Photo. La tribune des universitaires vise à faire prendre conscience de l’impact du changement climatique dans le département et de la nécessité d’engager des actions pour s’adapter. Nicolas Parent
Nous sortons tout juste d’une année 2023 qui est la plus chaude jamais enregistrée sur le globe. Chez nous, ces augmentations de température accompagnent de fortes perturbations du cycle de l’eau. Les sécheresses sont telles que l’on peut comparer le stress hydrique que nous vivons depuis plusieurs années avec les situations semi-arides qui touchent l’Espagne ou le Portugal.
Plus globalement, notre département est spectaculairement l’objet d’une multitude de phénomènes climatiques de plus en plus intenses, les canicules et les sécheresses, mais aussi les incendies, le recul du trait de côte et la montée du niveau de la mer, la diminution de l’enneigement, etc. À ceci s’ajoute l’érosion de la biodiversité qui est ici en lien avec l’artificialisation des sols, les pollutions, les effets du changement climatique sur les animaux et les végétaux, sans oublier l’émergence de nouvelles espèces invasives.
Le coût de l’inaction sera plus élevé que celui de l’action
Qu’on le veuille ou non, il est désormais sans équivoque que ce réchauffement planétaire est dû à l’influence humaine (usages des énergies fossiles et usages des sols principalement). Et si l’on veut donc prendre le chemin d’une véritable transition il faut, dans le même temps, atténuer nos émissions de gaz à effet de serre pour viser la neutralité carbone en 2050 (contrainte non négociable pour limiter le changement climatique et ses effets à moins de 2°), tout en nous adaptant aux effets des phénomènes climatiques déjà en cours. L’équation est difficile, mais il est indispensable de tenter de la résoudre car le coût de l’inaction sera plus élevé que celui de l’action. Autrement dit, chaque choix politique qui se fait aujourd’hui porte le poids toujours plus lourd des conditions de vie des années à venir.
Une inquiétante occultation des enjeux
Alors que les décisions politiques et économiques devraient systématiquement tenter d’anticiper ces changements globaux sur la base de constats scientifiques, il semble qu’a contrario nombre de projets continuent de se développer dans une inquiétante occultation de ces enjeux. On observe encore des investissements publics ou privés pensés dans et par l’ancien monde. Or, ils engendreront des effets délétères et obéreront les chances de développement à venir. Ceci est particulièrement le cas dans notre département en matière d’artificialisation des terres prenant la forme d’incessantes additions de nouveaux lotissements et de nouvelles zones pavillonnaires. Confrontées à l’application du Zéro Artificialisation Nette, certaines communes se lancent dans une fuite en avant de projets ayant pour unique objectif d’accaparer les derniers espaces et terres artificialisables ; il s’agit d’une course chaotique ayant comme logique « premier arrivé, premier servi », dans laquelle se mêlent intérêts politiques court-termistes et intérêts privés d’aménageurs et de promoteurs.
Le projet de golf de La Raho est emblématique d’une vision dépassée
Parmi les décisions symptomatiques de projets hors-sol, on trouve celui du golf de Villeneuve-de-la-Raho. Celui-ci est emblématique d’une vision dépassée, symbolique d’une manière d’agir et de décider d’un autre temps. Anachronique, ce projet de golf l’est en pratiquement tous ses aspects.
La situation de 2023 montre un état de crise sur les ressources en eau donnant lieu à des restrictions préfectorales d’usage de l’eau généralisées dans tous les secteurs de la plaine du Roussillon. Le lac de Villeneuve-de-la-Raho étant au tiers de sa capacité, aucun prélèvement pour l’arrosage d’un golf n’est envisageable et surtout souhaitable. Quant à la réutilisation de l’eau de la station d’épuration, les capacités vont diminuer, les mêmes restrictions d’usage s’appliquant à l’eau potable. En outre, la situation actuelle de stress hydrique ne doit pas être considérée comme exceptionnelle par rapport aux années passées mais bien comme la norme (basse) des années à venir.
Vers des conflits d’usage de l’eau
Au niveau économique, on pourra raisonnablement relever le fait qu’il existe d’autres golfs dans les communes voisines telles Montescot ou Saint-Cyprien ; il apparaît alors qu’il s’agit moins de répondre à une demande d’une pratique sportive que de la jumeler avec un projet urbanistique haut de gamme. Les conflits d’usages de l’eau avec d’autres activités socio-économiques pourraient avoir des impacts économiques. On peut bien sûr penser à des activités qui seront en tension sur les mêmes périodes d’arrosage comme l’agriculture - maraîchage, arboriculture... - (qui elle aussi envisage l’utilisation des eaux retraitées), mais également le tourisme ou bien encore la production énergétique de nos barrages.
En ce qui concerne les impacts négatifs du projet sur la biodiversité, si un golf comprend du gazon, il s’ensuit invariablement le remplacement d’une multitude d’espèces par un ensemble beaucoup plus homogène. Ceci entraîne la suppression de l’habitat et de la ressource alimentaire de nombreuses espèces, notamment les pollinisateurs dont le niveau a déjà dramatiquement chuté ces dernières années alors qu’ils sont des acteurs clefs de la reproduction des plantes, y compris celles dont nous dépendons pour nous nourrir. Au-delà, les golfs sont bien souvent utilisateurs de pesticides afin de travailler l’esthétique des greens alors qu’ils constituent une des causes majeures d’érosion du vivant, qu’ils contaminent l’ensemble des écosystèmes par l’intermédiaire du cycle de l’eau et qu’il existe un lien entre l’exposition aux pesticides et diverses pathologies.
Chantage à l’emploi
Enfin, s’agissant du potentiel de développement territorial de ce type de projet autour de ce que nous pourrions appeler un « chantage à l’emploi », on pourra noter malheureusement qu’il s’agit d’un argument assez classique utilisé par nombre de nos décideurs locaux pour bloquer toutes réflexions, discussions et même propositions alternatives. Pourtant, avec désormais du recul sur de nombreux projets passés, on peut s’interroger sur l’utilisation rhétorique de cet argument comparé à celui, beaucoup moins entendu, des emplois détruits ou disparus (en lien avec les situations d’autoconcurrence, l’automatisation, le développement de l’IA, etc.). On peut aussi s’interroger sur les coûts directs (finances publiques) et indirects (sur les ressources, sur le climat, sur les autres usages, toutes sortes d’externalités négatives) venant accompagner ces « créations ». Il faut enfin mettre en balance ces « nouveaux » emplois avec ceux qui pourraient être créés à partir d’un autre usage des ressources, dans un contexte de contraintes sur les ressources et de limites géophysiques.
Plutôt que de reconduire des solutions usées, aux coûts exorbitants pour des résultats toujours aussi insuffisants, peut-être faudrait-il faire preuve d’imagination et d’audace en inscrivant les décisions d’investissements dans un objectif clairement défini qui permette d’atténuer le réchauffement et de s’y adapter. Les pistes de création d’emplois dans le cadre d’une redirection socioenvironnementale du territoire sont très largement supérieures à celles qui viennent conforter quelques vieilles rentes socio-économiques locales (rente du foncier, de l’eau, du soleil et de la neige).
Un manque d’anticipation
Au final donc, si la politique peut être reliée à des considérations de gestion du symbolique, nul doute que l’acceptation de la création d’un golf sur un territoire parmi les plus vulnérables de France aurait un effet jurisprudentiel nuisible sur la gestion des biens publics. Comment demander des efforts toujours croissants aux citoyens et aux autres usagers de ces mêmes ressources en autorisant en parallèle un projet qui ne concernera que quelques personnes privilégiées ? (...)
Comme on peut le voir avec cet exemple, le manque d’anticipation des changements globaux à venir devient un problème majeur dans la décision politique et les décisions collectives. Les connaissances scientifiques locales, notamment, devraient être mobilisées pour accompagner des dispositifs en positionnant les enjeux climatiques et la transition au plus haut niveau de priorité. C’est donc avec responsabilité et cohérence que les choix doivent désormais être faits en lien avec des objectifs de solidarité, de coopération et de partage territoriaux. Loin d’un immobilisme, c’est à partir de ces connaissances que pourront être avancés des projets audacieux, autour de la nécessité de penser l’aménagement du territoire des P.-O. selon un nouveau paradigme, celui de la sobriété : sobriété dans l’usage de l’eau, sobriété foncière, sobriété énergétique, etc.
Une invite à l’action lucide et positive
Loin d’un défaitisme ou d’un fatalisme, cette tribune est une invite à l’action lucide et positive. Nous vivons sur un territoire qui, par sa situation spécifique, pourrait être un terrain d’expérimentations visant une redéfinition du vivre-ensemble. Ce changement appelle à une mobilisation collective (élu-es, associatifs, entreprises, sociétés civiles) que nous, universitaires, avons pour ambition et volonté de rejoindre. Il convient de mettre en œuvre toute notre énergie et toutes nos ressources afin d’assurer que le territoire auquel nous tenons et que nous contribuons à faire vivre demeure désirable et habitable.
La liste des signataires
Dominique Aubert (maître de conférences en sciences de la Terre et environnement)
Joris Bertrand (maître de conférences en écologie & ; biologie de l’évolution)
Marie Chartier (maîtresse de conférences en sociologie)
Benjamin Dubertrand (maître de conférences en anthropologie)
David Giband (professeur, urbanisme et aménagement du territoire)
Henri Got (professeur honoraire des universités)
Guillaume Lacquement (professeur de géographie)
Wolfgang Ludwig (professeur en sciences de la Terre et environnement)
Nicolas Marty (professeur, histoire contemporaine)
Jean-Marc Moulin (professeur, droit privé)
Éric Rémy (professeur en sciences de gestion)
Justine Renard (professeure agrégée, écologie et sciences de la Terre)
Sylvain Rode (maître de conférences en aménagement et urbanisme)
Bernard Schéou (maître de conférences en économie du tourisme)
Vincent Vles (professeur émérite des universités, UMR 5044 UT2J-CNRS)
Amélie Adde (maître de conférences en études hispaniques et ibéro-américaines)
Elsa Amilhat (ingénieure de recherche en biologie)
Lise Barthelmebs (professeur en microbiologie de l’environnement)
Ronaldo de Carvalho Augusto (chaire professeur junior en biologie)
Maria-Angela Bassetti (professeure en géosciences marines)
Benjamin Benoit (maître de conférences en sciences de gestion et du management)
Serge Berné (professeur émérite, géosciences marines)
Cédric Bertrand (professeur en chimie)
Carole Blanchard (professeur en chimie)
Isabelle Bonnard (maître de conférences en chimie)
Laurent Botti (maître de conférences HDR en sciences de gestion et du management)
Félix Boudry (doctorant en sciences du sport)
Marie-Christine Carpentier (ingénieur d’étude en bio-informatique)
Raphaël Certain (maître de conférences en sciences de la Terre et environnement)
Cécilia Claeys (professeure en sociologie de l’environnement)
Sylvie Clarimont (professeur des Universités, UMR TREE UPPA)
Julie Clément (chargée de recherche CNRS Biologie)
Thierry Courp (maître de conférences en géosciences et environnements aquatiques)
Marie Da Fonseca (maîtresse de conférences en sciences de gestion, chercheuse à MRM)
Arnaud Dannfald (docteur en Biologie moléculaire)
Michel Delseny (directeur de recherche émérite honoraire CNRS, membre de l’Académie des sciences)
Jean-Marc Deragon (professeur biologie moléculaire, membre de l’IUF)
Lucia Di Iorio (chaire professeure junior en sciences de la mer)
Jocelyn Dupont (maître de conférences en études anglophones)
Fabienne Durand (professeur d’université en sciences du sport)
Moaine El Baidouri (chercheur CNRS Biologie)
Samira El Yacoubi (professeur en modélisation des systèmes complexes)
Cédric Falco (ingénieur chimiste)
Élisabeth Faliex (maître de conférences en Biologie)
Gad Fuks (maître de conférences en chimie)
Dimitri Garncarzyk (maître de conférences, littératures comparées)
Anais Gibert (chercheuse en Biologie)
Thierry Gobert (maître de conférences en sciences de l’information et de la communication)
Hélène Guillaume (maîtresse de conférences, littérature anglophone)
Manuel Henry (assistant ingénieur géochimie)
Nicolas Inguimbert (professeur, directeur école doctorale énergie et environnement)
Romain Jatiault (maître de conférences en sciences de la Terre et de l’environnement)
Édouard Jobet (assistant ingénieur en biologie)
José Jourdane (directeur de recherche honoraire au CNRS)
Philippe Kerhervé (maître de conférences en sciences de la Terre et environnement)
Tom Laffleur (ingénieur d’études)
Raphaël Lagarde (maître de conférences en biologie des organismes et des populations)
Thierry Lagrange (directeur de recherche au CNRS)
Antoine Lamy (doctorant, océanologie)
Anne-Sophie Lartigot-Campin (ingénieur d’étude, docteur en préhistoire et paléoenvironnement)
Éric Lasserre (maître de conférences en biologie)
Nicolas Lebourg (chercheur en sciences sociales)
Anne-Sophie Le Gal (ingénieure halieutique, docteure en écologie)
Lies Loncke (professeure en sciences de la Terre et de l’environnement)
Maud Loireau (ingénieur de recherche en géographie)
Anne-Marie Mamontoff (professeure de psychologie )
Sophie Masson (professeure, aménagement du territoire et urbanisme)
Marta Meneghello (maître de conférences en Chimie)
Françoise Mignon (maître de conférences en sciences du langage)
Marie Mirouze (chargée de Recherche à l’IRD)
Thierry Noguer (professeur de Biochimie)
Régis Olivès (professeur en énergétique)
Carmen Palacios (maître de conférences en biologie des organismes et des populations)
Olivier Panaud (professeur de biologie)
Romain Petiot (maître de conférences en sciences économiques)
Sébastien Pinel (maître de conférences en géosciences)
Jonathan Pollock (professeur de littérature anglaise, vice-président nommé pour la recherche)
Dominique Pontier (chargée de Recherche au CNRS)
Frédéric Pontvianne (directeur de Recherche au CNRS)
Benoit Pujol (directeur de recherche au CNRS)
Marie-Pierre Ramouche (maître de conférences en études hispaniques)
Anne-Cécile Ribou (maître de conférences, chimie)
Christophe Riondet (maître de conférences en biochimie)
Pascaline Salvado (doctorante en Biologie)
Gaël Simon (assistant ingénieur, biologie)
Charlotte Sirot (chercheure contractuelle en écologie marine)
Nathalie Solomon (professeur de littérature française)
Nathalie Tapissier (maître de conférences en chimie)
Élodie Varraine (maître de conférences en sciences et techniques des activités physiques et sportives)
Marion Verdoit-Jarraya (maîtresse de conférences en Biologie des organismes et des populations)
Olivier Verneau (professeur en systématique et biologie évolutive)
Florence Vouvé (maître de conférences en Chimie)