi de se fendre de leur propre texte ou de leur thread (série de tweets) pour dire à quel point nous avions mal rendu compte de leur engagement sincère pour le bien commun. Ainsi, ces personnes ont décidé de nous « débunker » (comme on dit dans le milieu des pseudo-rationalistes), de dénoncer nos prétendus biais en montant en épingle quelques imprécisions ou erreurs factuelles dans des textes fleuves. Pour eux, une erreur sur le nom du laboratoire de rattachement d’un chercheur est brandie comme la preuve définitive que notre enquête serait fausse dans son ensemble.
Nous avons bien sûr tenu compte de toute erreur éventuelle (« que se passerait-il dans le monde académique si chaque livre était décortiqué de la sorte, ligne à ligne, par un lectorat intéressé à la destruction de ses auteurs ? », nous faisait remarquer amicalement un philosophe des sciences, amusé par tant de zèle). Nous intégrons de bonne foi corrections et remarques au fil des réimpressions du livre afin de produire un compte-rendu plus juste de la réalité. Pour reprendre la métaphore de Brecht, nous sommes preneurs de tout ce qui permet d’améliorer la netteté de la prise de vue de notre « tube », en laissant cependant notre lunette fixée sur l’évolution de la planète pseudo-rationaliste.
Mais un doute subsiste : ces critiques visent-t-elles à améliorer une description et un constat, ou à ternir des réputations en empêchant le débat interne à la mouvance des militants de la science ? Car il n’en reste pas moins que les phénomènes observés existent. Et sur ce point, nous faisons face à un quasi silence radio. Le livre raconte, par exemple, les usages politiques douteux que l’ancien président de l’AFIS, Jean Bricmont, fait depuis plusieurs années de sa réputation acquise à travers l’affaire Sokal.
Qu’ont ces youtubeurs et tweetos prétendument défenseurs de la science à en dire ? Soutiennent-ils toujours une journaliste qui prétend, au nom de la rigueur scientifique et au lendemain de la tuerie de Christchurch (Nouvelle-Zélande), que le « grand remplacement » n’est pas une théorie mais un fait qu’il faudrait s’attacher à mieux documenter ? Qu’ont-ils à dire de l’existence, sur la place parisienne, d’agences de micro-influence dont un responsable nous explique en entretien adorer le contact avec les youtubeurs sceptiques (en donnant au passage le nom d’un des plus célèbres d’entre eux) ? Qu’ont-ils à dire sur les discours haineux, confinant à l’insulte, portés à l’encontre de certains journalistes ?
Qu’ont-ils à dire sur un raisonnement trompeur, dans une revue d’amateurs de science (Science & pseudo-sciences), étayé par une référence à une fausse revue scientifique créée par un groupuscule américain d’extrême droite ? Trouvent-ils acceptable d’y voir cité comme un « ouvrage de référence », un livre publié à compte d’auteurs par des consultants de Philip Morris et de think tanks libertariens américains ? Qu’ont-ils à dire sur le recours systématique, dans cette même revue, à des consultants ou des salariés de l’agro-industrie pour trancher des débats sur l’alimentation, l’agriculture, les effets sanitaires et environnementaux des pesticides ?
Rien. Pour le moment, on ne nous répond rien sur ces éléments de fond incontestables qui montrent l’urgence qu’il y a à reconstruire une autonomie du milieu rationaliste. On fabrique du doute en multipliant des attaques sur des micro-détails. On nous accuse d’être complotistes en cochant tous les éléments de langage que nous avons représentés avec malice sous la forme d’un « Bingo des gardiens de la raison » [GDR, p. 165].
Panique à bord et indignation à géométrie variable : quand l’AFIS et ses Amis relaient les sites des partisans de Dieudonné
Jean Bricmont se défend d’être aujourd’hui proche d’Alain Soral, mais nous répond depuis « Le Média pour Tous », un site animé par Vincent Lapierre. Cet ancien bras droit du polémiste antisémite, lauréat de trois quenelles d’or que décerne Dieudonné, a pris ses distances avec le mouvement de M. Soral, Égalité et Réconciliation, pour des « fâcheries à propos de droits d’auteurs et de diffusion », comme le souligne le syndicat SUD. Cela ne suscite aucune interrogation. Mieux encore, les sites de l’AFIS, du youtubeur Thomas Durand ou de la politologue Virginie Tournay
Autre site référence pour les défenseurs de la science : le blog de « Wackes Seppi », tenu par un ancien cadre de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV), André Heitz, condamné pour diffamation suite à la plainte du journaliste de télévision Paul Moreira, et qui, par un magnifique retournement de sens, nous compare à Goebbels ou à Torquemada. Un militant de l’AFIS insinue même que notre livre irait dans le sens de l’extrême droite en citant des passages de textes de Soral, comme si l’un de nous n’avait pas eu à rédiger son lot d’articles contre l’extrême droite et l’antisémitisme et à récolter les menaces qui vont avec
Comme le livre dénonce justement une « trollisation » de l’espace public, la violence des trolls n’a pas été la plus étonnante des réactions à nos yeux (et aussitôt le livre paru, nous avons eu droit à des raids sur nos fiches Wikipedia, à des volées d’avis négatifs non certifiés sur Amazon, à une tempête de tweets injurieux et mensongers, etc.). Non, le plus inquiétant pour le débat public, c’est que ceux-là mêmes qui répercutent ironiquement ces attaques ne s’offusquent en rien que certains gardiens autoproclamés de la science que nous citons défendent l’eugénisme ou des thèses naturalistes fumeuses au nom de la génétique.
Loin de nous l’idée de balayer les réactions des personnes citées d’un revers de main. Mais à qui répondre pour que cela soit un tant soit peu utile malgré tant de cécité face aux circonvolutions de la planète AFIS ? À « La Tronche en biais », un youtubeur qui a peut-être raison de dire que nous avons traité trop rapidement du travail de vulgarisation qu’il a opéré ces dernières années, mais qui n’est mentionné dans l’ouvrage que sur quelques lignes ? Un youtubeur pas vraiment engageant comme interlocuteur ou comme point d’entrée dans le débat : quelques jours avant la sortie du livre, il s’était illustré en invitant une internaute critique de ses positions sur le genre à « aller se faire cuire le cul ». Aussi, il venait de laisser la parole pendant deux heures à l’essayiste Peggy Sastre dans une de ses vidéos – elle y faisait, au nom de la science, la promotion de ses thèses anti-féministes et pseudo-évolutionnistes (il a dû retirer la vidéo suite à la bronca sur Twitter)
Faut-il répondre à Jean Bricmont ou à ses amis qui nous écrivent des courriels pour savoir pourquoi nous avions si méchamment critiqué Viktor Orban en écrivant qu’il avait muselé les philosophes ? Doit-on vraiment écouter Franck Ramus qui prétend avoir simplement été « membre du comité de parrainage de l’AFIS », se cantonnant à « un rôle purement symbolique
Nous pourrions y passer notre vie. Si nous restons tous trois ouverts à tout débat avec d’autres personnes de bonne foi, nous ne répondrons donc qu’une seule fois aux textes des Amis de l’AFIS en guise de postface en ligne. Afin de rester lisibles, nous le faisons en articulant un propos général dans le texte et des notes de bas de page assez longues, qui répondent au maximum de points sur lesquels nous aurions prétendument été pris en faute. Aussi, les amateurs de debunking pourront parcourir cette réponse sur deux niveaux : d’abord pour aborder le cœur de notre propos et ensuite pour relever fastidieusement, point par point, si nous avons répondu à une soixantaine de détails, dont la majorité tient de la stratégie de l’homme de paille. Nous présentons par avance nos excuses pour tout oubli. Mais, même en nous limitant à trois points de réponses pour les douze principales attaques rédigées par les Amis de l’AFIS, notre réponse représenterait un texte illisible en 36 points (sans compter une trentaine de points sans lien entre eux que relève Jean Bricmont).
Cet usage dévoyé de la critique scientifique, qui consiste à multiplier les discussions de détails et les citations tronquées sans discuter l’ensemble de la démonstration a un nom : l’hyper-criticisme. Cette méthode n’est pas rationnelle et illustre précisément ce que nous décrivons dans le livre. Brouiller les débats en les polarisant de manière faussée autour d’éléments secondaires, créer la distraction en parlant de tout sauf du fond, triompher d’un ennemi caricatural que l’on a soi-même créé en charcutant deux phrases pour mettre de côté toute la chronologie des faits… Si d’aventure le doute subsistait en nous, ces réactions marquent l’enterrement de notre espoir de voir des débats sur des sujets complexes exister sur Twitter.
Nous préférons nous déplacer vers le monde des textes écrits et articulés autour de faits et d’arguments. Afin qu’ils se fassent leur propre idée, nous invitons ceux qui n’ont pas encore lu le livre à privilégier sa lecture directe et non la consultation d’extraits tronqués, jetés en pâture à des « followers » ; car, bien souvent, les réponses réunies dans cette postface en ligne figurent déjà dans le livre lui-même.
Oui, l’AFIS a contribué activement à l’introduction du climato-scepticisme en France
Dans Les Gardiens de la raison, nous décrivons comment l’AFIS a joué un rôle actif dans l’introduction du climato-scepticisme en France. Nous citons pour cela plusieurs exemples : la publication, début 2008, d’un article du consultant Charles Muller (pseudonyme de Charles Champetier, ancien bras droit d’Alain de Benoist au sein de la revue d’extrême-droite Eléments), l’animation d’une réunion par l’antenne nantaise de l’AFIS le 2 décembre 2008 autour des « effets de la rotation de la Terre sur le climat », mais aussi des recensions d’ouvrage.
L’AFIS nie ce constat. Dans un premier texte publié dès la sortie du livre sur le site de l’AFIS, il nous est reproché, à l’appui d’un diagramme Google Trends différent de celui que l’on pouvait obtenir au moment de la collecte de certaines de nos données en 2017, de mal interpréter l’effet de la parution du papier de Charles Muller. Peut-être la base d’indexation de Google a-t-elle changé entretemps ? Mais notre graphique est également proche de ce que l’on peut obtenir aujourd’hui avec une autre source, le site Europresse, qui répertorie l’essentiel des articles de presse (et témoigne d’une réactivité médiatique dès l’année 2008 sur le sujet).
Surtout, cette focalisation autour de Google Trends obscurcit le débat : on nous objecte que l’AFIS n’aurait joué aucun rôle dans la diffusion du climato-scepticisme car nombre d’articles de presse seraient antérieurs à la publication de leur premier article climato-sceptique. Non seulement ce fait est explicitement mentionné dans notre livre [GDR, p. 52, note (a)] mais notre argumentation repose sur tout ce qu’a produit l’AFIS sur plusieurs années ! Pour documenter notre propos, nous précisions que l’association avait cautionné le mouvement climato-sceptique en publiant de nombreuses recensions complaisantes, voire élogieuses, d’ouvrages niant la réalité du réchauffement anthropique [GDR, p. 54].
Fallait-il en faire la liste exhaustive pour être entendu (on peut en trouver une revue de presse en 16 épisodes ici) ? Le numéro 292 propose une recension complaisante du livre de Christian Gérondeau, « CO2 un mythe planétaire ». Le numéro 294 : du livre « Le Giec est mort vive la science ! » de l’ultra-libéral Drieu Godefridi, fondateur de l’Institut Hayek. Dans le numéro 291 se trouve un article sur les pseudo-théories du réchauffement lié au soleil…
Dans le même esprit, Yann Kindo, un adhérent de l’AFIS, multiplie sur son blog la citation d’articles défavorables au climato-scepticisme dans la revue de l’AFIS. Mais ils ont tous été publiés récemment. Ici, tout est question de chronologie. Ce professeur d’histoire devrait pourtant y être sensible. Nous écrivons nous-même que, depuis quelques années, « la revue a affirmé la réalité du réchauffement anthropique » [GDR, p. 55]. L’AFIS d’aujourd’hui n’est pas climato-sceptique, et tout le monde en convient. La question que nous soulevons dans le livre est de savoir quel rôle a joué la revue dans le débat sur l’évolution du climat, jusqu’en 2010 et même au-delà. Et ce, alors que près de « 600 chercheurs avaient signé une lettre ouverte » pour s’alarmer du traitement de la question climatique dans l’espace public.
Les prises de position de l’AFIS sur le climat s’inscrivaient dans une longue histoire d’hostilité de l’association vis-à-vis des positions écologistes. Pendant longtemps, une partie du mouvement rationaliste français a associé l’alerte sur le réchauffement climatique à une lubie environnementaliste. Un point aujourd’hui suffisamment documenté pour que les gens qui connaissent le sujet ne s’y trompent pas. Et si l’un de nous (SF) a fait lui-même évoluer le compteur bibliométrique en utilisant le terme climato-scepticisme dans ses articles dès 2007, ce ne fut jamais pour donner la parole aux théories fumeuses des sceptiques (contrairement à l’AFIS) mais pour les dénoncer comme telles et relayer la parole des scientifiques qui travaillent sur le sujet. L’AFIS d’aujourd’hui peut se cacher derrière la figure de son tout nouveau président, le climatologue François-Marie Bréon, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Si l’AFIS reconnaît désormais pleinement la gravité du réchauffement en cours, c’est essentiellement pour défendre la technologie qui, parce qu’elle dégage effectivement moins de CO2, est censée nous sauver du désastre : le nucléaire. Nous n’entrerons pas ici dans le débat compliqué sur la place du nucléaire dans le mix énergétique, mais il est loin d’être certain que le développement éperdu de l’énergie nucléaire soit un rempart contre le réchauffement – pour des questions techniques et industrielles, mais aussi économiques et géopolitiques. L’AFIS n’a tiré de tout cela aucune conséquence réflexive sur son rapport à la technologie.
On est encore loin d’une prise de conscience en son sein de l’avancée des sciences environnementales. Il suffit d’ailleurs de décaler le débat d’un centimètre – par exemple pour évoquer la question des déchets nucléaires ou des effets de la pollution sur la santé – pour voir resurgir une hostilité à l’égard d’une approche scientifique des effets de la technologie sur la santé et l’environnement. Nous multiplions les exemples dans le livre. Un chapitre entier est consacré à la façon dont l’AFIS a contribué à l’importation en France d’une fable industrielle construite dans les milieux industriels américains sur l’interdiction du DDT.
Sur ce sujet comme sur bien d’autres, le glyphosate notamment
Plusieurs articles de l’AFIS ont colporté ce storytelling en France, reprenant les critiques véhiculées à tort à l’encontre de la biologiste Rachel Carson et de son ouvrage Printemps silencieux. En réponse à notre livre, l’AFIS publie en ligne un billet qui cite astucieusement l’unique phrase positive sur Rachel Carson figurant dans l’un de ses articles, paru dans sa revue en 2003 sous la signature de Jean Brissonnet. Un procédé très représentatif de la façon de procéder de l’association. Dans cet article de 2003, la phrase figure entre deux charges contre les écologistes. Printemps silencieux y est présenté en revanche d’un seul souffle comme un coup de marketing, blâmé pour ses « considérations affectives » et accusé d’avoir causé une interdiction responsable de milliers de morts.
La lecture de l’article dans son ensemble
Les industriels aiment piller le vocabulaire scientifique pour enrober leurs organisations de lobbying et entretenir la confusion : ainsi du North American Meat Institute (Institut nord-américain de la viande) pour le lobby de la viande ou de l’American Petroleum Institute (Institut américain du pétrole), qui représente les intérêts des industriels du pétrole et du gaz aux États-Unis. De manière comparable, l’AFIS braconne dans le champ du journalisme et abuse du terme « information » dans sa dénomination. Son fondateur Michel Rouzé était certes journaliste et il rêvait l’AFIS en agence d’« information scientifique ». Mais aujourd’hui, l’association réunit des ingénieurs, des scientifiques et des amateurs de science, pas des professionnels de l’information. Ce qui ne l’empêche nullement de prétendre en diffuser, et ce même quand il lui arrive de véhiculer ou générer de la désinformation.
Oui, il existe une zone de contact entre industrie et bénévoles pro-science. Elle est complexe à décrire, mais elle existe
Notre livre décrit également sur plusieurs pages la façon dont les industriels ont investi les réseaux sociaux pour y diffuser des argumentaires qui prétendent « éduquer à la bonne science ». Comme par exemple Jay Byrne. L’ancien responsable en affaires publiques de Monsanto anime aujourd’hui sa propre agence d’influence numérique (V-Fluence) et une « ferme de contenus » (Bonus Eventus) qui diffusent sur Twitter ou Facebook des chiffres et des slides à prétention savante. Ces contenus dégriffés peuvent ainsi circuler sans mention d’une marque ou d’une entreprise. La France n’est pas en reste sur ce marché de l’influence digitale. Nous rendons compte notamment d’une interview avec un consultant qui nous décrit comment il travaille les réseaux sociaux sur ces enjeux, et comment il recherche, pour ses clients, l’appui de youtubeurs qui animent des chaînes de vulgarisation scientifique.
Or les Amis de l’AFIS nous reprochent d’avoir mis dans un même sac des consultants clairement au service de l’industrie et des youtubeurs ou des acteurs bénévoles
Au constat de leur présence dans notre description de cette zone de contact, certains Amis de l’AFIS ont crié au « mépris », à la dénonciation « d’idiots utiles », ou à des « insinuations », reprenant là l’antienne classique sur le journalisme d’insinuation en opposition à celui d’investigation – insinuative vs investigative journalism, un schème dont on rêverait qu’un zététicien retrace la circulation. Cette lecture se focalise sur le chapitre 5 de l’ouvrage, intitulé « La trollisation de l’espace public ». Que contient ce chapitre si méprisant à l’égard des youtubeurs ? Il débute par une rencontre avec des internautes pro-science, le plus souvent en thèse de biologie, qui ont été particulièrement virulents à l’encontre des deux journalistes co-auteurs du livre (les termes « menteur militant » et « salopard » ont notamment été employés).
Ce qui est perçu comme du mépris constitue d’abord pour nous un effort de compréhension et d’empathie. Rencontrer les personnes, aller vers l’humain, dépasser les relations par écrans interposés pour comprendre ce qui se joue dans ces échanges, au-delà des insultes : voilà l’intention dont nous aurions pu être crédités par ces tweetos hostiles, parfois menaçants. Et c’est d’ailleurs ainsi que plusieurs lecteurs nous ont dit avoir compris ce chapitre. Mais du côté des Amis de l’AFIS, on fait comme si cette démarche ne venait pas après des tombereaux d’insultes en ligne.
Les descriptions de ces scènes sont « d’une intense médiocrité », des « jugements minables », selon le youtubeur Thomas Durand, pourtant habitué à nourrir des échanges autrement plus virulents sur Twitter. Ce dernier mentionne ainsi une série de phrases coupées de leur contexte. La première porte sur la description d’un étudiant (Bunker D). « Ses yeux roulent comme des billes sombres dans le visage pâle de quelqu’un qui se couche tard et se lève tard. », écrivons-nous. En quoi serait-ce « un jugement minable » que de tenter de retranscrire en une phrase un rythme de vie raconté par l’intéressé lui-même lors de l’entretien ? Le cumul de ses activités de recherche avec l’animation d’un site sceptique l’a effectivement mené à l’épuisement.
Plutôt réflexif, manifestant une forme de recul par rapport à ces échanges, Bunker D se voit donner raison dès l’entame du chapitre. À son propos, nous écrivons : « Historique dans le champ “agri”, l’un des plus éminents même, sans être le plus virulent ni le plus agressif. “Les trolls c’est les autres ?” lui demande-t-on. “Il faudra d’abord définir le terme ‘troll’ dans ce cas-là. Il n’a pas tort : qu’est-ce qu’un troll ? » [GDR, p. 129]. Et le chapitre d’embrayer sur sa proposition de définition d’un troll. On peut faire bien pire en matière de mépris…
Pourtant Thomas Durand tient à tout prix à attester de notre dédain et épingle des passages comme « Mathieu “MJE” Rebeaud change souvent de photo de profil ; certaines ont d’ailleurs été prises par Paul Gosselin / Bunker D. », ou encore « Anthony Guihur parle bien. Mathieu Rebeaud gribouille dans un carnet à spirale où une ligne rouge divise la page en deux. » Écrire que quelqu’un change souvent de photo de profil, gribouille dans un carnet ou parle bien : en quoi ces simples éléments de portraits ou de situations seraient-ils des manifestations de notre mépris ?
Enfin vient une dernière phrase qui fâche visiblement Thomas Durand, sans le concerner : « […] on sent chez lui une curiosité pour le métier de journaliste. Une convoitise, presque. » C’est un point que l’on ne peut pas écarter et qui nous semble juste, significatif. Est-ce du mépris que de pointer la focalisation de ces passeurs de science envers le journalisme « classique » ? Un jeune homme qui exprime de façon répétée, au cours de l’entretien, une envie de faire du journalisme, au point de demander à ce qu’une visite de la rédaction du journal Le Monde soit organisée, est objectivement attiré par le métier de journalisme.
Il n’y a aucun mépris de notre part dans cette description qui témoigne d’un contexte actuel particulièrement tendu, nourri par l’évolution désastreuse du champ scientifique. La plupart des personnes que nous avons rencontrées ou lues pendant cette enquête cumulent à la fois des positions précaires et ultra spécialisées dans la recherche (thèse en fin de financement, Cifre en entreprise au devenir incertain) et une envie de renouer avec un rapport généraliste et positif à la science à travers l’animation d’une chaîne YouTube ou d’un blog. C’est cet effet ciseau entre une science qui n’emploie plus ou n’emploie que de façon incertaine et précaire (et la LPR ne va rien arranger dans les années qui viennent) et l’attractivité factice d’un discours sur YouTube, libéré de ce type de contraintes, qui nourrit un investissement dans la vulgarisation 2.0.
C’est le cas aujourd’hui mais c’était déjà le cas hier : en charge de la question des précaires et des sans-statuts au CNRS, le fondateur de la zététique et du serveur minitel 3615 ZET, Henri Broch, a longtemps été employé sur des contrats courts avec l’armée. Il trouvait dans la zététique un moyen de renouer avec un rapport vertueux et enchanté à la science. C’est en ce sens que nous écrivons à propos de Thomas Durand qu’il est un « docteur en biologie ayant travaillé sur les stress abiotiques du peuplier, mais il intervient sur bien d’autres sujets, comme l’énergie ou les études de genre. »
Il ne s’agit pas de dire que Thomas Durand serait incompétent en tant que vulgarisateur. Cet attrait pour la vulgarisation scientifique prend sens dans des trajectoires d’entrée dans la recherche parfois fragilisées dans le contexte actuel. Mais, très souvent, il passe aussi par un dézonage progressif par rapport aux compétences initiales des personnes. Être spécialisé dans les plantes ne donne pas un brevet en épidémiologie lorsque vient l’heure de parler de glyphosate, par exemple. Le fait d’être ingénieur EDF ou informaticien chez IBM (comme le sont Jean-Paul Krivine et Hervé Le Bars, membres éminents de l’AFIS) non plus, d’ailleurs.
Une fois traitée cette question du mépris, il reste notre tentative de description de cette zone grise entre youtubeurs et agences. Là aussi, on aurait pu nous créditer de décrire un fait rarement pris en compte de façon réflexive par les youtubeurs et tweetos « pro-science », qui utilisent au quotidien des terrains de jeu pensés pour d’autres usages et où officient en permanence des agences de marketing digital.
Comment une chaîne YouTube peut-elle passer de quelques abonnés à 20 000 abonnés en seulement quelques semaines ? Comment un compte Twitter confidentiel mais soufflant dans le (bon) sens du vent pour l’industrie peut soudain se trouver sous les projecteurs de toute une chaîne d’agences de communication et de médias ? Là encore, pas une seule réaction de fond n’est venue de la planète AFIS face à la description de cet univers numérique. C’est pourtant indéniable : l’écologie des réseaux sociaux est travaillée tous les jours par des agences qui utilisent des logiciels comme Traackr.
Cette zone de contact que nous décrivons explique comment un argument figurant dans les « Monsanto Papers » peut finir par circuler sur les réseaux sociaux et être retweeté en toute bonne foi. Nous écrivons nous-mêmes : « Il serait complètement paranoïaque de penser que Monsanto est derrière chaque tweet proglyphosate. Mais il serait tout aussi risible de nier le fait que l’influence digitale est un métier » [GDR p. 146]. Nous nous en tenons à cette ligne de bout en bout.
Si certains peuvent céder à l’illusion que leur seul charisme a fait décoller leur chaîne YouTube, on se permettra de leur rappeler l’existence de centaines de chaînes de vulgarisateurs qui n’ont jamais été relayées ou sont passées inaperçues – parce qu’elles ne parlent pas des sujets qui intéressent l’industrie. Nombre des chaînes qui marchent sont très appréciées pour leur potentiel à se transformer en relais des éléments de langage de l’industrie. Le consultant d’une agence nous raconte volontiers dans le livre la gamme des connexions possibles entre ces amateurs et industrie sur le web : orientation des flux via des comptes Twitter contrôlés par l’agence, achat de vues, scripts données clefs en main pour des vidéos (et le consultant de citer un youtubeur vulgarisateur scientifique en vue payé pour vanter les techniques de construction des tunnels par Bouygues).
Plutôt que de s’acharner sur ceux qui pointent leur lunette sur ce phénomène, les habitants de la planète zététique ne devraient-ils pas plutôt trouver un moyen de produire de la transparence sur ces logiques de connexion ? Ou même qu’ils désertent YouTube et migrent vers des plateformes libres, moins courtisées par les agences d’influence digitale ? Si nous travaillions pour un tabloïd anglais, on aurait pu nous reprocher de ne pas avoir essayé d’amuser la galerie en demandant à un influenceur de jouer le jeu de promouvoir un produit toxique sur Instagram. Mais nous avons, nous semble-t-il, mis suffisamment d’exemples sur la table pour que l’on puisse comprendre comment peut fonctionner cette connexion sans recourir à ce genre d’artifices.
Parmi les comptes Twitter qui relaient les éléments de langage de l’industrie, il existe des personnes payées pour cela : des consultants, comme Gil Rivière Wekstein ou Jean-Paul Oury consultant chez Jin Agency et « en même temps » animateur de The European Scientist qui convie désormais Laurent Alexandre comme éditorialiste. Il existe aussi des personnes sincères dont les comptes, parce qu’ils soufflent parfois dans le bon sens du vent industriel, se trouvent placés sous les projecteurs. L’effet bulle cognitive et bandwagon fait le reste : une meute finit par aboyer après les journalistes gênants. Cette meute mêle consultants, cadres de Bayer et BASF, doctorants en science, journalistes proches du milieu agri, etc.
Comme le résume la salariée d’une agence dans le livre : « La création de contenu est un hobby qui lui donne l’air authentique par sa nature non professionnelle. Cette spécificité doit être prise en compte : peu importe si votre influenceur pratiquant de sport automobile recommande vos outils dans un garage mal éclairé avec des mains grasses ou si votre utilisateur de matériel de sport est tout rouge et en sueur » [GDR, p.156]. La micro-influence sur Internet est un métier qui repose sur l’allongement des chaînes de légitimation : plus l’émetteur est loin du producteur initial du message, plus le message porte. Plus il semble animé de bonne volonté et bénévole, plus son aura est forte.
Appliquées à la science, ces méthodes sont mortifères pour la démocratie. Le science-washing est aujourd’hui mené par des gens qui semblent sincèrement attachés à la défense de la science. C’est bien là tout le problème. Le livre essaie de rendre compte des processus par lesquels les bonnes volontés sont enrôlées et mises au service d’intérêts tiers. On nous reproche une insuffisante administration de la preuve ou une incapacité à établir une liste des « bons » et des « mauvais » youtubeurs ? Établir une telle liste et l’actualiser semble un exercice impossible à l’heure où le secret des affaires empêche de citer le nom de certains sous-traitants ou modes de fabrication de l’industrie.
Seuls ou aidés par d’autres nous continuerons cependant d’essayer de décrire cet écosystème en laissant les Amis de l’AFIS, qui préfèrent ne jamais regarder ce qui se joue hors-cadre, dans l’illusion que les plates-formes commerciales qu’ils utilisent sont des mediums neutres. Un vulgarisateur « Santé » très connu sur YouTube côté face peut très bien être, côté pile, un « Talent » de l’agence Webedia (comme par exemple Michel Cymes ou Jamy de C’est pas Sorcier désormais courtisés par les annonceurs). Loin d’exprimer le mépris du vieux journalisme (ou de la vieille sociologie) pour les réseaux sociaux, notre livre propose une vision réaliste des éléments qui font l’audience sur ces plateformes. Cette cécité locale est d’autant plus étrange que l’essentiel de nos lecteurs, consommateurs de réseaux sociaux ou non, l’ont compris : ce n’est pas parce qu’on a une blouse blanche et une chaîne sceptique sur YouTube que l’on est nécessairement en train d’œuvrer pour la science ou le bien commun.
Pour conclure sur ce point, notre propos ne visait donc pas un ou des youtubeurs en particulier mais cherchait à décrire une évolution. L’époque qui s’ouvre demande une certaine vigilance sur la façon dont on reprend des arguments qui circulent sur les réseaux sociaux. S’ils sont gratuitement disponibles, c’est parfois parce que d’autres personnes, dont c’est le métier de les produire, les ont mis en circulation pour le compte de leurs clients. L’élément de langage sur la distinction entre « risque » et « danger » (qui expliquerait les divergences d’expertise sur le glyphosate) en est un exemple éclairant dans le livre. On en peut suivre la circulation depuis les documents internes de Monsanto jusqu’à des comptes Twitter bénévoles et quantité de vidéos de vulgarisation scientifique. Ces circulations d’arguments produisent des effets terribles, car les réseaux sociaux sont aussi des sources pour les journalistes plus classiques. C’est donc le fonctionnement de toute la chaîne de production de l’information scientifique qui peut s’en trouver perturbée.
*
Notre propos était donc d’examiner et décortiquer la circulation des informations, des argumentaires, des idées estampillés « pro-science », depuis les lieux de leur invention jusqu’à leurs nombreux relais dans l’espace public. L’intervention d’intérêts économiques dans ces boucles de reprises, de citations et de légitimation mutuelle ouvre, pour les sciences sociales, de nombreux terrains de recherche. Comme devrait s’ouvrir, dans le champ académique lui-même, une réflexion sur les usages de la liberté d’expression. C’est le second versant de notre enquête : est-il légitime, au nom du rationalisme et des canons du débat scientifique, de laisser tout dire dans un contexte académique, sans considération de véracité ou d’honnêteté intellectuelle ?
NDLR : Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens ont publié Les Gardiens de la raison. Enquête sur la désinformation scientifique aux éditions La Découverte en septembre 2020.
- Le titre ombrelle de ces deux articles est un hommage à Lisa Gross, « Seeding doubt : How self appointed guardians of sound science tip the scales toward », The Intercept, 2016
Enfin, puisqu’il semble s’en étonner, précisons que la mention de F. Ramus dans la galaxie des gardiens de la raison se justifie à plusieurs titres : le lien avec l’AFIS, la venue de S. Pinker, mais aussi, plus fondamentalement, la lecture toute particulière qui est la sienne de l’utilité des neurosciences. Il nous semble contestable qu’un chercheur clame dans Le Point que « la réussite scolaire est influencée par des facteurs génétiques à hauteur de 30 à 50 %, à parts égales avec les facteurs familiaux et sociaux », et dans Le Monde que « les personnes les plus défavorisées socialement sont aussi les plus désavantagées génétiquement ». Et enfin que « Les études d’intervention améliorent la trajectoire des enfants, mais la plupart des résultats suggèrent que les effets ne durent que le temps de l’intervention ». Ces déclarations ne nous semblent pas conformes avec le consensus scientifique. Elles font dire aux données des choses qu’elles ne disent pas. Les extrapolations à partir des seules études sur les jumeaux (twin studies) ou à partir d’échantillons faibles ne sont pas significatives, selon de nombreux spécialistes de ces questions. Mais surtout, elles sont le plus souvent incapables de tenir compte de façon fine du contexte de socialisation. Une position de ce type est naturaliste, et prétendre que des « personnes seraient désavantagées génétiquement » nous semble une affirmation venue d’un autre âge. Nous ne sommes pas les seuls à être choqués par ces propos. Nous ne pouvons que renvoyer à cette tribune de plusieurs chercheurs en sciences exactes dans Le Monde, où il est question de fakes news génétiques à ce propos. Les pages que nous consacrons aux neurosciences ne signifient en rien que nous serions « contre les sciences cognitives » dans leur ensemble. Elles apportent beaucoup dans la compréhension des phénomènes d’acquisition du langage et de la lecture. Simplement, il y a une différence fondamentale entre la phénoménologie de la connaissance et le naturalisme génétique. La compréhension des structures du mental n’a pas besoin d’une hypothèse zéro produite en pensée et tournée vers une nature génétique qui serait « en amont » du social ou « plus forte » que le social.
L’ensemble de l’article est une charge contre les militants écologistes et la lecture du texte maquetté dans son ensemble est toute aussi probante.
Journaliste
Journaliste
Sociologue, Maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
• AOC. 02.12.20 :
https://aoc.media/analyse/2020/12/01/faut-il-debunker-ces-pseudo-debunkers-qui-nous-debunkent-les-gardiens-autoproclames-de-la-science-1-2/
PARTIE 2 : La capture du free speech – Quand les défenseurs autoproclamés de la science flirtent avec le déni de réalité
La captation du prestige et du capital symbolique de la science dans le débat public représente un enjeu de premier ordre pour les firmes qui défendent leurs produits en s’appuyant sur des arguments « scientifiques ». Arguments qui sont souvent de simples éléments de langage, présentés comme autant de « débunking » de « fake news ». Mais s’approprier la science, pour les mouvements ultra-libéraux, c’est aussi instrumentaliser ses codes pour peser sur la vie des campus et fragmenter la gauche. Faire passer le droit de dire le faux pour une vertu académique, c’est surtout favoriser l’outrance qui élargit le champ du dicible – du négationnisme historique au climatoscepticisme – et brouille à dessein la réalité des faits établis.
La dernière partie de notre ouvrage, Les Gardiens de la raison porte sur le rôle des intellectuels au sein de ce nouveau paysage de la désinformation scientifique. Elle dépeint des universitaires et des journalistes qui se réclament de la raison et montre comment certaines personnalités référentes de la galaxie rationaliste ont évolué. Plusieurs pages sont consacrées à l’héritage de l’affaire Sokal, ce canular basé sur un faux article glissé dans la revue Social Text par un physicien facétieux en 1996. Nous rappelons que le canular et la parution du livre Impostures intellectuelles, coécrit par Alan Sokal et Jean Bricmont, ont servi de point de repère pour la galaxie de gauche rationaliste dans les années 1990. Mais nous décrivons aussi la récupération de ces débats par les milieux industriels et libertariens depuis la deuxième moitié des années 2000.
L’affaire Sokal et ses usages réactionnaires
Dans les premiers moments de sa mise en circulation, l’affaire Sokal semble conforter le camp de la gauche rationnelle face à une myriade de penseurs commodément rangés sous l’étiquette un peu fourre-tout de postmoderne. Mais au fil des années, la charge contenue dans le canular fait l’objet d’usages politiques de plus en plus réactionnaires, jusqu’au point où il devient utile à l’industrie. Parmi plusieurs exemples, nous mentionnons comment un pamphlet rationaliste pro-industrie, rédigé par un ancien consultant pour l’industrie du tabac devenu lord, donne la part belle à l’affaire Sokal [GDR, p. 189 et 242]. Nous décrivons aussi comment la récente réplique du canular (le Sokal Squared, en 2017) a pris une teinte autrement plus conservatrice [GDR, p. 243].
Or jamais Alan Sokal et Jean Bricmont n’ont pris leur distance avec ces usages et ces références à leur propre canular. Aujourd’hui, les arguments de Jean Bricmont ne visent plus seulement certains intellectuels de campus, comme dans les années 1990, mais, plus largement, le monde militant écologiste ou féministe qui aurait, selon lui, sombré dans le relativisme. Ces dernières années, ses combats pour la défense de la liberté de l’expression l’ont surtout vu voler au secours de la libre expression des climato-sceptiques et des révisionnistes.
La réponse à notre livre de Jean Bricmont publiée sur le site de Vincent Lapierre, l’ancien bras droit d’Alain Soral, ne peut que nous conforter dans notre lecture de cette évolution du paysage intellectuel. Nous concédons au physicien belge notre mauvaise interprétation d’un article de Charlie Hebdo concernant un voyage en Syrie (erreur corrigée dès la deuxième impression). Mais pour le reste, Jean Bricmont lui-même commence la plupart de ses réponses au fil de l’eau sur notre chapitre par un « beh oui ». De toute évidence ne voit-il absolument pas où se situe le problème.
Même si l’ancien président de l’AFIS semble ne pas s’en souvenir (il juge ce fait « très peu probable »), il a effectivement soumis au journal Le Monde, le 1er novembre 2013, une tribune qui défendait la prise de parole des climato-sceptiques au nom de la liberté d’expression. Il y regrettait que ceux-ci n’osent pas faire leur « coming-out » [le lien du mail ici et sa tribune là]. Cette tribune n’a pas été acceptée par le quotidien. Jean Bricmont y faisait fi de toute la littérature disponible qui montre que ces positions hostiles au constat scientifique ont été financées ou promues par l’industrie, avant d’essaimer dans la société – littérature que nous citons dans le livre.
On peut se réclamer des Lumières et feindre de regretter que la science soit entravée dans son cheminement par l’impossibilité d’exprimer toutes les positions. Mais cette position devient risible quand, en 2013, on se trouve, contre un consensus scientifique sans équivoque, à prendre la défense de climato-sceptiques (que, par ailleurs, nul n’empêche de s’exprimer). Ceux-ci étaient déjà tout simplement disqualifiés, et de longue date, par l’ensemble de la communauté scientifique compétente et par les faits. Mais silence radio du côté de l’AFIS. « Aujourd’hui encore », le site de l’association, se contente de pointer vers la réponse de son ancien président.
Mais le déni de réalité ne se limite pas à cela, et c’est nous qui sommes taxés de relativistes par Jean Bricmont. Pour les lecteurs qui n’auraient pas suivi les débats en philosophie sur l’opposition entre relativisme et objectivisme, nous donnons « un cours de philosophie express » qui n’a pas prétention, bien sûr, à compenser un cours de L1. Nous prenons l’exemple de la tribu Lakota dont certains membres considèrent qu’ils descendent du « peuple bison » alors que tout scientifique mobilisant le carbone 14 (et une variété d’autres instruments) pourrait attester le contraire. Doit-on considérer que la culture Lakota dit le vrai d’une certaine façon ?
Jean Bricmont écrit : « Bref, on commence par admettre une évidence puis on la “nuance” au moyen d’une autre évidence, sans expliquer en quoi cela rendrait la première évidence moins évidente. C’est pour le moins confus ». Jean Bricmont omet deux choses. Premièrement, cet exemple des Amérindiens Lakota n’est pas de notre fait mais est extrait de l’ouvrage du philosophe Paul Boghossian (The Fear of Knowledge), que l’on aurait du mal à qualifier de relativiste. Deuxièmement, nous donnons notre propre position à ce sujet : « Dans un souci d’honnêteté, si les auteurs de ce livre devaient se placer dans ce tableau intellectuel, ils se situeraient quelque part du côté rationaliste, en refusant l’idée que les ancêtres bisons puissent être une vérité. » [GDR, p. 277] Notre position est, nous semble-t-il, rationaliste mais d’un rationalisme qui ne se contente pas de crier après des postmodernes imaginaires en pensant que cela suffira à restaurer une autorité intellectuelle.
Concernant la liberté d’expression, nous rappelons comment Jean Bricmont s’est fait depuis plusieurs années le défenseur, au nom de la liberté d’expression, de figures négationnistes ou antisémites. Nous y voyons un attachement à éclipses à la liberté d’expression qui le conduit en retour à fermer les yeux à la fois sur d’autres atteintes à la liberté d’expression et sur les usages tactiques de l’Histoire par les groupes d’extrême-droite.
Là aussi la réponse de Jean Bricmont est très représentative de ce que nous décrivons. Il y réitère que la liberté d’expression devrait être sans limite, ce que nous qualifions dans le livre de « position maximaliste » et qui n’est pour lui « rien d’autre que celle exprimée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme […] ainsi que par la plupart des constitutions des États démocratique et qu’elle fondait la loi française de 1881 sur la presse (avant les lois Pleven de 1972 et Gayssot de 1990). » C’est pour nous un contresens : la liberté d’expression, y compris dans des régimes démocratiques, a été encadrée par des lois votées dans des Parlements. Celle de 1881 sur la presse, que Jean Bricmont mentionne, en est un bel exemple. Elle contient autant de libertés que de restrictions. Elle réglemente les lieux où l’on a le droit de coller des affiches et ouvre la possibilité de poursuites, à la fois pour l’État et pour des personnes privées, au motif d’une variété de chefs d’accusation.
La question soulevée à ce propos dans le livre porte en réalité sur un point auquel Jean Bricmont ne répond pas depuis sa position philosophique. Un débat public éclairé peut-il se limiter à un seul ingrédient – « la liberté de dire des choses fausses » – ou alors une position éclairée et démocratique n’intégrerait-elle pas aussi à un moment la possibilité que des usages tactiques de la liberté d’expression soient employés dans le but de détruire la liberté d’expression sur le long terme ?
À cette objection, Jean Bricmont répond naïvement : « Si on n’a pas la liberté de dire des choses fausses, comment arriver à savoir ce qui est vrai ? » Mais nous ne sommes plus au temps de l’Ancien Régime et Bricmont n’est pas Rousseau. La question qui se pose aujourd’hui est en réalité très souvent inverse : quand des faits ont été établis sur des bases scientifiques (et accessoirement payées par de l’argent public) et quand des acteurs politiques préfèrent dire le faux (et bénéficient pour cela de tout l’appui de forces sociales importantes), comment faire encore entendre le vrai dans une démocratie ?
Ce qui pose problème sur le thème du climat devient encore plus sordide quand la question naïve de Jean Bricmont est appliquée à la Shoah. Quand des vérités historiques aussi indiscutables que le génocide juif sont contredites par des militants politiques et, même aujourd’hui, par des historiens d’État (comme c’est le cas en Pologne), comment peut-on se cacher derrière l’idée que la liberté de dire des choses fausses permettrait de savoir ce qui est vrai ? L’accession à la vérité ne se fait pas seulement en contrastant un énoncé par un autre, mais en examinant les faits, les archives disponibles, les témoignages. Et sur ce point, le vrai est dit depuis longtemps. La position de Jean Bricmont revient à considérer que l’établissement de la vérité sur la Shoah supposerait l’existence éternelle de négationnistes pour contraster par le faux un fait historique mille fois établi. Tout comme l’astronomie n’a pas besoin de l’astrologie pour exister, la bonne Histoire n’a pas besoin des défenseurs de Robert Faurisson pour établir le vrai sur la seconde guerre mondiale.
Sur ce point précis, la réponse de Jean Bricmont, que s’empresse de relayer l’AFIS, confirme également ce que nous écrivons dans le livre : la liberté d’expression bafouée suscite une indignation à éclipse chez le physicien belge. Dans un message qu’il nous adresse en privé, Jean Bricmont se réjouit à l’idée de poursuites en diffamation qui pourraient être engagées contre nous. Mais dans le même temps, il lui semble urgent de voler au secours de liberté d’expression de Robert Faurisson, Vincent Reynouard ou d’un professeur ultra-catholique hostile au droit à l’avortement.
Concernant Soral, il affiche dans sa réponse ses récentes oppositions au militant antisémite, mais ces altercations sont récentes. Il y a peu encore, le livre de Jean Bricmont était bien en vente via la boutique du site d’Alain Soral et l’ancien président de l’AFIS accordait des interviews à sa maison d’édition. Il reste d’ailleurs toujours tout aussi urgent pour lui de défendre Dieudonné. Il écrit dans la réponse qu’il nous adresse : « Pour ce qui est de la chanson “Shoananas”, il faut savoir que c’était une réplique à la chanson “chaud cacao” d’Annie Cordy, qui véhiculait pas mal de clichés sur les Africains ». Critiquer le communautarisme quand il ne contient pas de propos antisémites et pester contre les catégories non universelles, mais se montrer soudain soucieux du sort des Afro-descendants quand Dieudonné écrit une chanson abjecte mêlant blague sur la Shoah et boycott d’Israël ? Oui, cette défense de la liberté d’expression est véritablement à éclipses.
Parallèlement à ce triste constat, on n’entend pas Jean Bricmont défendre la liberté d’expression quand les attaques portées par des régimes autoritaires affectent des universitaires russes comme Dmitry Bogatov, par exemple. Il préfère écrire pour Russia Today sans jamais mentionner les attaques aux libertés d’expression quand elles vont dans un sens qui contrarie son anti-atlantisme. Autre exemple, écrivons-nous dans notre livre : « Jamais, non plus, Jean Bricmont n’a prononcé un mot sur la finalité des groupes d’extrême droite : suspendre les libertés publiques qui rendent la liberté d’expression possible. À leur arrivée au pouvoir, la suppression des départements de philosophie est pourtant l’une des premières mesures prises, dans la Hongrie de Viktor Orban et ailleurs ». Une critique d’Orban ? Là, il devient urgent de s’offusquer dans sa réponse :
« Je ne connais aucun régime qui a supprimé tous les départements de philosophie et je doute fort que ce soit le cas en Hongrie aujourd’hui. Peut-être confondent-ils avec les études de genre ? Mais c’est alors un tout autre débat : la philosophie existe depuis la Grèce antique et est étudiée dans le monde entier, les études de genre depuis bien moins longtemps et elles sont bien moins universelles. »
On ne peut que s’étonner de son absence totale de recul par rapport au sort de ses confrères chassés du département de philosophie de Budapest quinze jours après l’arrivée d’Orban au pouvoir. Mais surtout, en quoi serait-il moins grave que les départements d’études de genre soient fermés par un État, comme c’est la tentation en Roumanie ? Comment faut-il entendre son argument ? Peut-on être à ce point comme le chat de Schrödinger dans deux états antagonistes simultanément ? « Jean Bricmont universaliste » quand il faut critiquer les lois contre le négationnisme et « Jean Bricmont culturaliste » quand il faudrait justifier l’interdiction des études de genre en Europe de l’Est au motif qu’elles seraient un trait culturel spécifique, et non un champ de production de savoirs ?
Cette confusion en cache une qui nous semble tout aussi pernicieuse. La réponse de Jean Bricmont met sans cesse sur le même plan le deplatforming (le fait pour des militants de chahuter ou d’interrompre une conférence
Sur ce point l’argument que nous portons est simple : il y a une grosse différence entre un État qui censure par la loi l’expression de positions intellectuelles et des étudiants qui contestent par le chahut des positions qu’ils estiment conservatrices ou délibérément faussées lorsqu’elles sont présentées dans un cadre universitaire. On peut être – comme c’est notre cas – hostile à toute censure d’État et toute restriction de la liberté d’expression et plus compréhensif lorsqu’il s’agit d’aborder la question de l’expression non violente d’opposition à la tenue de certains propos dans les instances universitaires.
Jean Bricmont est-il vraiment attristé par l’interruption d’une conférence de l’ancien président François Hollande par des étudiants de l’université de Lille ? Depuis quand le chahut dans les universités doit-il être pensé dans les termes du clan conservateur ? Il était autrement plus fréquent dans les années 1970 et ces oppositions bruyantes font aussi partie du cours parfois tumultueux d’un régime où l’expression est libre. C’est ce que considèrent en général les juges lorsque ces affaires parviennent au tribunal. C’est pour cela aussi que l’essentiel de la communauté universitaire est aujourd’hui choqué par les nouvelles préconisations de la LPR qui punissent d’un an d’emprisonnement toute interruption d’un colloque universitaire. C’est bien là que se situe aujourd’hui l’enjeu pour les libertés académiques, et non pas dans le chahut traditionnel d’étudiants.
En conclusion de son texte, Jean Bricmont, préférerait qu’on le qualifie de « marxiste fossilisé ». Si l’on veut bien lui concéder cette idée du fossile qui le place définitivement du côté de ceux qui défendent ces énergies, on hésitera encore un peu pour le « marxiste ». À qui fera-t-on croire que des « vrais » marxistes « des années 1960 », pour reprendre ses termes, n’ont jamais ouvert la porte d’un cours ou d’une conférence pour l’interrompre ? Si l’on appliquait à la lettre la lecture du marxisme qu’il prétend arborer, les Communards auraient dû s’abstenir de faire chuter la colonne Vendôme plutôt que de se livrer à une telle atteinte à la libre expression des positions colonialistes. Ils auraient dû s’abstenir et écouter Adolphe Thiers plutôt que de se livrer à cette affreuse cancel culture à côté de laquelle le déboulonnage actuel de quelques statues n’est rien.
Face à tant d’impasses dans le raisonnement, peut-être serait-il temps d’admettre que le vrai problème se situe ailleurs ? Peut-être, tout simplement, que la critique du postmodernisme dans sa version 1990 ne suffit pas ou plus à offrir un socle correct à une position de gauche, parce que, dans un jeu de dialectique subtil, les arguments de gauche d’hier ont été intégralement absorbés par l’industrie et le clan conservateur qui y ont vu un réservoir d’arguments sans limites pour pilonner les positions de gauche d’aujourd’hui. C’est sur cette question que porte la dernière partie du livre.
L’importation paradoxale des mots d’ordre libertarien
Aux États-Unis, les industriels libertariens se réclament ouvertement d’une pensée ultra-libérale et anti-étatiste. Ils ont fortement remodelé le paysage intellectuel et académique ces dernières années ; c’est un fait admis, notamment grâce aux travaux de l’historienne Nancy MacLean ou au travail documenté de la journaliste Jane Mayer
Parmi ces éléments de langage figurent un détournement de sens autour du concept de liberté d’expression. Celui-ci a été totalement dévoyé par les climato-sceptiques, et mis au service d’une stratégie de distorsion du débat public. Comme le décrit Nancy MacLean, les libertariens ont plus largement aspiré tout le discours libéral classique et ont promu une définition réactionnaire de la liberté d’expression afin de remettre en scène des oppositions qui n’avaient plus lieu d’être dans le monde académique. Cette tactique dite de la fenêtre d’Overton (du nom d’un lobbyiste du Mackinac Center) consiste à ouvrir sans cesse le champ du débat à des positions extrêmes ou fausses afin « de feindre de s’y opposer en libéral
Cette tactique implique aussi de donner le plus d’espace médiatique possible à des positions qui, venues de la gauche, critiqueraient, au nom du libéralisme politique, les positions antiracistes actuelles pour leurs soi-disant excès. C’est dans ce cadre qu’un media comme Spiked, ouvertement libertarien et financé par l’industrie, a pu encenser Jean Bricmont ou inviter l’intellectuel Mark Lilla à présenter son livre qui peste contre « la gauche identitaire » (Lilla est un penseur qui se classerait lui-même plutôt de gauche démocrate). Nous n’avons jamais écrit que Mark Lilla lui-même était libertarien, mais qu’il était la version « essayiste » d’autres positions de gauche dont les milieux libertariens sont friands et qui leur permettent de présenter la gauche comme « incapable de débattre ».
Nous constatons aussi l’accueil chaleureux dont certaines vieilles gloires de la gauche académique peuvent bénéficier de la part des ultra-libéraux, dès lors qu’ils semblent taper sur certains mouvements sociaux actuels. Mouvements qu’ils perçoivent en décalage avec leurs idées pour des raisons bien souvent générationnelles, issues de socialisations au militantisme décalées dans le temps et qui ont du mal à communiquer entre elles.
Cela n’empêche pas un membre particulièrement véhément de l’AFIS de nous reprocher de « voir un dangereux libertarien dans toute personne un tant soit peu soucieuse de liberté d’expression, un peu comme d’autres voient un Khmer Rouge dans toute personne un minimum sensible à la notion d’égalité sociale. […] j’ai lu le livre du Mark Lilla en question : La gauche identitaire, l’Amérique en miettes, et c’est celui d’un Démocrate bon teint qui est (à juste titre) épouvanté par le fanatisme des Social Justice Warriors et autres intersectionnalistes sur les campus américains. […] J’ai été assez déçu par le livre (platement électoraliste et désespérément “institutionnaliste”), mais ça n’avait vraiment rien à voir avec un quelconque pamphlet libertarien !
Ranger la quasi-totalité du courant antiraciste actuel sous l’étiquette commode d’« intersectionnels » ou de « postcoloniaux » est un outil de fracturation de la gauche. Exploiter et renforcer des désaccords internes qui ont toujours existé, voilà ce que les libertariens souhaitent réussir aux États-Unis. La gauche aurait tout intérêt à développer un discours réflexif sur ces chausse-trappes confectionnées par les milieux ultra-libéraux, et revenir à ses fondamentaux. Cette opposition entre des combats spécifiques et des combats énoncés dans des termes généraux n’a souvent aucun sens sociologique. Comme nous le rappelons dans le livre, le militantisme à gauche concerne en vérité peu de personnes, et ce sont bien souvent les mêmes qui militent dans des groupes féministes, des syndicats et des partis politiques. Il n’y a pas d’opposition sur le plan concret entre des engagements dits sectoriels ou partisans.
Pour l’un des membres du conseil d’administration de l’AFIS se disant de « gauche » et « souverainiste », nous serions emblématiques de ce « courant postmoderne qui veut acquérir l’hégémonie à gauche en convertissant celle-ci – à coups d’intimidation et d’excommunication – à l’écologie politique, au rejet de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale, à la politique de l’identité, à la limitation de la liberté d’expression et du débat. » Quels éléments sont-ils de gauche dans ce type de sortie ? La critique de l’écologie politique ? La reprise du terme néo-conservateur de « politique de l’identité » (identity politics) ? En quoi notre livre limite-t-il la liberté d’expression de quiconque
Au passage, il est assez risible d’être qualifiés de postmodernes alors que l’un d’entre nous a écrit son lot de textes contre le caractère éthéré et peu empirique de certains travaux, voire contre l’opportunisme économique de certains chefs d’entreprise qui se réclament du postcolonial. Mais c’est une chose d’exiger plus d’administration de la preuve de la part des militants décoloniaux qui entrent dans le champ académique en renouvelant des questionnements. Et cela en est une autre que de fermer les yeux devant la réalité de certaines continuités administratives issues de l’Empire colonial quand la preuve est brillamment apportée pour tel ou tel corps administratif.
Notre livre dénonce ce type de brouillage du débat intellectuel à renforts de mots d’ordre venus de la droite ultra-libérale. Voudrait-on nous faire croire que la France n’a jamais colonisé aucun territoire ? Voudrait-on nous faire croire que la colonisation n’aurait aucune conséquence sociale ou historique aujourd’hui ? Peut-être est-il temps, pour une frange de la gauche, d’arrêter de ricaner devant des canulars qui s’en prennent systématiquement, au nom de la raison, aux sciences sociales, aux études de genre ou aux campus de littérature ? Peut-être est-il temps de se demander de quoi se moque-t-on exactement. Et surtout : avec qui ?
*
Au terme de cette réponse en deux épisodes, on serait tenté de proposer à tout le monde d’acheter et de lire des livres plutôt que de s’écharper sur Twitter, mais ce serait peut-être un peu court. Les Gardiens de la raison n’est pas ce livre rempli d’insultes que certains blogs dépeignent. Il ne traite personne de nazi et n’assimile personne à Goebbels ou Lyssenko, contrairement à ce qu’on a pu lire ces dernières semaines à notre encontre. En revanche, il tente de documenter des évolutions contemporaines qui nous semblent fondamentales, notamment pour comprendre la crise sanitaire actuelle, en 368 pages et plus de 800 notes de références.
Depuis quelques semaines, nous ne pouvons que saluer le travail d’information réalisé par l’AFIS sur le Covid. Mais au début de la crise, la critique du principe de précaution a fait perdre du temps dans le déclenchement d’une prise en charge publique. Certains de nos « gardiens de la raison » ont participé à ce grand brouillage. En mars 2020, à la veille du premier confinement, le sociologue Gérald Bronner était ainsi interrogé par Eugénie Bastié dans Le Figaro. Il y estimait que « surestimer le risque du coronavirus est un réflexe […]. Il faut aussi tenir compte des coûts invisibles de la précaution. Il y a l’impact économique, naturellement, mais aussi des dommages collatéraux en matière de santé publique : en Chine des patients sont morts faute de soins car l’attention était focalisée uniquement sur le coronavirus
Ces sorties « refusant qu’on mette des villes sous cloche » pouvaient aussi se voir retweetées par plusieurs des acteurs se réclamant de la raison que nous mentionnons dans le livre
« Réenchanter, car il y a des raisons d’espérer et fort nombreuses. Si l’on se replace dans la perspective d’un exode, ces raisons sont même de plus en plus nombreuses. Ce sont par exemple l’existence, avérée à présent, d’exoplanètes, de mondes telluriques qui pourraient un jour nous accueillir, aptes à la biochimie, et présents dans notre galaxie […] L’hypothèse de cet exode nous ramène aussi à une réalité essentielle de notre espèce. En quittant la Terre, il deviendrait évident que nous sommes humains avant d’être terriens. C’est là un rappel essentiel car l’idéologie précautionniste, en nous proposant un rapport empreint de sentimentalité à la planète qui a vu notre naissance, a tendance à rendre indissociable notre destin du sien. Cette confusion crée un amalgame entre notre identité de terrien et d’humain. Elle nous contraint à penser que le problème fondamental est de ne surtout pas risquer de détruire l’espace qui nous permet de vivre. Être hypnotisé par cette possibilité, c’est, sous prétexte de précautions inconséquentes, renoncer à coup sûr à préserver l’héritage humain. En évitant l’indésirable, on s’abandonne au pire. Il me paraît donc important de l’affirmer : nous sommes humains avant d’être terriens
On peut s’amuser à citer les sorties de route de sociologues à la retraite, mais « la fureur idéologique » peut manifestement prendre plusieurs formes. Et en attendant que les gardiens de la raison affrètent leur vaisseau spatial pour quitter la planète détruite par leur aversion pour la précaution, on nous permettra encore et toujours de continuer à douter.
NDLR : Cet article est le second volet d’une « postface numérique » des auteurs à leur livre Les Gardiens de la raison. Enquête sur la désinformation scientifique publié aux éditions La Découverte en septembre 2020. Le premier volet est disponible ici.
Yann Kindo se demande aussi pourquoi on ne le cite pas. Son hypothèse : son appartenance à un parti trotskyste ne collerait pas avec notre mise en récit. Ironiquement, il écrit vivre son absence du livre comme « un putain d’ostracisme que [s]on ego vit comme une véritable humiliation. Je me demande pourquoi ces auteurs qui veulent dénoncer un réseau libertarien tout droit sorti de leur imagination ne citent jamais mon cas, entre autres trotskystes membres de l’AFIS ». Puisque certaines de ses présentations sur le glyphosate reprennent les arguments que nous décortiquons dans le livre, il aurait très bien pu s’y trouver. Le fait qu’il soit trotskiste n’a évidemment rien à voir avec sa non-mention. D’abord, on ne peut pas citer tout le monde. Ensuite, nous citons des acteurs engagés à gauche qui, comme lui, reprennent des arguments trompeurs venus de l’industrie. Rien d’étonnant au vu de l’histoire du mouvement rationaliste. Mieux encore, nous n’ignorons pas les productions écrites de Yann Kindo. Dans son précédent ouvrage, Militer pour la science, Sylvain Laurens citait sa belle note sur la vie de Marcel Prenant pour le compte du Maitron. On peut aussi apprécier ce qu’il a écrit sur l’affaire Lyssenko. Le désaccord se situe sur le rôle politique qu’a joué l’AFIS ces dernières années, et aucunement sur l’appartenance politique particulière d’un membre de l’association. On peut être libertarien, on peut être trotskyste, mais on n’est pas les deux simultanément.
Les Gardiens de la raison ne parle pas d’un réseau libertarien qui aurait pris possession de l’AFIS. Il signale l’existence de groupes libertariens qui, au Royaume-Uni et aux États-Unis, s’affichent clairement comme tel. Il se trouve que les libertariens de l’ex-revue Living Marxism au Royaume-Uni sont d’anciens trotskistes. Mais cela peine d’ailleurs certains militants trotskistes britanniques qui ont été attristés par cette évolution. Nous signalons aussi l’existence d’une antenne française des réseaux libertariens américains. Appelée Students For Liberty, elle aime inviter Peggy Sastre et travaille main dans la main avec Génération Libre, think tank dont Gérald Bronner a été membre du conseil scientifique. Mais nous ne disons pas pour autant que l’AFIS ou même Gérald Bronner seraient des militants libertariens revendiqués. Nous signalons juste la complaisance de l’AFIS à l’égard de cette galaxie ultra-libérale. En témoignent l’invitation de l’une de ces organisations britanniques, Sense about Science, comme « association internationale amie » aux 50 ans de l’AFIS, le coup de projecteur que l’AFIS a donné à la branche jeunesse de Sense About Science dans sa revue, etc. Mais nous n’avons jamais écrit que les trotskistes anglais devenus libertariens se définissaient toujours comme trotskistes ou marxistes. Et même, au contraire : nous citons par exemple leur leader Frank Furedi, qui écrit qu’il ne peut être « considéré comme marxiste [car] il se considère lui‑même [désormais] comme un humaniste libertarien » [GDR, p. 184]. Peut-être cette incompréhension est-elle liée au fait que Yann Kindo n’a, de son propre aveu, que « survol[é] » le chapitre consacré aux libertariens. Il réagit comme si nous cherchions à souiller l’engagement trotskiste. Pourtant, un certain nombre de militants de cette mouvance nous ont aidés à éclaircir ces phénomènes en tant que sources. Sylvain Laurens a déjà pu décrire comment la trajectoire de Michel Rouzé, le fondateur de l’AFIS, croise le trotskysme pour des raisons personnelles, notamment à partir du moment où il devient visiteur commercial pour les pharmacies (et alors que Robert Barcia, un des fondateurs de Lutte Ouvrière, est président de l’association des visiteurs pharmaceutiques). L’entièreté de cette rencontre est décrite dans Militer pour la science et les archives personnelles de Michel Rouzé ont été déposées par Sylvain Laurens aux archives de La Contemporaine à Nanterre. Yann Kindo pourra aussi lire dans cet ouvrage que le rapport de Michel Rouzé au DDT est plus complexe et plus fluctuant que ce qu’il en dit [p. 180-181]. La citation de 1969 qu’il livre est tronquée et le fondateur de l’AFIS s’offusque de trouver du DDT dans des produits anti-poux en 1984.
Yann Kindo fait aussi preuve d’une mauvaise compréhension de l’histoire de l’industrie du tabac et ne saisit pas les paradoxes de la position de Maurice Tubiana – qu’il semble découvrir. Comme pour le changement climatique, il est facile de dire aujourd’hui que le tabac donne le cancer et un acteur rationaliste comme Tubiana le disait dès les années 1970 en France. Mais la question est de savoir comment l’industrie du tabac a depuis longtemps délaissé la seule défense de son produit (devenu indéfendable sur le plan sanitaire) pour promouvoir tous azimuts une autre approche : financer des recherches sur tout ce qui peut donner le cancer, ainsi qu’une pseudo-éducation à la bonne science. C’est ce type de basculement qui explique l’intérêt de l’industrie du tabac pour des scientifiques sérieux qui travaillent sur bien d’autres domaines en cancérologie. Et c’est aussi ce qui explique les circulations de certains consultants, à l’instar de cette directrice des affaires publiques et de la communication du lobby des pesticides qui anime la réunion du Syrpa sur le glyphosate à l’ouverture du livre, et qui travaille aujourd’hui chez Philip Morris. On peut changer de produits à défendre mais l’argument de l’éducation à la bonne science demeure recyclable pour le produit d’à côté. C’est ce que nous décrivons aussi longuement à partir de l’exemple d’Henry Miller dont les arguments ont servi aux industriels du tabac, aux climato-sceptiques et aux défenseurs des biotechnologies (chapitre 2).
Enfin, on s’étonnera de certaines sorties dès qu’il est question de sociologie. Le billet du membre de l’AFIS renvoie à un blog délirant où Sylvain Laurens est attaqué pour avoir fait de l’observation dans un club de sport situé à quelques centaines de mètres du quartier européen, dans un quartier chic de Bruxelles. On lui reproche d’y avoir faussement vu la grande bourgeoisie. Au moment de l’enquête, plus d’un tiers des membres du club en question et quasiment la moitié de ses adhérents gagnaient entre 5 000 et 12 000 euros par mois (et on y croise accessoirement deux eurodéputés). Son salon n’est pas tout à fait celui du club de fitness de quartier. Continuant son incursion du côté de la sociologie et volant au secours de Gérald Bronner, Yann Kindo finit par tronquer nos phrases, en détourne le sens. Il se retrouve à deux doigts de nous accuser de minimiser le terrorisme. Il écrit : « Et surtout, si les procureurs aveugles qui ont écrit l’enquête n’ont pas vu la cohérence des centres d’intérêts de Bronner que sont (selon leurs propres mots) “la radicalisation islamiste”, “la socialisation juvénile”, “le complotisme” et “la fréquentation des réseaux sociaux”, le coup de folie sanguinaire du jeune islamiste radicalisé qui a assassiné Samuel Paty le 17 octobre dernier devrait peut-être les éclairer un peu, s’il est encore possible de le faire. » Notre phrase originale ne portait pas sur le terrorisme. Pour évoquer les fréquents changements de sujets du sociologue, nous écrivons : « Aussi, la plupart des chercheurs sont spécialisés. Ils ne travaillent pas à la fois, comme le fait Gérald Bronner, sur la radicalisation islamiste, les neurosciences, la socialisation juvénile, le complotisme, la fréquentation des réseaux sociaux, le principe de précaution, la peur des antennes relais et le gluten. Chacune de ces controverses ou spécialités relève désormais de corpus bibliographiques immenses ». Il est inacceptable de soustraire à notre phrase les antennes relais ou le gluten pour en détourner le sens et instrumentaliser la mort de Samuel Paty. Il est tout aussi inacceptable de jeter le doute sur ce que nous aurions fait durant le confinement en nous reprochant d’avoir passé du temps à écrire notre livre au lieu de critiquer les promoteurs de l’hydroxychloroquine. Non, l’AFIS n’était pas la seule à faire son travail et à produire de l’information claire sur Didier Raoult ou les effets de la crise sanitaire. Et nous n’avons jamais non plus défendu les prises de position de Laurent Mucchielli qui sont à l’encontre de ce que dit le consensus scientifique.
Soit, Laurent Dauré n’a rejoint le CA de l’AFIS qu’en juin 2018. Mais il était proche de l’AFIS auparavant, comme il l’explique lui-même. Hormis donc une erreur de date de six mois dans un CV militant (nous aurions dû indiquer « ancien » membre de l’UPR au moment où il est entré au CA de l’AFIS, association dont il était déjà proche), nous sommes tous raccord sur les faits. Pourquoi avons-nous mentionné son appartenance politique alors qu’il est l’intervieweur de Jean Bricmont et d’Alan Sokal ? D’abord, nous n’avons jamais écrit qu’il était lui-même d’extrême droite. Pour autant, il ne nous semble pas complètement anodin que l’anniversaire du canular Sokal soit ainsi célébré et assuré par un militant dont le parcours politique est plutôt marqué par la défense du souverainisme au-dessus du clivage droite-gauche, et issu d’un groupuscule cherchant à faire alliance avec le Front National. Aussi, nous sommes parfaitement en mesure d’intégrer que la position politique qui était la sienne il y a quelques années n’est peut-être plus la même aujourd’hui. Enfin dans son texte, Laurent Dauré reproche longuement à l’un de nous d’avoir œuvré pour que deux de ses livres ne soient pas édités. Mais peut-être que ses engagements politiques sont déroutants et qu’ils ont tout simplement fait douter des maisons d’édition « plus à gauche que La Découverte », les amenant à renoncer collectivement à le publier car elles ne voulaient pas mêler la critique de l’oligarchie à la sauce Asselineau avec celle d’une critique marxiste ? Nous ne comprenons pas vraiment non plus l’accusation d’agoraphobie qui ferait de nous des personnes refusant de discuter. Laurent Dauré figurait, en tant que membre du CA de l’AFIS, parmi la quarantaine de personnes réunies récemment pour une présentation du séminaire « Politique des sciences » à l’EHESS. Il aurait eu là tout le loisir d’engager le débat avec Sylvain Laurens.
Journaliste
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Sociologue, Maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
• AOC. 03.12.20 :
https://aoc.media/analyse/2020/12/02/la-capture-du-free-speech-quand-les-defenseurs-autoproclames-de-la-science-flirtent-avec-le-deni-de-realite-2-2/