“CETTE COMMUNICATION EST CONÇUE ET DIFFUSÉE PAR UN MEDIA ÉTRANGER REMPLISSANT LA FONCTION D’AGENT ÉTRANGER ET/OU PAR UNE PERSONNE JURIDIQUE REMPLISSANT LA FONCTION D’AGENT ÉTRANGER.”
“C’est de ce paragraphe que l’Agence fédérale de surveillance des communications m’oblige à faire précéder toutes mes publications. Même la taille des caractères d’imprimerie, pour que vous compreniez bien, est définie par l’arrêté du Roskomnadzor !” écrit Lev Ponomarev le 5 janvier, en préambule à sa tribune publiée sur le site de la radio indépendante Echo de Moscou et reprise par le journal d’opposition Novaïa Gazeta.
La loi sur la régulation des activités des agents étrangers, adoptée le 23 décembre par les deux chambres russes, signée dès le 30 décembre par Vladimir Poutine et entrée immédiatement en vigueur, oblige désormais les personnes physiques – et plus seulement les associations – qui perçoivent des fonds en provenance de l’étranger pour mener des activités considérées comme politiques à se déclarer comme “agents étrangers”. Quatre autres personnes côtoient pour l’instant Lev Ponomarev parmi les premiers inscrits sur cette liste infamante.
Amendes et poursuites judiciaires en perspective
Comme le détaille l’agence TASS, ces personnes devront rendre régulièrement compte au ministère de la Justice de leurs activités en présentant leurs relevés de dépenses et d’utilisation des moyens et équipements mis à leur disposition par des sources étrangères. Elles ne pourront pas être employées au sein des administrations nationale et municipale. Sont considérées comme “activités politiques” l’organisation de débats publics et de meetings visant à obtenir un certain résultat lors de référendums ou d’élections, la diffusion d’opinions sur la politique de l’État, la participation à l’observation lors d’élections, et l’activisme dans un parti si ce dernier répond aux intérêts de sources étrangères.
Lev Ponomarev explique dans son texte que les modalités de conformité avec la loi sont si confuses que cela augure de grandes difficultés dans le travail de ces personnes, d’énormes amendes et des poursuites judiciaires contre les défenseurs des droits de l’homme mais aussi contre les journalistes et les militants.
Lev Ponomarev, 79 ans, membre du Groupe Helsinki de Moscou depuis 1996, a dirigé le mouvement Pour les droits de l’homme de 1997 à 2019, jusqu’à sa liquidation après son inscription forcée au registre des “organisations non commerciales remplissant les fonctions d’agent étranger”. Le 1er décembre 2019, il refonde l’association Pour les droits de l’homme, sans statut juridique.
Une “offense personnelle”
Dans sa tribune, Lev Ponomarev rappelle ses valeurs :
“Je suis un défenseur des droits humains et l’essence de mon travail est de défendre les droits de tout citoyen russe s’ils sont de quelque manière bafoués par l’État. Il ne consiste pas à implanter des valeurs étrangères à l’homme russe ni à agir dans l’intérêt des ennemis de la Russie, ce dont on nous accuse en nous affublant de l’étiquette d’agent étranger.”
Il poursuit : “Au contraire, les défenseurs des droits humains sont l’émanation des intérêts de leurs concitoyens et se fondent sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, soutenue y compris par la Russie.”
“Tel est mon travail aujourd’hui, et tel il a été au cours des trente dernières années. Telle est ma vocation, si vous voulez. Je n’ai jamais travaillé pour le compte de gouvernements ou d’organismes étrangers, n’ai jamais promu d’intérêts contraires aux besoins du peuple russe. Je n’ai jamais été un ‘agent étranger’ au sens courant ou même juridique, et je prends cette qualification comme une offense personnelle. Mon objectif, c’est une Russie civilisée et démocratique, florissante, sûre et confortable pour la vie et la réalisation personnelle de chaque citoyen du pays. Ceux qui considèrent que ce but est inaccessible à la population russe sont justement des russophobes et des agents de l’étranger qui ne souhaitent ni bonheur ni réussite à leur pays. À bon entendeur !”
Les aides du gouvernement font défaut
Lev Ponomarev rappelle que le sort des associations de défense des droits de l’homme en Russie n’a pas toujours été aussi funeste, lui-même ayant bénéficié de bourses présidentielles pour deux de ses associations dans les années 1990. Mais aujourd’hui aucune des organisations les plus actives ne peut compter sur les aides gouvernementales ni même sur le soutien des grandes entreprises, “soumises au régime”, explique-t-il. C’est pourquoi elles ont dû se tourner vers les financements étrangers.
À défaut de ces derniers et acculé par la loi, Lev Ponomarev lance un appel à soutien financier à ses compatriotes. Il conclut :
“Les défenseurs des droits humains ne sont d’aucune utilité pour le pouvoir. Reste à savoir si nous le sommes pour les citoyens.”
Laurence Habay
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